par ANNIE BESANT
traduit de l'anglais par H.D.
Édition 1900
Édition de la famille théosophique
disponible aux Éditions Adyar, 4 Square Rapp, Paris (vii)
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Préface | 5 |
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Premier pas | Karma Yoga. Purification | 7 |
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Qualités requises | Contrôle de la Pensée. Méditation. Édification du caractère | 50 |
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La vie du disciple | La voie du noviciat. Les quatre initiations | 88 |
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Le progrès future de l'humanité | Méthode de la science future. Développement à venir des hommes | 133 |
Parmi
les nombreuses et si instructives conférences dont le monde est redevable à l'infatigable énergie
et à l'absolu dévouement qu'apporte Mme
Annie Besant dans l'accomplissement de la noble tâche à laquelle
elle a consacré sa vie, il n'en est peut-être
pas de plus remarquables et de plus utiles aux débutants,
que les quatre faites à Adyar en 1895, à l'occasion
du vingtième anniversaire de la fondation
de la Société théosophique,
et réunies en un volume sous le titre de: The Path of Discipleship.
La lecture de ces conférences magistrales
avait produit sur nous une impression si profonde
et si salutaire que nous n'avions pas hésité à prendre
l'initiative de les traduire en français,
dans l'espoir que leur publication [Page 6] deviendrait un
jour possible et que ceux de nos compatriotes auxquels
la langue anglaise n'est pas familière pourraient
profiter des véritables trésors qu'elles
renferment.
Aujourd'hui qu'il nous est heureusement possible
de présenter le Sentier du Disciple au public
français, nous prions ce public de ne pas
oublier que ces conférences ont été données
devant un auditoire hindou.
L'on ne s'étonnera point, ainsi, du point
de vue auquel s'est placée Mme Besant ni des
nombreux termes sanscrits émaillant le texte.
H. DEMIRGIAN. Alexandrie (Egypte), le 14 mars 1900. [Page
7 ]
FRÈRES. — II y a deux ans, lorsque j'ai
parlé pour la première fois dans cette
salle, j'ai appelé votre attention sur l'édification
du Kosmos en général, sur les phases
par lesquelles a passé cette évolution
et, en quelque sorte, sur les méthodes suivies
au cours de cette vaste succession de phénomènes.
L'année dernière, j'ai traité de
l'évolution du Soi, du Soi humain plutôt
que du Soi kosmique, et j'ai tâché de
vous expliquer comment le Soi amassait de l'expérience
en s'élevant d'enveloppe en enveloppe et
arrivait à dominer absolument ses véhicules
inférieurs. Pour l'homme comme pour l'univers,
pour l'individu, comme pour le Kosmos, le but est
le même: un effort [Page 8] constant pour se réunir
au Soi, pour remonter à ce dont on émane.
Cependant, on m'a parfois dit, dans des discussions
sur ces sujets sublimes.
"Quel rapport cela a-t-il avec la vie que les hommes
mènent en ce monde, entourés comme
ils le sont par les nécessités de la
vie et par les activités du monde phénoménal,
continuellement arrachés à la pensée
du Soi, continuellement forcés par leur Karma à participer à ces
activités de toutes natures ? Quel rapport
a donc l' enseignement supérieur avec la vie
des hommes et comment des hommes de ce monde peuvent-ils
s'élever assez haut pour que la vie supérieure
devienne possible pour eux aussi ?" C'est à cette
question que je vais m'efforcer de répondre
cette année.
Je vais tâcher de vous expliquer comment un
homme de ce monde, soumis à des obligations
de famille, à des devoirs sociaux, aux multiples
activités de la vie, peut cependant se préparer à l'union et faire les premiers pas
sur la voie qui doit le mener à l'Un. Je vais tâcher de vous
décrire les progrès à faire
sur cette voie, en commençant par la vie que
mène un homme quelconque, en partant de la
situation où la plupart d'entre vous
se trouvent en ce moment, de telle sorte que vous
puissiez reconnaître qu'il y a un but à atteindre
et une voie à parcourir — cette voie
qui a son point de départ, ici-bas, dans la
vie de la famille, de la communauté, de l'état,
et son [Page 9 ] point d'arrivée dans un lointain qui
défie
toute pensée; cette voie qui finit par conduire
le voyageur dans la demeure qui sera à jamais
la sienne. Voilà le but de ces quatre conférences; voilà les échelons que vous voudrez
bien, j'en suis sûre, gravir avec moi.
Afin de bien nous pénétrer de notre
sujet, examinons rapidement le cours de l'évolution,
sa signification et son but, pour que ce coup d'oeil, à vol
d'oiseau, jeté sur l'ensemble, nous mette à même
de l'apprécier et nous fasse comprendre l'opportunité de
la marche en avant que nous allons effectuer pas à pas.
Nous admettons que l'Unité soit devenue la
multiplicité. Jetons un regard en arrière
et considérons les ténèbres
primordiales qui enveloppent tout; nous entendrons
comme un murmure jaillir de ces ténèbres: Je me multiplierai. Cette multiplication n'est
autre chose que la construction de l'univers et des
individus qui y vivent. Dans cette volonté de
se multiplier, exprimée par "l'Un qui
n'a pas de second", nous voyons la source
de toute manifestation, nous reconnaissons, en quelque
sorte, le germe primordial du Kosmos.
Et lorsque nous avons compris de quelle façon
a commencé l'Univers, que nous nous rendons
compte de la complexité et de la multiplicité qui
naissent de la simplicité et de l'unité primordiales,
nous comprenons également que chacune de ces [Page 10] manifestations phénoménales
doit être entachée d'imperfection et
que le fait même qu'un phénomène
ne soit possible qu'à la condition d'être
limité est la preuve irréfutable qu'il
est inférieur à l'Un et, par conséquent,
imparfait. Cela nous donne le pourquoi de la variété,
de la vaste multiplicité des choses et des êtres
vivants. Nous commençons alors à comprendre
que la perfection de l'univers manifesté réside
dans cette variété même; que
là où il y a plus que l'Un, il faut
cette multiplicité infinie, afin que l'Un,
qui est comme un puissant soleil projetant ses radieux
rayons dans toutes les directions, puisse en projeter
partout, et que c'est dans la totalité de
ces rayons que résident la perfection et l'illumination
du monde. Plus les objets seront nombreux, remarquables
et variés, plus sera fidèle, quoique
toujours imparfaite, cette réflexion, par
l'univers, de l'Un d'où il émane.
Le premier effort de l'évolution vitale doit être
de produire de nombreuses existences distinctes —
distinctes en apparence, du moins — de façon
que, vues de l'extérieur, elles nous paraissent
nombreuses, tandis qu'en les considérant dans
leur essence, nous voyions que le Soi de toutes est
Un. Lorsque nous nous sommes rendu compte de cela,
nous comprenons qu'au cours de ces multiples individualisations,
l'individu entre en manifestation comme un reflet pâle et incomplet [Page 11] du
Soi. Nous commençons aussi à comprendre à quoi
doit aboutir cet univers, pourquoi l'évolution
de ces nombreux individus est nécessaire,
pourquoi cette séparativité joue un
rôle indispensable dans l'évolution
de l'ensemble.
Nous reconnaissons, en effet, que cet univers doit
avoir pour but d'évoluer le Logos d'un autre
univers, les puissants Dévas qui devront servir
de guides à toutes les forces kosmiques de
cet univers et les divins Maîtres qui auront
pour devoir d'instruire l'humanité naissante
d'un autre Kosmos. Tous ces mondes peuplés
d'existences individuelles sont entraînés
aujourd'hui dans un courant d'évolution ferme
et constant, grâce auquel chaque univers est à même
de fournir à un futur univers son Logos, ses
Dévas, les premiers de ses Manous [
De hauts esprits planétaires, des humains
arrivés à un adeptat très élevé qui
guident l'évolution des Races et des Rondes. Note du traducteur] et
toutes les puissantes entités qui seront
indispensables pour édifier, former, gouverner
et instruire cet univers qui n'est pas encore né.
C'est ainsi que les univers sont enchaînés
les uns aux autres, que les Manvantaras se suivent,
que la récolte d'un univers sert de semence à l'univers
qui lui succède. Au milieu de toute cette
multiplicité, évolue une unité encore
plus vaste, qui servira de charpente au Kosmos à naître,
qui [Page 12] sera la Puissance directrice et gouvernante du
futur Kosmos.
A ce moment, une question se pose — je sais
qu'elle préoccupe bien des cerveaux, car elle
m'a été posée maintes et maintes
fois, tant en Orient qu'en Occident — pourquoi
l'évolution est-elle entourée de tant
de difficultés, pourquoi la mise en oeuvre
laisse-t-elle voir la trace de tant d'insuccès
apparents, pourquoi les hommes se conduisent-ils
si souvent mal avant de se bien conduire, pourquoi
poursuivent-ils le mal qui les dégrade, au
lieu de s'attacher au bien qui les ennoblirait ?
N'était-il pas possible au Logos de notre
univers, aux Dévas, qui sont ses agents,
aux grands Manous qui sont venus guider les premiers
pas de notre humanité, ne leur était-il
pas possible de faire en sorte que la mise en oeuvre
ne présentât aucune apparence d'insuccès
? Ne leur était-il pas possible de diriger
le monde de manière à ce que la voie
fût droite et directe, au lieu d'être
si tortueuse et si indirecte?
Nous sommes arrivés au moment où l'évolution
de l'humanité devient très difficile, étant
donné le but qui doit être atteint.
Il eût été facile, en effet,
de façonner une humanité qui eût
pu être parfaite; facile de donner à ses
pouvoirs naissants une direction qui les eût
fait marcher sans cesse vers ce que nous appelons
le bien, sans jamais se détourner
pour aller vers [Page 13] ce que nous appelons le mal. Mais
quelle eût été la caractéristique
d'une oeuvre aussi facile? C'eût été,
assurément, de faire de l'homme un automate,
mis en mouvement par une force extérieure
qui lui aurait impérieusement imposé une
loi qu'il eût été dans l'obligation
de subir, à laquelle il lui eût été impossible
d'échapper. Le monde minéral est soumis à une
loi de ce genre; les affinités qui relient
les atomes entre eux obéissent à cette
impérieuse impulsion. Mais au fur et à mesure
que nous nous élevons, nous voyons se développer
graduellement une liberté de plus en plus
grande, jusqu'à ce que nous trouvions chez
l'homme une énergie spontanée, une
liberté de choix qui n'est autre chose que
l'aurore de la manifestation de la Divinité,
du Soi, qui commence à transparaître
dans l'être humain. Or le but à atteindre,
le réel objectif, n'était pas de construire
des automates destinés à suivre aveuglément
une voie tracée pour eux, mais d'édifier
une réflexion du Logos lui-même, de
constituer un puissant groupe d'hommes, éclairés
et accomplis, susceptibles de préférer
le bien parce qu'ils le connaissent et le comprennent,
et de repousser le mal, après avoir appris à connaître,
par expérience, son impuissance et les douleurs
auxquelles il conduit. En sorte que, parmi les grands êtres
qui dirigeront l'univers futur, comme parmi tous
ceux qui dirigent l'univers actuel, il y ait une
unité conquise [Page 14] par un
concours de volontés fondues en une seule,
grâce au savoir et au libre arbitre, mues par
un même désir parce qu'elles savent
tout, identifiées avec la Loi parce
qu'elles ont appris que la Loi est juste; ayant
voulu s'unifier avec la Loi, non sous l'impulsion
d'une force extérieure, mais par suite d'un
libre assentiment interne. Dans cet univers futur,
la Loi sera Une, comme elle l'est dans l'univers
actuel, et sera exécutée grâce
au concours de Ceux qui en sont la personnification, à cause
de l'unité de leurs vues, de l'unité de
leur savoir, de l'unité de leur puissance:
cette loi ne sera point aveugle et inconsciente,
elle sera le résultat de la volonté d'un
groupe d'êtres vivants qui sont la Loi, parce
qu'ils sont devenus divins.
Il n'y a pas d'autre
voie, permettant d'atteindre un tel but, permettant
au libre arbitre du plus grand nombre de s'identifier
avec l'unique et grande Nature, avec l'unique et
grande Loi: il n'y a pas d'autre voie, dis-je, en
dehors de la loi au cours de laquelle l'expérience
s'acquiert, au cours de laquelle on arrive à connaître
le mal tout autant que le bien, l'insuccès — tout
autant que le triomphe. Les hommes deviennent alors
des Dieux, et, grâce à l'expérience
qu'ils ont acquise, ils veulent, ils peuvent, ils
ressentent tous de la même façon.
Dans leurs efforts pour atteindre ce but, les divins
Maîtres et guides de notre humanité ont
jeté [Page 15] les bases de bien des civilisations,
constituées toutes en vue du but à atteindre.
Le temps me manque pour remonter à la haute
civilisation de la quatrième Race qui précéda
la naissance du puissant peuple Aryen. Je me
bornerai à dire, en passant, qu'une haute
civilisation fut mise à l'essai et donna
pendant un certain temps de bons résultats
sous la direction de ses divers Gouvernants;
ceux-ci, alors, supprimèrent leur direction
immédiate —
comme fait une mère qui cesse de tenir
son enfant, lorsque celui-ci apprend à marcher,
afin de voir s'il est capable de faire des pas,
de se servir de ses membres, sans le secours
de son bras. Pour la même raison,ils
rentrèrent dans l'ombre — les
divins Guides et Gouvernants — pour voir
si l'humanité naissante marcherait ou tomberait
en faisant ses premiers pas. Et cette jeune humanité trébucha,
tomba et la haute civilisation — puissante,
et parfaite dans ses institutions sociales, glorieuse
par la force et le savoir qui avaient préside à sa
formation — succomba sous le poids de l'égoïsme
humain, sous le poids des instincts inférieurs
de l'humanité qui n'avaient pas encore été dominés.
Il fallait faire une nouvelle tentative et
la grande race Aryenne fut fondée, — toujours
avec de divins Gouvernants, toujours avec de divins Guides; avec un Manou qui lui donna ses lois, fonda sa civilisation,
esquissa sa constitution; avec les Rishis qui se [Page 16] groupèrent autour
de Lui, qui assurèrent l'exécution
de ses lois et guidèrent la jeune civilisation; de la sorte un exemple fut de nouveau donné
à l'humanité, le modèle vers lequel elle devait évoluer fut de nouveau montré
à la race. Puis les grands Instructeurs se retirèrent encore pour quelque temps, afin de permettre à l'humanité d'essayer
ses forces, de s'assurer si elle était capable de marcher seule, en ne comptant que sur elle-même,
dirigée par le Soi interne et non plus par des manifestations extérieures. Cette fois encore, comme
nous le savons, la tentative aboutit à un insuccès complet. Cette fois encore, ainsi que nous pouvons
nous en assurer en jetant un coup d'oeil en arrière,
nous voyons cette civilisation d'origine divine dégénérer graduellement sous le poids des
instincts inférieurs que l'homme n'avait pas encore appris à dominer: s'affaisser momentanément
sous la pression des passions indomptées de l'humanité.
En nous reportant, comme nous le faisons, à l'Inde de jadis, nous voyons sa constitution parfaite, sa
merveilleuse spiritualité et nous suivons de l'oeil sa dégradation de siècle en siècle
au fur et à mesure
que la main dirigeante se retire au delà de la portée visuelle de l'homme. Nous constatons que,
dans chaque cas, la tentative de réalisation de l'idéal divin a abouti à un échec.
Nous jetons un coup d'oeil sur le monde [Page 17] moderne et nous voyons jusqu'à quel
point la nature inférieure
de l'homme a triomphé de l'idéal divin qui lui avait été donné comme modèle à l'origine
de la race Aryenne.
Nous voyons qu'à cette époque il y avait l'idéal du Brahmane, un idéal que l'on peut
décrire comme étant celui de l'âme approchant de la libération, ne réclamant
plus rien des biens de la terre, n'aspirant plus aux plaisirs de la chair, ni à aucun des dons de la
richesse, du pouvoir, de l'autorité, des joies terrestres; la caractéristique du Brahmane était
d'être
pauvre et éclairé, tandis que nous ne trouvons que trop souvent
aujourd'hui, chez l'homme qui porte le nom de Brahmane, richesse et ignorance, au lieu de pauvreté et
sagesse. Là, dans cette caste, vous trouvez une des preuves de la dégénérescence
par suite de laquelle l'ancienne constitution est tombée, et il en est de même dans chacune des
quatre castes.
Voyons maintenant comment les Instructeurs se proposèrent d'amener les hommes à préférer
librement et volontairement l'idéal qui leur avait été proposé et dont ils s'étaient
détournés; comment les grands Instructeurs s'appliquèrent à diriger l'évolution
de l'humanité si imparfaite vers le parfait idéal qui avait été manifesté au
début, pour servir d'exemple à la race,
et que l'évolution n'avait pu atteindre à cause
de la faiblesse et de la puérilité des
hommes. [Page 18]
Afin que ce résultat pût être
atteint au cours des siècles, ce que l'on
appelle le Karma-Yoga fut enseigné aux hommes
— le Yoga, ou l'union [ L'union
avec la Loi divine, avec le Soi humain et le Soi
cosmique. Note du traducteur] par
l'action. C'est la forme de Yoga qui convient aux
hommes du
monde,
assaillis
par les activités de la vie; c'est grâce à ces
activités mêmes, grâce à l'entraînement
qu'elles procurent, que l'on doit arriver à faire
les premiers pas conduisant à "l'union".
Et c'est pourquoi le Karma-Yoga a été établie
pour l'entraînement des hommes.
Remarquez la juxtaposition des mots "action" et "union":
action exécutée de façon à avoir
l'illusion pour résultat, action dirigée
de manière à produire l'union. Il faut
se souvenir que ce sont nos activités qui
nous divisent, nos actions qui nous séparent,
que c'est cette multiple et changeante activité qui
nous entraîne et nous maintient isolés.
Cela semble donc paradoxal que de parler d'union
par l'action, d'union au moyen de ce qui a toujours été une
cause de division, d'union grâce à ce
qui a amené la séparation. Mais la
sagesse des divins Maîtres était à la
hauteur de la tâche qui leur incombait, la
tâche de concilier, d'expliquer ce paradoxe
apparent. Suivons attentivement l'explication et voyons
de quoi il s'agit. [Page 19]
L'homme court effaré dans toutes les directions
sous l'influence des trois énergies de la
nature, les gounas. L'Ego renfermé dans le
corps se trouve dominé par ces gounas. Elles
travaillent, elles sont actives, elles constituent
l'univers manifesté et il s'identifie lui-même
avec ces activités. Il croit agir, alors que
ce sont elles qui agissent; il croit être
occupé, alors que ce sont elles qui produisent
des résultats. Vivant au milieu d'elles, aveuglé par
elles, soumis aux illusions qu'elles créent,
il perd entièrement la connaissance de lui-même
et il est tiraillé de-ci de-là,
poussé par-ci par-là, emporté par
des courants, en sorte que l'activité des gounas est tout ce que l'homme voit dans la vie. Évidemment,
dans ces conditions, il n'est pas apte à pratiquer
les formes supérieures du Yoga; évidemment,
tant que ces illusions ne sont pas dissipées,
au moins en partie, les degrés les plus élevés
de la “Voie” seront au delà de
son atteinte. Il doit donc commencer par comprendre
les gounas; par se séparer de ces activités
du monde phénoménal. Et les Écritures
de ce Yoga — car nous pouvons nous servir
de ce mot — les Écritures de ce Karma-Yoga, c'est ce qui a été proclamé par Shrî Krishna sur
le champ de bataille de Kouroukshetra, lorsqu'il enseignait cette forme de Yoga à Arjouna,
le
prince, le guerrier, l'homme appelé à vivre
dans le monde, à combattre dans le monde, à gouverner
l'État et à [Page 20] prendre sa part de toutes
les activités extérieures; c'est là que
se trouve l'éternelle leçon pour les
hommes qui vivent en ce monde, leçon qui leur
enseigne comment ils peuvent s'élever graduellement
au-dessus des gounas et arriver ainsi à l'union
avec le Suprême.
Ce Karma-Yoga consistera donc, d'abord, dans l'assouplissement
et la réglementation de ces activités.
Il y a, comme vous le savez, trois gounas, Sattva, Rajas et Tamas, les trois gounas
par lesquelles tout ce qui nous entoure a été édifié,
combiné et mélangé de mille
manières. L'une agit ici, l'autre travaille
dans toutes les directions. Il faut leur imposer
un équilibre, il faut les soumettre. L'Égo
incarné, le possesseur du corps, doit devenir
maître souverain et établir une distinction
entre lui et les gounas. Ce qu'il faut donc faire,
c'est de s'expliquer leurs fonctions, de contrôler
et de diriger leurs activités. Vous ne pouvez
pas vous élever d'un seul coup au-dessus d'elles,
ou les contrecarrer — pas plus qu'un enfant
ne peut exécuter le travail d'un homme fait.
L'humanité peut-elle, dans son état
d'imparfaite évolution, atteindre à la
perfection du Yoga? Non, et ce ne serait pas même
sage de la part de l'homme que de l'essayer; en
effet, si l'on imposait à l'enfant le travail
d'un adulte, non seulement il ne réussirait
pas à en
venir à bout, mais il outrepasserait la limite
de ses forces dans cette tentative, et cela [Page 21] aurait
pour résultat un insuccès, aussi bien
dans l'avenir que dans le présent, car cette
tâche trop lourde pour ses forces les diminuerait
et les altérerait. Il faut que les hommes
exercent leurs forces avant de pouvoir réussir,
comme il faut que l'enfant atteigne l'âge d'homme
avant d'être apte à un travail viril.
Examinons pour un moment la fonction de Tamas — que
l'on traduit par obscurité, paresse, inertie,
négligence, etc. Quelle fonction ce gouna
peut-elle remplir, si l'on en fait usage pour aider à l'évolution
humaine ? De quelle utilité ce gouna peut-il être,
au point de vue du développement de l'homme
et de la libération de l'âme? Dans le
Karma-Yoga, ce gouna n'est utilisé que
comme une puissance contre laquelle on doit lutter,
que l'on doit vaincre, afin de développer
les forces dans cette lutte, de développer
la puissance de la volonté dans cet effort,
de conquérir dans cette tentative le contrôle
et la discipline de soi-même. On peut dire
que ce gouna est utile à l'évolution
de l'homme, au même titre que le sont les massues
et les haltères aux exercices de l'athlète.
Celui-ci ne pourrait pas fortifier ses muscles, s'il
n'avait pas quelque chose pour les exercer. Il n'arriverait
pas à la vigueur musculaire, si ses muscles
ne
se durcissaient pas dans les effort qu'il leur impose
pour soulever des poids. Ce n'est
pas le poids lui-même qui est important, mais
l'usage que l'on en fait, et si un [Page 22] homme veut que
ses muscles physiques, les muscles de ses bras par
exemple, deviennent très puissants, le mieux
qu'il puisse faire c'est de prendre une massue ou
des haltères et de s'exercer journellement,
contre cette force de résistance. C'est de
cette façon que Tamas, c'est-à-dire
la négligence ou l'obscurité, joue
son rôle dans l'évolution de l'homme; celui-ci doit vaincre ce gouna et développer
ses forces dans la lutte, les muscles de l'âme
gagnent en puissance à mesure qu'il se rend
maître de la négligence, de la paresse,
de l'indifférence, c'est-à-dire des
qualités tamasiques inhérentes à sa
nature.
Vous reconnaîtrez que les rites et les cérémonies de la
religion ont été prescrits pour dominer ces qualités tamasiques, leur but étant,
du moins en partie, d'exercer l'homme à vaincre
la lenteur, la paresse et
l'indolence de sa nature
inférieure et de le mettre, en présence
de certains devoirs à remplir à un
moment donné — qu'il soit à ce
moment désireux, ou non, de les remplir, qu'il
se sente à ce moment actif ou paresseux —
de le mettre, dis-je, en présence de devoirs à remplir à un
moment donné, c'est-à-dire de l'exercer à surmonter
la lenteur, la légèreté et l'opiniâtreté de
sa nature inférieure et de l'obliger à suivre
la voie que l'on a voulu lui tracer.
Il en est de même si nous prenons Rajas. Vous
verrez que les activités de l'homme sont dirigées [Page 23] dans le
Karma-Yoga, suivant certaines voies définies
que je me propose de suivre avec vous, de façon à ce
que vous puissiez comprendre comment ces activités;
si constamment mises en oeuvre dans le monde
moderne, qui se manifestent dans toutes les directions,
qui mènent à la hâte, au mouvement
et à l'effort constant, en vue d'obtenir des
succès dans la vie inférieure, d'obtenir
des manifestations, des résultats, des phénomènes
matériels, comment ces activités sont
graduellement dirigées, exercées, purifiées,
jusqu'à ce qu'elles ne puissent plus gêner
la réelle manifestation du Soi.
Le but du Karma-Yoga est de substituer le devoir à la
jouissance personnelle; l'homme agit pour satisfaire
ses instincts, inférieurs; il agit parce
qu'il veut obtenir quelque chose; il agit pour le
gain, pour une chose qu'il désire, pour obtenir
une récompense. Il travaille parce qu'il veut
de l'argent afin de pouvoir se procurer des jouissances.
Il travaille parce qu'il aspire au pouvoir, qui donnera
satisfaction à son soi inférieur. Toutes
ces activités, toutes ces qualités "raja-siques",
sont mises en mouvement pour aider ses instincts
inférieurs. Afin de discipliner et de régulariser
ces activités, afin de
les utiliser pour les desseins du Soi supérieur,
il faut amener l'homme à substituer le devoir à la
jouissance personnelle, à travailler parce
que le travail est un de ses devoirs, à tourner
la roue de la vie parce [Page 24] que c'est son emploi et afin
de pouvoir faire ce que Shrî Krishna a déclaré faire
par Lui-même. Il n'agit pas parce qu'il y a
quelque chose à gagner pour Lui dans ce monde
ou dans un autre, mais parce que sans Son action
le monde prendrait fin, parce que sans Son action
la roue ne tournerait plus. Et ceux qui accomplissent
le Yoga doivent agir dans le même esprit que
Lui, agir pour le tout et non pour la partie, agir
pour l'accomplissement de la Volonté divine
dans le Kosmos et non pour le plaisir d'une entité distincte
qui se croit indépendante alors qu'elle devrait
travailler sous Ses ordres. On atteindra ce but en
haussant graduellement la sphère de ses activités.
Le devoir doit être substitué à la
jouissance personnelle et les rites religieux, ainsi
que les cérémonies, sont prescrits
pour amener graduellement les hommes à la
vraie vie qui doit être la leur. Toutes les
cérémonies religieuses ne sont qu'un
moyen d'amener l'homme à la vraie vie, à la
vie supérieure. Un homme commence par méditer
le matin de bonne heure et au coucher du soleil,
mais, à la fin, sa vie ne sera qu'une longue
méditation. Il médite durant une heure,
pour se préparer à méditer toujours.
Toutes les activités créatrices sont
le résultat de la méditation, et vous
n'oublierez pas que c'est par les Tapas [ Tapas méditation religieuse.Note du
traducteur ] que
tous les mondes [Page 25] sont créés. Afin que
l'homme puisse atteindre à cette grande puissance
créatrice de la méditation, afin qu'il
puisse devenir capable d'exercer cette puissance
divine, il doit s'y être exercé par
les cérémonies religieuses, par la
méditation intermittente, par les Tapas pris
et quittés. La méditation prescrite
est le premier pas vers la méditation constante; elle prélève une portion de la vie
journalière, dans le but de finir par l'imprégner
toute, et les hommes la pratiquent journellement
afin qu'elle puisse absorber graduellement la vie
tout entière.
Il arrive un moment où le Yogui n'a plus d'heures
fixes pour méditer, car sa vie n'est plus
qu'une longue méditation. Quelle que soit
l'occupation extérieure à laquelle
il se livre, il médite et il est toujours
aux pieds du Maître, même si le cerveau
et le corps sont actifs dans le monde des hommes.
Il en est de même de tous les autres genres
d'action; l'homme apprend d'abord à accomplir
une action comme un sacrifice au devoir, comme le
paiement de sa dette envers le monde dans lequel
il vit; comme le remboursement, aux différentes
parties de la Nature, de ce qu'elles lui fournissent.
Puis, plus tard, le sacrifice devient plus que le
paiement d'une dette; il devient le joyeux don de tout ce que l'homme
peut donner. Le sacrifice partiel, c'est la dette
qui est payée, le sacrifice parfait, c'est
le don du. tout. Un homme se donne, [Page 26] avec toutes ses
activités, avec tous ses pouvoirs, ne se contentant
plus de verser une partie de ce qu'il possède
comme on paie une dette, mais versant tout ce qu'il
possède, comme on fait une largesse. Quand
on en est arrivé là, le Yoga est accomplie
et la leçon du Karma-Yoga est
apprise.
Considérez comme un pas vers ce but les cinq
sacrifices journaliers, dont les noms, au moins,
vous sont familiers à tous et rendez-vous
compte du pourquoi de chacun d'eux. Chacun des cinq
est le paiement d'une dette, la reconnaissance de
ce dont l'homme, pris individuellement, est débiteur
envers le tout au milieu duquel il vit. Et si vous
les détaillez un instant séparément,
si rapidement que ce soit, vous verrez à quel
point chacun d'eux est réellement le paiement
d'une dette.
Prenons le premier: le sacrifice aux Dévas.
Pourquoi ce sacrifice est-il prescrit ? C'est parce
que l'homme doit apprendre qu'il est le débiteur
de la terre et des intelligences qui dirigent les
fonctions de la nature, grâce auxquelles la
terre porte des fruits et fournit à l'homme
sa nourriture. L'homme prélevant de quoi nourrir
son corps celui-ci doit, pour s'acquitter, restituer à la
Nature un équivalent de ce qui lui a été fourni,
grâce à la coopération de ces
Intelligences kosmiques, de ces Dévas, qui
dirigent les forces du monde inférieur. On
a appris à l'homme qu'il devait répandre
son sacrifice dans le feu. Pourquoi? La réponse
qui a [Page 27] été faite, en guise d'explication, était
celle-ci: "Agni est la bouche des dieux" et
les gens répètent cette phrase sans
chercher à en comprendre la signification,
sans chercher à aller au delà du nom
du Déva, afin d'arriver à sa fonction
dans le monde. La vraie signification de la phrase
est que partout autour de nous se trouvent les artisans
conscients et subconscients de la Nature, groupés
par hiérarchies, avec un grand Déva
cosmique à la tête de ce que l'on pourrait
appeler chaque division de cette vaste armée; en sorte qu'au-dessous du Déva qui gouverne
le feu, l'air, l'eau et la terre, se trouvent un
grand nombre de dieux inférieurs, chargés
de mettre en oeuvre les différentes sortes
d'activités des forces naturelles du monde,
comme là pluie, les facultés productrices
de la terre, les influences fertilisantes de diverses
sortes. Or le sacrifice dont nous parlons
a pour but de nourrir ces agents inférieurs,
de leur fournir des aliments par le feu; et le feu
est appelé "la bouche des dieux" parce
qu'il produit la désagrégation, parce
qu'il change et transforme les solides et les liquides
qui y sont jetés, les fait passer à l'état
de vapeur, les désagrège en matières
moins denses et les transforme ainsi en matière éthérique,
pour devenir, sous cette forme, la nourriture des élémentals
inférieurs qui exécutent les ordres
du Déva kosmique. C'est ainsi qu'un homme
leur paie sa dette et, en retour, la pluie tombe
dans les [Page 28] régions inférieures de l'atmosphère,
la terre produit et l'homme reçoit sa nourriture.
C'est ce que voulait dire Shrî Krishna, lorsqu'il
disait à l'homme: "Nourris les dieux
et les dieux te nourriront". C'est cette sorte
de cycle inférieur d'alimentation, que l'homme
doit apprendre à connaître. Au début,
il regardait cela comme un enseignement religieux,
puis vint le moment où cela ne lui sembla être
qu'une superstition, dans son ignorance des motifs
réels, car il ne voyait que le côté extérieur.
Une connaissance plus approfondie vient ensuite,
lorsque la science, qui commence par tendre vers
le matérialisme, s'élève, par
une étude plus approfondie, jusqu'à la
connaissance du royaume spirituel. La science commence à dire,
en termes scientifiques, ce que les Rishis ont dit
en termes mystiques, c'est-à-dire que l'homme
a le pouvoir de diriger et de régulariser,
par ses propres actes, l'action des forces inférieures
de la Nature et, de cette façon, la science
grandissante donne raison aux enseignements du passé,
démontre à l'intelligence ce que l'homme
spirituel voit par intuition directe, par la vision
spirituelle.
Nous avons ensuite le Sacrifice aux ancêtres;
la reconnaissance de ce que l'homme doit à ceux
qui l'ont précédé dans le monde; le paiement de sa dette envers ceux qui ont travaillé dans
le monde avant qu'il n'y vienne, la gratitude et
la vénération [Page 29] auxquelles ont droit
ceux qui ont, en partie, fait le monde pour nous
et y ont introduit des améliorations dont
nous devions hériter. Ce service est une dette
de reconnaissance due à ceux qui nous ont
immédiatement précédé dans
l'évolution humaine, qui en ont pris leur
part durant leurs vies terrestres et qui nous ont
légué le résultat de leurs travaux.
Puisque nous recueillons le fruit de leurs travaux,
nous nous acquittons en leur témoignant de
la reconnaissance. C'est pourquoi l'un des sacrifices
journaliers est la reconnaissance de la dette de
gratitude que nous devons à ceux qui sont
partis avant nous.
Ensuite vient, naturellement, le Sacrifice du savoir,
de l'étude, afin que par l'étude des écrits
sacrés les hommes deviennent capables d' aider
et de former ceux qui sont plus ignorants qu'eux
et puissent aussi évoluer en eux-mêmes
le savoir indispensable pour rendre possible la manifestation
du Soi inférieur.
.
Quatrièmement le Sacrifice aux hommes,
le fait de s'acquitter envers un homme de ses devoirs
envers l'humanité, le fait de nourrir un
homme pour proclamer que les hommes se doivent mutuellement
toutes sortes de services amicaux dans le monde physique,
se doivent toute l'assistance qu'un frère
peut donner à son frère. Le sacrifice
aux hommes est la reconnaissance formelle de ce devoir
et, en nourrissant ceux qui ont faim, en [Page 30] donnant
l'hospitalité à ceux qui en ont besoin,
bien, qu'en fait, vous ne nourrissiez qu'un homme
au point de vue idéal et en raison de votre
intention, c'est l'humanité entière
que vous nourrissez. Lorsque vous offrez l'hospitalité à un
homme qui passe devant votre porte, vous ouvrez
la porte de votre coeur à l'humanité considérée
comme une grande entité; en aidant et en
abritant un individu, c'est à l'humanité,
en général, que vous offrez aide et
abri.
Il en est de même du dernier des cinq sacrifices, celui fait aux animaux. Le chef de la famille
doit placer des aliments sur le sol, afin que tout animal
qui passe puisse en prendre. C'est là votre
devoir envers le monde inférieur, car vous
lui devez aide, nourriture et éducation. Le
sacrifice aux animaux a pour but de graver dans notre
mémoire que nous sommes ici-bas pour former,
diriger et aider les créatures inférieures,
c'est-à-dire tout ce qui est au-dessous de
nous sur l'échelle de l'évolution. Chaque
fois que nous nous rendons coupables de cruauté,
de rudesse et de brutalité envers les animaux,
nous péchons,
en réalité, contre Celui qui réside
en eux et dont ils sont, eux aussi, les manifestations
inférieures. Et c'est afin que l'homme apprenne à discerner
ce qu'il y a de bon dans la bête, afin qu'il
puisse comprendre que Shrî Krishna réside
dans les animaux inférieurs, bien qu'il y
réside sous une forme plus voilée que
dans [Page 31] l'homme, c'est pour cela, dis-je, que l'homme
a été invité à sacrifier
aux animaux, non pas à leurs formes extérieures,
mais au Dieu qui s'y trouve caché. Le seul
moyen que nous ayons de sacrifier aux animaux, c'est
de les traiter avec bonté, douceur et compassion,
c'est de les former, d'aider leur évolution,
au lieu de les repousser avec la brutalité et
la cruauté dont nous voyons tant d' exemples
autour de nous.
C'est ainsi que l'homme a appris,
grâce à ces rites et à ces cérémonies
extérieures, les vérités spirituelles
dont sa vie devait être imprégnée.
Et après avoir accompli les cinq sacrifices,
il devait aller dans le monde des hommes pour sacrifier
encore par des actes d'un autre genre, pour sacrifier
en s'acquittant de ses devoirs quotidiens. Et sa
journée, qui avait commencé par ces
cinq sacrifices, s'écoulait, sanctifiée,
dans la vie extérieure des hommes. L'insouciance
du devoir, dans cette vie extérieure du monde,
a grandi simultanément avec la graduelle insouciance
pour ces cinq sacrifices. Non que ces sacrifices
soient, par eux-mêmes, à jamais nécessaires,
car il arrive un moment où l'homme s'élève
au-dessus d'eux, mais souvenez-vous de ceci: il
ne s'élève au-dessus d'eux que lorsque
sa vie tout entière est devenue un long sacrifice.
Jusqu'à ce moment, cette reconnaissance formelle
de ses devoirs est nécessaire afin qu'il puisse
rendre sa vie plus élevée. Et malheureusement,
dans [Page 32] l'Inde d'aujourd'hui, on attache bien peu d'importance à ces
sacrifices, non parce que les hommes se sont élevés
au-dessus d'eux, ni parce que leurs vies sont assez
pures, spirituelles et élevées pour
qu'ils n'aient plus besoin de l'éducation
inférieure et du rappel constant à la
mémoire, mais parce qu'ils sont devenus
insouciants et matérialistes et sont tombés
bien au-dessous de l'idéal de leur Manou.
Ils refusent de reconnaître ce qu'ils doivent
aux Forces qui sont au-dessus d'eux et, par suite,
ils n'accomplissent pas leur devoir envers les hommes
qui les entourent.
Examinons maintenant la vie extérieure journalière, —
le devoir qui incombe à l'individu dans le
monde. Quel qu'il soit, il est né dans une
famille distincte; ce fait crée ses devoirs
de famille. Il appartient à un groupe de la
société;
cela détermine ses devoirs sociaux. Il fait
partie d'une nation; cela lui impose des devoirs
nationaux. La limite des devoirs de chaque homme
est déterminée par le milieu dans lequel
il est né, milieu qui, grâce à la
bonne Loi, grâce à l'impulsion
karmique, constitue pour chaque homme un champ de
labeur, le terrain d'exercice sur lequel il doit
s'instruire. C'est pourquoi il est dit que chaque
homme doit accomplir son propre devoir, son propre
Dharma [ devoir religieux,
moral, piété et justice].
Il est préférable
de [Page 33] s'acquitter de son propre devoir, fût-ce
d'une façon
imparfaite, que de chercher à accomplir le
Dharma supérieur d'un autre, parce que celui
qui vous est imposé par votre naissance est
précisément celui dont vous avez besoin
et constitue votre meilleur champ d' exercice.
Faites votre devoir sans vous préoccuper des
résultats et vous apprendrez la leçon
de la vie, vous entrerez dans la voie du Yoga.
Au début, chaque action sera naturellement
accomplie en vue de ces résultats; les hommes
agiront parce qu'ils voudront mériter une
récompense. Cela vous explique les premiers
enseignements qu'ils ont reçus, lorsqu'on
leur apprenait à agir en vue des résultats à obtenir
dans le monde de Svarga [Svarga,
le ciel d'Indra, le Dévakhan. Note du traducteur].
Le développement
de l'homme-enfant était obtenu au moyen de
la récompense promise au mérite; on
lui montrait Svarga comme un but à atteindre
par le travail; en s'acquittant de ses devoirs religieux,
il s'assurait la récompense dévakhanique.
Et c'est ainsi qu'il était amené à pratiquer
la morale, exactement comme vous amenez un enfant à apprendre
ses leçons,
en lui promettant une récompense ou un prix.
Mais si l'action à accomplir doit avoir pour
but le Yoga et non l'obtention d'une récompense,
il faut qu'elle soit accomplie uniquement parce qu'elle
constitue un devoir. [Page 34]
Étudiez pour un instant les quatre grandes castes
et rendez-vous compte du but que l'on se proposait
en les constituant. Le Brahmane avait pour devoir
d'instruire, afin qu'il y eût toujours des
maîtres éclairés pour guider
l'évolution de la race. Il ne devait pas s'instruire
pour gagner de l'argent, pour s'assurer le pouvoir,
pour obtenir quoi que ce fût pour lui-même;
il devait s'instruire pour s'acquitter de son Dharma
et il devait posséder le savoir, afin d'être
apte à le transmettre aux autres. De cette
façon, une nation bien constituée devait
toujours avoir des maîtres pour enseigner,
des maîtres aptes à diriger, à donner
des conseils désintéressés,
sans jamais poursuivre un but égoïste; de cette façon, le maître ne devait
rien gagner pour lui-même, mais tout gagner
pour le peuple et, en faisant cela, il s'acquittait
de son Dharma et obtenait la libération de
l'âme.
Ensuite, venait le genre de Yoga destiné à l'homme
plein d'activité, appelé à gouverner
et à maintenir le bon ordre, le genre de Yoga
destiné à
l'éducation de la classe dominante; celle
des Kshattriya. Le Kshattriya devait gouverner !
Pourquoi? Non pas pour satisfaire sa soif de pouvoir,
mais afin que justice fût faite, afin que le
pauvre se sentît en sécurité et
que le riche ne pût exercer de tyrannie, afin
de faire prévaloir la loyauté et une
impartiale justice dans ce monde de luttes constantes
entre les hommes. Et cela, parce qu'au [Page 35] milieu même
de ce monde de luttes, de colères et
de contestations, de ce monde où les hommes
cherchaient à satisfaire leur esprit d'égoïsme,
au lieu de poursuivre l'intérêt commun,
il fallait leur enseigner que justice devait être
faite, que si l'homme robuste abusait de ses forces,
l'autorité impartiale réprimerait ce
déloyal abus; que le faible ne devait être
ni foulé aux pieds, ni opprimé. Et
le devoir du roi était de distribuer la justice
parmi les hommes, afin que ceux-ci pussent considérer
le trône comme la source de la justice divine.
Tel est l'idéal de la royauté divine,
tel est l'idéal du divin Maître Rama vint pour l'enseigner, Shri Krishna vint
pour l'enseigner, mais les hommes étaient si bornés qu'ils
ne voulurent pas apprendre cette leçon. Le
Kshattriya employait sa puissance à satisfaire
ses propres désirs et à opprimer les
autres; il s'appropriait leurs biens et les forçait à travailler
pour lui. Il perdit de vue l'idéal du divin
Maître, idéal qui était l'incarnation
de la justice dans ce monde de luttes entre les hommes.
Mais sa seule raison d'être était de
faire de la réalisation de cet idéal
le but de toute sa vie, et son devoir, par conséquent, était
d'administrer la contrée, de l'administrer
dans l'intérêt de la nation et non dans
son propre intérêt. Il en était
de même, lorsqu'il était appelé à remplir
son devoir de soldat. Le peuple devait pouvoir vaquer
en paix à ses travaux. Les gens pauvres et [Page 36] inoffensifs devaient
pouvoir vivre en sécurité,
entourés de leurs familles heureuses et prospères.
Le commerçant devait pouvoir s'occuper tranquillement
de son commerce. Toutes les occupations de ce monde
devaient pouvoir s'accomplir sans crainte, à l'abri
de toute agression. Aussi enseignait-on au Kshattriya,
que lorsqu'il avait à combattre, c'était
en qualité de défenseur des faibles; que s'il donnait librement sa vie, c'était
afin que ceux-ci pussent jouir en paix de la leur.
Il ne devait pas combattre par désir du gain,
ni combattre pour acquérir des territoires.
Il ne devait pas combattre par amour du pouvoir ou
de la souveraineté. Sa fonction était
de constituer une sorte de mur d'airain autour de
la nation, afin que toute attaque vînt se briser
contre son corps et que, dans l'intérieur
du cercle qu'il avait tracé, les hommes
pussent vivre heureux, dans la paix et la sécurité.
Pour pratiquer le Yoga, tout en remplissant son devoir
de Kshattriya, il devait se considérer comme
l'agent du divin Auteur, et c'est pour cela que Shrî Krishna a enseigné qu'il avait fait
tout cela, et qu'Arjouna ne faisait que reproduire cette action
dans le monde des hommes. Et dès que l'on
retrouve le divin Auteur dans chacune des actions
de l'homme, celui-ci peut alors les accomplir uniquement
comme devoir, sans aucun désir; et ces actions
perdent tout pouvoir d'entraver son âme.
II en était de même du Vaishya dont
le devoir [Page 37] était d'accumuler des richesses.
Il devait le faire, non point pour son propre plaisir,
mais pour l'entretien de la nation. Il devait être
riche afin que tous les genres d'activité qui
nécessitent des richesses pussent en trouver
une réserve à leur portée et
pussent être déployés dans toutes
les directions; afin qu'il y eût partout des
demeures pour les pauvres, des maisons de repos pour
les voyageurs, des hôpitaux pour les hommes
comme pour les animaux, des temples pour les exercices
du culte et, partout enfin, les richesses qui sont
indispensables pour entretenir les activités
d'une existence nationale parfaite. Son Dharma comportait
donc l'accumulation de ces richesses, dans l'intérêt
commun et non dans celui de sa satisfaction personnelle.
De cette façon, il pouvait, lui aussi, pratiquer
le Yoga et, par le Karma-Yoga se préparer
en vue de la vie supérieure.
De même aussi pour le Shoudra qui devait s'acquitter
de son Dharma dans l'intérêt de la chose
publique. Il devait représenter, en quelque
sorte, la grande main de la nation, lui apportant
tout ce dont elle avait besoin et s'acquittant des
activités domestiques extérieures.
Son Yoga, s'il le pratiquait, résidait dans
le joyeux accomplissement de ses devoirs, devoirs
qu'il devait remplir pour eux-mêmes et non
pas en vue de la récompense qu'il pouvait
mériter en les accomplissant.
D'abord les hommes n'agissent que pour [Page 38] leur satisfaction
personnelle et leur expérience ne produit
que du progrès; ils apprennent ensuite à agir
par devoir et commencent ainsi à pratiquer
le Yoga durant la vie journalière; enfin
ils agissent par esprit de joyeux sacrifice, sans
rien réclamer en retour, et en appliquant,
au contraire, toutes les forces qu'ils possèdent à la
bonne exécution de leur devoir. Et c'est ainsi
que l'Union est accomplie.
Nous comprenons ce que l'on entend par purification,
lorsque nous observons ces phases successives de
la jouissance personnelle, du devoir accompli pour
lui-même et enfin du don de tout ce que l'on
possède, sous forme de sacrifice volontaire.
Ce sont les stades que l'on traverse sur la voie
de la purification. Mais comment atteindre le genre
de purification qui conduit aux degrés supérieurs,
qui confère cette qualité de
disciple que toutes les activités de ce monde
doivent servir à préparer ? L'homme
tout entier doit être purifié, physiquement
aussi bien qu'intellectuellement. Je n'ai pas le
temps de m'attarder sur la purification du corps,
mais il est bon que je vous rappelle les enseignements,
de la Bhagavad Gîtâ, Ils disent qu'on arrive à cette
purification par la modération en tout et
non par un ascétisme qui torture, qui torture
le corps et Celui qui l'habite, comme dit Shrî Krishna. Le Yoga s'accomplit au moyen d'un contrôle
modéré sur soi-même, d'un entraînement [Page 39] réfléchi
de ses instincts inférieurs,
du choix, fait avec calme, d'une alimentation pure,
de l'exercice modéré de toutes les
activités physiques, de façon à exercer, à régulariser
et à modérer les fonctions du corps
tout entier, jusqu'à ce que l'on soit arrivé à le
placer sous le contrôle de la volonté et
du Soi. C'est pourquoi la vie de la famille était
prescrite, car les hommes, à part, quelques
rares exceptions, n'étaient pas mûrs
pour le rude sentier du célibat. Le Brahmacharya [célibat brahmanique.] n'était
pas pour tous. Grâce à la
vie de la famille, les hommes apprenaient à modérer
leurs passions sexuelles, non pas à les anéantir, — chose
impossible à la majorité des hommes
et qui, si l'on tente de l'obtenir avec une imprudente énergie,
aboutit souvent à une
réaction qui précipite l'imprudent
dans les pires excès d'une vie déréglée; —
non pas à tenter de les déraciner
ou de les tuer d'un seul effort, mais de le faire
en s'exerçant graduellement à la modération,
en pratiquant le renoncement aux joies de l'intérieur,
où les instincts inférieurs devraient être
rompus à la modération, habitués à se
laisser diriger par les instincts supérieurs,
amenés à renoncer à leur suractivité pour
se subordonner entièrement à l'Un.
Voici comment débute ce Karma-Yoga. Le
chef de famille doit apprendre graduellement à se
contrôler lui-même; [Page 40] en apportant de
la modération en tout, il amène ses
instincts inférieurs à se soumettre
aux instincts supérieurs et les exerce journellement
jusqu'à ce qu'ils soient absolument soumis à sa
volonté. De cette façon, il purifie
son corps et devient apte à s'élever
jusqu'aux voies supérieures du Yoga. Il
doit alors purifier de nouveau, complètement,
les passions de sa nature inférieure.
Prenons des exemples — je veux vous en donner
trois, afin que vous puissiez les employer dans votre
vie — prenons la passion de la colère
et voyons comment elle peut être façonnée,
dans le Karma-Yoga, afin d'être transformée
en qualité. La colère est une force,
une force qui jaillit de l'homme pour produire son
effet dans l'ambiance. Chez l'homme peu développé et
peu exercé, elle se montre à l'état
de passion, revêtant diverses formes brutales,
brisant les résistances et s'inquiétant
peu des moyens qu'elle emploie, pourvu qu'elle écarte
de son chemin tout ce qui s'oppose à la satisfaction
de sa volonté. Dans cet état, cette
force de la nature est indisciplinée et destructive
et celui qui désire pratiquer le Karma-Yoga
doit assurément la subjuguer. Comment s'y
prendra-t-il pour subjuguer et discipliner la colère?
Il se débarrassera tout d'abord de l'élément
personnel. Lorsqu'une injure personnelle lui sera
adressée, ou lorsqu'un préjudice personnel
lui sera causé, il s'exercera à ne
pas le ressentir. Voilà le devoir [Page 41] en présence
duquel se trouvent beaucoup d'entre vous. Si quelqu'un
vous fait du tort, commet une injustice à votre égard,
que ferez-vous? Vous pourrez vous laisser emporter
par la colère et le frapper. Quelqu'un vous
a-t-il trompé: vous chercherez, en revanche, à lui
faire du tort, et à l'exploiter. Vous a-t-il
pris en traître: vous l'attaquerez aussi par
derrière et chercherez à lui faire
du mal. De cette façon la colère exerce
des ravages, et l'on ne voit, de tous côtés,
que destruction dans ce que devrait être la
société des hommes. Comment purifier
cette passion? La réponse vous est donnée
par tous les grands Maîtres qui ont enseigné le
Karma-Yoga, qui ont enseigné comment les
actions accomplies dans le monde des hommes peuvent
servir
aux desseins
du Soi. Rappelez-vous que le pardon des injures fait
partie des dix devoirs que nous imposent les lois
de Manou. Rappelez-vous les paroles prononcées
par le Bouddha, lorsqu'il enseignait "La
haine n'a jamais été domptée
par la haine; la haine est domptée par l'amour". Rappelez-vous
que le Maître chrétien s'inspirait de
la même pensée lorsqu'il disait: "Ne
vous laissez pas maîtriser par le mal, mais
maîtrisez le mal par le bien". Voilà le
Karma-Yoga. Pardonnez les offenses: répondez à la
haine par de l'amour; domptez le mal par le bien.
De cette façon, vous éliminerez l'élément
personnel; vous n'éprouverez plus de colère [Page 42] lorsque l'on
vous fera du tort; vous étant
dépouillés de l'élément
personnel, la colère ne revêtira plus,
chez vous, cette forme inférieure. Mais un
genre de colère, d'une nature plus élevée,
peut subsister encore. Vous êtes témoin
d'une injustice commise envers un faible et vous éprouvez
de la colère contre son auteur; vous voyez
maltraiter un animal et vous êtes irrité contre
celui qui se montre cruel; vous voyez opprimer un
pauvre homme et vous êtes en colère
contre l'oppresseur. C'est la colère impersonnelle
— elle est bien plus noble que l'autre et constitue
un stage
nécessaire dans l'évolution humaine;
il est mille fois préférable, il
est bien plus noble, d'éprouver de la colère
contre l'auteur du mal que de passer sottement indifférent,
sous prétexte que la souffrance qui est infligée
n'excite pas votre sympathie. Cette colère
impersonnelle et d'une nature élevée
a plus de noblesse que l'indifférence, mais
ce n'est pas encore sa forme la plus haute. Elle
doit être modifiée à son tour
et transformée en cette disposition naturelle
qui vous pousse à rendre justice au fort comme
au faible; qui vous fait plaindre l'oppresseur
et l'opprimé; qui vous fait comprendre que l'oppresseur
se fait encore plus de mal lui-même, qu'il
n'en fait à celui qu'il opprime; qui vous
porte à le plaindre, comme vous plaignez celui
qui souffre de son fait; qui vous fait envelopper
l'oppresseur et l'opprimé [Page 43] dans une même étreinte
d'amour et de justice.
L'homme qui a purifié à ce point la
passion de la colère met fin au mal, parce
que c'est son devoir d'y mettre fin, mais il est
compatissant envers l'auteur du mal, parce que celui-ci
aussi doit être aidé et instruit:
en sorte que la colère qui vengeait une offense
personnelle devient la justice qui met un terme à tout
ce qui est mal, qui protège au même
titre le fort et le faible. Telle est la purification
qui s'accomplit dans le monde des faits, tels sont
les efforts journaliers grâce auxquels la nature
inférieure est purifiée, afin que l'Union
puisse s'accomplir.
Prenons
ensuite l'amour. Nous le trouvons d'abord sous
sa forme la plus basse, la plus brutale — la
vulgaire passion animale d'un sexe pour l'autre;
cette passion qui ne tient aucun compte du caractère
de la personne aimée, qui ne tient aucun compte
de la beauté morale et mentale, mais s'attache
uniquement à la beauté physique, à l'attraction physique et au plaisir physique. Voilà la
passion sous sa forme la plus basse. On pense à soi
et rien qu'à soi.
Cette passion est purifiée par l'homme qui
pratique le Karma-Yoga et qui la transforme en ce
genre d'amour qui vous porte à vous sacrifier
pour la personne aimée; celui-là remplit
ses devoirs de famille, prend soin de sa femme et
de ses enfants et fait tout ce qu'il peut pour eux
en leur [Page 44] sacrifiant ses goûts, ses loisirs et
sa satisfaction personnelle; il travaille afin d'améliorer la situation de sa famille, afin d'être à même
de lui fournir tout ce dont elle a besoin; chez
lui l'amour ne se borne plus à la recherche
du plaisir personnel, mais s'attache à aider
ceux qu'il aime, à détourner sur lui-même
les maux qui les menacent, afin qu'ils soient protégés, épargnés
et sauvegardés. En pratiquant le Karma-Yoga,
un homme purifie son amour de tout élément égoïste,
et ce qui n'était qu'une passion animale pour
l'autre sexe devient l'amour du mari, du père,
du frère aîné, du parent, qui
remplit son devoir en travaillant pour ceux qu'il
aime, afin que leur existence puisse être plus
douce et plus heureuse.
C'est alors que commence la dernière phase,
celle où l'amour, dépouillé de
tout caractère personnel, vole vers tous.
Il ne s'épanche plus uniquement dans,le cercle
restreint de la famille, mais il voit un être à aider
dans chaque personne qu'il rencontre, un frère à nourrir
dans chaque homme qui a faim, une soeur à protéger
dans chaque femme abandonnée. L'homme ainsi
purifié devient le père, le frère,
l'auxiliaire de tous ceux qui sont isolés,
non parce qu'il les aime personnellement, mais parce
qu'il les aime idéalement et qu'il cherche à donner
uniquement par amour et non plus même pour
la joie de se faire aimer. L'amour dans sa plus noble
expression, l'amour tel que le fait [Page 45] naître
le Karma-Yoga, ne demande rien en échange
de ce qu'il donné; il ne cherche point la
reconnaissance; il n'aspire pas à être
constaté; il désire rester ignoré;
il est même plus heureux de s'épancher
dans l'ombre, sans qu'on s'en aperçoive, que
d'agir de façon à attirer l'attention
et la louange.
Enfin, la purification définitive de l'amour
est atteinte lorsque ce sentiment devient tout à fait
divin, lorsqu'il donne, parce qu'il est dans sa nature
même de répandre le bonheur, lorsqu'il
ne demande plus rien pour lui-même, mais cherche
uniquement à rendre les autres heureux.
Il en
est de même de la convoitise et de l'avidité.
Les hommes cherchent le gain afin de pouvoir se procurer
des jouissances; ils aspirent au gain afin de devenir
puissants; ils s'efforcent de gagner afin de se
hausser dans le monde. Ils purifient d'abord cette
première forme de la convoitise et souhaitent
le gain afin que la famille soit plus heureuse, que
sa position soit meilleure, qu'elle soit à l'abri des douleurs et des privations; de la sorte,
ils
deviennent moins égoïstes qu'auparavant.
Ils vont alors plus loin et ont l'ambition d'augmenter
leurs moyens afin d'en user pour le bien, afin de
les employer à faire du bien dans un cercle
plus étendu que celui de la famille et, à la
fin, comme dans le cas de l'amour, ils apprennent à donner
sans rien recevoir en échange; ils apprennent à désirer
le [Page 46] savoir et les richesses, non pour les conserver,
mais pour les donner, non pour en jouir, mais seulement
pour les répandre. De cette façon,
l'égoïsme est annihilé.
Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi
celui auquel on donne le nom de Mahâdeva habite
un territoire brûlant? Un singulier endroit,
ont dû penser les hommes, pour servir de demeure
au Tout-Puissant I Un singulier entourage pour Celui
qui est la pureté même ! Ce que cache
l'allégorie du territoire brûlant,
c'est la vie humaine et, sur ce territoire brûlant
où habite Shiva, tout ce qu'il y a d'inférieur
dans la vie humaine est consumé comme par
le feu. S'il n'y habitait pas, tous ces déchets
de la vie terrestre subsisteraient pour se putréfier,
se corrompre, pour être
une source de dangers, pour répandre partout
la maladie et la corruption. Mais sur le territoire
brûlant où II habite et que Ses feux
traversent d'un bout à l'autre, tout ce qui
est égoïste, tout ce qui est personnel,
tout ce qui est d'essence inférieure, est
consumé. Le Yogui sort triomphant du sein
de ces flammes régénératrices,
ne conservant plus trace en lui de l'élément
personnel, car les feux du Maître ont consumé toutes
ces passions inférieures et n'ont rien laissé de
ce qui pourrait corrompre ou rendre malade. C'est
pour cela qu'il est appelé le Destructeur
— Destructeur de tout ce qui est bas, pour que la
régénération
devienne [Page 47] possible, car, à l'origine, l'âme
est issue de Ses feux et c'est de ce territoire brûlant
que sort le Soi purifié.
C'est ainsi que ces premiers pas vous conduisent à la
vraie qualité de disciple, à la découverte
du Gourou, au Temple Intérieur, le saint des
saints où habite le Gourou de l'humanité.
Voilà les premiers échelons que vous
devez gravir, voilà la voie que vous devez
suivre. Vous êtes des hommes, vivant au milieu
du monde, soumis à ses entraves, pliés
aux nécessités de la vie sociale et
politique et, cependant, du fond de votre coeur,
vous aspirez au vrai Yoga et au savoir
qui relève de la vie éternelle et non
de l'existence passagère.
Si chacun de vous scrute les profondeurs de son coeur,
il y découvrira l'ardent désir de
s'instruire davantage, de vivre plus noblement qu'il
ne l'a fait
jusqu 'alors. Vous pouvez paraître aimer les
choses de ce monde et vous les aimez réellement
de par votre nature inférieure, mais dans
le coeur de tout véritable Hindou, qui
n'a pas absolument renié sa religion et son
pays, il y a toujours une aspiration vers un idéal
plus élevé que celui de ce monde, un
désir si faible qu'il soit, ne fût-ce
qu'à cause des traditions du passé,
de voir l'Inde devenir plus noble qu'elle ne l'est aujourd'hui et son peuple plus digne de son passé.
Voilà donc la voie que vous devez commencer à suivre.
Une nation ne peut être grande que si ses enfants [Page 48] sont grands; un
peuple ne peut être puissant,
si les individus qui le composent sont pauvres et
misérables et s'ils mènent une vie égoïste.
Vous devez partir du point où vous vous trouvez,
de la vie que vous menez actuellement et, en vous
conformant au genre d'existence que je viens de vous
décrire sommairement, vous vous rapprocherez
de la Voie.
Laissez-moi terminer en vous rappelant à quoi
aboutit la Voie, bien que je doive m'en rapprocher
davantage avec vous dans les conférences qui
me restent à vous faire. La Voie aboutit à l'Union; le Karma-Yoga que nous venons d'étudier
est l'Union par les actes. Il y a encore d'autres échelons à franchir; mais, d'abord, qu' entend-on
par "Union".
Vous vous souvenez de la description qu'a donnée
Shrî Krishna de l'homme qui s'est libéré des
gounas [Gounas, les qualités
des choses; ce qui attire ou repousse. Note du traducteur ] ,
de l'homme qui s'est élevé au-dessus
d'elles et qui est devenu digne du nectar de l'immortalité,
de l'homme prêt à connaître le
Très-Haut, prêt à s'unir au
Suprême.
Il ne connaît qu'un seul agent, les gounas,
mais il sait ce qu'il y a au delà. Il voit
agir les gounas, mais ne les désire pas lorsqu'elles
sont absentes ni ne les repousse lorsqu'elles sont
présentes. Il conserve un parfait équilibre
au milieu des [Page 49] amis et des ennemis, un parfait équilibre
en présence de la louange et du blâme; confiant en lui-même, il voit tout d'un même
oeil, la motte de terre comme la pièce d'or, l' ami comme l'ennemi. Il est le même pour tous, car
il s'est élevé au-dessus des gounas
et ne peut plus être le jouet des illusions
qu'elles provoquent. Voilà le but que nous
cherchons. Voilà les premiers échelons
qu'il faut gravir pour atteindre la Voie qui mène
plus haut. Avant d'avoir franchi ces échelons,
aucun autre progrès n'est possible, mais
au fur et à mesure qu'on les franchit, l'entrée
de la véritable Voie devient de plus en plus
visible. [Page 50]
QUALITÉS REQUISES
Contrôle de la Pensée. — Méditation. — Édification
du caractère.
FRÈRES. — Le côté spécial
de la question que nous avons à traiter aujourd'hui
a rapport aux qualités requises pour devenir
un disciple. Laissez-moi commencer par attirer votre
attention sur la réincarnation et sur les
moyens qui permettent à un homme de se rendre
compte de ce que l'on entend par "qualité de
disciple" et de donner délibérément
ce but à sa vie future. Vous vous souvenez
de ce que j'ai dit hier, de la description que je
vous ai donnée des différentes phases
de l'action: comme quoi un homme commençait
par agir dans le but de satisfaire ses instincts
inférieurs et de recueillir des bénéfices; comme quoi la pratique du Karma -Yoga lui enseignait
graduellement à ne pas agir en vue des bénéfices à réaliser
pour le soi inférieur, mais uniquement pour
faire son devoir, s'identifiant de la sorte avec
la Loi, en prenant ainsi, sciemment, sa part
de la grande oeuvre du monde. Je vous ai ensuite [Page 51] dit qu'il y avait un
stade au-dessus de ceux-ci, un stade durant lequel le sacrifice n'était
plus accompli seulement comme un devoir, mais comme
le don joyeux de tout ce que l'homme possédait,
II est évident que lorsque c'est cette phase
que l'homme cherche à atteindre, lorsqu'il
s'acquitte d'un travail non seulement parce que
c'est son devoir de s'en acquitter, mais parce qu'il
aspire à donner
tout ce qu'il est et tout ce qu'il a pour le service
du Suprême, il est évident, dis-je,
que c'est alors qu'il lui devient possible de rompre
avec ce que l'on appelle les entraves des désirs
et de se libérer ainsi de l'obligation de
se réincarner. Ce qui attire l'homme et le
force à se réincarner dans le monde,
c'est le désir: le désir de jouir
des biens que l'on y peut trouver, le désir
d'y accomplir tous les actes qui peuvent s'y accomplir.
Tout homme qui a des visées terrestres, tout
homme qui donne un but terrestre à son existence,
est évidemment enchaîné par les
désirs. Tant que ses désirs se porteront
sur ce que la terre peut lui donner, il lui faudra
revenir pour les satisfaire; tant qu'une seule des
joies ou une seule des choses qui appartiennent à la
vie passagère — à la vie physique
sur la terre — aura le pouvoir de l'attirer,
elle aura aussi le pouvoir de l'enchaîner. En
d'autres termes, tout désir enchaîne
l'âme et la ramène à l'endroit
où il doit être satisfait.
L'homme est d'une nature si divine, il est lui-même [Page 52] si semblable à un
Dieu, que cette force qui émane
de lui et à laquelle nous donnons le nom de
désir, renferme en elle-même le pouvoir
de se satisfaire. Ce qu'il désire, il l'obtient; ce qu'il désire, la nature le lui donne,
au moment voulu, quand l'heure a sonné. De
sorte que l'homme, comme on l'a souvent dit, est
maître de sa propre destinée et que
tout ce qu'il réclame de l'Univers, l'Univers
le lui donnera. Il va sans dire qu'il recueillera
le fruit de ses désirs dans la partie de l'Univers à laquelle
ils appartiennent, en sorte que s'il désire
les choses de la terre, il lui faudra revenir sur
la terre afin que son désir soit satisfait.
L'homme est aussi enchaîné à la
réincarnation par tous ceux de ses désirs
qui ne peuvent être satisfaits que dans les
mondes transitoires et passagers qui se trouvent
au delà de la mort; ces mondes transitoires
qui se trouvent au delà des portes de la mort
nous conduisent tous, comme nous le savons, à la
réincarnation ici-bas, en sorte que si les
aspirations
de l'homme ne sont fixées sur les joies de Svarga [Le
Dévakhan.Note du traducteur ],
s'il s'attend à recueillir
les résultats
de sa vie de ce monde, dans un autre monde aussi
transitoire que lui, et s'il se refuse les joies
terrestres dans le but déterminé d'atteindre
les joies de Svarga, ces joies seront la rétribution
gagnée par ces efforts et cette rétribution [Page 53] lui sera allouée
en temps voulu. Mais puisque Svarga même est fugitif, puisque Svarga même
est transitoire, il se trouve ainsi n'avoir choisi
d'autre Voie que celle désignée sous
le nom de Voie lunaire, la voie qui conduit à la
réincarnation. Vous devez vous souvenir qu'il
est écrit que “la Lune est la porte
de Svarga” — de sorte qu'en quittant
Svarga, l'âme retourne au monde terrestre des
hommes. Il en résulte que le désir — qu'il
doive être satisfait dans ce monde, ou dans
un autre également transitoire et fugitif — enchaîne l'âme à la réincarnation
et c'est pour cette raison qu'il a été écrit
que l'âme ne peut atteindre la libération
qu'après "que les liens du coeur
ont été brisés".
La libération pure et simple (pour une période)
peut être conquise par cette seule destruction
du désir. Sans accomplir aucune ouvre
d'une nature particulièrement élevée,
sans avoir atteint un stade très élevé dans
l'évolution de l'âme, sans avoir développé toutes
les possibilités divines qui existent à l'état
latent dans la conscience humaine, sans s'élever
jusqu'aux sommets sublimes sur lesquels se tiennent
les Maîtres et les Aides de l'humanité,
l'homme peut mériter, s'il le désire,
un genre de libération qui est foncièrement égoïste,
qui l'élève bien
au-dessus de ce monde de vicissitudes, qui brise
bien les liens qui le rattachent à ce monde
de vie et de mort, mais, sans aider en [Page 54] aucune façon
ses frères, sans briser leurs liens, sans
les mettre en liberté. C'est un genre de libération
qui profite à l'individu plutôt qu'à la
masse, une libération grâce à laquelle
l'individu quitte l'humanité en la laissant
se frayer elle-même son chemin. Je sais que
bien des hommes n'ont pas d'aspirations plus hautes;
qu'ils sont nombreux ceux qui poursuivent simplement
la libération pour eux-mêmes, sans se
préoccuper des autres. Ce but, comme je le
disais, peut être assez facilement atteint.
Pour cela, il suffit de reconnaître la nature
fugitive des choses de ce monde, l'inanité des
ambitions qu'un homme de ce monde caresse journellement,
mais après tout, cette libération n'est
que pour un temps, pour un Manvantara peut-être,
après quoi le retour est obligatoire. De sorte
que, bien que détachées de ce monde,
bien que libérées en ce qui concerne
cette terre, les âmes se trouvent dans l'obligation
de revenir dans un cycle futur, afin de faire un
nouveau pas en avant, vers ce qui est réellement
la divine destinée de l'homme; l'évolution
de la conscience humaine dans la Conscience universelle,
dont la fonction est d'enseigner, d'aider et de
diriger les mondes de l'avenir.
Je laisse ce sujet pour m'occuper
des âmes plus sages et plus généreuses
qui, tout en désirant se libérer des
liens du désir, voudraient les briser non
pas pour échapper
elles-mêmes aux difficultés [Page 55] de la vie
terrestre, mais pour être aptes à suivre
cette haute et noble Voie qui s'appelle la Voie
de l'aspirant-disciple, pour suivre les grands Êtres
qui ont placé cette voie à portée
de l'humanité. Ces âmes-là cherchent à découvrir
les Maîtres disposés à accueillir
ceux qui se sont qualifiés pour suivre cette
voie, non dans le seul but de se libérer,
non pour échapper simplement aux soucis, mais
dans le but de devenir un jour les aides, les Maîtres
et les Sauveurs de l'humanité; elles restituent
au monde en général ce que les individus
ont reçu des Maîtres qui ont passé les
premiers. Cette situation de disciple est mentionnée
dans toutes les grandes Écritures du monde.
La possibilité de trouver un Gourou qui instruise
les hommes est certes un idéal des âmes
les plus hautes et les plus développées
qui, dans ce monde extérieur, aient cherché à réaliser
la pensée divine. Prenez telle Écriture
qu'il vous plaira et voyez comment elle s'exprime à cet égard.
Prenez Oupanishad [Commentaires
sur les Védas,
révélation de leur signification ésotérique.Note du traducteur ] après
Oupanishad et voyez comment on y parle du Gourou
et comment l'aspirant-disciple
est encouragé à Le chercher et à Le
trouver. C'est de cela que je veux vous parler aujourd'hui; des qualités requises
pour devenir un disciple; de ce qui doit être
fait avant qu'il soit possible d'être admis [Page 56] comme disciple; de
ce qui doit être accompli
avant que la recherche du Gourou puisse présenter
quelques chances de succès; de ce qui doit être
pratiqué dans le monde, dans la vie ordinaire
des hommes, en considérant la vie comme une école,
comme un lieu où l'on apprend les leçons
préparatoires, comme un lieu donnant à l'homme
les qualités nécessaires pour devenir
digne d'arriver jusqu'aux pieds des grands Maîtres
qui lui donneront la vraie renaissance — cette
renaissance symbolisée dans toutes les religions
exotériques par une cérémonie
quelconque, moins sacrée par elle-même
que par ce qu'elle symbolise. Vous trouverez dans
la langue hindoue le mot "deux fois né" impliquant
que l'homme n'est pas seulement né d'un père
et d'une mère humains, mais a passé par
la seconde naissance qui est conférée à l'âme
par le Gourou. Ceci est symbolisé — hélas! symbolisé seulement la plupart du temps
— par l'Initiation donnée au fils, par le
Gourou dé la famille ou par le père,
ce qui fait de lui ce que l'on appelle, dans le
monde extérieur,
l'homme deux fois né. Mais dans les temps
jadis — comme de nos jours aussi — il
existait et il existe une véritable Initiation
qui a donne naissance à toutes les cérémonies
extérieures; il existe une réelle,
une vraie Initiation qui n'est pas seulement l'admission
dans une caste exotérique, mais qui confère
une naissance réellement divine, Initiation [Page 57] donnée par
un puissant Gourou et qui provient du Grand Initiateur, de l' nique Initiateur de l'humanité.
Nous trouvons le récit de ces Initiations
dans les écrits du passé, nous savons
qu'elles existent dans le présent. L'Histoire
tout entière témoigne de leur réalité.
Il y a aux Indes des temples sous lesquels se trouvent
les sanctuaires des anciennes Initiations, sanctuaires
dont le peuple ignore aujourd'hui l'existence, sanctuaires
aujourd'hui cachés aux regards des hommes,
mais qui n'en existent pas moins, qui n'en sont pas
moins accessibles à ceux qui se montrent dignes
d'en franchir le seuil. Ce n'est pas aux Indes seulement
qu'il existe des sanctuaires de ce genre; l'ancienne
Égypte, elle aussi, avait ses cryptes réservées à l'Initiation et de majestueuses
pyramides, dans un ou deux cas,
recouvrent l'antique sanctuaire aujourd'hui mis à l'abri des regards humains. Les dernières Initiations
que vous trouvez mentionnées dans l'histoire
de la Grèce et dans celle de l'Egypte elle-même,
comme étant l'Initiation de tel ou tel grand
philosophe, ont toutes été conférées
dans les temples extérieurs, connus du peuple,
qui recouvrent les sanctuaires réels de l'Initiation. Le droit de franchir le seuil de ces
derniers ne
pouvait être
conquis au moyen de la science extérieure,
mais était soumis à des
conditions qu'il fallait remplir, qui ont existé de
toute antiquité et qui existent [Page 58] encore aujourd'hui
aussi réellement qu'elles existaient alors,
car si l'histoire tout entière témoigne
de la réalité de l'Initiation, elle
témoigne aussi de la réalité de
l'Initié. À la tête de toute
grande religion, il y avait des Hommes plus élevés
que les hommes ordinaires, des Hommes qui ont donné les Écritures
aux peuples, et que l'histoire nous montre dominant
leurs contemporains par leur profonde connaissance
des choses spirituelles — connaissance qui
Les entourait d'une auréole — par
la clairvoyance spirituelle qui Leur permettait de
voir,
et attestait ce qu'ils voyaient. En effet, il y a
un fait que nous avons remarqué souvent, en
ce qui concerne ces grands Maîtres; Ils ne
prétendent pas, Ils affirment; Ils ne discutent
pas, Ils proclament; Ils n'arrivent pas à Leurs
conclusions par des procédés logiques,
Ils y arrivent par l'intuition spirituelle; Ils
se présentent et parlent avec autorité,
avec une autorité que justifient leurs paroles
mêmes et les coeurs des hommes reconnaissent
la vérité de leurs enseignements, même
s'il s'élève à des hauteurs
que leur intelligence est incapable d'atteindre.
Il y a toujours dans le coeur de chaque homme
ce principe spirituel auquel tout divin Maître
fait constamment appel et qui accueille la déclaration
spirituelle, même si l'intelligence n'est pas
assez pénétrante
pour pouvoir discerner la réalité de
ce que l'esprit voit. Ces grands Gourous qui sont [Page 59] mentionnés
dans l'histoire comme les plus grands Maîtres, ainsi que ceux dont elle parle
comme de puissants philosophes, sont tous des
Initiés qui sont devenus plus que des hommes; ces Initiés existent aujourd'hui, comme
Ils ont toujours existé. En effet, comment
la mort pourrait-elle porter la main sur Ceux qui
ont triomphé de la vie et de la mort et qui
sont les maîtres de toute la nature inférieure
? Leur évolution Les a fait émerger,
dans le cours des siècles passés, Les
uns de notre humanité, Les autres d'humanités
antérieures à la nôtre. Quelques-uns
d'entre Eux sont venus d'autres mondes ou d'autres
planètes, alors que notre humanité était
encore dans l'enfance; d'Autres ont grandi, lorsque
cette humanité avait suffisamment parcouru
la voie de l'évolution pour être à même
de produire ses propres Initiés, les Gourous
de notre race, pour aider dans sa marche en avant
l'humanité à laquelle Ils appartiennent
Eux-mêmes. Lorsqu'un homme a parcouru la voie
et qu'il a atteint ce but, la mort ne saurait plus
avoir aucun pouvoir sur Lui et il n'est plus possible
qu'ayant été II puisse cesser d'être.
Le fait seul que l'histoire parle d'Eux est une garantie
de leur existence présente; cela suffirait à prouver
qu'ils existent, sans qu'il fût besoin du témoignage,
grandissant tous les jours, de ceux qui Les ont trouvés,
et qui Les connaissent; de ceux qui sont instruits
par Eux et qui étudient à Leurs [Page 60] pieds.
A notre propre époque, en effet, de nos jours
même, des étudiants découvrent,
l'un après l'autre, l'ancienne voie; aujourd'hui
même ils découvrent, l'un après
l'autre, cette voie ancienne et étroite, mince
comme le fil d'un rasoir, qui élève
l'homme et le met en état de s'engager sur
la voie de l'aspirant-disciple. A mesure que l'un
d'eux la découvre, il devient un témoin
capable de proclamer la véracité des
anciens écrits et après qu'il s'y
est engagé, il peut en parcourir successivement
toutes les phases.
Pour l'instant, nous avons à établir
quelles sont les qualités requises pour conquérir
le droit d'entrée sur cette Voie. La première
de ces qualités doit être développée
dans une très large mesure au moins, avant
qu'il soit possible de songer le moins du monde à être
admis comme disciple, Cette première qualité est
ce que l'on appelle le contrôle mental, et
ma première tâche consistera à vous
expliquer très clairement ce que veut dire
le contrôle du mental; ce qu'est ce mental
devant être contrôlé, et ce qui
sert à le contrôler. N'oublions pas
que, pour la grande masse du public, Le mental représente
l'homme. Lorsqu'il parle de "lui-même", c'est réellement de
son mental qu'il parle. Lorsqu'il dit "Moi",
il identifie ce "Moi" avec le mental,
l'intelligence consciente qui sait; et lorsqu'il
dit “je pense, je sens, je sais”, si
vous, cherchez avec soin le sens qu'il [Page 61] donne à ces
mots, vous verrez qu'il ne dépasse pas les
limites de son état de conscience pendant
la veille. Voilà ce qu'il entend, généralement,
par le mot "moi". Certes, ceux qui
ont étudié sérieusement savent à quel
point un "moi" de ce genre est illusoire,
mais, bien que le sachant sous forme de proposition
intellectuelle, ils n'en font pas une des réalités
pratiques de la vie. Ils l'admettent bien en tant
que philosophes, mais n'en font pas la base de leur
existence dans le monde. Afin que nous puissions
clairement comprendre ce qu'est ce contrôle
du mental et comment nous pouvons arriver à l'obtenir, arrêtons-nous un moment à ce
que nous appelons la possession de soi-même,
lorsque nous parlons d'un homme de ce monde: nous
verrons à quel
point cette possession de soi-même est insuffisante,
lorsque nous la comparons à celle qui fait
partie des qualités requises de l'aspirant-disciple.
Lorsque nous disons qu'un homme a de l'empire sur
lui-même, nous voulons dire que son mental
est plus puissant que ses passions; que si nous
prenons sa nature inférieure, ses passions
et ses émotions et que nous leur opposions
sa nature intellectuelle, son intelligence, sa volonté,
et sa puissance de raisonnement, ce sont ces dernières
facultés qui l'emporteront sur les premières; qu'il est capable, en un mot, dans un moment de
tentation, ou en présence d'un appel à ses
passions, de dire "non, [Page 62] je ne veux pas céder; je ne permettrai
pas à mes passions de
me conduire; je ne me laisserai pas dominer par mes
sens; ces sens ne sont que les coursiers qui traînent
mon char, tandis que moi je suis le conducteur et
je ne leur permettrai pas de prendre le galop sur
la route de leur choix": nous disons alors
que cet homme a de l'empire sur lui-même. Voilà la
signification habituelle de ces mots, et, notons-le,
ce genre d'empire sur soi-même est une admirable
qualité. Elle représente une phase
par laquelle tout homme doit passer. L'homme déréglé et
sans frein, qui est entièrement sous le joug
de ses sens, a, certes, beaucoup à faire avant
d'arriver à acquérir cette faculté mondaine
de la possession de soi-même, mais il faut
beaucoup, beaucoup plus encore. Lorsque nous parlons
d'un homme doué d'une volonté énergique
et d'un homme d'une volonté faible, nous voulons
généralement dire que l'homme énergique
est celui qui, en présence des tentations
et des difficultés habituelles de ce monde,
fera appel à sa raison et à son jugement
avant de choisir sa route et se laissera guider par
sa mémoire du passé et par les conclusions
qu'il en tire. Nous disons alors qu'il est doué d'une
volonté énergique,
parce qu'il n'est pas à la merci des circonstances,
parce qu'il n'obéit pas à toutes les
impulsions et n'est pas comme un navire entraîné par
le courant du fleuve, ou poussé de-ci [Page 63] de-là, au gré des
vents qui soufflent. Il ressemble plutôt à un
navire dirigé par un marin connaissant son
métier, qui utilise les vents et les courants
pour le conduire du côté où il
veut aller, qui emploie la volonté comme un
gouvernail, pour le maintenir sur la route qu'il
a lui-même choisie. Il est parfaitement vrai
que le fait de posséder une volonté énergique,
au lieu d'une volonté faible, est le signe
d'une individualité grandissante; ce pouvoir
de donner une impulsion interne est un des indices
les plus clairs du développement graduel de
l'homme et de l'accroissement de son individualité.
Je me souviens que H.P. Blavatsky disait, dans
un des articles où elle traitait de l'individualité,
que l'on pouvait reconnaître son existence
chez l'homme et son absence chez l'animal en observant
la façon dont se comportent l'un et l'autre
dans certaines circonstances. Prenez un
certain nombre d'animaux sauvages et mettez-les
en présence de circonstances identiques; vous
les verrez suivre tous la même ligne générale
de conduite. Leur manière d'agir est déterminée
par les circonstances au milieu desquelles ils se
trouvent; chacun d'eux ne cherche pas à agir
de manière à modifier ces circonstances, à les
opposer les unes aux autres afin de tracer la voie
qu'il a choisie; ils agissent tous de même.
Si vous connaissez la nature de l'animal, ainsi que
la nature des circonstances au milieu desquelles
il se trouve, [Page 64] vous pouvez déduire la manière
d'agir de la classe entière en connaissant
celle d'un ou deux de ses membres; c'est une preuve
absolue de l'absence de toute individualité.
Mais si vous prenez un certain nombre d'hommes, vous
ne pourrez pas conclure d'avance qu'ils agiront
tous de la même façon, car la diversité de
leurs manières de se comporter en présence
des mêmes circonstances — dépendra du
degré de développement de chacun d'eux.
Les individus diffèrent entre eux et il en
résulte qu'ils agissent différemment;
chacun a sa propre volonté, ce qui lui permet
de choisir à son gré. L'homme dont
la volonté est faible est moins individualisé,
moins développé et n'est pas aussi
avancé dans la voie de l'évolution.
Ceci établi, un homme peut faire plus que soumettre
sa nature inférieure au contrôle de
sa nature supérieure; il peut commencer à se
faire une idée de la puissance créatrice
de la pensée. Cela implique un champ de pensées
plus étendu que celui du commun des hommes,
cela implique une certaine somme de connaissances
philosophiques. S'il a étudié, par
exemple, les principaux ouvrages des Hindous, il
y aura gagné une conception intellectuelle
très
claire de la puissance créatrice de la pensée; mais dès qu'il se sera rendu compte de
cela, il en conclura qu'il y a quelque chose au delà de
ce qu'il appelle son mental, car s'il existe une
puissance génératrice de la pensée, [Page 65] si, par l'entremise
de son mental, l'homme est capable de produire des pensées, celles-ci doivent être
engendrées par quelque chose qui est caché au
delà de ce mental qui les produit. Le seul
fait de l'existence de cette puissance créatrice
de la pensée et de ce que l'homme soit à même
de s'en servir pour exercer son mental et celui des
autres suffit à prouver qu'il y a quelque
chose au delà du mental; quelque chose qui
est, en quelque sorte, indépendant du mental
et qui s'en sert comme d'un instrument. L'étudiant
qui cherche à se comprendre lui-même
commence alors à constater qu'il a affaire à un
mental dont le maniement est fort difficile et que
les pensées viennent sans qu'il les cherche; qu'elles jaillissent, en quelque sorte, sans le
concours de sa volonté. Lorsqu'il commence à étudier
les opérations du mental, il constate que
les pensées y affluent sans qu'il les ait
appelées; il constate qu'il est en proie à des
idées dont il voudrait que la nature fût
très différente. Son mental est envahi
par toutes sortes de fantaisies; il voudrait les
en chasser, mais, il se trouve désarmé et
n'arrive pas à s'en débarrasser. Il
se voit obligé de brasser les pensées
qui règnent sur
son mental et qui ne sont aucunement soumises à son
appel ou à son autorité. Il commence
alors à étudier ces pensées; il se demande: d'où viennent-elles? comment
agissent-elles ? comment peut-on les maîtriser
? et il apprend peu à peu que [Page 66] bien des pensées
qui envahissent son mental ont leur origine dans
le mental d'autres hommes et que, suivant la ligne
générale de pensées qui lui
est propre, il attirera les pensées des autres,
du monde extérieur de la pensée. Il
influence à son tour le mental d'autrui par
les pensées qu'il engendre lui-même
et il commence à comprendre que cette responsabilité est
bien plus grave qu'il ne l'avait jamais pensé.
Il avait cru, jusqu'à ce moment, que ce n'était
qu'en parlant qu'il pouvait exercer une influence
sur le mental d'autrui; que ses actions seules
pouvaient être
prises comme un exemple et modifier la façon
d'agir de son prochain, mais au fur et à mesure
que son savoir augmente; il commence à entrevoir
l'existence d'une force mystérieuse émanant
de l'homme qui pense, et agissant sur le mental des
autres. La science moderne nous dit quelques mots
de cela et arrive aux mêmes conclusions; de
nombreuses expériences lui ont démontré qu'une
pensée pouvait être transmise d'un cerveau à un
autre, sans qu'un mot fût prononcé,
sans qu'un mot fût écrit, et qu'il y
avait dans la pensée quelque chose de palpable,
de susceptible d'être observé,
qui ressemble à une vibration faisant vibrer
d'autres choses, sans qu'il soit besoin de prononcer
un mot, d'articuler un son. La science a découvert
que la pensée peut être transmise d'hommes à homme,
dans le plus profond silence; que sans [Page 67] aucun moyen
extérieur de communication, — où,
comme le disait le professeur Lodge, sans moyens
matériels de communication, le mot "matériel" étant
employé dans son sens physique, — il
est possible au mental d'affecter le mental.
S'il en est ainsi, nous nous influençons tous
les uns les autres par nos pensées, sans avoir
recours à la parole ou à l'action,
car d'un côté les pensées que
nous engendrons se répandent dans le monde
et agissent sur le mental des autres hommes et, de
l'autre, les pensées que ceux-ci émettent
viennent à nous et influent à leur
tour sur notre manière de penser. Nous constatons
donc que l'action de penser tient généralement
bien peu de place dans la vie; ce que nous appelons "penser" ne
consiste guère que dans la réflexion
des pensées des autres. En réalité,
le mental des hommes ressemble beaucoup à une
auberge où des voyageurs s'arrêteraient
pour la nuit; du moins le mental de beaucoup d'hommes
n'est guère autre chose que cela. Une pensée
entre et sort, l'homme ajoute bien peu à la
pensée qui lui vient. Il la reçoit,
l'abrite, puis elle passe. Mais ce qu'il serait
de notre devoir
de faire, ce serait de penser de
propos délibéré et avec l'intention
d'exécuter ce que nous aurions décidé.
Pourquoi ce contrôle du mental, ce contrôle
de la pensée, cet arrêt de la pensée
et ce refus de donner asile à la pensée
d'autrui auraient-ils tant [Page 68] d'importance? Pourquoi
tout cela constituerait-il une condition sine qua
non qu'il faut remplir avant de pouvoir être
admis comme disciple ? Parce que les pensées
de l'homme qui devient un disciple prennent plus
de force; parce que l'individualité de celui
qui devient un disciple se développe, grandit,
devient plus puissante et que chacune de ses pensées
possède une vitalité et une énergie
plus grandes et exerce une influence plus forte sur
le monde des hommes. La pensée d'un homme
peut tuer, la pensée d'un homme peut guérir
une maladie; elle peut exercer une influence sur
les foules; elle peut créer une illusion
visible de nature à tromper les autres hommes
et à les égarer. Puisque la pensée
devient si puissante, à mesure que l'individualité
se développe et grandit et puisque la qualité de
disciple implique la croissance rapide et le développement
de l'individualité dans de telles proportions
que l'homme arrive à accomplir dans le cours
de quelques vies ce qui, sans cette qualité,
n'eût pu être parachevé que dans
des milliers d'années, il est nécessaire,
avant que ce surcroît de puissance ne soit
mis à sa
portée, qu'il ait appris à exercer
un contrôle sur ses pensées, qu'il ait
appris à réprimer tout ce qu'elles
renferment de mauvais, qu'il ait appris à ne
donner asile qu'à ce qui est pur, bienfaisant
et utile. Le contrôle du mental par le Soi
a été imposé comme condition à l'aspirant-disciple, parce [Page
69] qu'avant qu'un homme puisse
posséder
le surcroît de pouvoir que confère l'enseignement du Gourou, il faut qu'il soit devenu
maître
de l'instrument qui produit les pensées, afin
que celui-ci ne fasse que ce qu'il a décidé et
ne produise jamais rien sans son plein consentement.
Je sais que le public éprouvera de la difficulté à comprendre
cela. Il dira: Quelle est cette individualité qui
va toujours grandissant ? Quelle est cette individualité qui
développe le pouvoir de la volonté et
de la puissance de contrôle sur le mental et
dont vous dites qu'elle n'est pas le mental, mais
qu'elle lui est supérieure? Laissez-moi me
servir d'une image empruntée à la vie
de ce monde, pour vous aider à saisir comment
naît l'individualité et comment elle
se développe. Supposons que vous entriez dans
une atmosphère saturée de vapeur d'eau,
mais assez chaude pour que la vapeur d'eau y reste
en suspension, invisible, et que l'emplacement vous
paraisse vide. Vous direz: il n'y a rien
ici, rien que de l'air.Vous savez cependant bien
que si un chimiste prenait un peu de cet air saturé de
vapeur d'eau, l'enfermait dans un récipient
et le refroidissait graduellement, vous verriez un
léger brouillard,
une sorte de nuage, se dessiner au milieu de ce vide
apparent; que ce léger brouillard irait en s'épaississant peu à peu jusqu'au moment où,
le refroidissement augmentant, vous verriez apparaître une goutte
d'eau là [Page 70] où, l'instant d'avant, vous
ne distinguiez rien. Nous pouvons considérer
cet exemple comme une grossière image physique,
pouvant servir à expliquer la formation de
l'individualité. Du sein de cet Invisible,
qui est l'Un d'où tout émane, s'élève
un léger nuage qui devient visible, un léger
brouillard qui se condense, qui se sépare
de l'invisible buée qui l'entoure et se condense
graduellement, jusqu'à devenir la goutte individuelle
que nous considérons comme une unité.
Du sein de ce qui est Tout jaillit le désagrégé et
le distinct; distinct dont la nature est identique à celle
du Tout dont l'essence est la même que la sienne,
mais qui en est séparé par ses qualités
et se trouve ainsi individualisé. L'âme
individuelle de l'homme émane de cette façon
du Soi Unique et grandit tous les jours en expérience.
Elle grandit et se développe au fur et à mesure
de ses centaines de renaissances dans le monde, vie
après vie, époque après époque,
et ce que nous appelons le mental n'est, en
quelque sorte, qu'un de ses petits bourgeonnements dans le monde matériel.
De même que l'amoeba, lorsqu'elle
a besoin de nourriture, projette à l'extérieur
une portion d'elle-même, saisit une parcelle
de matière nutritive et ré-absorbe ensuite
cette partie d'elle-même qu'elle avait projetée,
se nourrissant de ce qu'elle a pris, de même
l'individualité projette dans le monde —
le monde physique — une sorte de procidence
de son Soi, [Page 71] chargée d'amasser pour elle
de l'expérience
en guise de nourriture, puis la ré-absorbe
au moment de ce que nous appelons la mort, s'assimilant
cette expérience pour nourrir sa croissance.
Le mental n'est autre que cette procidence dans le
monde physique; c'est une portion de l'individualité,
une portion de l'âme. La conscience, qui est
vous-même, est supérieure à votre
mental; supérieure à ce que vous appelez
l'intellect. Tout votre passé, toute l'expérience
que vous avez acquise, sont à l'abri dans
la conscience. Tout le savoir que vous vous êtes
assimilé est amassé dans la conscience
qui est réellement vous. A votre naissance,
vous projetez une petite portion de vous-mêmes,
chargée d'amasser une nouvelle dose d'expérience
pour enrichir encore cette conscience: l'âme
se l'assimile pour assurer son développement
et, à chaque vie nouvelle, elle s'efforce
d'influencer cette procidence d'elle-même,
au moyen de sa conscience enrichie. Ce que nous appelons
la "Voix de la conscience" n'est autre
que celle du Soi supérieur parlant
au soi inférieur et cherchant à diriger
son ignorance au moyen du savoir qu'il a acquis dans
ces vies successives.
Nous savons que ce soi inférieur,
le mental, nous fait éprouver des difficultés.
Vous souvenez-vous de ce qu'Arjouna disait à Shrî Krishna,
en parlant du contrôle du Manas inférieur
que nous étudions? Vous souvenez-vous dans
quels termes [Page 72] il disait à son divin Maître
combien son Manas était turbulent? "0
Krishna, Manas est véritablement turbulent",
disait-il; "il est impétueux, puissant et
difficile à faire plier; je crois aussi difficile à contenir
que le vent." Et c'est vrai; celui
qui essaye de mettre un frein au Manas le sait, Celui
qui tente d'exercer un contrôle sur le Manas
sait à quel point il est turbulent, impétueux
et puissant, à quel point il est difficile à soumettre.
Mais vous souvenez-vous de la réponse que
le Seigneur béni fit à Arjouna, lorsque
celui-ci lui disait que Manas était aussi
difficile à contenir que le vent ?
Sa réponse fut: Sans doute, Manas
est turbulent et difficile à dompter, ô guerrier
puissamment armé, mais on peut le dompter
par un exercice constant et par l'indifférence". II
n'y a pas d'autre moyen. Un exercice constant: personne
ne peut faire cela pour vous; aucun Maître
ne peut s'y livrer à votre place! Vous devez
faire cela vous-mêmes et,
tant que vous ne l'aurez pas entrepris, la découverte
du Gourou ne sera pas possible pour vous. Il est
inutile de crier que vous désirez le trouver,
si vous ne voulez pas vous conformer aux conditions
que tous les grands Maîtres ont imposées
pour vous faire arriver jusqu'à Leurs pieds.
Voici un puissant Maître, un Avatar, qui indique
ce qu'il faut faire déclarant que cela peut être
produit. Et lorsqu'un Avatar parle ainsi, cela prouve
que ce résultat peut être obtenu par [Page 73] l'homme de volonté ferme;
car II connaît
les pouvoirs de ceux qu'il voit et qu'en Sa qualité de
Suprême il a placés dans ce monde et,
lorsque Sa parole divine nous assure que la victoire
est possible, oserons-nous dire que nous ne pouvons pas
y arriver et donner ainsi une sorte de démenti
au Dieu qui parle.
Comment obtiendrons-nous donc ce résultat
? "Par un exercice constant", dit le
Seigneur; c'est-à-dire que durant votre
vie journalière, telle qu'elle est, durant
votre existence d' hommes actifs, vous devez commencer à assouplir
votre mental turbulent et à le soumettre à votre
volonté. Essayez donc un instant de penser
posément. vous constaterez que vos pensées
voltigent au hasard. Que ferez-vous alors? Vous les
ramènerez au sujet sur lequel vous voulez
les fixer. Choisissez un sujet et concentrez sur
lui vos pensées, complètement et sans
interruption. Rappelez-vous que vous possédez
un immense avantage pour cette éducation du
mental; vous avez les anciennes traditions hindoues,
l'hérédité physique
qui a été modelée sur elles
et l'éducation de votre jeunesse qui devrait
vous avoir habitués à cette discipline
du mental. Il est bien plus difficile à un
Occidental de venir à bout de cette turbulence
du mental que cela ne l'est pour vous, parce que
dans l'Occident le contrôle du mental n'est
pas enseigné, ne fait pas partie, comme ici,
de l'éducation [Page 74] religieuse; et que les hommes
y sont enclins à passer, sans transition,
d'un sujet à un autre. L'habitude de lire
constamment des journaux — pour me servir d'un exemple vulgaire — d'en lire peut-être
trois ou quatre par jour, est une des choses qui
rendent bien difficile le contrôle du mental.
Vous sautez d'un sujet à un autre; voici
d'abord quelques dépêches qui font
tourbillonner le mental de l'Angleterre à la
France, de l'Espagne au Kamtchatka, de la Nouvelle-Zélande à l'Amérique; lorsque vous
avez vu cette colonne, ou cette demi-colonne, vous trouvez un autre genre de nouvelles; ce sont
des renseignements sur la manière d'agir
d'un peuple connu, des comptes rendus de soirées
théâtrales ou de péripéties
judiciaires; plus loin, une régate, ou une
course à pied, des détails sportifs
ou athlétiques et ainsi de suite. Vous connaissez
tous le contenu très varié des journaux.
Les hommes ne comprennent pas le mal qu'ils se font
en gaspillant leur énergie mentale, comme
ils le font généralement,
sur des questions aussi vulgaires et aussi peu importantes.
Vous trouverez dans l'Occident des hommes qui, je
le sais, lisent tous les jours une demi-douzaine
de journaux; en ce faisant, ils font plus que gaspiller
momentanément les forces de leur mental, car
en gaspillant journellement ces forces, et l'habitude
prise, on ne peut plus concentrer facilement ses
pensées sur une idée. De plus, il y
a la perte [Page 75] d'un temps précieux qui pourrait être
consacré à des questions beaucoup plus élevées.
Je ne veux pas dire que, vivant dans le monde, vous
deviez ignorer ce qui se passe autour de vous, mais
qu'il est amplement suffisant de prendre un seul
journal traitant des questions les plus importantes
de ce monde et de le parcourir tranquillement durant
quelques minutes. Si vous savez la façon de
vous y prendre, c'est suffisant pour les choses
de ce monde.
Afin de vous mettre en état de lutter contre
cette tendance moderne à gaspiller ses pensées,
vous devriez contracter l'habitude journalière
de penser d'une façon suivie et de concentrer
votre attention, pendant un certain temps, sur le
même sujet. En guise d'exercice pour l'éducation
de votre mental, prenez l'habitude de lire chaque
jour quelques pages d'un livre traitant des côtés
importants de la vie, de ce qui est éternel
plutôt que de ce qui est transitoire, et concentrez
votre mental sur ce que vous lisez. Ne lui permettez
pas
d'errer, de se dépenser en pure perte. S'il s'éloigne, rappelez-le, imposez-lui de
nouveau la même idée; et de cette façon
vous le fortifierez et commencerez à vous
en rendre maître; vous apprendrez, par un
exercice constant, à exercer un contrôle
sur lui et à lui faire suivre la voie que
vous lui avez choisie. Même pour les choses
de ce monde, cette faculté confère
de grands avantages. [Page 76] Non seulement elle vous prépare à la
vie supérieure qui s'ouvre devant vous, mais
encore l'homme capable de concentrer sa pensée
sur un but est celui qui réussit le mieux
dans les choses ordinaires de la vie. L'homme qui
est en état de penser d'une manière
suivie, claire et précise, est celui qui saura
se frayer son chemin, même dans le monde matériel.
Cette constante éducation du mental vous sera
utile dans ce qui est insignifiant, comme dans les
choses d'un ordre plus élevé, et vous
développerez peu à peu cette puissance
de contrôle qui doit être l'une des
qualités
de l'Aspirant-Disciple.
En exerçant ainsi votre mental, vous atteindrez
peut-être un autre résultat — la
méditation. La méditation est l'exercice
par lequel vous habituez votre mental à se
concentrer, à se fixer sur une pensée,
délibérément et d'une façon
régulière. Vous devez vous y exercer
tous les jours, parce qu'en le faisant journellement
vous serez aidé par
ce que l'on appelle l'automatisme du corps et du
mental. Ce que vous faites journellement devient
une habitude, vous ne tardez pas à le faire
sans efforts; ce qui était pénible
au début, devient aisé par la pratique.
On distingue deux sortes de méditation, la
méditation dévotionelle et la méditation
intellectuelle, et l'homme sage, qui aspire à devenir
disciple, s'habituera à méditer des
deux façons. Il concentrera son mental et
fixera ses [Page 77] pensées sur l'idéal divin,
sur le Maître, qu'il ne connaît pas encore,
mais qu'il espère trouver un jour; ayant
sans cesse ce parfait idéal devant les yeux,
il en fera l'objectif de son mental, aux heures de
méditation, et le but de ses constantes et
inébranlables aspirations. A mesure que le
mental se développe, cela devient de plus
en plus facile: en faisant de cet idéal l'objet
de ses constantes méditations, il finit par
le refléter et par s'en rapprocher peu à peu.
C'est là une des facultés créatrices
du mental — l'homme arrive à atteindre
l'idéal auquel il pense toujours, et s'il
pense tous les jours au parfait idéal de l'humanité,
il finira par l'atteindre lui-même. Peu à peu
en concentrant fermement son mental sur cet idéal,
en aspirant à l'atteindre, en souhaitant d'entrer
en contact avec lui, il constatera, durant ces heures
de méditation, que le mental inférieur
s'apaise et se trouve plongé dans un état
de sérénité; qu'il perd le
sentiment des impressions du monde extérieur
et que son état
supérieur de conscience resplendit comme une
lueur interne — cet état supérieur
de conscience de l'individualité qui se rend
compte de ce qu'elle est. Lorsque le mental inférieur
s'apaise ainsi, lorsque sa turbulence est vaincue,
il devient comme un lac tranquille qu'aucun vent
ne saurait troubler, qu'aucun courant ne saurait
faire mouvoir. Ce lac ressemble à un miroir; de même que le soleil [Page 78] projette
la splendeur de ses rayons sur la surface limpide et tranquille
de cette sorte de miroir et se réfléchit
dans ses eaux paisibles, de même l'état
supérieur de conscience se réfléchit
sur le miroir que forme le mental inférieur
apaisé. L'homme sait alors, non plus par ouï-dire,
mais par expérience personnelle, qu'il est
lui-même quelque chose de plus que ce mental
qu'il a appris à connaître comme étant
l'intellect, que son état de conscience est
supérieur à l'état de conscience éphémère
du mental. Il commence alors à lui être
possible de s'identifier avec ce qu'il y a de supérieur
en lui et d'entrevoir, ne fût-ce que pour un
instant, la majesté du Soi. N'oubliez pas,
en effet, que les Écritures vous enseignent
toujours que vous êtes, vous-mêmes, l'essence
supérieure et non l'inférieure. Que
veut dire, en effet, cette déclaration que
nous lisons dans la Chhândogyopanishad et autre
part aussi: "Tu es Brahma", Tu
es Cela" ? et ce que les Bouddhistes répètent
aussi: "Tu es Bouddha" ? Cela ne sera
jamais un fait pour votre conscience, si parfaitement
que
vous vous en rendiez compte au point de vue intellectuel,
jusqu'à ce que vous ayiez transformé,
par la méditation, le mental inférieur
en un miroir où puisse se réfléchir
le supérieur. Ensuite, une nouvelle phase
de méditation vous fera atteindre l'identification
consciente avec le mental supérieur et vous
saurez alors ce que tous [Page 79] les grands Maîtres
ont voulu dire par cette célèbre phrase
qui comporte l'affirmation du principe divin inhérent à l'homme.
Lorsque l'on met journellement ces principes en
pratique, durant des mois et des années sans
interruption, ils finissent par imprégner
toute la vie et deviennent constants, au lieu
d'être momentanés. D'abord restreints
aux heures de méditation, ils s'étendent
ensuite à la vie que l'on mène dans
le monde. Vous pourriez dire: comment me serait-il
possible d'avoir conscience de cela, pendant que
je suis occupé dans le monde matériel
? Comment pourrais-je continuer à avoir conscience
du mental supérieur, lorsque le mental inférieur
est en pleine activité? Ignorez-vous donc
que lorsque vous venez vous courber devant les autels,
votre corps peut être occupé à offrir
des fleurs, tandis que votre mental reste concentré sur
la Divinité même ? Votre corps matériel
est bien actif, cependant votre pensée ne
se porte pas sur les fleurs que vous offrez, mais sur
Celui auquel vous les offrez. Les mains s'acquittent
parfaitement
de leur devoir d'offrir des fleurs, bien que les
pensées du mental restent concentrées
sur la Divinité elle-même. Il en est
de même dans le monde matériel des hommes; vous pouvez offrir les fleurs du devoir en menant
une vie constamment active, une vie de labeur journalier; vous pouvez offrir ces fleurs matériellement
et mentalement, [Page 80] en remplissant de votre mieux vos
devoirs dans le monde matériel, tandis que
vous restez, vous-mêmes, constamment plongés
dans la méditation et dans l'adoration. Apprenez à séparer
votre conscience supérieure de votre conscience
inférieure, à vous séparer de
votre mental et vous finirez par acquérir
la faculté de vous acquitter de vos activités
mentales sans qu'elles vous fassent perdre de vue
le "Moi" réel; le mental s'acquittant
parfaitement des devoirs qui lui incombent, tandis
que le Soi reste sur un plan plus élevé.
Vous ne quitterez jamais le sanctuaire interne, quelle
que soit l'activité de votre vie matérielle
dans le monde des hommes. C'est de cette façon
qu'un homme se prépare à devenir un
disciple.
Il y a une autre phase sur laquelle il nous faut
jeter un rapide coup d'oeil; c'est celle que
j'appelle le côté intellectuel de la
méditation, celui qui a trait à l'édification
graduelle et consciente du caractère. Reportons-nous
encore au grand traité de Karma-Yoga, aux
enseignements de Shrî Krishna dans la Bhagavad
Gîta. En
lisant le seizième chapitre, nous y trouvons la longue
liste des qualités qu'un homme doit développer
en lui-même, afin de les posséder dans
une incarnation future. Elles sont appelées "facultés
divines" et le Maître dit à Arjouna: "Tu es né avec des facultés
divines, ô Pandava". Or pour posséder
ces facultés divines dans des existences futures, [Page 81] vous devez
les développer durant votre existence
actuelle. Afin de les apporter avec vous en naissant
vous devez les créer graduellement durant
vos existences successives, et l'homme de ce monde
qui désire savoir de quelle façon il
peut édifier son caractère ne peut
mieux faire que de prendre cette liste, des qualités
requises, des facultés divines qui sont nécessaires
au disciple et de les développer une à une
durant sa vie journalière, par la double méthode
de la méditation et de l'action. Une de ces
qualités, par exemple, est la pureté.
Comment un homme peut-il développer en lui
la pureté? En la mettant au nombre des sujets
sur lesquels il médite tous les matins et
en se rendant bien compte de ce que "pureté" veut
dire. Aucune pensée impure ne doit jamais
l'effleurer; aucune action impure ne doit jamais
le souiller; il doit rester pur au triple point
de vue des pensées, des paroles, et des actions.
C'est là le triple devoir que je vous ai rappelé un
jour et dont la triplé corde que porte le
Brahmane est l'emblème. L'homme doit, le matin,
songer à la pureté comme à une
chose désirable qu'il faut atteindre, puis
garder le souvenir de cette méditation du
matin, lorsqu'il se livre à ses occupations.
Il doit surveiller ses actions; il ne permettra à aucune
action impure de souiller son corps; il ne commettra
aucun acte impur de toute la journée, car
il scrutera chacune de ses actions, afin qu'aucun [Page 82] contact impur ne
puisse le souiller. Il doit surveiller ses paroles et ne prononcer aucun mot impur; dans
sa conversation, il ne fera allusion à aucun
sujet impur, il ne permettra jamais à sa langue
de se salir par une insinuation malpropre. Toutes
ses paroles seront assez pures pour qu'il puisse
se permettre, au besoin, de les proférer en
présence de son Maître, ce Maître
dont l'oeil aperçoit la trace d'impureté qui échapperait
aux regards du commun des mortels. Il fera en sorte
que chacune de ses paroles soit la plus pure qu'il
lui soit possible d'articuler et il ne souillera
jamais, ni lui-même, ni autrui, par un seul
mot ou une seule phrase impliquant une insinuation
impure. Ses pensées seront toujours pures; il ne tolérera jamais qu'une pensée
malsaine occupe son mental et, si elle vient, il
l'en chassera immédiatement. De plus, sachant
qu'elle n'aurait pu lui venir si son mental n'avait
renfermé quelque chose qui l'attirât,
il s'empressera de le purifier afin qu'ucune
pensée malsaine, émanant
de qui que ce soit, ne puisse plus en forcer l'entrée.
La surveillance s'exercera ainsi, sur ce point spécial,
durant toute la journée.
Il prendra ensuite la vérité pour sujet
de sa méditation matinale; il pensera à la
vérité, à son importance dans
le monde, dans la société, dans son
propre caractère, et lorsqu'il ira au milieu
des hommes, il ne commettra jamais une action susceptible [Page 83] de tromper,
il ne prononcera jamais un mot exprimant une idée fausse. Non seulement il ne mentira
pas, mais il ne dira jamais rien d'inexact, parce
que, cela aussi, c'est exprimer quelque chose de
faux. Raconter d'une manière inexact ce que
vous avez vu, c'est encore mentir. Toute exagération,
tout enjolivement d'un récit, toute ce qui
n'est pas parfaitement compatible avec les faits,
tels qu'il les connaît, doit être écarté par
celui qui voudrait devenir un disciple. Ses pensées
elles-mêmes doivent être conformes à la
vérité. Il doit veiller à ce
que chacune d'elles soit aussi vraie que possible,
afin que son mental ne soit pas souillé par
l'ombre même d'une fausseté. Il en est
de même de la compassion. Il méditera
sur cette vertu le matin et s'efforcera de la pratiquer
durant la journée. Il fera preuve de la plus
grande bonté envers ceux qui vivent autour
de lui; il rendra tous les services qu'il est en
son pouvoir de rendre, à sa famille, à ses
amis et à ses voisins. Il s'efforcera de soulager
ceux qu'il voit dans le besoin; il tâchera
de consoler tous ceux qu'il sait dans l'affliction; il fera en sorte d'alléger les misères
qu'il rencontrera. Non seulement il pensera à la
compassion, mais il mènera une vie toute de
compassion, de façon à faire de cette
qualité une des parties intégrantes
de son caractère. De même encore pour
la force d'âme. Il méditera sur la noblesse
de l'homme fort, qu'aucun [Page 84] événement
n'est capable d'abattre ou d'enorgueillir, que le
succès ne saurait rendre joyeux, ni l'insuccès
malheureux; de l'homme fort, qui n'est pas à la
merci des circonstances, qui ne saurait être
triste aujourd'hui, parce que la situation est difficile,
et joyeux demain parce que tout va bien. Il cherchera à être
toujours équilibré et fort et mettra
ce principe en pratique dans toutes les circonstances
de la vie. S'il se trouve en présence de soucis,
il songera aux choses éternelles, au milieu
desquelles les soucis n'existent pas; s'il subit
une perte d'argent, il pensera aux trésors
de connaissances que rien ne peut lui faire perdre; si la mort lui ravit un ami, il se souviendra qu'aucune âme
ne peut mourir, que le corps qui périt n'est
qu'une sorte de vêtement dont on se débarrasse
lorsqu'il est usé, pour en prendre un autre,
et qu'il retrouvera un jour son ami. De même
pour toutes les autres vertus, telles que l'empire
sur soi-même, le calme,
l'intrépidité — il méditera
sur ces vertus et les mettra en pratique. Non pas
toutes à la fois. Aucun homme vivant en ce
monde ne pourrait employer un temps suffisant à méditer,
tous les jours, sur chacune de ces vertus, mais il
les prendra une à une et identifiera son caractère
avec elles. Travaillez avec constance; ne vous laissez
pas effrayer par le temps que vous consacrez à cela; ne vous laissez pas effrayer par le mal que cela
peut vous donner. Ce que vous édifiez, c'est
pour [Page 85] l'éternité que vous l'édifiez
et vous pouvez bien vous montrer patients, lorsque
l'éternité s'ouvre devant vous. Tout
ce que vous gagnez, vous le gagnez à jamais.
La méditation seule et la pratique seule sont
insuffisantes pour la formation du caractère.
Les deux doivent marcher de pair; les deux doivent
faire partie de la vie journalière et alors
il en résulte la formation d'un noble caractère.
L'homme qui s'est ainsi formé, l'homme qui
a ainsi fait tout son possible, qui a consacré son
temps, ses pensées et ses peines à se
rendre digne de trouver le Maître, cet homme
le trouvera assurément ou plutôt le
Maître le trouvera et se manifestera à son âme.
Vous imaginez-vous donc, dans votre aveuglement et
votre ignorance, que ces Maîtres désirent
rester cachés? Vous illusionnez vous au
point de croire qu'ils se cachent, de propos délibéré,
aux yeux des hommes, afin de laisser l'humanité trébucher
sans secours, et qu'ils ne désirent ni l'aider
ni la guider ? Je vous le dis, en vérité,
quelque puissant que soit votre désir de trouver
votre Maître, Celui-ci est mille fois plus
constant dans Son désir de vous trouver, afin
de pouvoir vous aider. Abaissant Leurs regards sur
ce monde, les Maîtres constatent qu'il leur
faudrait de nombreux aides, et qu'ils en ont bien
peu. Les masses périssent dans l'ignorance; il leur faudrait des instructeurs, et elles périssent
par myriades, car il n'y a personne pour les aider.
Les grands Maîtres [Page 86] ont besoin de disciples
vivant dans le monde matériel et y apportant,
après avoir été instruits par
Eux, des secours pour ceux qui souffrent, du savoir
pour ceux dont le mental est obscurci. Ils cherchent
constamment à découvrir, de par le
monde, une âme qui soit désireuse d'être
aidée et qui soit prête à l'être.
Ils ont toujours les yeux fixés sur ce monde,
afin de pouvoir répondre de suite à l'appel
des âmes, qui sont prêtes à Les
recevoir et ne Leur fermeront pas les portes. Car
nos coeurs Leur sont fermés à triple
verrou, pour les empêcher d'entrer. Et ils
ne peuvent cependant pas enfoncer les portes et entrer
de force. Si un homme ferme les portes à clef,
après avoir choisi sa voie, nul autre que
lui ne peut tourner cette clef. Nous sommes enfermés
par nos désirs mondains, par
notre avidité pour les choses terrestres;
nous sommes enfermés sous la triple clef du
péché, de l'indifférence et
de la paresse. Et le Maître attend que la porte
lui soit ouverte, afin qu'il puisse en franchir le
seuil et éclairer notre mental.
"Vous me direz: comment distinguent-Ils, au milieu
de myriades d'hommes, l'âme qui travaille pour
Eux et qui se prépare à Les recevoir?" La
réponse a déjà été donnée,
sous forme d'une métaphore: celle d'un homme
placé sur le sommet d'une montagne et jetant
ses regards sur les vallées environnantes.
Il aperçoit une lumière qui brille
dans [Page 87] une maison, parce que sa lueur se détache
au milieu des ténèbres qui l'entourent; de même, l'âme qui s'est préparée
brille, au sein des ténèbres du monde,
d'un éclat qui attire l'attention du Veilleur,
debout sur le sommet de la montagne. Il vous faut éclairer
votre âme, afin que le Maître puisse
l'apercevoir. Il veille toujours, mais c'est à vous à donner
le signal, afin qu'il puisse devenir votre Maître
et diriger vos pas sur la voie. Vous comprendrez
peut-être à quel point c'est nécessaire,
lorsque nous aurons terminé l'étude
que nous avons encore à faire, lorsque
je vous aurai décrit le travail du disciple
et expliqué ce qu'il peut accomplir; mais
permettez-moi de vous quitter ce matin sur cette
pensée, que je désirerais graver dans
votre mental. Le Maître veille et attend. Il
désire vous trouver et vous instruire; vous
avez le pouvoir de L'attirer à vous et vous
seuls pouvez Lui permettre de venir vous aider.
II peut frapper à la porte de votre coeur,
mais c'est à vous de prononcer les paroles
qui L'invitent à y entrer. Si vous suivez
la voie que je vous ai tracée ce matin, si
vous apprenez graduellement le contrôle du
mental, la méditation et l'édification
du caractère, vous aurez prononcé le
triple mot qui permet au Maître de Se révéler.
Lorsque ce mot est murmuré dans le silence
de l'âme, le Maître lui apparaît;
elle est aux pieds de son Gourou enfin trouvé. [Page 88]
LA VIE DU DISCIPLE
La voie du noviciat. — Les quatre initiations.
La tâche que nous avons à remplir ce
matin, mes frères, est fort difficile. Dans
les deux conférences précédentes
j'ai parlé de l'existence que mènent
habituellement les hommes de ce monde et je vous
ai montré comment ils pouvaient, tout en vivant
de leur vie habituelle, se préparer graduellement à des
phases supérieures de l'évolution;
comment ils pouvaient s'exercer peu à peu
dans le but de progresser et d'avancer avec plus
de rapidité. Aujourd'hui, par contre, nous
avons à nous élever au-dessus de la
vie des hommes, dans le sens ordinaire accordé à ce
mot — non pas en ce qui concerne l'apparence
extérieure, mais en ce sens que c'est la réalité de
la vie interne que nous avons à étudier.
Les phases du progrès humain dont il va être
question sont des phases distinctes et déterminées,
qui conduisent l'homme au delà de
la vie de ce monde, pour l'élever jusqu'à celle
des régions [Page 89] supérieures; qui le font
sortir de l'humanité ordinaire, pour le hausser
jusqu'à une humanité toute divine.
C'est précisément parce que leur étude
doit, forcément, nous faire dépasser
les bornes des connaissances habituellement acquises,
que la tâche est, comme je vous le disais,
plus difficile, et pour vous qui écoutez,
et pour moi qui parle. En effet, pour traiter ces
questions élevées, il faut nécessairement
faire intervenir des facultés d'un ordre supérieur,
et les mieux placés pour suivre ces hauts
enseignements seront ceux qui auront déjà tenté,
dans une certaine mesure, cette purification de la
vie et cette édification du caractère à l'étude
desquelles nos deux précédentes matinées
ont été consacrées.
Je vous ai amenés, hier, jusqu'au point où l'homme,
après s'être attaché à améliorer
sa vie et à contrôler ses pensées,
afin de se préparer pour le rôle de
disciple, a attiré l'attention d'un grand
Maître, d'un Gourou, et se trouve en état
de traverser les premières phases de la vie
du disciple. Ce sont ces premières phases
dont nous allons d'abord parler ce matin. Quelque
vaste que soit le sujet, je dois ensuite essayer
de passer en revue la vie entière du disciple,
du chelâ.
Les premiers stages constituent ce qui a été appelé "la
voie du Noviciat",
c'est-à-dire le stage de mise à l'épreuve,
distinct de celui par lequel [Page 90] on passe en qualité de
chelâ accepté. Pendant la durée
du temps d'épreuves, nous constatons certains
progrès et l'acquisition de certaines qualités
déterminés, progrès qui ne sont
pas aussi marqués que ceux que l'on accomplit
sur la Voie proprement dite, Sur la voie du chelâ reconnu
et accepté. En parcourant la vraie Voie, la
Voie au cours de laquelle il n'est pas seulement
reconnu par son Maître, mais Le reconnaît
lui aussi, le Disciple passe par quatre stades absolument
distincts, désignés par des noms différents
et séparés par des Initiations
spéciales. Dans la voie du noviciat, les stades
sont indiqués, mais ne sont pas séparés
d'une manière aussi nette. On peut les considérer
comme se déroulant simultanément, plutôt
que comme se succédant les uns aux autres.
Le chelâ provisoire, ainsi que nous pouvons
appeler celui qui s'engage dans les stades de cette
voie, n'est pas supposé devoir exécuter
dans la perfection tout ce qu'il commence à mettre
en pratique. On veut qu'il essaie, mais on ne réclame
pas de lui l'exécution parfaite, il suffit
qu'il soit de bonne foi et que ses efforts soient soutenus; qu'il ne change pas d'avis et ne perde pas de
vue le but qu'il se propose. Beaucoup de facilités,
comme nous disons pour les affaires de ce
monde, lui sont données, en raison même
de la fragilité et de la faiblesse humaines
et du manque de savoir qui l'empêche encore
d'avancer. Les [Page 91] peines qu'il endure, les épreuves
auxquelles il est soumis, sont les peines et les épreuves
que l'on rencontre dans la vie ordinaire, des difficultés
de toutes sortes et de toutes natures, au sujet desquelles
j'aurai un mot à dire tout à l'heure,
mais ne sont nullement les mêmes que les difficultés
rencontrées sur la voie véritable.
Les stages de la voie du noviciat, si mes souvenirs
sont exacts, ont été décrits
il y a quelques années, d'après les
enseignements bien connus des Hindous, par un Brahmane,
membre de la Société théosophique, Mohini Mohun Chatterji, de Calcutta, qui se
trouvait alors en Angleterre. Il décrivait ce
que l'on a appelé les premiers progrès
que les hommes doivent forcément accomplir,
aidés dans une certaine mesure par leurs Instructeurs,
mais, généralement, à leur insu —
c'est-à-dire
sans en avoir conscience dans leur état normal
de veille; le chelâ s'imagine qu'il gravit
seul le sentier et qu'il n'a à compter que
sur ses propres forces et sur sa propre énergie.
Je n'ai pas besoin de dire que c'est là une
illusion due à son aveuglement et à son
ignorance, car son Maître a les yeux sur lui,
bien qu'il puisse l'ignorer à l'état
de veille consciente, et une assistance continue
lui est donnée du haut des plans supérieurs
de l'être, assistance qui se fait sentir dans
sa vie, bien qu'elle puisse ne pas se laisser clairement
voir à son mental éveillé. [Page 92]
Nous allons voir maintenant que les qualités
requises, dont nous avons parlé comme étant
préparatoires, dans le sens général
du mot, prennent une forme plus distincte dans la
voie du noviciat.
La première qualité est le produit
des épreuves par lesquelles l'homme a passé;
elles éveillent et développent en lui Vivéka, ou le discernement, la faculté de
distinguer le réel du chimérique, l'éternel
du transitoire. Jusqu'à ce qu'il l'ait acquise,
il restera enchaîné à la terre
par l'ignorance, et les choses de ce monde exerceront
sur lui toutes leurs séductions et leurs charmes.
Ses yeux doivent s'ouvrir et il lui faut franchir
le voile de Maya, au moins assez pour estimer les
choses de la terre à leur juste-valeur, car
c'est de Vivéka que naît la seconde
qualité.
Vâirâgya. — Je vous ai déjà fait
remarquer qu'un homme doit commencer par s'exercer à ne
plus tenir compte de ce que peuvent lui rapporter
ses actions. Il doit s'étudier à accomplir
ses actions comme on remplit un devoir, sans aspirer
continuellement à un gain personnel quelconque.
Nous supposerons qu'un homme a dû s'exercer à cela
durant de nombreuses existences, avant que l'on ne
réclame de lui ce qu'il doit avoir conquis,
dans une très large mesure, avant que l'Initiation
ne soit possible, c'est-à-dire une
complète indifférence pour les choses
de la terre, l'indifférence [Page 93] pour les choses
de la terre, L'indifférence pour les choses
de ce monde, en un mot Vâirâgya, est
la seconde des qualités requises de l'aspirant
chelâ, sur la voie du noviciat. Il a déjà développé Vivéka et,
comme nous venons de le voir, c'est la faculté de
distinguer le réel de l'illusoire, le transitoire
du permanent. Or, lorsque le sentiment du réel
et du permanent s'est emparé du mental humain,
il en résulte forcément que les choses
de ce monde perdent tout attrait pour lui et qu'il
n'éprouve plus que de l'indifférence à leur égard.
Lorsque l'on perçoit le réel, le chimérique
devient si insuffisant ! lorsque l'on distingue le
permanent, ne fût-ce que pour un moment, le
transitoire semble valoir si peu la peine d'être
poursuivi! Sur la voie du noviciat, les choses qui
nous entourent perdent, toutes, leur pouvoir d'attraction
et l'homme n'a plus besoin de faire un effort pour
s'en écarter; il n'a désormais plus
besoin de faire intervenir délibérément
sa volonté, pour s' interdire d'agir en vue
d'un bénéfice. Les choses en elles-mêmes
perdent tout pouvoir d'attraction: les racines du
désir s'atrophient graduellement et toutes
choses, comme il est dit dans la Bhagavad Gîta,
s'écartent de l'hôte plein d'abstinence
qui habite le corps. Non pas tant parce qu'il
s'abstient volontairement, mais plutôt parce
que ces choses ont perdu tout pouvoir de le satisfaire
d'une manière quelconque.
Tout ce qui a de l'attrait pour les sens s'écarte
de [Page 94] lui, à cause de l'entraînement dont
nous avons parlé et par lequel il a passé.
Voyant désormais les choses sous leur aspect
transitoire, il va de soi que son indifférence
pour elles finit par donner forcément
naissance à cette qualité qu'il s'est si longtemps efforcé d'acquérir,
c'est-à-dire à l'indifférence
pour les résultats, car ces résultats
ne sont eux-mêmes que d'autres choses. Les
résultats sont compris parmi les choses dont
il reconnaît la nature transitoire et chimérique,
depuis qu'il a connaissance du réel et du
permanent.
Il faut alors s'assimiler la troisième des
qualités requises sur la voie du noviciat: Shatsampatti, le
sextuple groupe de facultés
mentales, ou d'attributs mentaux, qui apparaît
dans la vie de celui que nous pourrions appeler le
candidat chelâ. Il a lutté longtemps
pour arriver à gouverner ses pensées
de la façon qui nous est familière.
Il a mis en pratique toutes les méthodes dont
nous avons parlé hier, pour arriver au contrôle
de soi-même, pour s'accoutumer à la
méditation et pour travailler à l'édification
de son caractère. Cette pratique l'a désormais
mis à même de manifester dans l'homme
réel — car nous nous occupons de l'homme
réel et non pas de l'apparence illusoire —
de manifester dans l'homme réel, Shâma,
ou le contrôle du mental, cette discipline
exacte des pensées, cette claire compréhension
de leurs effets [Page 95] et des rapports qu'elles établissent
entre lui et le monde qui l'entoure, suivant qu'elles
visent au bien ou au mal. Par le seul fait de la
certitude qu'il a de pouvoir aider ou troubler l'existence
d'autrui, au moyen de ses propres pensées,
de pouvoir entraver ou faciliter l'évolution
de la race, il devient, de propos délibéré,
un coopérateur du progrès humain et
du progrès de tous les êtres qui évoluent
dans les limites du monde auquel il appartient. Et
cette discipline des pensées — qui
est désormais l'état normal de son
mental — le
prépare, comme vous le verrez, à devenir
un véritable chelâ, dont toutes les
pensées doivent être utilisées
pour les travaux du Maître et dont le mental
doit suivre, presque sans efforts, les sillons qui
lui ont été tracés par la volonté.
De cette discipline des pensées, si solidement établie
maintenant, découle inévitablement Dâma, le contrôle des sens et du corps, ou
ce que nous pouvons appeler la discipline de la conduite.
Avez-vous remarqué que, lorsque l'on traite
des questions en se plaçant au point de vue
occulte, elles sont renversées par rapport à ce
qu'elles seraient au point de vue terrestre? Les
hommes de ce monde attachent plus d'importance à la
conduite qu'à la pensée. Les occultistes,
au contraire, mettent la pensée bien au-dessus
de la conduite. Si la pensée est droite, la
conduite sera [Page 96] inévitablement pure; si la
pensée est disciplinée, la conduite
sera certainement bien contrôlée et
bien dirigée. L'aspect matériel, c'est-à-dire
l'action, n'est que la traduction de la pensée
intime qui, dans ce monde de la forme, revêt
l'apparence de ce que nous appelons l'action; mais
sa nature est le produit de la vie interne et son
apparence est coulée dans le moule que lui
fournit l'énergie, sa véritable productrice.
Le monde Aroupique est le monde des causes, tandis
que le monde Roupique n'est que celui des effets.
C'est pourquoi le fait de discipliner la pensée
a pour corollaire obligé la discipline de
l'action, qui n'est que son expression naturelle
et inévitable.
Le troisième attribut mental qui caractérise
cette manière d'être de l'homme intérieur
est Ouparati, dont la meilleure traduction serait: une tolérance large, noble et soutenue,
— j'emploie le mot tolérance dans le sens le
plus large que vous puissiez lui donner, — une
tolérance
pour tout ce qui l'entoure, une sorte de patience
sublime capable d'attendre et de comprendre et qui,
par suite, ne réclame de personne plus qu'il
ne peut donner. Cela constitue aussi une préparation à une
phase très marquée sur la voie du véritable
Chelâ. Cette manière d'être de
l'homme, cette attitude pleine de tolérance,
le rend capable de créer des facilités à chaque
personne et à chaque chose; lui montre tous
les hommes, non sous [Page 97] leur aspect extérieur,
mais sous leur aspect intérieur; lui permet
de discerner leurs aspirations, leurs désirs
et leurs motifs, au lieu de s'arrêter aux grossiers
et fréquents contre-sens des aspects qu'ils
revêtent dans le monde matériel. L'homme
apprend à exercer la tolérance religieuse
vis-à-vis de toutes les religions; à tolérer
les usages de toutes sortes et les diverses traditions
des hommes. Il comprend que ce ne sont que des phases
transitoires que les hommes finiront par franchir
et il n'est pas déraisonnable pour attendre
de l'humanité, encore dans l'enfance, cette
largeur et cette hauteur de vue, ce sentiment de
patience plein de dignité qui est la caractéristique
de l'humanité, dans sa période virile
et non pas durant les premières phases de
son développement. Cette attitude du mental
doit être sans cesse entretenue par l'homme
qui approche de l'Initiation et il doit acquérir
cette tolérance par une connaissance approfondie
de la vérité; il doit être à même
de la discerner jusque sous le voile des apparences
trompeuses. Remarquez-vous que, durant tout le parcours
de la voie du noviciat, le grand changement qui s'est
opéré dans l'homme n'est-autre que
l'aurore du sentiment de la réalité?
Il n'est plus trompé par les apparences, comme
il l'était auparavant. A mesure qu'il
se développe, il perçoit mieux la
réalité et se débarrasse peu à peu
de l'illusion. Il se délivre de tout [Page 98] assujettissement
aux apparences et reconnaît la vérité,
quelle que soit la forme illusoire dont elle se
couvre.
La faculté qui distingue ensuite son état
mental est Titiksha, l'endurance, le pouvoir de supporter avec
patience tout ce qui arrive et l'absence totale de
tout ressentiment. Souvenez-vous que j'ai appelé votre
attention sur ce pouvoir, comme sur une faculté que
l'on doit s'efforcer d'acquérir; que je vous
ai expliqué comme quoi l'homme devait se délivrer
de toute tendance à se sentir offensé,
qu'il devait développer en lui-même
l'amour, la compassion et le pardon, et que ce
développement aurait pour résultat
un état mental ferme et bien déterminé.
Ainsi donc l'homme intérieur se délivre
de tout ressentiment — ressentiment envers
quoi que ce soit, envers les hommes, envers les circonstances,
envers tout ce qui l'entoure dans la vie. Pourquoi
? Parce qu'il voit la vérité et connaît
la Loi; parce qu'il voit, par conséquent,
dans les circonstances qui l'entourent, quelles qu'elles
soient, les effets de la bonne Loi. Il sait que les
hommes, quelle que soit leur conduite à son égard,
ne sont que les agents inconscients de la Loi. Il
sait que tout ce qui peut lui arriver dans cette
vie a été créé par lui
dans le passé. Aussi, ce qui caractérise
sa manière d'être, c'est l'absence de
ressentiment. Il a acquis le sens de la justice et
rien ne peut
plus le mettre en [Page 99] colère, car rien ne peut
l'atteindre s'il ne l'a pas mérité;
aucun obstacle ne peut se trouver sur son chemin,
s'il ne l'y a pas placé lui-même dans
ses existences précédentes. Nous voyons
donc qu'aucun chagrin, ni aucune joie, ne peuvent
plus le détourner de sa voie; que la présence
d'aucun obstacle sur sa route ne saurait le faire
changer de direction. Il voit la route et la suit; il voit le but et il y court. Il ne suit plus une
direction vague et indéterminée, allant
tantôt d'un côté, tantôt
d'un autre, mais il suit, d'un pas ferme et décidé,
la voie qu'il a choisie. Le plaisir ne saurait l'en
détourner; la douleur ne saurait la lui faire
abandonner. Il ne se laissera décourager,
ni par la tristesse, ni par le vide, ni par le néant; aucun appel ne saurait l'induire à s'écarter
de sa route, sauf celui du Gourou jusqu'aux pieds
duquel il cherche à arriver. Être incapable
de se laisser détourner, avoir la force de
tout endurer, ah! certes! voilà des qualités
dont il a besoin sur la voie du noviciat. J'ai parlé,
en effet, des épreuves dont sa route sera
semée et il est bon que je vous fasse comprendre
le pourquoi de ces difficultés. L'homme qui
s'est engagé sur la voie du noviciat se propose
d'accomplir, durant un nombre très limité d'existences,
ce que l'homme de ce monde mettra des centaines d'existences à accomplir.
Il fait comme l'homme qui, voulant atteindre le sommet
d'une montagne, refuse de suivre la route qui s'élève [Page 100] en
spirales et se dit:: "Je vais monter tout
droit sur le flanc de la montagne. Je ne veux pas
perdre mon temps sur ce chemin battu et sinueux qui
est si long; sur cette route immense dont presque
tout le parcours, battu par les myriades de pieds
qui le foulent, est uni et commode. Je prendrai le
chemin le plus court, le plus rapide, droit sur le
flanc de la montagne. Qu'importent les difficultés; j'escaladerai la montagne. Quels que soient les
obstacles, j'irai de l'avant! si je vois des précipices,
si je vois des murailles de rochers, je passerai
par-dessus; s'il y a des obstacles ou des blocs
de rochers sur ma route, je m'arrangerai de façon à les
franchir ou à les tourner, mais j'entends
gravir le flanc de cette montagne", Que résultera-t-il
de cela ? Il se trouvera entouré par mille
fois plus de difficultés. Le temps qu'il gagnera,
il devra le payer en se donnant du mal pour vaincre
les difficultés de sa tâche. L'homme
qui s'engage sur la voie du noviciat est comme celui
qui a choisi le chemin le plus court pour atteindre
le sommet de la montagne, et il attire sur lui-même
tout le Karma qu'il a amassé jadis et dont
il doit se libérer dans une large mesure,
avant de devenir digne de l'Initiation. Les Seigneur
du Karma, — dispensateurs de la Loi karmique et que
l'on a parfois appelés les Archivistes
du Karma, ou gardiens des archives de l'Akâsha,
dans lesquelles sont inscrites toutes [Page 101] les pensées
et toutes les actions passées des hommes;
ces puissantes Intelligences qui nous dominent de
si haut, dont la grandeur majestueuse dépasse
tellement les limites de notre compréhension,
que notre raison est incapable de s'en faire une
idée — ces grands Êtres, ces Êtres
divins ouvrent, en quelque sorte, un compte à chaque
individu. Ils ont sous Leurs yeux omniscients le
compte de chaque vie humaine et ce compte, il faut
l'acquitter en grande partie avant de franchir la
porte de l'Initiation. Et lorsqu'un homme, un aspirant
sérieux s'engage sur la voie du noviciat,
lorsque, de son propre mouvement, il y met le pied,
ce fait même constitue un appel aux puissants
Seigneurs de Karma, pour leur demander d'établir
le bilan de ce qu'il doit et de lui présenter
le compte karmique qu'il est tenu d'acquitter. Dans
ces conditions, est-il étonnant que cette
voie soit semée de difficultés? Le
compte karmique qui aurait dû s'étendre
sur des centaines d'existences doit être soldé en
quelques-unes, en une seule peut-être, et il
en résulte naturellement que la voie est difficile à parcourir.
L'homme se trouve au milieu de chagrins de famille,
accablé de difficultés dans ses affaires,
en proie à des troubles intellectuels et physiques;
vous étonnerez-vous
alors, si je dis qu'il lui faut de la fermeté pour
continuer à avancer sur la voie du noviciat,
au lieu de rebrousser chemin, et pour ne pas se laisser
aller au découragement ? Tout [Page 102] peut paraître
conspirer contre lui. Il peut lui sembler que son
Maître l'a abandonné. Pourquoi serait-il
accablé par tout ce qu'il y a de pire, alors
qu'il s'efforce de faire pour le mieux? Pourquoi
serait-il assailli par toutes ces difficultés
et toutes ces souffrances, alors qu'il mène
une vie meilleure que toutes celles qu'il a menées
? — cela paraît si injuste, si dur,
si cruel, de se voir traiter plus durement que jamais
par la Destinée, alors que l'on vit plus noblement
que l'on n'a jamais vécu! II doit sortir
victorieux de l'épreuve, sans permettre à la
moindre idée d'injustice de pénétrer
jusque dans sa vie intérieure. Il doit se
dire; "C'est le résultat de ce que
j'ai fait; j'ai réclamé mon Karma,
il n'y a donc rien d'étonnant à ce
que je sois invité à l'acquitter". Il
a du reste la consolation de penser que la dette
qu'il paie est payée pour toujours et, qu'une
fois vécue, elle ne peut plus jamais venir
le troubler. Chaque dette karmique qu'il paie est
rayée pour toujours sur le grand-livre de
sa vie. De celle-là, au moins, il est débarrassé.
En sorte que si la maladie l'abat, il songe qu'il
est bon de se délivrer de ce grand souci;
s'il se trouve assailli par la douleur et l'anxiété,
il accepte ces épreuves
et se dit: "J'aurai cela derrière
moi dans le passé et non pas devant moi dans
le futur". Voilà pourquoi il reste
plein de joie au milieu des chagrins, plein d'espérance
au milieu des découragements, à son
aise [Page 103] au milieu des souffrances, car l'homme intérieur
est satisfait de la Loi, heureux de la réponse
qui a été faite à sa demande.
S'il n'y avait pas eu de réponse, cela aurait
voulu dire que sa voix ne s'était pas élevée
jusqu'aux oreilles des Grands Êtres, cela aurait
voulu dire que sa prière était retombée
sur la terre, car ces tourments sont la réponse à sa
demande. C'est ainsi qu'au milieu de ces luttes,
de ces difficultés, de ces efforts, il parvient à conquérir
le cinquième attribut mental qui est :
Shraddhâ, la foi, ou, comme nous pouvons l'appeler,
la confiance — confiance en son Maître
et en lui-même. Il vous est facile de comprendre
comment cela peut être le résultat d'une
pareille lutte. Il vous est facile de vous expliquer
comment, à l'issue de la lutte, la confiance
doit naître, comme une fleur qui s'épanouit
sous l'influence combinée du soleil et de
la pluie. L'homme a appris à avoir confiance
en son Gourou, car Celui-ci lui a fait franchir le
sentier épineux et l'a conduit de l'autre
côté, là où les portes
de l'Initiation s'entrouvrent devant lui. Il a appris à avoir
aussi confiance en lui-même — non pas
en son Soi inférieur dont il a dompté la
faiblesse, mais en son Soi divin dont il commence à constater
la puissance. Il comprend désormais que tout
homme est divin, que ce que son Gourou est aujourd'hui,
il le deviendra lui-même au cours [Page 104] des existences
qu'il a encore à parcourir. Il a confiance
dans le pouvoir que possède son Maître
de l'instruire et de le diriger; dans le savoir
qui rend ce Maître capable de le guider et
de l'instruire; il a aussi en soi-même une
confiance, très humble, mais très forte,
qui lui donne la conviction réelle de posséder
le pouvoir de se perfectionner, parce qu'il est lui-même
d'essence divine; une confiance qui lui donne la
persuasion que la puissance, en lui, est celle de
Brahman et suffit à lui faire surmonter toutes
les difficultés, à lui faire subir
victorieusement toutes les épreuves, quelle
que soit la force à déployer, quelque
grandes que soient les difficultés à vaincre.
Le sixième attribut mental est Samâdhâna,
la pondération et le calme, la paix du mental,
cet équilibre et cette fermeté qui
sont les résultantes des qualités précédemment
acquises. Après la conquête de cette
dernière qualité, la voie du noviciat
est franchie, le candidat Chélâ se trouve
devant l'entrée, et sans nouvel effort la
quatrième qualité requise fait son
apparition:
Moumoukshâ, le désir de l'émancipation,
le désir d'obtenir sa libération, qui
est comme le couronnement des longs efforts du candidat
et qui fait de lui un Adhikari, prêt pour l'Initiation.
Il a été mis à l'épreuve
et n'a pas été trouvé impropre; son discernement est fin; son indifférence
n'est pas un dégoût momentané dû à un
désappointement [Page 105] accidentel; sa condition
mentale et morale est élevée — il
est mûr, il est prêt pour l'Initiation.
Rien de plus ne lui est demandé, il est désormais
digne de se trouver face à face avec son Maître,
d'affronter la vie qu'il a si longtemps cherchée.
Remarquez bien, avant que nous ne portions la main
sur les portes de l'Initiation, que chaque faculté développée
sur la voie du noviciat est une préparation
en vue de ce qui reste à faire. Ce sont ces
facultés morales et mentales qui sont requises — et
non pas les "pouvoirs", comme on les
appelle, non pas un développement psychique
anormal, non pas les Siddhis. Ceux-ci ne sont en
aucune façon exigés ou demandés.
Un homme peut avoir développé quelques-uns
des Siddhis [Les Siddhis, pouvoirs
psychiques ] et cependant n'être
pas prêt
pour l'Initiation; il lui faut avoir acquis les
qualités morales. Celles-ci sont exigées
avec une rigueur que rien ne peut faire fléchir — avec
une rigueur, permettez-moi de vous dire en passant,
qui est le résultat de l'expérience
même. Les grands Gourous, avec leur profonde
expérience de l'humanité,
n'ont pas cessé de former, peu à peu,
cette humanité et depuis des myriades d'années.
Ils savent très bien que les qualités
requises pour devenir un vrai disciple doivent avoir
leur siège dans le mental et dans les conditions
morales et non pas dans le développement [Page 106] de
la nature psychique; ce dernier développement
doit venir à son tour et au moment propice.
Pour devenir un disciple reconnu, un chelâ accepté,
le mental et le moral doivent être prêts à affronter
les regards du Gourou. Les qualités qu'il
exige sont celles que nous venons de décrire
et ses élèves doivent les lui apporter
avant de recevoir la seconde naissance que, seul,
II peut leur conférer. Remarquez aussi que
ces qualités impliquent la connaissance et
la dévotion — le développement
de la connaissance qui permet à l'homme de
voir, et le développement de la dévotion
sans laquelle la voie ne peut être parcourue.
C'est pourquoi nous lisons dans les Oupanishads que
le savoir sans la dévotion est insuffisant
et que la dévotion ne suffit pas à elle
seule; ces qualités sont nécessaires
toutes deux, car elles sont les ailes qui permettent
au disciple de prendre son essor.
Nous arrivons à la Voie elle-même. Quelques
mots sont tombés, de loin en loin, dans le
monde matériel, de la bouche de l'un des Maîtres
au sujet des grandes Initiations qui marquent les
stage de la Voie, après que le chelâ a été accepté par
son Gourou, et que le Gourou a pris sur lui de diriger,
d'instruire et de surveiller son chelâ; et
nous pouvons découvrir, par-ci par-là,
des allusions indirectes, vérifiées
par l'expérience de ceux qui ont franchi l'entrée
de la Voie, allusions qu'il est permis de répandre
dans une petite mesure, non [Page 107] pour la satisfaction
d'une vaine curiosité, mais pour l'instruction
de ceux qui désireraient se préparer à ce
grand pas en avant. Tout ce que l'on peut dire au
sujet de ces Initiations doit être forcément
imparfait; ce qu'il est permis de révéler
au monde humain au sujet de ces grands mystères
ne peut constituer que des renseignements incomplets.
Plus d'une question prendra naissance dans votre
esprit, au fur et à mesure que je réunirai
ces aperçus pour en former un tout bien mince,
mais homogène; plus d'une question vous préoccupera à laquelle
la prudence ne permettrait pas de répondre.
Comme je vous l'ai dit, ces renseignements ne sont
pas fournis pour satisfaire la curiosité;
pour vous donner l'occasion de poser une série
de questions et de recevoir une réponse à chacune
d'elles; ces aperçus ne sont destinés
qu'aux aspirants de bonne foi, à ceux qui
désirent savoir, afin d'être à même
de se préparer; à ceux qui désirent
comprendre, afin de pouvoir exécuter. Aussi,
de loin en loin, des allusions indirectes sont-elles
faites, donnant des renseignements partiels, qui
suffisent comme indication, mais ne sont pas de nature à satisfaire
une vaine et mondaine curiosité.
Deux puissants Maîtres figurent dans l'histoire
comme ayant donné, à ce sujet, plus
de renseignements que tous les autres, et chacun
d'eux est le Maître d'une religion grande comme
le monde. [Page 108] J'emploie les mots "grande comme
le monde", non pas dans le sens de surface étendue,
mais au point de vue de leur portée sur les âmes
prêtes à les recevoir. L'un de ces grands
Maîtres fut le fondateur du Bouddhisme, le Seigneur Bouddha; l'autre de ces Maîtres fut Shrî Shankarâchârya,
qui fit pour l'hindouisme ce que Bouddha a fait pour les contrées
hors de sa portée, en fondant sa foi exotérique.
En ce qui concerne la voie à suivre, leurs
enseignements sont identiques; comme le seraient
ceux de tout grand Initié. Chacun d'Eux a établi
les mêmes stades; chacun d'Eux a délimité ces
stades par des Initiations spéciales qui les
séparent de celles qui les précèdent,
comme de celles qui les suivent. L'enseignement lui-même
est parfaitement identique; les différences
ne se remarquent que dans la tournure des phrases
qui les adaptent à l'une ou à l'autre
des deux religions. Voilà, certes, encore
un cas où les hommes devraient apprendre à découvrir
la vérité sous toutes ses formes et
sous tous ses aspects; devraient se rendre compte,
au lieu de se quereller à propos d'apparences que
sous ces noms divers, simples étiquettes extérieures,
se cachent des vérités identiques.
Il y a quatre stades différents, dis-je, et
chacun d'eux est caractérisé par une
Initiation; Voici maintenant ce que veut dire Initiation: cela signifie l'épanouissement de la connaissance
acquise [Page 109] grâce à l'intervention bien
déterminée du Gourou, qui agit
comme représentant de l'unique Grand Initiateur de l'humanité, et confère la
seconde naissance en Son Nom. Cet épanouissement de
la connaissance est, en quelque sorte, la caractéristique
de l'Initiation, car il donne ce que l'on appelle "la
clef du savoir"; il ouvre à l'Initié de
nouveaux horizons de savoir et de pouvoir; il met
entre ses mains la clef qui ouvre les portes de la
nature. Et dans quel but? Afin que l'Initié devienne
plus utile au monde en général; afin
que son pouvoir de servir les hommes soit augmenté;
afin qu'il puisse se joindre au petit groupe d'hommes
qui se sont voués à l'humanité et
ont renoncé à leur soi inférieur; qui n'aspirent à rien, sauf à servir
le Maître et l'humanité; qui savent
que le service du Maître et le service de l'humanité ne
font qu'un; qui en ont fini avec le monde et tout
ce qu'il peut leur offrir; qui se sont, enfin, à jamais
consacrés au service des Grands Êtres,
leur servant d'instruments de travail, s'offrant à être
les chenaux par lesquels se déversent
leurs secours et leur grâce.
Entre chacune des grandes Initiations, certains résultats
donnés doivent avoir lieu — des changements
dans l'homme intérieur — mais qui diffèrent
beaucoup de ceux que nous avons étudiés
jusqu'à présent. Dès qu'un homme
a passé par une Initiation, ce qu'il fait
doit être accompli dans la perfection; chaque
entreprise doit être [Page 110] entièrement parachevée,
toute chaîne doit être résolument
brisée. Plus de travail imparfait; le disciple
ne peut plus avancer avant d'avoir accompli dans
la perfection l'oeuvre du stage qu'il traverse.
Cet état présente donc le caractère
déterminé — qu'on ne retrouve
nulle part dans la vie — de parachever chaque
phase avant de passer à la suivante. Un travail à moitié fait,
une entreprise incomplète n'y seraient pas
acceptés. Quelque temps que cela prenne, le
travail doit être absolument terminé avant
que l'on puisse faire un nouveau pas en avant. Techniquement,
cela s'appelle "briser les chaînes" par
lesquelles certaines choses entravent encore l'âme.
A l'extrémité de la Voie se trouve Jîvanmukti; avoir parcouru la voie, c'est
avoir atteint ce stage dans lequel la vie est libre;
en sorte qu'il faut briser complètement
toutes les chaînes, afin que rien ne puisse
entraver l'homme vivifié.
La première grande Initiation fait de l'homme
ce que Shrî Shankarâchârya a
appelé le Parivrâjaka — ce que le Bouddha a appelé le Srotâpatti. Le
mot bouddhiste, généralement
employé sous sa forme Pãli, veut
dire "celui qui est entré dans je courant" qui
le sépare de ce monde. Il n'appartient plus à ce
monde, bien qu'il y puisse vivre; il n'y conserve
plus aucune place, rien ne peut plus l'y retenir.
La même idée, exactement, découle
du mot [Page 111] Parivrajaka, "homme errant",
c'est-à-dire homme qui n'a pas de demeure
fixe. Non pas nécessairement errant dans son
corps physique, non pas nécessairement privé de
demeure pour son corps physique — ainsi que
l'on a fini par traduire le mot en langage exotérique; — c'est
l'homme qui, dans sa vie intérieure,
est séparé de ce monde, qui n'a pas
de lieu, de séjour fixe dans ce monde transitoire,
où un lieu en vaut un autre. Il est prêt à aller
de-ci de-là, à aller
partout où il plaît à son Maître
de l'envoyer. Aucun lieu n'a le pouvoir de le retenir,
il ne saurait s'attacher à aucun endroit,
car il a brisé les chaînes qui le lient à un
emplacement spécial. C'est pour cela qu'il
est appelé "l'homme errant".
Je sais naturellement, comme vous le savez aussi,
que l'on donne aujourd'hui à ce stage un sens
tout à fait exotérique, mais c'est
dans le sens ésotérique que je le considère,
dans le sens que lui ont donné les grands Êtres
qui l'ont institué. Nous savons, hélas! combien
les choses ont changé depuis le temps
jadis, comment ce qui était alors une des
réalités de la vie est devenu aujourd'hui
une affaire de mots et d'apparence extérieure.
Mais je tiens à ce que vous connaissiez les
quatre stages de la Voie, tels qu'ils sont décrits
par l'Hindouisme, car certaines personnes s'imaginent à tort
qu'ils ont été révélés
par le Seigneur Bouddha, alors que celui-ci n'a fait
que décrire à nouveau l'ancienne, l'étroite
Voie que tous les [Page 112] Initiés de l'Unique Loge
ont parcourue, parcourent et parcourront à l'avenir.
Commençons par la réalité. L'homme
qui a traversé le courant, ai-je dit, s'est
définitivement séparé du monde; il ne s'en occupe plus, sauf pour lui être
utile. II ne s'en occupe plus, que pour y exécuter
les ordres de son Gourou. C'est là, la caractéristique
de la première grande Initiation de l'homme,
qui est né une seconde fois. Dans la majorité des
cas, la seconde naissance est conférée
hors du corps physique, mais dans un état de pleine
conscience: c'est-à-dire que l'homme est
généralement initié dans son
corps astral, en pleine conscience, tandis que le
corps physique reste en état de trance; quelquefois,
un chelâ est initié sans qu'il lui soit
permis, pour quelque temps, d'en avoir connaissance à l'étât
de veille. Mais, dans les deux cas, ce qui a été acquis
ne peut plus être perdu; l'homme ne peut plus être
ce
qu'il était auparavant. Le nouveau-né peut,
pendant un certain temps, n'avoir pas conscience
du nouvel entourage au milieu duquel il se trouve,
mais il lui est impossible de retourner dans le sein
de sa mère et de se retrouver dans la position
où il aurait été, s'il n'avait
pas été mis au monde. De même,
l'Initié, qui a passé par la seconde
naissance, ne peut plus jamais se retrouver tel qu'il
aurait été, si cette seconde naissance
ne lui avait pas été conférée
et il lui est impossible de prendre, à la
vie de [Page 113] ce monde, la part qu'y prennent ceux qui n'ont
pas obtenu cette seconde naissance. Il peut s'attarder
dans la voie du progrès, il peut avancer lentement,
il peut employer plus de temps qu'il n'en faut pour
se débarrasser des chaînes qui le lient
encore; mais il ne peut plus ne pas avoir été initié,
la clef ne peut plus échapper de ses mains.
Il est entré dans le courant; il est séparé du
monde; il faut qu'il aille de l'avant, si lentement
que ce soit, quel que soit le nombre d'existences
qu'il lui faille consacrer à cela.
On a demandé combien d'existences s'écoulaient
entre ce degré et la libération finale,
l'obtention de Jîvanmukti. Je me souviens d'avoir
entendu dire que Swâmi T. Subba Row, parlant
ici à quelques amis de l'opinion généralement
répandue que sept existences doivent être
employées à cette partie du développement
du candidat chélâ, fit cette remarque
parfaitement juste et significative: " II peut en falloir sept,
aussi bien que soixante-dix, comme il peut ne falloir
que sept jours ou sept heures." Cela veut
dire: la vie de l'âme ne se chiffre pas par
des années et des heures terrestres; le succès
dépend de son énergie, de sa force
et de sa volonté. Un homme peut perdre son
temps ou l'employer de la façon la plus avantageuse
et de cela dépendront les progrès qu'il
pourra faire.
Mais durant ce stage, qui s'ouvre avec la première
Initiation et qui finit à la seconde, il y
a trois [Page 114] choses différentes dont un homme doit
se débarrasser absolument, avant d'être à même
de franchir le second portail. La première
de ces choses est l'illusion de la personnalité.
Cette personnalité doit être détruite; il ne suffit plus de la dominer, de l'amoindrir,
de la tenir en respect, il faut la détruire,
la tuer à jamais. L'illusion du soi personnel
distinct doit disparaître. Il faut que le chélâ reconnaisse
qu'il ne fait qu'un avec les autres, car le Soi de
tous est unique. Il doit se rendre compte que tout
ce qui l'entoure est un, l'homme et l'animal, aussi
bien que le monde végétal et les formes
minérales et élémentales de
la vie. Il lui faut se délivrer de l'illusion
de la personnalité. Vous voyez combien le
développement de la connaissance peut vous
secourir en cela, combien le fait de reconnaître
le Soi véritable peut vous aider à vous
débarrasser du faux; combien la vision du réel
contribue à faire
disparaître l'illusoire; de cette façon,
l'illusion de la personnalité peut être
absolument détruite. Pourquoi ? Parce que
les yeux de l'homme se sont ouverts et que ses regards
franchissent le cercle des illusions: il conquiert
ainsi sa liberté et se délivre des
chaînes que l'on nomme " l'illusion de
la personnalité".
Le disciple doit ensuite s'affranchir du doute. C'est
le second obstacle qui l'empêcherait d'aller
plus loin. Il doit s'en affranchir d'une manière
qui est clairement déterminée — en
acquérant le [Page 115] savoir. Les choses du monde invisible
ne doivent plus être pour lui des questions
théoriques, les grandes vérités
de la religion ne doivent plus être pour lui
de simples idées philosophiques; il doit
les avoir admises comme des faits réels. Il
ne doit plus avoir à se demander le "pourquoi" ou
le “comment” de quoi que ce soit. Il
y a certaines vérités fondamentales
de la vie, au sujet desquelles il ne lui est plus
possible de conserver le moindre doute. Avant de
pouvoir faire un nouveau pas en avant, il doit avoir
acquis, au sujet de la grande vérité de
la Réincarnation, une conviction assez absolue
pour que l'ombre même d'un doute ne puisse
l'effleurer; la grande vérité de Karma
doit être définitivement établie
pour lui; il doit avoir acquis une certitude que
rien ne saurait l'ébranler au sujet de cette
autre grande vérité: l'existence des Hommes divins, des Jîvanmuktas,
qui sont les Gourous de l'humanité. Sur ces
points son savoir ne doit plus être
théorique, mais réel, mais pratique,
afin que l'ombre même d'un doute ne puisse
plus jamais obscurcir son mental; la seule
situation qui puisse donner cette certitude, c'est
celle où la connaissance s'est substituée à la
théorie et où le contact absolu avec
la réalité rend désormais impossibles
les déceptions provoquées par les illusions
du monde matériel.
La dernière des trois chaînes dont il faille
se débarrasser entièrement durant ce
stade est la [Page 116] superstition. Rendez-vous clairement
compte de ce que ceci veut dire et vous comprendrez
parfaitement pourquoi Shri Shankarâchârya et le Bouddha ont, tous deux, fait
usage des noms par lesquels Ils ont respectivement désigné cette
phase de la vie du chélâ. Superstition
veut dire, au sens technique du mot (sens que j'entends
naturellement lui donner), confiance dans les rites
extérieurs des sectes pour obtenir l'assistance
spirituelle. En ce qui concerne la nature extérieure
de ces rites, l'homme perçoit, sous la forme,
la vérité qu'ils contiennent, et si
la vérité est là, la valeur
de l'apparence extérieure dépend de
son plus ou moindre adaptation à ce monde
d'ignorance et d'illusion. L'homme s'est élevé au-dessus
.des aspects exotériques et des cérémonies;
mais vous êtes familiarisés avec cette
idée dans votre vie de tous les jours. Le Sannyâsî est
supposé être un homme qui s'est élevé au-dessus
de ces choses, un homme auquel on ne les demande
plus. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu'il est
supposé avoir atteint la réalité,
parce qu'il est supposé n'avoir plus besoin
de ces choses, qui sont les degrés de l'échelle
que les hommes doivent gravir; elles sont nécessaires
durant les premiers stades — ne l'oubliez
pas — c'est
une question de développement. Si vous voulez
atteindre le haut d'une maison, il vous faut gravir
l'escalier ou l'échelle; et il serait fou,
l'homme qui dirait: "Je ne veux pas gravir
l'escalier par les [Page 117] marches", à moins
qu'il ne possédât un pouvoir et une
connaissance des lois de la nature, lui permettant
de modifier la polarité de son corps et de
s'élever au moyen de ce que l'on nomme la
lévitation; — en utilisant l'action
de la volonté, au lieu d'employer la méthode,
comparativement lente et vulgaire, qui consiste à monter
marche après marche. Pour un tel homme, l'escalier
est inutile, attendu qu'il peut s'élever à l'aide
de sa propre volonté et atteindre le haut
de la maison sans employer la lente méthode
de l'ascension. Mais il ne s'ensuit nullement que
l'escalier soit inutile; il ne s'ensuit pas que
d'autres que lui puissent atteindre le haut de la
maison en refusant de faire usage de l'escalier
Ils ne sont que trop nombreux, aujourd'hui, les hommes
qui, tout en étant incapables de s'élever
d'eux-mêmes, refusent d'employer
l'escalier, oubliant que, tant que la volonté n'est
pas développée, les méthodes
inférieures sont nécessaires, pour
peu que l'on veuille arriver à s'élever
le moins du monde.
Ceci m'amène à vous dire un mot du "vrai
Sannyâsî". Il y a cinq mille ans,
comme aujourd'hui, le mot était employé sans
la réalité. Même il y a cinq
mille ans, au début du Kali Yuga [âge noir.],
nous voyons Shrî Krishna [Shri
Krishna, Avatar de Vishnou] établir
une distinction [Page 118] entre le Sannyâsî apparent
et le Sannyâsî réel. Vous souvenez-vous,
qu'ayant à traiter ce même sujet, il
a dit: "Celui qui agit par devoir, sans se
soucier du résultat de ses actions, est un Sannyâsî et un Yoguî, mais
non pas celui qui est sans feu et ne fait rien"." Celui
qui est sans feu", c'est-à-dire celui
qui n'allume pas les feux du sacrifice, qui n'accomplit
pas les rites et les cérémonies, car
on ne les exige plus du Sannyâsî. Mais,
a dit Shri Krishna, "il n'est pas un vrai
Sannyâsî, celui qui ne se fait remarquer
que par l'absence de rites et de cérémonies
et par l'inaction dans le monde des hommes"!.
Et si cela était vrai il y a cinq mille ans,
c'est, hélas ! encore bien plus vrai aujourd'hui.
Si cela était vrai lorsque le grand Avatar
foulait le sol de l'Inde, c'est encore bien plus
vrai après cinq mille ans d'obscurité.
Si nous embrassons d'un coup d'oeil le monde
oriental tout entier, si nous prenons les Indes elles-mêmes
avec leurs innombrables Sannyâsîs, nous
trouvons des hommes qui ne sont Sannyâsîs
que par le costume qu'ils portent et non pas par
la vie qu'ils mènent, des hommes qui ne sont
Sannyâsîs que par l'apparence extérieure
et non en vertu de renonciations internes. Et si
nous quittons le sol des Indes pour nous transporter,
par exemple à Ceylan, en Birmanie, en Chine
ou au Japon, nous y trouvons aussi des moines bouddhistes,
qui ne sont moines que par leurs robes jaunes et
non par la [Page 119] noblesse de leur vie; par l'apparence
extérieure et non par la vérité interne.
Et s'il reste vrai que la religion soit plus facile à pratiquer
ici que dans tout autre pays; s'il reste vrai que
les traditions des Indes rendent son sol sacré et
son atmosphère plus spirituelle que celle
des autres pays; s'il est vrai qu'il s'y trouve
des localités si sanctifiées par les
existences qui s'y sont écoulées que,
même pour l'homme de ce monde, le fait seul
de s'y rendre ait pour conséquence d'apaiser
le mental et d'éveiller les aspirations de
l'âme; s'il est vrai que les Indes, à cause
de cela, sont à jamais chéries et sacrées,
ses enfants, hélas ! sont indignes de ce qu'elle
est et ont failli de toutes les manières.
Si nous scrutons du regard le monde physique tout
entier, nous ne trouvons aucun endroit où la
vie spirituelle soit menée d'une façon
générale,
aucune nation chez laquelle elle soit placée
au premier rang. Il sent son coeur se briser,
celui qui sait ce que l'homme pourrait faire et qui
voit ce qu'il fait; celui qui a conscience de ce
qui pourrait être et constate ce qui est ;
celui qui perçoit la vérité et
ne trouve ici-bas, hélas que du mensonge
sous des apparences de vérité. Et pourtant,
malgré tout, le coeur d'aucun disciple
ne doit se briser, car les Maîtres sont à jamais
vivants et Leurs disciples continuent à fouler
le sol du monde des humains; mais aujourd'hui,
leur qualité n'est pas indiquée par
l'apparence extérieure et par le [Page 120] costume qu'ils
portent, mais par la vie intérieure, le savoir,
la pureté et la dévotion qui ouvrent
toujours encore les portes de l'Initiation.
Nous arrivons maintenant au second stade à celui
que Shrî Shankarâchârya appelle
le stade du Koutîchaka, c'est-à-dire
de l'homme qui construit une hutte; et que les Bouddhistes
appellent le stade du Sakridâgâmin, de
l'homme auquel une nouvelle naissance est encore
conférée. Dans ce stade, on n'a plus à briser
des entraves déterminées, mais à acquérir
certaines facultés. C'est le moment où les
Siddhis sont nécessaires. Après la
seconde Initiation, ils doivent être développés
parce que le disciple a atteint une phase de sa vie
où les devoirs très étendue
l'attendent, non seulement dans le monde des hommes
physiques, mais aussi
dans les autres mondes qui l'entourent et qui sont
en dehors du plan matériel. Il
doit être capable de parler, non seulement
avec les lèvres, mais aussi en communiquant
directement, de mental à mental, et en le
faisant consciemment et délibérément.
Je tâcherai de vous expliquer demain les différentes
sortes de devoirs en présence desquels il
se trouve, devoirs qui réagissent sur le monde
physique et qui, s'ils étaient parfaitement
remplis — comme cela n'est pas le cas aujourd'hui
— changeraient
considérablement l'orientation même
de la vie matérielle de l'homme Mais
pour pouvoir s'acquitter de cette partie de [Page 121] sa tâche; afin de
pouvoir se préparer aux devoirs élevés
qu'il aura à remplir; lorsque toutes les
sources du savoir lui seront ouvertes et que la Nature
aura dépouillé tout voile assez épais
pour lui fermer les yeux, il lui faut, ce stade une
fois atteint, développer ses facultés
internes et dérouler, une à une, toutes
les capacités latentes en lui. C'est durant
cette phase qu'il faut, si cela n'a pas été fait
auparavant, que le feu latent soit avivé;
c'est durant cette phase que Koundalini [ Siddhis,
les pouvoirs psychiques.] doit être
amené à fonctionner dans le corps physique
et dans le corps astral de l'homme vivifié.
Vous pouvez bien lire dans certains livres, comme
dans l'Ananda Lahiri de Shri Sankarâchârya, des
passages traitant de la façon d'attiser
le feu vivant et de le faire passer de chakram en
chakram. En s'éveillant, ce feu confère à l'homme
le pouvoir de quitter à volonté son
corps physique, car au fur et à mesure qu'il
passe de chakram en chakram, il dégage le
corps astral du corps physique et le met en liberté.
A partir de ce moment, un homme peut, sans cesser
un instant d'être conscient, sans qu'il se
produise dans son mental la moindre lacune séparant
un état de l'autre, quitter son corps physique
pour passer dans le monde invisible, y agir d'une
façon pleinement consciente et rapporter avec
lui, à son retour, le souvenir de tout [Page 122] ce
qu'il y aura accompli. C'est durant ce second stage
que tous ces pouvoirs sont développés
et évolués, s'ils n'ont pas été évolués
plus tôt; et tant qu'ils ne sont pas en pleine
activité, tant qu'ils ne sont pas absolument
aux ordres du chélâ, tant que les barrières
séparant le monde visible du monde invisible
n'ont pas été brisées, le disciple
ne peut aller plus loin. Lorsque ces barrières
tombent par suite du développement des sens
et des pouvoirs latents de l'homme, par suite de
l'acquisition des Siddhis, le disciple se trouve
prêt à franchir le troisième
grand pas dans la voie du progrès, et à entrer
dans une phase d'existence nouvelle et plus haute.
Vous comprendrez facilement tout le tort que des
hommes mal préparés peuvent se faire à eux-mêmes,
en essayant d'atteindre artificiellement ce stade,
avant le moment où l'évolution
régulière les y amène; avant
d'être développés au point de
vue spirituel. Il se trouve, dans les écrits
qui ont été publiés, spécialement
dans les Tântrika, bien des aperçus
sur lesquels se jettent avidement ceux qui aspirent à posséder
des pouvoirs, tout en se préoccupant fort
peu de savoir si leurs capacités mentales
et morales les mettent à même
de manier correctement ces pouvoirs. Dans plusieurs
des Tântras, il y a des vérités
cachées, à la disposition de ceux qui
peuvent les atteindre, mais les indications superficielles, à cause
de leurs [Page 123] lacunes, sont souvent trompeuses pour ceux
qui n'ont pas connaissance des faits réels
et qui n'ont pas de Gourou, pour leur en expliquer
les allégories et les réticences. En
sorte que certaines personnes, — qui, dans
leur ignorance, mettent ces leçons incomplètes
en pratique, dans le but de hâter leur développement
psychique, avant que leur développement mental
et moral les ait mis en état de le faire avec
sécurité — ces personnes, dis-je,
obtiennent en effet des résultats, mais des
résultats qui leur font du mal au lieu de
leur faire du bien. Souvent, elles ruinent leur santé physique,
perdent leur équilibre mental, et compromettent
leurs facultés intellectuelles, en tentant
de cueillir les fruits de l'arbre de Vie avant même
qu'ils aient atteint leur maturité; en essayant
de pénétrer dans le Saint
des Saints avec des mains souillées et des
sens impurs. Dans ce temple, l'atmosphère
est telle que rien d'impur ne peut y subsister;
les vibrations y sont si puissantes qu'elles brisent
tout ce qui est au-dessous du diapason, qu'elles
mettent en pièces tout ce qui est impur, tout
ce qui n'est pas de nature à s'adapter à leur
redoutable activité.
Mais, lorsque, sous la direction de son Gourou — car
c'est dans cette seule condition que cela devrait être
tenté — lorsque, sous la direction de
son Gourou, le disciple a complètement traversé ce
stade, il atteint la troisième grande Initiation, [Page 124] celle qui
fait de l'homme ce que Shrî Shankarâchârya a
appelé un Hamsa,
ce que la littérature
Bouddhiste appelle un Anâgâmin, l'homme
auquel aucune incarnation n'est plus imposée, à moins,
toutefois, que ce ne soit par l'effet de sa propre
volonté. Ce stage — comme l'indique
le nom que lui a donné Shrî Shankarâchârya —
est celui où l'homme arrive à la conception
de l'unité, celui où il apprend qu'il
ne fait qu'un avec le Suprême. Ce nom lui a été donné parce
que l'expansion de son état de conscience
l'a élevé jusqu'à la région
de l'univers où cette identité devient
un fait acquis et qu'il a obtenu l'expérience
du "Je suis Cela". En perfectionnant
ses sens psychiques et leurs rapports avec ses sens
physiques, il devient non seulement apte à pénétrer
dans les régions où l'on atteint la
conception de l'unité, mais encore à rapporter
le souvenir de cette conception dans son état
normal de veille, et à l'imprimer dans son
cerveau physique. Est-il besoin de vous dire qu'il
doit perdre le dernier lambeau de désirs terrestres,
s'il en conserve encore des traces lorsqu'il arrive à ce
stade? Durant cette période, il brise donc
une dernière chaîne que l'on appelle Kâmarâga, désir teinté— si
peu qu'il le soit — d'aspirations terrestres,
car, lorsque l'on se rend compte de l'unité universelle,
tout ce qui est séparé en apparence
perd à jamais le pouvoir de décevoir.
Le disciple s'est donc élevé bien [Page 125] au-dessus
des limitations de la séparativité et
domine, non seulement ce que nous appellerions ici-bas
les désirs terrestres, mais encore les désirs
les plus épurés, les plus spirituels
qui se rapportent, le moins du monde, au Soi personnel.
Les désirs spirituels, eux-mêmes, abandonnent
l'homme qui atteint à une pareille hauteur; même en pensée, il ne peut se séparer
des autres, en sorte qu'il ne peut éprouver
des désirs spirituels pour lui-même,
comme entité séparée, mais seulement
pour lui-même comme faisant partie intégrante
du tout. Ce qu'il acquiert, c'est pour tous qu'il
l'acquiert; ce qu'il gagne, c'est pour tous qu'il
le gagne. Il se trouve dans une région de
l'univers d'où la force descend dans le monde
des hommes, et ce qu'il gagne, il le transmet, il
le déverse sur tous; il le partage avec
tous. Il en résulte que le monde devient meilleur
chaque fois qu'un homme atteint à cette hauteur.
Tout ce qu'il obtient est acquis à l'humanité et
tout ce qui arrive à portée de ses
mains ne fait que passer par elles pour se répandre
de là dans le monde des hommes. Le disciple
ne fait qu'un avec Brahman et, par suite, avec chacune
de ses manifestations; et il réalise cela
parfaitement dans sa propre conscience, et non seulement
par ses espérances et ses aspirations. On
fait usage d'un singulier mot pour désigner
l'autre entrave qu'il brise durant ce stade, on emploie
le mot Pâlî Patigha, que nous sommes
bien obligés de traduire par "haine" [Page 126] bien
que le mot anglais soit absurde dans ce cas. On veut dire,
en réalité, que s'étant identifié avec
tous, il n'établit plus de distinction entre
les races et les familles, entre les différentes
choses de ce monde. Il ne peut désormais plus éprouver
ni amour, ni haine, provoqués par des distinctions
extérieures. Il ne peut désormais plus
aimer ou haïr quelqu'un, parce qu'il appartient à une
race différente. Il ne peut désormais
plus aimer ou haïr parce qu'il établit
une distinction entre les hommes et les choses qui
les entourent. Vous vous souvenez de cette curieuse
expression de Shrî Krishna, lorsqu'il parle
du Sage, qui n'établit aucune distinction
entre le Brahmane éclairé et un chien.
Il a atteint la conception de l'unité et voit Brahman en
tout, ou, pour me servir d'une autre expression. Il
voit Shrî Krishna partout
et l'apparence extérieure que revêt
le Seigneur ne signifie rien pour sa vision purifiée; il est donc absolument exempt de ce que nous sommes
bien obligés d'appeler "la haine" ou
la "répulsion". Rien ne le repousse,
rien ne le fait reculer. Il n'éprouve plus
qu'amour et compassion pour tout et pour tous. Il
fait, en quelque sorte, rayonner autour de lui une
atmosphère enveloppante d'affection.
Tous ceux qui viennent à lui, tous ceux qui
l'approchent, ressentent l'influence de sa divine
compassion. Et c'est pourquoi, à l'époque
où les Brahmanes étaient réellement
tout ce que leur dénomination implique, [Page 127] on
disait que le Brahmane était l'ami
de toute chose et de toute créature.
Leur coeur, ne faisant qu'un avec la Divinité, était
assez large pour contenir tout ce que la Divinité avait
créé.
Après s'être à jamais débarrassé de
l'illusion de la séparativité, le disciple
entre dans le stade final qui lui est dévolu; Shrî Shankarâchârya l'appelle
Paramahansa et le terme Bouddhiste est Arhat. A ce
propos, nous constaterons une fois de plus le terrible
avilissement moderne des termes sacrés, en
voyant celui qui désigne cette haute situation
employé d'une façon si générale
et avec tant d'insouciance; en le voyant employer
souvent par simple courtoisie, pour désigner
une apparence extérieure, au lieu d'une vivante
réalité. La vraie signification de
ce terme implique que l'homme a passé par
la quatrième grande Initiation et traverse
le stade qui précède celui de Jivanmoukti; il peut, tout en restant pleinement conscient,
s'élever jusqu'à la région de
Tourîya [Tourîya, l'état
suprême,
celui de la haute conscience spirituelle] et
y vivre. Il n'a pas besoin de quitter son corps pour
en éprouver la béatitude,
pour y être absolument conscient. Son état
de conscience comprend cette région et l'embrasse,
tout en se trouvant active dans le cerveau physique.
C'est une des grandes caractéristiques de
l'accession à ce stade. Il n'est nullement [Page 128] nécessaire
que la conscience quitte le cerveau physique pour s'exercer dans cette haute région; la conscience du
chélâ s'est agrandie
jusqu'à l'embrasser; et, en même temps
qu'il parle, et qu'il agit dans le monde des hommes,
tout ce vaste savoir reste sous ses yeux et il en
fait l'expérience à volonté.
Durant ce stade, il se libère des cinq dernières "entraves",
afin de devenir le Jivanmoukta. La première
de ces entraves est appelée Roûparâga,
le désir d'une "vie corporelle",
car aucun désir d'une telle vie ne saurait
le toucher. Ensuite il se débarrasse d'Aroûparâga,
le désir d'une "vie incorporelle",
aucun désir de ce genre n'a plus de pouvoir
sur lui. Puis il se délivre de Mâna et nous sommes encore obligés d'employer
un mot beaucoup trop grossier pour exprimer la réelle
et subtile nature de cette entrave, l'orgueil; il
ne songe
pas un seul instant ,à la grandeur du but
qu'il a atteint, à la hauteur vertigineuse à laquelle
il se trouve, car pour lui, il n'y a plus ni haut
ni bas, ni hauteurs élevées, ni humbles
vallées. Les unes et les autres ne lui paraissent
faire qu'un.
Il perd ensuite la possibilité de se trouver
froissé par quoi que ce soit. Quoi qu'il arrive,
il demeure inébranlable. Les mondes peuvent
s'entrechoquer, il restera impassible. Rien de ce
qui peut arriver dans ce monde manifesté ne
peut troubler la sublime sérénité de
l'homme qui s'est élevé ainsi jusqu'à la
conception du Soi universel. [Page 129] Qu'importe une
catastrophe — la forme seule est brisée.
Qu'importe l'écrasement d'un monde — ce n'est que le genre de manifestation qui change.
Il
vit dans ce qui est antique, constant, immortel, éternel; et il n'y a rien qui puisse troubler sa sérénité,
rien qui puisse amoindrir la parfaite sensation de
paix qu'il éprouve. C'est alors que ses membres
se trouvent dégagés de la dernière
de toutes les entraves — Avidyâ — ou
ce qui produit l'illusion; le dernier et léger
nuage qui entrave la vision parfaite et la liberté absolue.
Il n'est plus obligé de renaître; aucune
contrainte ne peut le ramener à la terre,
mais il peut se réincarner volontairement. Son
savoir embrasse tout ce que comporte notre chaîne
planétaire.
Il apprend tout ce que cette manifestation peut avoir à enseigner; aucune leçon ne reste inapprise,
aucun secret ne demeure plus caché, il n'existe aucun recoin
que ses regards ne puissent scruter, aucune possibilité qu'il
ne soit apte à saisir. A la fin de ce stade,
toutes les leçons ont été apprises; tous les pouvoirs ont été complètement
acquis. Il est omniscient et omnipotent dans toute
cette chaîne planétaire. Il a accompli
l'évolution de l'humanité; il a franchi
le dernier des degrés que l'humanité aura
franchis lorsque le grand Manvantara prendra fin
et que l'oeuvre de cet univers sera terminée.
Il n'y a plus rien de voilé pour lui; il
n'y a rien qui n'existe en lui, car son état
de conscience s'est [Page 130] dilaté pour tout embrasser.
Il peut entrer quand il le veut dans le Nirvâna où règnent
l'unité, la conscience universelle et la plénitude
de la vie. Il a atteint le but de l'humanité;
la dernière porte est devant lui et s'ouvre à deux
battants au seul bruit de ses pas. Cette porte franchie,
il devient le Jivanmoukta, comme disent les Hindous;
l'Adepte Asekha, ou celui qui n'a plus rien à apprendre,
comme l'indique la nomenclature bouddhiste. Tout
est su, tout est accompli. Devant Lui s' ouvrent différentes
voies parmi lesquelles II peut choisir à son
gré; devant Lui s'étendent de vastes
possibilités parmi lesquelles II peut prendre
celle qu'il veut, en allongeant la main. Au delà des
limites de cette chaîne planétaire, au
delà des
limites de notre Cosmos, dans des régions
dont notre compréhension ne saurait se faire
la plus légère idée, s'ouvrent
des voies au milieu desquelles le Jîvanmoukta peut choisir celle qu'il veut parcourir. Mais
il est une voie — la plus difficile, la plus pénible
de toutes, bien que la plus rapide — que l'on
appelle la voie de la Grande Renonciation. Si c'est
celle-ci qu'il choisit, après avoir considéré attentivement
le monde des hommes, le Jîvanmoukta refuse
de s'en éloigner; II déclare qu'il
veut y rester et assumer réincarnation après
réincarnation, dans le but d'instruire et
d'aider les hommes. Une fois de plus Shri Shankarâchârya parle de Ceux qui restent et
travaillent, jusqu'à,
ce que [Page 131] l'oeuvre soit accomplie. Leur propre tâche
est bien achevée, mais Ils se sont identifiés
avec l'humanité, et tant que l'évolution
de cette humanité ne sera pas terminée,
Ils ne quitteront pas les rangs des hommes qui luttent.
Ils sont libres, mais restent dans une servitude
volontaire; Ils ont atteint la libération,
mais cette libération ne sera complète
que lorsque les autres seront libérés
comme Eux. Ce sont là les Maîtres de
Compassion qui vivent à portée des
hommes, afin que l'humanité ne soit pas dans
la position d'un orphelin sans père, afin
que les élèves ne cherchent pas vainement
un Gourou pour les instruire. Ce sont les Grands
Maîtres
envers lesquels plusieurs d'entre nous éprouvent
un sentiment si profond de gratitude, parce qu'ils
restent sur
ce globe terrestre, tout en vivant au delà,
dans un état de conscience Nirvânique, afin
de maintenir un lien entre les Mondes supérieurs
et les hommes qui ne sont pas encore libres; les
hommes pour lesquels le corps physique est une prison
dont la vie n'a pas encore été libérée.
Tous Ceux qui ont atteint à ce niveau élevé sont
des Êtres glorieux, tous Ceux qui s'y trouvent
sont divins, mais on peut oser dire, sans manquer
de respect, que les plus chers au coeur de l'humanité,
Ceux auxquels elle est le plus intimement attachée
par des liens de reconnaissance passionnée, à cause
de la Renonciation accomplie, ce sont Ceux-là mêmes
qui auraient pu nous [Page 132] abandonner, qui auraient pu
nous laisser orphelins, mais qui n'ont pas voulu
s'éloigner, afin de servir de Pères
aux hommes. Tels sont les grands Gourous aux pieds
desquels nous nous inclinons; tels sont les grands
Maîtres qui soutiennent la Société théosophique.
Ils ont envoyé leur messager, H.P. Blavatsky,
pour apporter au monde un message presque entièrement
oublié; pour lui montrer de nouveau l'étroite
et ancienne Voie que quelques-uns parcourent en ce
moment et que vos pieds pourraient fouler.
[Page 133]
FRÈRES. — La tâche qui nous incombe
ce matin n'est nullement facile. Jusqu'à présent,
je vous ai décrit le progrès de l'individu; jusqu'à présent, j'ai essayé de
vous expliquer comment un homme, qui se fixait résolument
ce but, pouvait s'élever, pas à pas,
de la vie de ce monde à la vie du disciple; comment il pouvait devancer le progrès de
l'humanité; comment il pouvait accomplir,
en un petit nombre d'années, ce que la race
accomplira au cours d' innombrables siècles.
Mais, ce matin, ma tâche est différente.
Je vais m'efforcer de vous décrire la marche
de ce progrès à travers les âges.
Je vais tâcher de vous exposer, très
brièvement, cela va sans dire, les grandes
phases du progrès de l'humanité considérée
comme un tout. Cela nous donnera, en quelque sorte,
une vue à vol d'oiseau de l'évolution;
un aperçu,
non seulement du passé d'où nous sommes
partis pour atteindre notre niveau présent,
mais encore de l'avenir qui [Page 134] est réservé à notre
race. C'est du progrès des nations que je
vais vous parler; c'est du développement
de l'humanité que nous allons nous occuper.
En tentant une pareille envolée, il me semble
que je vous invite à monter avec moi le coursier
de Vishnou, Sarouda le puissant oiseau, et à franchir
rapidement l'atmosphère d'innombrables époques,
en fixant les yeux sur le panorama qui se déroulera
au-dessous de nous. Vous et moi, nous nous trouverons, à coup
sûr, à bout de respiration après
un tel voyage. C'est, dans un sens, plus facile pour
moi que pour vous, parce que ces pensées me
sont devenues familières à force de
m'y arrêter, tandis que, pour beaucoup d'entre
vous, le terrain paraîtra étrange et
la conception théosophique de l'évolution
séculaire semblera un peu nouvelle dans ses
détails. Il me faudra, nécessairement,
glisser avec rapidité d'un point à un
autre, sans éclaircissements, et je vais,
par conséquent, vous faire promptement franchir
maintes difficultés, plutôt par la vitesse
de notre course que par la compréhension bien
nette de l'ensemble. Mais laissez-moi vous dire ceci: je puis me tromper dans quelques-uns des détails
que je vous donne; je puis commettre une erreur
dans une des parties secondaires de ce vaste tableau,
mais la description, en général,
est exacte; elle n'est pas de moi, elle provient
d'une autre source et, bien que la faiblesse de l'interprète
puisse être la cause d'erreurs [Page 135] dans les détails,
l'exactitude fondamentale de l'esquisse est de nature à inspirer
toute confiance.
L'homme, aux yeux des Grands Êtres qui furent
ses premiers Instructeurs, ses premiers Gouvernants
et ses premiers Guides, n'est pas l'homme tel que
nous le voyons aujourd'hui, car il n'a pas encore
atteint le niveau pour lequel il est fait et qu'il
doit atteindre un jour. Je ne veux pas dire, par
là, que ses progrès, en général,
n'ont pas été satisfaisants. La situation
qu'il a atteinte dans son évolution, situation
pleine de difficultés, de doutes et de douleurs,
est, en général, assez satisfaisante
lorsqu'on la considère en se plaçant
au point de vue le plus élevé et si
l'on tient compte du temps très court qui
s'est écoulé; temps très court
d'après les divines mesures, et qui
semble si long lorsqu'on le chiffre par des années
terrestres. Assurément l'homme, tel qu'il
est aujourd'hui, ne répond en aucune façon à l'idéal
de Ceux qui ont décidé son pèlerinage,
de Ceux qui l'ont lancé sur la voie de l'évolution.
Il a terminé sa descente et dépassé le
point le plus bas de son trajet; il lui reste à escalader
de hauts escarpements au bout desquels l'humanité,
parfaite et glorieuse, sera bien différente
de ce qu'elle est aujourd'hui, au bout desquels elle
sera telle qu'elle a été projetée
par la Pensée divine.
L'univers, il faut vous en souvenir constamment,
[Page 136] comprend sept grandes régions bien distinctes,
qui ont jailli, en quelque sorte, de la Pensée
divine; qui ont été projetées
du dedans au dehors, ou de haut en bas, selon l'expression
que vous préférez; — un puissant
univers divisé en sept plans ou régions.
La matière de chaque plan est distincte,
bien que toutes ces matières proviennent d'une
seule et même essence: Paramâtma d'où tout
procède. Lorsque cette Pensée divine
prit forme, de par la Volonté divine, dans
l'univers manifesté et au fur et à mesure
de la constitution de chaque plan, chacun de ceux-ci
fut caractérisé par la densité différente
de la matière qui le composait, par le nombre
différent d'enveloppes servant à voiler
l'énergie primordiale; — en sorte que,
pour une esquisse à grands traits, vous pouvez
considérer ce grand Kosmos et le Logos qui
lui a donné naissance, comme un puissant système
solaire, dans lequel le soleil représenterait
le Logos, et chacun des globes concentriques successifs,
l'un des plans de l'univers. Les globes intérieurs
représenteraient les plans sur lesquels la
matière est la plus subtile et l'énergie
la moins voilée; les globes extérieurs,
au contraire, représenteraient les plans sur
lesquels la matière devient plus grossière
et l'énergie comme paralysée par la
densité de la matière
qui l'enveloppe.
Il faut ensuite vous rendre compte que chacune de
ces régions a ses propres habitants et [Page 137] que
le courant de l'évolution comporte une diffusion
du centre à la circonférence, puis
un retour de la circonférence au centre. Lorsque
le Grand Souffle est émis et que la matière
entre en existence, elle devient de plus en plus
dense et il arrive un moment où elle atteint
son maximum de densité alors que l'énergie
est à son minimum de puissance. A ce moment,
la forme sera à son maximum de rigidité et
la vie à sa période la plus voilée,
en sorte que cette période sera caractérisée
par ce fait que la matière y devient plus
dense et la forme plus rigide, tandis que la vie
y devient de plus en plus voilée. Ensuite,
lorsque le Souffle se retire, lorsque son activité créatrice
revient, en quelque sorte, vers le centre, la matière
commence à devenir de plus en plus subtile,
la vie de moins en moins voilée, jusqu'au
moment où le Grand Souffle aura extrait de
ce Kosmos manifesté toutes les expériences
qui ont été acquises dans les différents
mondes. L'humanité, qui était le but
et le résultat de cette évolution,
sera devenue alors divine et sera prête à atteindre
des phases encore plus élevées. Si
nous suivons cette grande courbe décrite du
centre à la circonférence, nous constatons,
qu'en ce qui regarde les habitants, elle tend à leur
individualisation, à mesure
qu'ils passent dans un milieu où la matière
est plus dense. En sorte que, si nous jetons un regard
en arrière sur [Page 138] les habitants des divers plans,
nous voyons ce que l'on appelle l'essence élémentale
revêtir des formes de plus en plus définies.
Son évolution se faisant sur l'arc descendant
a pour conséquence de la rendre plus distincte
et de lui donner des formes plus matérielles.
C'est une chute dans la matière, tandis que
l'évolution actuelle de l'humanité se
faisant sur l'arc ascendant a pour conséquence,
de l'unifier et de lui donner des formes plus subtiles,
car c'est une marche ascendante vers la vie dévoilée.
Vous pouvez ainsi vous représenter une image
grossière du Kosmos en général
et vous vous rendrez compte que sur les plans possédant
moins de densité que le plan physique, nous
n'avons pas seulement une humanité ascendante,
en voie d'évolution, mais aussi de l'essence élémentale
descendante, en voie d'involution. Le point tournant
se trouve dans le monde minéral, où la
phase la plus dense est atteinte. Dans l'évolution
ascendante, le règne minéral et le
règne végétal de ce monde physique
occupent le plan physique et n'atteignent pas un état
de conscience supérieur aux cours de l'évolution,
le règne animal avance d'un degré et
l'animal est appelé à vivre sur ce
que l'on appelle le plan, astral, aussi bien que
sur
le plan physique; quant à l'homme,
il doit, dans la pensée de ses Créateurs,
conquérir et occuper, durant cette évolution,
cinq plans sur les sept [Page 139] dont se compose l'univers.
Il est supposé devoir agir et dominer sur
le plan physique, sur le plan astral, et sur le plan
supérieur, ou plan mental, qui comprend le Svarga de l'Hindou et le Dévakhan du
Théosophe.
Nous pouvons employer un autre terme qui exprime
mieux toute l'étendue de cet état de
conscience, c'est le terme de Soushoupti, un état
qui n'est actuellement connu, durant la vie terrestre,
que par ceux qui sont exceptionnellement développés,
mais qui, au cours de l'évolution, sera expérimenté par
la majorité de la race humaine. Au-dessus,
se trouve le quatrième ou plan de Tourîya,
le plan de Bouddhi, et plus haut encore, le plan
de Nirvâna, ou Tourîya-tîta. En sorte
que nous avons cinq régions distinctes de
l'univers, que l'humanité est supposée
devoir occuper durant le cours de cette évolution — le plan physique, le plan astral, le plan Soushouptique,
le plan Tourîyique et le plan Nirvânique.
Ce sont les phases d'expansion, de l'état
de conscience que l'homme doit traverser, s'il veut
accomplir avec succès le pèlerinage
qui lui est tracé. Chaque individu peut franchir
ces degrés plus rapidement, au moyen du
Yoga, mais la majorité de la race n'accomplira
cette évolution qu'au cours des siècles.
Avant que le Manvantara ne prenne fin, la majorité du
genre humain, mais non pas la race tout entière,
aura conquis tous ces plans d'expansion de l'état
de conscience et sera [Page 140] en pleine activité sur
tous les cinq, l'homme se sera alors constitué des
véhicules dans lesquels son état de
conscience puisse être actif sur chaque plan.
Et si nous prenons l'homme d'aujourd'hui nous savons
qu'il a en lui la possibilité de développer
cette quintuple vie, de développer les cinq
véhicules qui occuperont ces différentes
régions et feront de lui ce qu'il est supposé devoir être,
c'est-à-dire le seigneur et maître de
cet univers manifesté.
Il existe encore, au-dessus et bien au delà,
deux plans que la majorité du genre humain
n'atteindra pas du tout durant cette évolution
— deux plans qui ne représentent guère
pour nous que des noms n'éveillant aucune
idée
bien définie, tant ces sphères sont
hautes, tant elles dépassent nos conceptions
les plus élevées. Ces plans sont, d'abord,
celui que l'on désigne sous le nom de Paranirvâna,
puis encore plus haut, celui que l'on appelle Mahâparanirvâna.
Ce que sont ces états, nous ne saurions même
le rêver ....
Telles sont donc les sept phases du Cosmos, La majorité de
l'humanité est appelée à conquérir
et à occuper cinq d'entre elles, et quelques-uns
de ses enfants atteindront même les deux dernières
qui sont encore plus élevées; mais, pour la majeure partie de notre race, l'évolution
est limitée au quintuple univers.
Cela peut vous donner une idée — je
n'ai pas [Page 141] le temps de développer la question
dans cette conférence — de l'importance
des nombres "cinq" ou "sept" dans
la Nature. Il y a eu beaucoup de discussions à ce
sujet, principalement entre quelques Théosophes
et nos frères Brahmanes. Les Brahmanes réclament
la quintuple classification, tandis que les Théosophes
insistent pour la classification par sept. La vérité,
c'est que la classification totale est septuple,
comme vous le constaterez en lisant les livres sacrés; il est fait souvent allusion, dans les Oupanishads,
au septuple feu qui se divise. Mais l'évolution
actuelle n'est que d'une quintuple nature symbolisée
par les cinq prânas [Prana,
principe de vie] ,
qui nous sont si familiers dans la littérature
hindoue. Je ne fais que mentionner cela en passant,
parce que des discussions
de ce genre ne pourraient pas s'élever, si
les gens se comprenaient mutuellement mieux qu'ils
ne le font. S'ils allaient au fond des choses au
lieu de discuter sur de simples apparences, ils trouveraient
généralement un terrain d'union. Comme
je vous l'ai dit, je n'ait pas le temps de m'arrêter
sur cette question, mais voilà bien la clef
de l'énigme
des "cinq" et des "sept".
Le genre humain, en général, développe
cinq véhicules en vue de la quintuple évolution,
tandis que ceux qui constituent la fine fleur de
l'humanité, arrivent [Page 142] à atteindre deux
autres phases qui sont bien au delà.
En étudiant l'évolution de l'humanité,
nous voyons la Première et la Seconde
Race employées à l'évolution
de la forme et de la nature inférieure ou
animale; c'est-à-dire que ces races ont développé le
corps physique, le double éthérique
(qui a été appelé Linga Sharira
dans les livres théosophiques) et le corps
kâmique ou nature passionnelle, — ce
que vous trouvez dans l'animal comme dans l'homme.
En arrivant à la Troisième Race, nous
constatons qu'une assistance spéciale lui
a été donnée, lorsqu'elle a
atteint le milieu de son évolution. Cela ne
veut pas dire que l'humanité ne se serait
pas développée au cours des siècles
sans cette assistance spéciale, mais, grâce à elle,
sa marche a été prodigieusement accélérée
et l'évolution s'est accomplie bien plus rapidement
que si cette assistance ne lui avait pas été donnée.
Les grands Koumâras, ceux qu'on a appelés
les Mânasapoutras, les fils de la Pensée,
l'élite des prémices d'une évolution
passée, sont venus aider l'humanité afin
de hâter sa croissance et son développement
et, en projetant une étincelle de Leur propre
essence, Ils lui ont donné cette impulsion
qui nous a été décrite,
impulsion grâce à laquelle Manas, ou
l'âme individuelle, a pris naissance dans l'homme.
Le premier résultat de cette assistance spéciale [Page 143] fut,
comme je viens de le dire, d'augmenter considérablement
la rapidité de l'évolution humaine.
C'est alors que fut formé le véhicule
connu sous le nom de Karana Sharîra,
ou corps causal. C'est le "Corps de Manas",
qui persiste durant toute la vie de l'Ego réincarnateur.
Il persiste d'une vie à l'autre, apportant
dans chacune les résultats de la vie précédente.
Pour cette raison, on l'a nommé le corps causal,
c'est-à-dire le corps qui renferme les causes
productrices des effets sur les plans inférieurs
de la vie terrestre.
A partir de ce moment, le plan du développement
humain est le suivant: le corps causal étant
formé constitue un véhicule dans lequel
tout peut être mis en réserve et accumulé;
il est une espèce de réceptacle, de
dépôt, pour l'expérience acquise.
Passant à la vie terrestre, l'homme y jette,
de la façon que je vous ai expliquée
auparavant, une sorte de projection de lui-même
et emploie sa vie terrestre à amasser de l'expérience,
en recueillant dans le monde physique certains faits,
certaines connaissances ... en un mot, ce que nous
désignons sous le terme général
d' expérience de la vie. Lorsqu'il franchit
les portes de la mort, l'homme doit assimiler l'expérience
qu'il a amassée et il passe, hors du corps
physique, une existence durant laquelle il n'est
plus visible en
ce monde, mais séjourne sur les plans astral
et dévakhanique qui sont au delà. Là,
il produit certains [Page 144] effets et assimile l'expérience
qu'il a amassée sur la terre, l'incorporant,
l'identifiant avec sa nature même. Chaque existence
lui donne certains résultats; il s'en empare
et les transforme en facultés et en pouvoirs.
Si, par exemple, un homme a, durant sa vie physique,
déployé beaucoup d'énergie pour
penser, s'il s'est efforcé de comprendre,
d'accumuler du savoir, de développer son mental,
cet homme, pendant la période qui s'écoule
entre la mort et la naissance, sera occupé à transformer
ces efforts en facultés intellectuelles qu'il
rapportera avec lui lorsqu'il renaîtra en ce
monde. De même, ses aspirations élevées,
ses espoirs et ses désirs spirituels seront
identifiés avec l'essence même de sa
nature, pendant le temps qui s'écoulera entre
sa mort et sa naissance suivante. Lorsqu'il reviendra
sur cette terre, il y naîtra dans un milieu
qui sera de nature à faciliter son progrès,
et il apportera avec lui les facultés spirituelles
qu'il a développées et qu'il pourra
utiliser pour pousser plus loin son développement pendant cette nouvelle vie qu'il va passer
sur la terre.
Vous voyez avec quelle parfaite régularité se
succèdent les phases de progrès, dans
le corps qui persiste d'une vie à l'autre.
Le Kârana
Sharîra jette une projection de lui-même
sur les plans inférieurs et y fait une moisson
d'expérience; il la rappelle ensuite à lui
avec son expérience, la laisse pendant un
certain temps en Dévakhan, pour [Page 145] qu'elle y assimile
cette expérience et la transforme en facultés,
en pouvoirs, en capacités, puis il la ré-absorbe
complètement en lui-même, comme dans
le véhicule destiné à contenir
l'état de conscience. Ensuite a lieu une nouvelle
projection de cette vie maintenant plus développée,
projection qui manifeste, sur les plans inférieurs,
les pouvoirs qu'elle a acquis de cette façon.
Le progrès se poursuit ainsi, d'une vie à l'autre,
d'une manière régulière et continue,
et le Kârana Sharîra est le réceptacle
de toutes les expériences acquises; c'est
lui qui est l'homme permanent dans lequel toutes
ces expériences sont incorporées.
Lorsque
vous vous serez rendu compte de cela, vous comprendrez
ce que l'on entend par le "pèlerinage
de l'âme". A chaque vie nouvelle, un
homme devrait être plus grand par son mental,
plus grand par ses facultés morales, plus
grand par ses capacités spirituelles. C'est
là le plan de l'évolution. Ce plan
est mis à exécution d'une manière
très imparfaite et c'est la cause de l'énorme
longueur du pèlerinage. Il est exécuté avec
bien des tours et des détours, avec des écarts
et des escapades sur des chemins de traverse, au
lieu de la marche droit en avant. Voilà pourquoi
le voyage de l'humanité est si long, voilà pourquoi
l'achèvement de l'évolution nécessite
l'emploi de tant de myriades de siècles. Elle
n'en sera pas moins accomplie, car telle est la [Page 146] Volonté divine
pour l'homme, et elle ne peut être déjouée,
quel que soit le retard apporté dans son accomplissement.
L'évolution a continué durant la seconde
moitié de la Troisième Race et a atteint
la quatrième. C'est durant la Quatrième
Race que s'est développée cette puissante
civilisation de l'Atlantide, qui atteignit son apogée à l'époque
de la grande sous-race dont la science occidentale
elle-même vous a dit quelques mots — la
race Toltèque. Ce fut une civilisation merveilleuse
par les résultats qu'elle atteignit, mais
elle grandit au milieu de grosses difficultés.
L'homme se trouvait encore très bas sur l'arc
ascendant et était profondément plongé dans
la matière. Ses facultés mentales ressemblaient
beaucoup à ce que nous appellerions aujourd'hui
des facultés psychiques et il était
indispensable de les voiler pendant quelque temps,
afin que les facultés intellectuelles pussent être évoluées
et que l'évolution supérieure de l'humanité devînt
possible dans l'avenir. C'est pourquoi la grande
Loi cosmique, à laquelle rien ne résiste,
poussa la race dans une civilisation très
grande, mais très matérielle. Cette
disparition des facultés psychiques fut hâtée,
dans une certaine mesure, par l'action voulue des
classes dirigeantes de l'empire Toltèque de
l'Atlantide. De propos délibéré et
pour faciliter leurs projets égoïstes,
elles s'efforcèrent d'amoindrir les facultés [Page 147] psychiques
et d'en arrêter le développement
dans les classes inférieures de la population,
classes inférieures au point de vue de l'évolution
et, par conséquent, moins élevées
sur l'échelle sociale. Afin d'en faire des
instruments mieux appropriés à servir
leurs propres desseins, les classes élevées
employèrent leurs connaissances occultes à étouffer
délibérément les facultés
psychiques de ces dernières. Dans ces conditions,
ces facultés furent artificiellement arrêtées
dans leur croissance, plus que ne le voulait la grande
Loi cosmique, et cela m'amène à vous
signaler une chose sur laquelle il serait bon que
vous réfléchissiez à loisir.
C'est qu'aucun homme n'est capable de remonter le
grand courant de la Loi cosmique; qu'aucun homme
n'est capable d'arrêter la marche puissante
de la divine Évolution, mais que l'homme est,
toutefois, libre de coopérer à son oeuvre
ou de la contrecarrer. Il est libre de diriger ses
efforts vers le bien, comme vers le mal, reconnaissant
la sagesse et la grandeur de l'oeuvre, il peut
s'y associer par devoir et pour se soumettre à la
Volonté divine; mais il peut aussi chercher à s'emparer, à son
profit personnel, de quelques-unes des forces de
la nature, et s'en servir pour satisfaire son égoïsme
personnel et éphémère,
au lieu d'aider à la réalisation des
Intentions divines. Lorsqu'un homme emploie les grandes
forces du Kosmos dans un but égoïste,
il se crée à lui-même [Page 148] un mauvais
Karma individuel, bien que la ligne générale
du Karma de la race n'en soit pas modifiée.
Un individu peut, de la sorte, nuire à son
propre avenir, tout en restant dans le courant de
la Loi cosmique; il peut se préparer des
souffrances dans le cercle étroit de son propre
développement individuel, car, s'il fait un
usage égoïste de la Loi cosmique, il
récoltera une moisson d'égoïsme,
lui aussi. En sorte que, sous l'empire de cette grande
et unique Loi, il se prépare des Karmas individuels
heureux et malheureux. Ce que je vous dis là,
je le recommande à votre plus sérieuse
attention, car cela peut vous aider à résoudre
quelques-uns des problèmes que les hommes
se posent souvent; cela vous fera comprendre comment
Karma peut être une Loi divine qui pousse les
hommes en avant, peut être semblable à une
destinée qui leur serait imposée, alors
que ceux-ci savent leur volonté relativement
libre; cela vous expliquera comment les hommes peuvent
choisir leur propre voie, mais sans échapper à cette
puissante impulsion.
Comme je vous le disais donc, durant cette civilisation
du passé, l'homme employait cette grande Loi
du Kosmos à satisfaire ses ambition égoïstes,
et il en est résulté la destruction
de l'Atlantide, la disparition totale de cette civilisation,
sauf quelques épaves qui subsistèrent, éparpillées
dans le monde et principalement dans l'Amérique
du Sud, dans la civilisation du Pérou, où se [Page 149] retrouvent
certaines traces effacées de sa
splendeur. Ces épaves étaient encore
si belles malgré leur dégradation que
lors de la conquête du Pérou par les
Espagnols de l'ouest, ceux-ci furent émerveillés
par le bonheur qui régnait dans la communauté,
par la douceur, l'amabilité et la pureté des
individus, par la sagesse du gouvernement et par
la prospérité de la nation en général.
Cette civilisation que les Espagnols égorgèrent,
que leurs légions envahissantes foulèrent
aux pieds, n'était que la dernière
et vacillante lueur de la civilisation dont je parle,
de cette civilisation qui fut si grande à son
apogée, dont la chute fut si retentissante
et qui fut balayée par la catastrophe, à la
suite de laquelle les vagues de l'océan Atlantique
roulèrent leurs, flots à l'endroit
même où s'étendaient jadis de
fertiles territoires.
Glissant rapidement sur cette question, nous, arrivons à l'évolution
de notre propre race. Pour bien suivre le reste de
cette évolution, vous devez vous rappeler
que le Logos de notre système Se révèle
sous trois aspects différents. Vous savez.
que, dans toute grande religion, la Trimoûrti,
ou Trinité, est la représentation du
Dieu manifesté et vous savez également,
ou, tout au moins, les plus réfléchis
et les plus philosophes d'entre vous savent que les
Trois ne sont que la triple manifestation de l'Un,
les trois aspects de l'unique Existence non manifestée,
qui ne peut être connue [Page 150] que lorsqu'elle est
manifestée dans l'Univers. Vous savez aussi
que l'on voit dans le triple Logos l'aspect du pouvoir,
l'aspect de la sagesse et l'aspect de l'amour.
Toutes les activités humaines portent l'empreinte
de ce triple Logos; toutes les activités
humaines peuvent être classées sous
l'un de ses trois aspects — elles revêtent
l'aspect du pouvoir, de la sagesse ou de l'amour,
sous lesquels toutes les races humaines sont groupées
et tous les genres d'activités des nations
et des individus sont classés. Je choisis
cette classification, parce qu'en traitant d'un sujet
aussi complexe que celui dont nous nous occupons,
elle nous donne, en quelque sorte, un jeu de petites
boîtes dans lesquelles nous pouvons mettre
de côté les différentes parties
du sujet de la conférence, afin que vous puissiez
y songer et les examiner à loisir. N'oubliez
pas que les trois ne font qu'un; qu'ils se pénètrent
mutuellement et que ces divisions ne concernent que
l'aspect phénoménal et non pas l'essence.
Mais, puisque nous vivons dans le monde phénoménal
et que la distinction porte, elle aussi, sur le côté phénoménal,
nous pouvons bien nous en servir et elle ne nous
induira pas en erreur, si nous nous rendons compte
de l'unité fondamentale d'où tout procède.
Supposez donc que nous prenions cette classification
sous ses trois aspects et que nous la [Page 151] subdivisions
un peu plus; nous aurons à classer dans la
catégorie de l'amour toutes les activités
mentales qui ont trait, d'un côté, à la
religion, et, de l'autre, à la philanthropie,
en donnant à ces deux mots leur sens le plus
large; religion voulant dire le devoir envers ceux
qui sont au-dessus de nous; et philanthropie, le
devoir envers ceux qui nous entourent et envers ceux
qui sont nos inférieurs. En sorte que, dans
cet aspect de l'amour, nous comprenons toutes les
activités humaines qui se traduisent par un
hommage rendu à Ceux qui nous précèdent
dans l'évolution et par une aide, une assistance
fournie à nos égaux ou à nos
inférieurs, assistance à laquelle
s'ajoute un sentiment de compassion. Si nous faisons
la distinction entre les Dieux et les hommes, la
religion aura trait aux devoirs directs envers les
Dieux — et vous verrez dans quelques instants
ce que cela veut dire — tandis que la philanthropie
aura trait aux devoirs directs envers les hommes,
sur le plan physique d'abord, envers les hommes,
que nous voyons autour de nous. Sous la dénomination
de sagesse, nous engloberons toutes les activités
du mental humain, du mental supérieur comme
de l'inférieur, qui se répartissent
sur les sciences, la philosophie et les arts. Nous
avons là trois grands champs d'activité du
mental qui appartiennent à l'aspect sagesse
du Logos, non pas que le savoir lui-même soit
la Sagesse, mais c'est la matière au [Page 152] moyen
de laquelle, par une sorte d'alchimie spirituelle,
la sagesse est évoluée; car la connaissance
spirituellement transmuée devient la sagesse.
Nous comprenons donc toute activité du savoir
sous la dénomination générale
de sagesse. Nous classerons ensuite dans la catégorie
du pouvoir toutes les activités humaines qui
se rapportent au gouvernement des hommes, à l'exercice
de fonctions administratives et exécutives, à la
constitution des nations, à la formation de
communautés, en un mot, à tout ce qui
nécessite l'emploi du pouvoir. Dans cette
même catégorie rentre également
les facultés créatrices que l'homme
possède par droit de naissance, comme étant
de lignée Divine — ces facultés
créatrices que si peu d'hommes comprennent,
dont si peu d'hommes usent sciemment, et qui sont
les causes puissantes de l'évolution humaine
et la grande force qui pousse les hommes en avant.
Toutes les actions des divins Maîtres, dans
le passé comme dans le présent, tendent à assurer à ces
vastes champs d'activité une intelligente
culture humaine, afin que l'homme les laboure convenablement
et assure son évolution par ce fait. Tous
leurs efforts ont pour but d'imprimer une bonne direction à ces
activités, que ce soient celles de l'amour,
de la sagesse ou du pouvoir, afin de les lancer sur
la voie directe de l'évolution humaine en
général. C'est pour cela que toutes
les grandes religions ont été fondées; [Page 153] pour cela
que les nobles codes de morale ont été enseignés;
c'est le motif pour lequel ont été données
tant de puissantes impulsions au développement
intellectuel, lesquelles ont valu actuellement à l'homme
un nouvel et complet exposé de toutes les
antiques vérités, sous ce nom de Sagesse
Divine, qui vous est si familier maintenant dans
sa forme grecque de Théosophie. Ce n'est qu'un
nouvel exposé de l'antique vérité,
un nouvel effort des mêmes Maîtres pour
diriger ces activités de la vie humaine.
C'est actuellement plus nécessaire que jamais,
car si vous jetez un coup d'oeil sur le monde
en général, vous constaterez
que dans toutes les catégories de l'activité humaine
l'homme paraît avoir atteint la limite de ses
pouvoirs. Il a conquis le plan physique; il l'a
si bien soumis, que le côté physique
absorbe beaucoup trop son attention et ses soins,
tandis que les réalités des plans supérieurs
sont cachées à sa vue. Si nous considérons
les activités de la vie, nous voyons, en ce
qui concerne la religion, qu'elle est attaquée
d'un côté par le matérialisme
et minée de l'autre par la superstition, en
sorte que l'humanité tourne contre elle deux
glaives qui menacent à la fois son existence — le scepticisme qui ne croit pas et la superstition
qui
croit mal. Tous les deux sont funestes au progrès
humain dans ce champ particulier d'activité.
Si, quittant la religion, nous [Page 154] nous tournons du côté de
la philanthropie du monde moderne, nous trouvons
une misère trop grande et trop profonde pour
que l'homme puisse lutter contre elle. Là où la
civilisation moderne a le plus de succès,
là où elle triomphe le plus, vous rencontrerez
la plus grande accumulation de souffrances et la
plus atroce misère qui puissent écraser
la vie humaine. Lorsque vous étudiez ces souffrances,
vous reconnaissez, non seulement que toute philanthropie
reste impuissante devant elles, mais encore qu'elles
donnent naissance au ressentiment, à la haine
entre les classes différentes, à des
menaces de révolution et d'anarchie. La civilisation
est ainsi menacée dans sa base même
et les hommes ne savent comment parer au danger,
car ils ont perdu le sentiment de l'amour.
Si de l'amour vous passez à la sagesse, vous
verrez que son vaste champ d'activité est
partout jonché de difficultés. La science
semble avoir épuisé ses ressources
matérielles. Ses appareils sont si merveilleusement
délicats, qu'aucun
progrès sur ce point ne semble plus possible; ses balances sont si admirablement précises,
qu'elles lui permettent de peser une imperceptible
partie d'un grain et elle déclare, pourtant,
qu'il y a des substances impondérables même
pour ses balances les plus délicates. La science
est presque à bout de ressources avec ses
méthodes actuelles et [Page 155] elle se sent dominée,
malgré elle, par des forces d'une nature plus
subtile et bien plus mystérieuse que celles
qu'elle avait coutume d'admettre. Si nous jetons
un regard dans le laboratoire du chimiste, ou dans
le cabinet de travail de l'homme de science, ils
nous paraissent envahis par des forces qu'ils ne
sauraient manier en employant des poids et des mesures.
Ces forces les embarrassent par leur réalité,
alors qu'elles sont, en même temps, en opposition
avec les méthodes de leur science, avec tout
ce qu'ils croient connaître de la nature. Sur
le terrain philosophique, vous vous trouverez en
pleine lutte entre le matérialisme, dont l'insuffisance
est démontrée, et l'idéalisme,
qui n'arrive pas à s'établir sur une
base fixe et inattaquable. Dans le domaine des arts,
vous ne trouverez aussi qu'impuissance et stérilité;
l'art ne produit plus rien de grand et de nouveau
et se borne à copier maladroitement les anciens.
Impuissant et stérile, il a perdu sa force
créatrice.
Considérons maintenant l'activité,
sous le troisième des grands aspects que je
vous ai signalés, sous l'aspect du pouvoir
! Que voyons-nous dans le monde moderne ? Les nations
se livrent aux expédients, les unes après
les autres; elles ont perdu les divins Souverains
qu'elles avaient jadis et qui étaient capables
de les gouverner et de les conduire sur la voie de
la prospérité et du bonheur; [Page 156] elles
cherchent à compenser la perte de ces Rois
divins, en se donnant un roi à plusieurs têtes
que l'on appelle le Peuple; au lieu de la royauté divine
des puissants Initiés, elles ont ce que l'on
appelle le gouvernement du pays par lui-même
et les méthodes démocratiques — comme
s'il suffisait de multiplier l'ignorance par un multiplicateur
suffisamment fort, pour obtenir le savoir comme résultat.
En ce qui concerne les facultés créatrices,
on n'en a plus souvenir et l'homme a tellement perdu
de vue son divin héritage, que ceux qui en
parleraient se rendraient ridicules.
Que prouve tout cela? Cela nous prouve que l'humanité en
général va faire un nouveau pas en
avant. Cela prouve que nous avons atteint une de
ces périodes de transition, durant lesquelles
les anciens procédés de croissance
et de développement, usés, doivent
faire place à de nouveaux procédés.
Au milieu du trouble et de l'agitation, au milieu
de la détresse et de la perplexité,
les germes du prochain progrès grandissent
au sein de l'humanité; qui rendra à ces
trois genres d'activité leur ancienne puissance,
accrue par un nouveau développement et le
caractère bien défini qu'ils avaient
jadis. L'évolution, en effet, ne rétrograde
pas, mais elle reproduit ses progrès passés
et ses anciennes méthodes, en avançant
suivant une spirale ascendante sur chaque anneau
de laquelle on retrouve, sous une forme plus élevée, [Page 157] ce
qu'il y avait de meilleur sur l'anneau précédent.
L'humanité évolue aujourd'hui sur cette
spirale, afin de réaliser, avec de nouveaux
pouvoirs et des facultés plus étendues,
ce que le passé nous montre sous des formes
différentes.
Considérons l'amour. Lorsque l'humanité fera
un nouveau pas en avant — et nous trouvons,
de-ci de-là, des signes précurseurs
indiquant qu'elle se prépare à le faire — comme
elle aura déjà amené à la
perfection son véhicule physique, le but de
ses efforts sera de perfectionner le second véhicule
dans lequel elle peut être consciente, c'est-à-dire
celui qui lui permettra d'agir librement sur le plan
astral. Dans des milliers d'années, l'humanité aura
développé ce second véhicule
et la grande majorité des hommes sera en état
de s'en servir pour travailler sur le plan astral,
aussi aisément et aussi facilement qu'elle
agit aujourd'hui sur le plan physique, en se servant
de son corps physique comme véhicule. Non pas le genre humain tout entier cependant,
car tous les nommes ne sont pas égaux comme
le prétend la sottise moderne.....mais la grande
masse des hommes accomplira ce progrès dans
son évolution, développera son corps
astral et l'utilisera complètement, de sorte
que le progrès de l'humanité ne restera
pas stationnaire.
Quel changement produira-t-il, ce pas en avant ?
En matière de religion, le champ de vision élargi [Page 158] de
l'humanité mettra à la portée
de ses regards ce plan d'existence que l'on appelle
l'astral, région dans laquelle un grand nombre
de hautes Intelligences se manifestent en prenant
forme, dans le but d'aider et d'instruire les hommes.
Ceux-ci apprendront à voir et à connaître
ces Êtres dont toutes les puissantes religions
ont proclamé l'existence; ils les connaîtront
comme ils connaissent, ou croient connaître,
actuellement, les corps physiques qui les entourent.
Ils connaîtront les entités de ce monde
aujourd'hui encore visible. En sorte que la majorité des
hommes partagera, avec les plus avancés de
notre époque actuelle, ce savoir de première
main, si rare aujourd'hui — et cette certitude
puisée aux sources mêmes, savoir et
certitude qui rendront le scepticisme à jamais
impossible. Lorsque, dans son état de conscience
normal, un homme connaît l'existence de ces
mondes invisibles et de leurs habitants — lesquels
nous entourent de tous côtés — cet homme
ne peut davantage en douter que vous ne le faites
vous-mêmes
de l'existence de votre père, de votre mère
et de vos enfants. (Je ne discute pas la question
du réel et du chimérique au point de
vue philosophique. Je ne m'occupe que de l'univers
phénoménal et j'emploie les mots avec
la signification habituelle que nous leur donnons
dans nos rapports entre nous. Lorsque ce pas aura été fait,
le caractère de la religion changera du tout [Page 159] au tout et les
vérités qui sont actuellement
connues et proclamées par les voyants et les
prophètes seront alors connues de tous les
hommes et à la portée de leur expérience
de tous les jours; cela aura pour résultat
de rendre le scepticisme aussi impossible qu'il l'est
de nos jours, en ce qui concerne la majeure partie
des données scientifiques. La superstition
sera détruite aussi bien que le scepticisme.
Grâce à l'ignorance des hommes, elle
vit dans l'ombre, elle se développe et prospère
et devient une malédiction pour les peuples,
car certains hommes qui ont conservé la tradition
du savoir, sans en posséder la réalité,
font usage de cette tradition pour réduire
leurs compatriotes en esclavage. Ceux-ci, dans leur
ignorance, sont terrifiés par cette prétention
au savoir et s'inclinent devant ceux qui prétendent
en posséder les clefs, bien que ces clefs
soient rouillées et ne puissent plus tourner
du tout dans les serrures. Et nous verrons, comme
nous le voyons aujourd'hui, que la superstition devient
impossible, lorsque les yeux des hommes sont ouverts.
Vous ne savez pas le mal que fait la superstition
au delà de la mort. Vous n'avez point d'idée
des souffrances et des terreurs qu'endurent de trop
nombreuses âmes, lorsqu'elles passent du corps
matériel dans un monde qui leur est inconnu,
et où pullulent, pour elles, les épouvantails
imaginaires dont l'a peuplé la superstition
dirigée par [Page 160] le prétendu savoir. C'est
surtout le cas en Occident, où l'on parle
d'un enfer éternel et où l'on dit qu'après
la mort il n'y a ni développement, ni progrès,
que le pécheur est plongé dans un lac
de soufre enflammé, où il restera durant
les innombrables siècles de l'éternité,
sans espoir de salut, ni de libération. Vous
ne pouvez vous imaginer l'effet que ces croyances
produisent sur les âmes qui franchissent les
portes de la mort, pour passer dans l'autre monde.
Ces pauvres âmes se figurent qu'il en est ainsi,
et qu'elles peuvent être victimes des horreurs
décrites et proclamées par leurs ignorants
instructeurs. Ceux qui les assistent de l'autre côté ont
bien de la peine à calmer graduellement leur
terreur et à leur faire comprendre que la
Loi règne partout et que la malveillance et
la méchanceté ne sont pas au nombre
des pouvoirs qui dirigent le Kosmos. Comme je viens
de vous le dire, le scepticisme et la superstition
seront donc impossibles; on rencontrera d'autres difficultés,
d'autres problèmes, d'autres questions obscures,
mais ces ennemis jumeaux de l'homme, le scepticisme
et
la superstition, seront détruits, sans qu'il
ne leur soit plus possible de renaître, lorsque
ce jour sera venu pour l'humanité.
En ce qui concerne l'amour, pris au point de vue
philanthropique, le progrès sera grand aussi,
car, de ce plan, on peut beaucoup mieux [Page 161] agir pour
le bien de l'homme, que d'ici, sur le plan physique.
Les activités physiques sont très bruyantes,
mais donnent des résultats comparativement
faibles. Vous voyez un homme qui court ça
et là, édictant des lois, faisant une
chose ou une autre, autant dans le monde gouvernemental
que dans la société, et vous vous imaginez
que son oeuvre est très grande et qu'elle
produira de merveilleux résultats. Mais comme
ils sont petits et mesquins, ces résultats,
lorsqu'on les compare avec le flot qui ruisselle
de l'oeuvre invisible accomplie dans le calme
et le silence, sans qu'une parole soit articulée,
sans qu'aucun effort soit fait par le corps physique
!... de l'oeuvre accomplie par le mental, dans
le milieu subtil qui agit sur les pensées
des hommes plutôt que sur leurs corps, qui
influence leurs mentals plutôt que leurs enveloppes
extérieures. Lorsque l'humanité se
sera élevée jusqu'à ce plan
supérieur, cette influence sera bien plus
répandue qu'elle ne l'est aujourd'hui et l'on
combattra la misère,
le crime et les souffrances, en agissant sur le mental
des hommes, en les purifiant et en les fortifiant,
de façon à les élever au-dessus
des possibilités dans lesquelles ils se noient
aujourd'hui. Vous rendez-vous bien compte, vous tous à qui
je parle en ce moment, qu'en générant
une pensée impure, vengeresse, colère
ou vile, chacun de nous projette cette pensée
dans le monde social, [Page 162] sous la forme d'une
force vivante, d'une entité active, qui agit
sur la société et qui est assimilée
par les plus faibles, par les plus réceptifs,
par les moins développés ? Nous voyons
ainsi les pensées des hommes soi-disant respectables
répandre les germes du crime au milieu des
masses, et les fautes de celles-ci se traduire par
des actes relevant plutôt du Karma de ceux
qui, par leurs pensées, ont provoqué ces
actes criminels. Cette vérité n'est
pas aussi répandue qu'elle devrait l'être.
On n'en est pas aussi convaincu qu'on devrait l'être.
Chaque homme, qui éprouve un sentiment de
rancune, projette une puissance destructrice dans
le monde astral, et lorsque survient une créature
faible, pourvue d'un mauvais Karma, environnée
de mauvaises circonstances, soumise à des
impulsions qu'elle est incapable de maîtriser
et à des passions qui dominent son mental,
ces mauvaises pensées s'abattent sur elle: toutes ces terribles pensées émises
par des hommes jouissant d'une situation respectable
dans le monde. Si cette créature est excitée
par quelque injustice, si elle est affolée
par quelque outrage, elle est poussée à commettre
ce que nous appelons un assassinat. Bien que ce soit
sa main matérielle qui tienne le couteau,
on peut, certes, faire remonter la responsabilité du
coup porté aux pensées de bien des
hommes, dont les sentiments de vengeance sont d'une
essence [Page 163] meurtrière, bien qu'ils n'en revêtent
pas l'apparence extérieure. Il vous sera impossible
de faire disparaître le crime dans les bas-fonds
de la société, tant que vous n'aurez
pas purifié les pensées des classes
supérieures, de ceux qui sont instruits, de
ceux qui peuvent comprendre la nature des choses.
Et lorsque tout cela sera bien compris et su, lorsque
le monde astral sera ouvert à la vision humaine,
nous aurons à notre disposition une force
nouvelle pour aider et soutenir le genre humain.
Les hommes, en effet, ne douteront plus de la puissance
de la pensée, ils se rendront compte de la
responsabilité qu'ils assument en générant
des pensées et projetteront des influences
d'amour et d'assistance, au lieu des influences avilissantes
qu'ils émanent si souvent aujourd'hui., Ils
constateront aussi que l'assistance directe leur
sera devenue possible, telle qu'elle nous est actuellement
donnée du haut de cette région, car
les découvertes que font les hommes de science
leur viennent souvent de ce monde supérieur,
en vertu d'une action directe sur leur mental. Lorsqu'un
homme de science inaugure une nouvelle manière
de voir, lorsqu'un homme comme M. Crookes, par exemple,
découvre la genèse des atomes — une
des plus belles théories générales
de la science moderne — croyez-vous que ce
soit en partant d'en bas qu'il se soit élevé jusqu'à cette
connaissance ? Je [Page 164] vous le déclare: de pareilles
idées viennent d'en haut et non pas d'en bas.
C'est de cette façon que les Maîtres
agissent sur le mental des hommes pourvus de certaines
capacités, susceptibles d'être utilisées,
et du Monde de la pensée, en passant par le
plan astral, où les pensées sont des
entités vivantes et actives. Ils influencent
parfois certains individus, afin que le progrès
du monde puisse être hâté et le
développement de l'humanité facilité.
La raison pour laquelle cela n'a pas lieu plus souvent
de nos jours est la suivante: tant que le côté moral
de la nature humaine n'est pas développé,
il n'est pas bon que l'homme connaisse trop bien
les forces invisibles qui sont cachées derrière
le voile; il en userait mal au lieu de les utiliser,
il s'en servirait sans scrupules pour satisfaire
ses instincts égoïstes, au lieu de les
employer à fortifier et à aider ses
semblables. Voilà pourquoi la connaissance
n'est pas plus largement distribuée; voilà pourquoi
la science n'est pas aidée davantage. La science,
comme le disait un des Grands Êtres, doit d'abord
devenir la servante de l'humanité, pour mériter
d'être largement aidée par Ceux qui
dominent tous les Aides et tous les Sauveurs de la
race.
D'un autre côté encore, on fera de plus
rapides progrès à l'époque dont
nous nous occupons. En ce qui concerne l'éducation,
je suppose que vous n'avez guère été frappés,
lorsque vous aviez [Page 165] affaire à des enfants, à de
très jeunes garçons, par la grandeur
des possibilités qu'on découvrirait
en eux, si leurs maîtres avaient assez de savoir
pour alimenter leurs bonnes dispositions et étouffer
les mauvaises. Vous savez qu'autour du corps de chaque
homme il existe, visible pour l'oeil exercé,
pour l'oeil du Yogi par exemple, ce que l'on
appelle une aura, laquelle aura permet de constater
l'état de développement du mental,
la nature du caractère, et renseigne, d'une
façon précise, sur le degré d'avancement
atteint par l'âme qui habite ce corps et sur
les traits distinctifs et les attributs de cette âme.
Chacun de vous transporte autour de lui cette sorte
de compte rendu de sa propre situation, cette preuve
bien évidente du degré qu'il occupe
sur l'échelle de l'évolution. Autour
de chacun de vous se trouve cette atmosphère
particulière qui indique la nature de vos
pensées et de votre caractère, qui
est aussi facile à déchiffrer, pour
l'oeil exercé, que le sont les traits
du visage, pour l'oeil physique, et qui renseigne
infiniment mieux sur le caractère
de l'homme. Or, lorsqu'un jeune enfant vient au monde
et passe par les premières phases de sa croissance,
son aura présente la particularité suivante: elle renferme les résultats karmiques de
son passé; mais une grande partie de ces
tendances mentales et morales qu'elle possède
ne s'y trouvent qu'à l'état embryonnaire
et non pas à l'état [Page 166] de maturité.
Si vous examinez l'aura d'un jeune enfant, vous la
trouverez comparativement pure, ses teintes sont
claires et transparentes et non pas denses, boueuses
et épaisses, comme chez l'homme ou la femme
adultes, et dans cette aura se trouvent, à l'état
latent, des tendances qui peuvent être développées.
Les unes sont bonnes et les autres mauvaises. Ces
caractéristiques étant discernées
par un oeil exercé, on peut développer
les bonnes tendances et étouffer les mauvaises
dispositions, en soumettant l'enfant à des
influences propices. Si vous voulez qu'une semence
vous donne une plante saine et vivace, il vous faut
la mettre dans un bon terrain, l'arroser et veiller à ce
que le soleil l'inonde de ses rayons. La semence
renferme tout ce qu'il y a d'essentiel dans la plante,
mais celle-ci n'est pas encore manifestée
dans son entier et, selon la nature du sol auquel
vous confierez cette semence, selon les soins que
vous en prendrez, selon la brise qui la caressera
et le soleil qui la réchauffera, son développement
sera plus ou moins complet; elle peut grandir et
devenir très belle, ou bien être rapetissée
et arrêtée dans sa croissance. Il en
est de même de l'enfant, dans une large mesure.
Un enfant vient au monde; il a en lui, par exemple,
le germe de la colère, le germe d'un tempérament
violent et passionné. Si nous supposons ceux
qui l'entourent doués de connaissances et
de sagesse, ils sauront comment [Page 167] s'y prendre avec
lui. On ne devrait jamais laisser entendre à l'enfant
une seule parole irritée, ne jamais le rendre
témoin d'un acte de passion. Tous ceux qui
l'entourent devraient être doux, aimants et
maîtres d'eux-mêmes, et il ne faudrait
jamais transmettre au germe que possède l'enfant
la force stimulante de la colère de gens plus âgés,
force qui aurait pour effet d'en hâter le développement
chez lui, de lui donner plus d'intensité et
de l'amener à maturité. Il vous faudrait
veiller à ce que les enfants fussent entourés
par des influences de nature à stimuler tout
ce qu'il y a de bon, de noble et de pur en eux. Et
si vous faisiez cela pour chacun d'eux, l'humanité avancerait
avec une vitesse de course, alors qu'actuellement
elle marche d'un pas boiteux. L'ignorance obscurcit
le mental des hommes et ils ne savent pas comment
il faut élever les petits. Il n'y a qu'échecs
autour de nous, et ces échecs disparaîtront
lorsque l'homme aura acquis un plus vaste savoir,
lorsqu'il enseignera avec lucidité et non
plus aveuglément comme il le fait aujourd'hui;
lorsqu'il enseignera en se basant sur la connaissance
et non sur l'ignorance. Cette nécessité d'une
bonne éducation explique pourquoi, jadis,
chaque petit garçon était envoyé à un
Gourou. Cette antique institution avait pour but
de donner à l'enfant l'action d'un mental
bien développé sur son propre mental
et l'assistance d'un Maître dont [Page 168] les connaissances
approfondies surpassaient celles de l'homme ordinaire.
Le Gourou était toujours un homme qui savait;
le Gourou était toujours un homme qui voyait
et l'enfant était remis entre ses mains, parce
que, grâce à l'éducation ainsi
donnée, les mauvais instincts étaient étouffés
et les bons développés. A mesure que
les vrais Gourous ont disparu, le genre humain a
perdu ce grand avantage, mais il le recouvrera lorsque
le savoir sera plus répandu dans le peuple
et lorsqu'une phase plus élevée de
son développement aura rendu possible cette
noble éducation.
Dans toutes les phases du
savoir, les méthodes seront changées.
Le médecin ne sera plus obligé de déterminer
la nature d'une maladie par les symptômes extérieurs; il appuiera son diagnostic sur la vision
directe et non plus sur le raisonnement. On commence à se
servir, pour établir un diagnostic, de ce
que l'on appelle les facultés
de clairvoyance; au lieu d'être arrêté par
la densité du corps physique, le médecin
fait appel au clairvoyant, dont le regard traverse
la matière
physique et est à même de voir le mal; dont le regard peut saisir exactement ce qu'il
y a de défectueux dans l'un des organes du
corps humain. Grâce à cette clairvoyance,
le médecin possède les renseignements
dont il a besoin et qui lui permettent d'agir avec
une entière certitude et de surveiller l'effet
produit par les médicaments prescrits.[Page 169]
Imaginez-vous ce que deviendrait la science médicale
si tous les médecins jouissaient de cette
faculté de clairvoyance, si elle devenait
générale, au lieu d'être l'apanage
de quelques-uns, de façon à leur permettre
d'établir leur diagnostic avec certitude et
de surveiller les effets du traitement avec cette
précision que la vue seule peut donner ? De
même pour la chimie: de combien les résultats
obtenus par le chimiste ne dépasseraient-ils
pas ceux qu'il obtient aujourd'hui, si ses yeux étaient
ouverts, ou, mieux encore, s'il pouvait suivre toutes
les phases des combinaisons de ses éléments,
s'il lui était possible de composer ses mélanges
avec la certitude que donne la vue au lieu de le
faire au hasard et d'être obligé d'attendre
le résultat d'une expérience, avant
d'être certain du résultat produit ?
Combien d'accidents seraient évités!
Combien cette connaissance hâterait les progrès
de la science! Un aperçu des progrès
que l'on pourrait faire dans ce sens est donné dans
un article du numéro de novembre
1895 du Lucifer. Vous y verrez à quel point
les limites du savoir seront reculées, lorsque
l'humanité aura
appris à se servir de son véhicule
sur le plan astral. De même encore dans le
domaine de la psychologie; lorsque les hommes communiqueront
entre eux par la pensée, au lieu d'employer
les lentes méthodes de la science matérielle,
avec quelle rapidité la pensée volera
de cerveau à [Page 170] cerveau, communiquant les idées
sans avoir recours aux grossiers procédés
dont nous usons aujourd'hui! Vous vous rendrez immédiatement
compte de la signification que cela peut avoir pour
l'humanité, en vous plaçant simplement
au point de vue de ce monde inférieur. Je
veux dire par là qu'à ce moment l'idée
de séparation ne sera plus qu'une chose du
passé; que ni montagne, ni océan ne
pourront plus séparer deux hommes, deux amis,
deux parents. Je veux dire que dès que les
hommes auront conquis cette région de la nature,
ils seront capables de communiquer entre eux, de
mental à mental, quel que puisse être
l'endroit où ils voyagent, quel que puisse être le
pays qu'ils habitent, car, pour le mental, les barrières
du temps et de la distance n'existent pas, comme
elles existent dans le monde physique. Lorsque l'homme
aura perfectionné son véhicule astral,
il sera toujours à portée de ceux qu'il
aime et les douleurs de l'absence auront disparu.
De même, la mort aura perdu le pouvoir
de séparer. Prenez la vie de l'homme telle
qu'elle est aujourd'hui; prenez la vie des nations
telle que nous la connaissons actuellement et vous
verrez que la mort et la séparation sont deux
des grandes douleurs qui accablent l'humanité.
Toutes les deux auront perdu leur principale force
d'oppression, lorsque l'homme aura fait ce grand
pas en avant; toutes les deux auront perdu leur [Page 171] pouvoir de séparer,
lorsque l'homme aura atteint ce niveau plus élevé. Ce dont les Disciples
seuls jouissent aujourd'hui sera partagé avec
eux par la majorité, et la vie matérielle
de l'homme sera bien plus belle lorsque ces influences
qui la troublent auront disparu.
Il en sera naturellement de même pour la philosophie,
avec sa connaissance plus approfondie des possibilités
de la matière et des réalités
de la vie. De même aussi pour l'histoire, lorsque
toutes ses données seront puisées dans
les archives de l'Akâsha et qu'elle ne
sera plus écrite dans le but de satisfaire
les passions d'un parti politique, ou pour appuyer
certaines théories sur le développement
humain, ou certaines hypothèses dues à l'imagination
des savants. L'histoire tout entière est enregistrée
dans l'Akâsha; là se trouvent
ses impérissables et indestructibles archives.
Pas une action de l'humanité passée
qui n'y soit inscrite, pas un fait de l'histoire
humaine qui n'y soit enregistré pour les yeux
qui sont capables de voir. Le temps viendra où toute
l'histoire en sera tirée, au lieu d'être
rédigée
d'après le procédé plein d'ignorance
actuellement en usage, et lorsque les hommes voudront
connaître le passé, ils jetteront un
coup d'oeil sur ces impérissables archives
et s'en serviront pour hâter leur développement,
en utilisant l'expérience du passé,
pour favoriser une croissance plus rapide de l'humanité.[Page 172]
Quant à ce que sera l'art lorsque ces nouveaux
pouvoirs seront à la portée de l'homme,
ceux-là seuls, peut-être, qui en jouissent
aujourd'hui jusqu'à un certain point, seraient à même
de s'en faire une idée. Possibilité d'employer
de nouvelles formes, belles au delà de toute
expression, d'employer des couleurs plus éblouissantes
qu'on ne saurait se les imaginer, couleurs qui sont
inconnues dans le monde physique et qui prennent
naissance dans la matière plus subtile du
plan astral, couleurs que nul ne peut décrire,
car une description verbale ne saurait faire comprendre
la nature d'une couleur inconnue. Tout cela sera
du domaine de l'art, ainsi que toutes les merveilleuses
facultés des sens plus subtils.
Qu'adviendra-t-il alors du pouvoir et de la puissance
? La royauté divine reparaîtra sur la
terre; les hommes prendront rang dans la société d'après
le degré de développement qu'ils auront
atteint et non plus suivant les caprices du hasard
comme cela se voit aujourd'hui. Tous les hommes seront
capables de connaître, et leur propre
degré d'évolution, et celui des autres,
attendu que l'aura de chaque homme indiquera, d'une
manière visible pour tous, ses facultés
mentales et ses capacités morales et, par
suite, la place qu'il est apte à occuper dans
la société humaine. Nous verrons alors
les jeunes gens s'exercer au genre de travail pour
lequel ils ont des aptitudes, au genre de travail [Page 173] que leurs facultés
leur permettent de bien accomplir. Le mécontentement qui règne
aujourd'hui aura disparu, car il a sa source
la déception des vocations entravées,
le sentiment d'avoir subi une injustice, qui
se fait jour dans le mental des hommes, lorsqu'ils
ont la conviction de posséder des facultés,
sans avoir aucune occasion de les mettre en lumière,
des capacités qu'ils ne sont pas en état
de déployer. S'ils étaient sages, ils
sauraient que c'est un résultat de leur Karma,
mais nous parlons en ce moment des masses et non
pas des individus plus intelligents. Pour elles le
mécontentement deviendra impossible, lorsque
chaque homme occupera la position à laquelle
lui donnent droit ses visibles facultés, et
il y aura ainsi, encore une fois, une société bien
organisée. A ce moment aussi, nous saurons
mieux comment il faut traiter les types inférieurs
de l'humanité. Nous ne punirons plus nos criminels,
nous les guérirons; nous ne les condamnerons plus à mort, nous les instruirons. Nous serons
capables de discerner le point faible sur lequel
l'assistance doit se porter et l'on verra la sagesse
qui réforme remplacer la colère qui
punit. Non seulement on changera la Société,
en perfectionnant ainsi la nature même des
hommes, mais l'aspect du monde extérieur
sera lui-même modifié et le règne
animal tout entier sera soumis à la puissance
réformatrice de l'homme. Celui-ci ne sera
plus un tyran et un [Page 174] oppresseur comme il l'est maintenant,
mais sera le soutien, l'éducateur et l'instructeur
du règne animal inférieur. II sera
ce qu'il était destiné à être,
le protecteur et l'éducateur de l'animal et
non plus son bourreau et son oppresseur, comme il
ne l'est que trop de nos jours. Je n'ai pas besoin
d'ajouter que tous les genres de cruauté disparaîtront
peu à peu; le sang des animaux ne tachera
plus la terre comme il la tache si profondément
aujourd'hui; les animaux ne fuiront plus devant
l'homme avec crainte et horreur, sachant que c'est
un ennemi et non pas un ami qu'ils ont en lui, car
nous marcherons alors vers un nouvel âge d'or,
durant lequel tous les êtres vivants aimeront
au lieu de haïr.
Ce que je viens de vous décrire ressemble à un
conte de fées, mais ce n'est, pourtant, que
la plus prochaine phase du développement de
l'homme; ce n'est que le résultat de la conquête
du plan astral, de celui qui vient immédiatement
après le plan physique. Que sera-ce lorsque
l'homme s'élèvera
plus haut encore et occupera, en pleine conscience,
le plan mânasique ou mental ? Je ne puis prendre
qu'un ou deux exemples pour vous donner une idée
de l'expansion triomphante de la conscience, à cette époque
encore si éloignée de nous. Supposons,
par exemple, un orateur et son auditoire; quelle
différence ne trouverons-nous pas dans la
nature de l'éloquence et dans l'effet qu'elle [Page 175] produira sur le
public ? Au lieu d'entendre des mots, des sons articulés qui arrivent jusqu'aux
oreilles et ne transmettent qu'une petite partie
de la pensée, d'une manière si imparfaite
et si inexacte, l'auditoire verra la pensée
telle qu'elle est. Cette pensée jaillira devant
ses yeux, revêtue d'une couleur radieuse, ayant
une intonation splendide et une forme exquise et
c'est, en quelque sorte, en musique qu'on s'adressera à lui.
On lui parlera un langage figuré par des couleurs
et des formes, jusqu'au point de remplir toute une
salle de musique parfaite, de couleurs et de formes
parfaites. Telle sera, en effet, l'éloquence
de l'avenir, lorsque les hommes auront conquis ce
plan supérieur de l'état de conscience
et de la vie. Pensez-vous que je rêve ? Je
vous le déclare: il existe aujourd'hui des
humains qui peuvent atteindre ce plan de conscience,
qui peuvent le connaître, en ressentir les
effets; ces êtres humains ont passé derrière
les voiles qui arrêtent la vue de la majorité
des hommes et les empêchent de reconnaître
les hautes possibilités de la vie. Un homme
qui se tient sur le sommet d'une tour est à même
de contempler le paysage de tous les côtés
et perçoit les sons, les couleurs et les formes
qui lui viennent de toutes les parties de ce paysage,
tandis que s'il descend par l'escalier de la tour,
il ne peut plus voir, de ce paysage, que la partie
encadrée par la fenêtre percée
dans le mur; [Page 176] il en est de même de la vie de
l'homme sur le plan mental. Le savoir lui arrive à flots
de tous côtés; non point par l'intermédiaire
des sens que nous connaissons, mais par celui d'un
sens unique, qui répond à toutes les
vibrations de l'extérieur. Et lorsque l'homme
redescend dans les véhicules inférieurs,
cela produit exactement le même effet que s'il
descendait l'escalier de la tour; il ne peut plus
percevoir que ce que les yeux, les oreilles et le
nez — ces petites fenêtres percées
dans le mur — lui permettent de connaître
du monde extérieur, car les sens ne sont que
des fenêtres et nous sommes prisonniers derrière
les murs du corps matériel. Ce n'est qu'en
nous élevant au-dessus de ce corps que nous
sommes réellement à même de percevoir
le monde qui nous entoure, dans toute sa gloire,
dans toute sa beauté et avec toutes ses merveilles.
La puissance de la vie sera considérablement
accrue à ce moment. Toutes les hautes manifestations
intellectuelles proviennent de cette région,
et traversent le monde astral. Les plus puissantes
influences mentales destinées,
aujourd'hui, à aider l'homme dans le monde
physique, sont projetées du haut du plan mânasique
par ceux qui sont capables d'y déployer leur
activité. Les disciples des Maîtres
sont là, pleinement conscients, travaillant
pour aider l'homme, pour fortifier l'humanité,
et tous ceux qui ont franchi ces grandes portes de [Page 177] l'Initiation dont
je vous ai parlé hier vivent
dans cette région et s'efforcent de venir
en aide à l'homme. Le disciple peut travailler à cela
dans le monde physique, mais il le fait bien mieux
dans cette haute et efficace région. C'est
là qu'il déploie sa plus grande activité;
c'est là qu'il se rend le plus utile. Et lorsque
la majorité des hommes atteindra cette région,
combien grand sera le nombre des travailleurs, combien
vaste sera l'association des aides! II n'y a là,
aujourd'hui, que quelques centaines de travailleurs,,
pour aider les milliers d'êtres du genre humain,
et le travail est imparfait par suite du petit nombre
de ces travailleurs. Mais avec quelle rapidité les
hommes traverseront les degrés inférieurs,
lorsque l'ensemble de l'humanité se sera élevé jusqu'à cette
région. Le genre humain se développera
avec une rapidité dont nous pouvons difficilement
nous faire une idée aujourd'hui.
L'homme montera
plus haut encore, pour prendre pied sur un autre
plan; sur ce plan où tout
est unité, où l'homme a conscience
de ne faire qu'un avec toutes les choses manifestées: sur le plan de Turîya, que l'homme
occupera avant la fin du Manvantara. Ce plan n'est maintenant
ouvert au disciple que dans la dernière phase
de son développement, que je vous ai décrite
hier. La Septième Race d'hommes escaladera
ces hauteurs et s'y établira. Lorsqu'on atteint à cette [Page 178] expansion
de l'état de conscience, il n'y
a plus rien qui sépare les hommes; chacun
d'eux sait qu'il ne fait qu'un avec les autres, qu'il
ressent ce que les autres ressentent, qu'il pense
et qu'il sait ce que les autres pensent et savent; c'est un état de conscience qui s'élargit
jusqu'à englober des myriades d'êtres.
A ce moment, la fraternité humaine deviendra
un fait accompli, car là on perçoit
l'essence des choses et non plus seulement leurs
apparences; là on voit la réalité et
non plus seulement la manifestation phénoménale.
Tous reconnaissent le Soi unique qui vit dans tous
et la haine devient à jamais impossible pour
l'homme qui sait.
Plus haut encore se trouve un autre degré que
je ne puis dépeindre par aucun mot, dont aucune
phrase ne peut donner une idée; ce degré dont
les Sages ont parlé comme Nirvâna; qu'ils
ont vainement cherché à expliquer,
parce que le langage humain est impropre à cette
tâche; tous leurs efforts, pour faire partager
leur savoir, n'ont produit qu'une conception erronée.
C'est un état de conscience si grand, qu'il
en devient incompréhensible; c'est un état
de conscience qui englobe l'univers tout entier et
qui, par cela même, donne à la compréhension
limitée des hommes l'impression de l'annihilation.
Mais, je vous le dis, la vie de Nirvâna, la vie des Êtres
puissants qui l'ont atteint, est un état de
conscience auprès [Page 179] duquel le nôtre ressemble à celui
de la pierre, à cause des limitations qui
l'entravent, de l'aveuglement qui l'obscurcit et
de l'inhabileté de ses méthodes. Là existe
une vie qui dépasse tous nos rêves d'existence; une activité supérieure à tout
ce que nous pouvons imaginer; une vie qui est une et qui se répand cependant en activités
manifestées; une vie où le Logos est
la Lumière manifestée, dont les rayons
traversent toutes les régions du monde. Ce
degré, également, est un but auquel
l'homme doit atteindre durant ce Manvantara et il
y atteindra lorsque la Septième Race aura
achevé son évolution. Et les prémices
de notre humanité, qui en ont conscience aujourd'hui,
se verront entourées par des myriades d'êtres,
qui en auront conscience également. Puis viendra
la Vie du Logos durant des périodes innombrables
et la parfaite réflexion du Logos dans les êtres
qui auront grandi à son image, jusqu'à ce
qu'un nouvel univers naisse, jusqu'à ce qu'un
nouveau Kosmos entre en activité.
Et ces Êtres, devenus à leur tour un Logos, édifieront un nouvel univers, instruiront
une nouvelle humanité. Tel est l'avenir qui
nous attend; telle est la gloire qui nous sera révélée.
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