Préface
Introduction
Nature de la pensée
Le créateur d' illusion
La transmission de la pensée
Les débuts de la pensée
La mémoire. Nature de la mémoire
Le développement de la pensée
La concentration
Des obstacles à la concentration
La puissance de la pensée
Comment aider autrui par la pensée
Conclusion
Ce petit livre est destiné à aider l' étudiant dans l' étude de sa propre nature, du moins en ce qui concerne le côté intellectuel de celle-ci. Celui qui aura bien compris les principes posés ici sera en bonne voie pour coopérer avec la Nature dans son évolution, et pour accroître ses facultés mentales beaucoup plus rapidement qu' il ne lui serait possible de le faire s' il restait ignorant des conditions de leur développement.
L'
introduction
offrira probablement quelques difficultés au
lecteur profane, qui passera peut-être outre à la première lecture.
Elle est nécessaire, cependant, comme base, pour ceux qui voudraient saisir les relations
de l' intellect avec les autres parties de la nature humaine et avec le monde
extérieur. Et ceux qui
voudraient mettre en action la maxime Connais-toi toi-même ne doivent pas reculer devant un petit effort mental, pas plus qu 'ils ne doivent
s' attendre à ce que la nourriture intellectuelle tombe, toute
assaisonnée, du ciel dans leur bouche paresseusement ouverte.
Ce petit livre
ne ferait-il qu' aider quelques étudiants sérieux et écarter quelques-unes des difficultés qui leur barraient la route que
son but serait atteint.
Annie BESANT
La valeur de la science s' éprouve par le pouvoir qu 'elle a de
purifier et d'ennoblir la vie, et tous les étudiants sérieux désirent
appliquer les connaissances théoriques acquises dans l' étude de la
Théosophie, à perfectionner leur propre caractère et à aider leurs
semblables. C' est pour ces étudiants qu 'est écrit le présent petit livre, dans l' espoir qu 'une connaissance plus exacte de leur propre
nature intellectuelle les conduira à cultiver résolument ce qu' il y a de bon en elle et à en extirper ce qu' il y a de mauvais.
Le sentiment
qui nous détermine à mener une vie droite perd la moitié de sa
valeur, si la claire lumière de l' intellect n' illumine pas le sentier de
la conduite; car, de même que l'aveugle dans son ignorance
s' écarte du chemin jusqu'au ce qu' il tombe dans le fossé, de même
l'Ego, aveuglé par l' ignorance, s' écarte du chemin de la vie droite
jusqu'au ce qu' il tombe dans le fossé de la mauvaise action. Avidyâ – la privation de connaissance – est bien vraiment le premier pas
hors de l' unité dans la séparativité et c' est seulement lorsqu 'elle
diminue que s' atténue la séparativité, jusqu'au ce que, celle-ci ayant
disparu, l'Eternelle Paix soit rétablie.
Lorsque nous étudions la nature humaine, nous séparons
l' homme des véhicules dont il se sert, le Moi vivant des vêtements
dont il est revêtu. Le Moi est un, quelque variées que puissent être
les formes sous lesquelles il se manifeste au moyen des différentes
sortes de matière qu' il s' efforce de traverser. Il reste vrai, bien entendu, qu' il n' y a
qu' un
seul Moi, au sens le plus absolu du mot,
car de même que les rayons émanent du soleil, les "Moi" qui sont
proprement les hommes ne sont que les rayons du Moi suprême, de
sorte que chacun peut murmurer: "Je suis Lui". Mais, pour notre
but actuel, envisageant un seul rayon, nous en pouvons également
affirmer l' unité propre, bien que celle-ci soit cachée par les formes.
La conscience est une unité, et les divisions que nous y
introduisons sont ou bien créées pour faciliter l' étude ou bien des
illusions dues à ce que notre puissance de perception est limitée par
les organes au moyen desquels elle s' exerce dans les mondes
inférieurs. Le fait que les manifestations du Moi procèdent
respectivement de ses trois aspects: connaissance, volonté et énergie, lesquels produisent les pensées, désirs et actions
particulières, ne doit pas nous masquer cet autre fait qu' il n' existe pas de division
de
la substance; le Moi tout entier sait, le Moi tout entier veut, le Moi tout
entier agit. Ses fonctions ne sont d' ailleurs
pas complètement séparées; lorsqu' il sait, il agit et veut en même
temps; lorsqu' il agit, il sait et veut en même temps. Une fonction
prédomine, et parfois dans une proportion telle qu 'elle voile
presque complètement les autres; mais même dans la concentration la plus intense de la connaissance, la plus distincte
des trois, il existe toujours une énergie latente et une volonté latente, qu 'une analyse soigneuse permet de discerner.
Nous avons
appelé ces trois fonctions "les trois aspects du
Moi"; une explication un peu détaillée nous aidera peut-être à comprendre. Lorsque le Moi est au repos, se manifeste l' aspect de la Connaissance,
par lequel il est à même de revêtir l' image de
n' importe quel objet qu' on lui présente. Lorsque le Moi se
concentre, attentif aux changements d' états, apparaît l' aspect de la
Volonté. Lorsque le Moi, en présence d' un objet quelconque, émet
de l' énergie pour prendre contact avec cet objet, alors apparaît l' aspect de l' Action. On voit donc que ces trois aspects ne sont ni des divisions
séparées du Moi, ni trois choses unies en une ou
formant un composé, mais qu' il y a un tout indivisible se
manifestant de trois manières.
Il n' est pas aisé de rendre la conception
fondamentale du Moi plus claire qu' on ne le fait en le nommant simplement.
Le Moi est
cette unité consciente, sensible, toujours existante, qui chez chacun
de nous, se connaît comme existante. Aucun homme ne peut se
concevoir non-existant ou se donner à lui-même sa propre formule,
s' il est conscient, sous la forme: "Je ne suis pas" Ainsi que
Bhagavân Dâs l'a exprimé: "Le Moi est la première et
indispensable base de la vie .. Selon les paroles de Vâchaspati-Mishra, dans son Commentaire (le Bhâmati) sur le Shâriraka – Bhâshya de
Shankarâ Chârya: Nul ne se demande: Suis-je? ou:
Ne suis-je pas [La Science des émotions, Page 20) ?" L' affirmation du Moi, "je suis", préexiste à toute
autre chose, est au-dessus et au-delà de tout argument. Nulle
preuve ne peut la rendre plus forte; nulle réfutation ne la peut
affaiblir. Toutes deux, la preuve et la réfutation, se fondent sur le "Je suis", le sentiment inanalysable de
la simple existence, qui ne comporte aucun prédicat, si ce n' est
l' augmentation et la diminution. "Je suis plus" est l' expression du
plaisir, "je suis moins", celle de la douleur."
Si nous observons ce "je suis", nous trouvons qu' il s' exprime
de trois manières différentes: a) le réfléchissement interne d' un
Non-Moi, la Connaissance, racine des pensées; b ) la concentration
interne, la Volonté, racine des désirs; c) l' expansion vers
l' extérieur, l' Énergie, racine des actions: "Je sais" ou "je pense", "je veux" ou "je désire", "je produis de l' énergie" ou "j' agis". Telles
sont les trois affirmations du Moi indivisible, du "Je suis". Toutes
espèces de manifestations peuvent être rangées sous l' une ou l' autre de ces trois rubriques; le Moi ne se manifeste, dans
nos mondes,
que de ces trois manières; de même que toutes les couleurs
proviennent des trois couleurs primaires, de même les
innombrables manifestations du Moi se ramènent toutes à la
volonté, l' énergie, la connaissance.
Le Moi voulant, le Moi connaissant, le Moi produisant de
l' énergie, c' est lui qui est Un dans l' Éternité, et constitue la racine de
l' individuation dans l' Espace et le Temps. C' est
le Moi sous l' aspect
de la Pensée, le Moi connaissant que nous allons étudier.
Le Moi, dont la "nature est de savoir", trouve, reflété au-dedans de lui, un grand nombre de formes et apprend, par
expérience, qu' il ne peut pas connaître, agir et vouloir à travers
elles et par elles. Il découvre que ces formes ne sont pas soumises à son autorité comme celle dont, tout d' abord, il devient conscient et qu' il apprend (par
erreur,
mais nécessairement) à identifier avec
lui-même. Il connaît, et ces formes ne pensent pas; il veut et elles
ne manifestent aucun désir; il déploie de l' énergie et aucun
mouvement ne se produit, en réponse, chez elles. Il ne peut pas dire en elles "je sais, j' agis, je veux"; à la fin, il reconnaît en elles
d' autres Moi sous les formes minérale, végétale, animale, humaine
et supra humaine, et il généralise tout cela sous un seul terme
compréhensif, le Non-Moi: ce en quoi il ne connaît pas, n' agit pas,
ne veut pas. Il répond donc pendant longtemps à la question:
Qu' est-ce que le Non-Moi ? " par cette formule: "Tout ce en quoi
je ne connais pas, ne veux pas, n' agis pas."
Et quoique finalement, il doive découvrir
par des analyses
successives que tous ses instruments l' un après l' autre (sauf la
substance la plus fine qui fait de lui un Moi), sont parties du Non-Moi, sont objets de connaissance, forment le Connu,
non le
Connaissant, cependant, pour tous les besoins de la pratique, sa
réponse est correcte. De fait, il ne pourra jamais connaître comme
un objet séparable de lui-même, cette substance la plus fine de toutes, qui fait de lui un Moi distinct,
puisque la présence de cette
substance est nécessaire à son individuation et puisque connaître
un tel objet comme le Non-Moi, serait s' abîmer dans le Tout.
Pour que le Moi puisse être le sujet connaissant et le Non-Moi
l' objet connu, il faut qu' un rapport défini soit établi entre eux. Le
Non-Moi doit affecter le Moi et celui-ci doit, à son tour, affecter le
Non-Moi. Il doit y avoir une réciprocité d' action entre eux. La connaissance est une relation entre le Moi et le Non-Moi
et la nature de cette relation nous fournira le sujet du prochain chapitre, mais
il est bon, auparavant, de comprendre clairement le fait que la connaissance
est une relation. Elle implique une dualité, la
conscience d' un Moi et la reconnaissance d' un Non-Moi, et la
présence des deux facteurs mis aux prises l' un avec l' autre est
nécessaire à la connaissance.
Le Connaissant,
le Connu et le Fait de connaître, voilà les
trois choses en une seule, qu' il est nécessaire de bien comprendre si
l' on veut utiliser la puissance de la pensée pour la fin qui lui est
propre et qui consiste à aider le monde. D' après la terminologie occidentale, le Mental est le sujet
connaissant; l' Objet est
ce qui
est connu; la Relation qui les unit est la connaissance. Nous avons à comprendre la nature du Connaissant, celle du Connu, et celle de leur Rapport,
enfin la façon dont se constitue ce Rapport. Ces choses une fois bien comprises, nous aurons
fait un grand pas vers
cette connaissance de soi-même qui constitue la Sagesse. Nous
serons alors en état de secourir ceux qui nous entourent, nous deviendrons les auxiliaires et
les sauveurs du Monde; car tel est le
vrai but de la Sagesse allumée par l' amour, elle doit soulever le
monde au-dessus de la misère jusqu 'à la connaissance où toute
souffrance cesse à jamais. Tel est l' objet de notre étude, car il est
dit dans les livres de la nation qui possède la plus ancienne
psychologie, demeurée aujourd'hui encore la plus profonde et la plus subtile, que l' objet de la
philosophie
est de mettre fin à la souffrance. C' est pour cela que l' homme instruit pense; c' est pour cela
que la connaissance est sans cesse poursuivie. Mettre fin à la souffrance est la raison finale de la philosophie et la sagesse qui ne conduit
pas à trouver la Paix n' est pas la vraie Sagesse.
La nature de la pensée peut être étudiée de deux points de vue: du point de vue de la conscience qui est la connaissance
ou du point de vue de la forme au moyen de laquelle la connaissance s' obtient,
forme qui, par son aptitude à subir des modifications, rend possible l' obtention de la connaissance. Cette
possibilité a
conduit, en philosophie, à deux extrêmes qu' il nous faut éviter, car
chacun d' eux ignore un des côtés de la vie manifestée. L' un voit de la conscience dans toute chose, et ignore que la forme, qui
conditionne essentiellement la conscience, est ce qui la rend possible. L' autre
voit en toute
chose la forme, et ignore le fait que cette forme ne peut exister qu'en vertu
de la vie qui en est l' âme. La
forme et la vie, la matière et l' esprit, le véhicule et la conscience
sont inséparables dans la manifestation et sont les aspects
indivisibles de Ce en quoi tous deux résident de Ce qui n' est ni la
conscience ni son véhicule, mais la racine de tous deux. Une philosophie qui tente de tout expliquer par les formes, ignorant
la
vie, rencontrera des problèmes qu' il lui sera absolument impossible
de résoudre. Une philosophie qui tente d' expliquer tout par la vie, ignorant les
formes,
se trouvera en face de murailles inanimées, qu 'elle ne pourra pas franchir. La solution finale, c' est que la conscience
et ses véhicules, la vie et la forme, l' esprit et la matière sont les expressions temporaires des deux aspects de l' Existence unique et
conditionnée, qu' on ne peut connaître, si ce n' est quand
elle se manifeste comme l' Esprit-Racine– (appelé par les Hindous
Pratyag-âtman), l'Etre abstrait, le Logos abstrait – d' où procèdent
tous les Moi individuels, – et la Matière-Racine (Mûlaprakriti) d' où procèdent toutes les formes. Lorsque la manifestation se produit, cet Esprit-Racine
donne naissance à une triple conscience, et cette
Matière-Racine à une triple matière. A leur base est la Réalité Unique, à jamais inconnaissable pour la conscience conditionnée. La fleur ne voit pas la racine qui la fait pousser, bien que ce soit la source
de toute sa vie et que, sans cette racine, elle ne puisse pas
exister.
Le Moi en
tant que sujet connaissant, a pour fonction
caractéristique de refléter en lui le Non-Moi. De même qu 'une
plaque sensible reçoit les rayons lumineux reflétés par les objets et
que ces rayons amènent des modifications dans la matière sur laquelle ils tombent, ce qui permet d' obtenir des images d' objets, de
même en est-il pour le Moi en ce qui concerne les objets extérieurs.
Son instrument est une sphère sur laquelle le Moi reçoit du Non-Moi les rayons réfléchis du Moi Unique et qui font apparaître, sur
la surface de cette sphère, des images qui sont les reflets de ce qui n' est pas le Moi. Le sujet connaissant
ne connaît pas les choses
elles-mêmes, aux premiers stades de sa conscience. Il ne connaît que les images produites sur son instrument par l' action du Non-Moi sur son
enveloppe sensible, c' est-à-dire des photographies du
monde extérieur. C' est pourquoi le mental, véhicule du Moi en tant
que sujet connaissant, a été comparé à un miroir dans lequel se
voient les images de tous les objets placés devant lui. Nous ne
connaissons pas les choses elles-mêmes, mais seulement l' effet produit par elles sur notre conscience; ce ne sont
pas les objets, mais les images des objets que nous trouvons dans l' esprit.
De
même que le miroir semble contenir les objets en lui, tandis que ces objets apparents
ne sont que des images, des illusions causées par
les rayons lumineux réfléchis des objets, et non ces objets eux-mêmes; de même le mental, dans sa connaissance du monde
extérieur, ne connaît que les images illusoires et non les choses en
elles-mêmes.
Ces images,
produites dans le véhicule du mental, sont perçues comme objets par le sujet connaissant, et cette perception consiste en ce
qu' il les reproduit en lui-même. Cependant, la comparaison
avec le miroir et l' emploi du mot "réflexion" que nous avons fait
dans le paragraphe précédent, pourraient nous induire légèrement
en erreur, car l' image est une reproduction, non un reflet de l' objet
qui la produit. La substance de l' esprit est momentanément
façonnée en un analogue de l' objet qui lui est présenté et cette
analogie, à son tour, est reproduite par le sujet Connaissant. Lorsqu' il se modifie ainsi
lui-même, à la ressemblance d' un objet
extérieur, on dit qu' il connaît cet objet; mais, dans le cas considéré,
ce qu' il connaît n' est que l' image produite par l' objet et non pas
l' objet lui-même. Et cette image n' est pas une reproduction parfaite de l' objet pour une
raison
que nous examinerons dans le prochain
chapitre.
"Mais,
pourra-t-on dire, en sera-t-il toujours ainsi ? Ne
connaîtrons-nous jamais les choses elles-mêmes ?" Ceci nous
amène à la distinction capitale entre la conscience et la matière du
sein de laquelle elle opère, et cela nous permet de trouver une
réponse à cette question, naturelle à l' esprit humain. Après que la
conscience, par une longue évolution, a acquis le pouvoir de reproduire en elle tout, ce qui existe au dehors,
l' enveloppe
matérielle au sein de laquelle elle a opéré tombe, et la conscience, qui est connaissance, identifie son Moi à tous les Moi
au milieu desquels elle a évolué, et considère uniquement comme
Non-Moi la matière unie au même titre à chacun des Moi en
particulier. C' est
là le "Jour sois avec nous" [Voir Doctrine secrète, édition française, Volume
I, page 120, 1ère édition; page 114, 2ème édition; page. 112, 3ème édition], l' union, triomphe de l' évolution, où la conscience se connaît elle-même
ainsi que les autres et connaît les autres comme étant elle-même. Par la
communauté de nature la connaissance parfaite est atteinte, et le Moi réalise
cet état merveilleux où l' identité ne périt pas, où la mémoire n' est pas
perdue, mais où la séparation prend fin et où le connaissant, le connu et
la connaissance ne font qu' un.
C' est cette
merveilleuse nature du Moi, se développant en nous à l' heure actuelle par la connaissance, qu' il nous faut étudier afin de
comprendre la nature de la pensée, et il est nécessaire d' en voir
clairement le côté illusoire afin de pouvoir utiliser l' illusion à démasquer cette illusion même. Étudions donc comment se forme
la Connaissance – relation entre la Connaissance et le Connu – et
cela nous conduira à voir plus clair dans la Nature de la pensée.
Il y a un terme, celui de vibration, qui de plus en plus devient la note fondamentale
de la science occidentale, après avoir été longtemps celle de la science orientale. Le mouvement est la racine de tout.
La vie est mouvement; la conscience est mouvement. Et ce mouvement, quand
il atteint la matière, s' appelle la vibration. L' Un,
le Tout, est conçu comme ne changeant pas, soit en tant que Mouvement Absolu, soit en tant qu'
immobile,
puisque dans l' Un le
mouvement relatif ne saurait être. C' est seulement lorsqu' il y a
différenciation ou des parties, que nous pouvons penser à ce que nous appelons mouvement, lequel est un changement de lieu dans une succession
de temps. Quand l' Un devient plusieurs, le
mouvement apparaît; c' est la santé, la conscience, la vie lorsqu' il
est rythmique et régulier, de même que c' est la maladie,
l' inconscience, la mort lorsqu' il n' est pas rythmé, qu' il est irrégulier.
Car la vie et la mort sont sœurs jumelles, nées au même titre du
mouvement, qui est manifestation.
Le mouvement
doit forcément apparaître quand l' Un devient
plusieurs, puisque lorsque l' Omniprésent apparaît sous la forme de
particules séparées, le mouvement, infini doit représenter
l' Omniprésence ou, autrement dit, doit figurer son reflet ou image,
dans la matière. L' essence de la matière est la séparativité, comme
celle de l' esprit est l' unité; et lorsque la dualité apparaît dans l' Un,
comme la crème dans le lait, le reflet de l' omniprésence de cet Un
dans la multiplicité de la matière est incessant et produit le
mouvement infini. Le mouvement absolu – la présence de chacune
des unités se mouvant, en chacun des points de l' espace, à chacun
des moments du temps – est identique au repos, n' étant que
l' immobilité envisagée d' un autre point de vue, celui de la matière
au lieu de celui de l' esprit. Du point de vue de l' esprit, il y a toujours
l' un;
du
point
de
vue
de
la
matière, il y a
toujours la pluralité.
Ce mouvement infini apparaît sous forme de mouvements, de
vibrations rythmiques, dans la matière qui le manifeste, chaque
Jîva (ou unité de conscience séparée) étant isolé de tous les autres
Jîvas par un mur de matière qui l'enclôt [ Il n'y a pas, en anglais, de
terme satisfaisant pour désigner "une unité de conscience séparée - "esprit" et "âme" désignant des particularités variables suivant les diverses écoles de
pensée. Je me risque donc à employer le mot Jîva au lieu de l' expression
gauche d' "unité-de-conscience séparée". (Note de l' auteur.)
JIVA (mot sanscrit:
litt. "Vivant" de la racine jiv, vivre); l' être en soi, la "substance" émanée du Logos
et identique à lui, mais conditionnée par la matière à laquelle elle est unie et qui
en fait une unité vivante, c' est-à-dire consciente: une "unité de conscience". ].
Chaque Jîva est ensuite incarné, habillé de divers vêtements de
matière. Lorsque ces vêtements de matière vibrent, ils
communiquent leurs vibrations à la matière qui les entoure, celle-ci
devenant l' agent intermédiaire par lequel les vibrations sont
transmises à l' extérieur; et cet intermédiaire, à son tour,
communique l' impulsion de la vibration aux vêtements qui
recouvrent un autre Jîva, faisant ainsi vibrer celui-ci comme le
premier. Dans cette série de vibrations – commençant dans un Jîva, produite dans le corps qui l' enferme, transmise par ce corps au milieu environnant,
communiquée par celui-ci à un autre corps et
de ce dernier au Jîva qui y est contenu – nous avons la chaîne de
vibrations par laquelle l' un connaît l' autre. Le second connaît le
premier parce qu' il le reproduit en lui-même et fait ainsi les
expériences que l' autre a faites. Il y a cependant une différence. Car
notre second Jîva est déjà à l' état vibratoire et son mouvement,
après avoir reçu l' impulsion du premier, n' est pas une simple
répétition de cette impulsion, mais une combinaison de son mouvement original propre
avec celui qui lui est imposé du dehors; ce n' est donc pas une parfaite reproduction. On obtient des similitudes,
de plus en plus approximatives, mais l' identité nous échappe toujours, tant que les vêtements demeurent.
Cette succession
d' actions vibratoires s' observe souvent dans la nature. Une flamme est un centre
d' activité vibratoire dans l' éther
appelée par nous "chaleur"; ces vibrations ou ondes de la chaleur
déterminent dans l' éther environnant des ondes pareilles à elles et
celles-ci déterminent, dans l' éther d' un morceau de fer voisin, les
mêmes ondes, de sorte que les particules de ce fer vibrent sous l' impulsion; il
devient chaud et source de chaleur à son tour. C' est
ainsi qu 'une série de vibrations passe d' un Jîva à un autre et tous les êtres sont rattachés ensemble par ce réseau de conscience.
C' est ainsi encore que, dans la nature physique, nous
désignons différentes sortes de vibrations par des noms différents,
appelant une série lumière, l' autre chaleur, l' autre électricité, l' autre
son, et ainsi de suite; pourtant toutes sont de même nature, toutes
sont des modes de mouvement de l' éther[Le son, primitivement, est aussi
une vibration de l' éther], bien que différant par le degré de vitesse et le
caractère des ondes. Les pensées, les désirs, les actions,
manifestations actives, à travers la matière, de la Connaissance, de
la Volonté et de l' Énergie, sont toutes de même nature, c' est-à-dire
toutes constituées par des vibrations, mais leurs phénomènes sont
différents à cause du caractère différent des vibrations. Il existe une
série de vibrations dans une sorte spéciale de matière, ayant un
certain caractère: c' est ce que nous appelons les vibrations-pensées. Une autre série constitue les vibrations-désirs, une autre
encore les vibrations-actions. Ces noms servent à décrire certains
faits de la nature. Une certaine sorte d' éther est mise en vibrations, les vibrations
affectent nos yeux, nous appelons
ce mouvement:
lumière. Un autre éther, beaucoup plus subtil, a des vibrations qui
sont perçues par le mental, c' est-à-dire provoque de sa part une
réponse et nous appelons ce mouvement: pensée. Nous sommes
entourés d' une matière qui a des densités différentes, et nous
désignons les mouvements qui s' y produisent selon qu 'ils nous affectent et que
nous y répondons par des organes différents, qu 'ils
appartiennent à nos corps grossiers ou à nos corps subtils. Nous
appelons "lumière" certains mouvements affectant l' oeil; nous
appelons "pensée" certains mouvements affectant un autre organe,
le mental. La "vision" a lieu lorsque, dans l' éther-lumière, des
ondulations se produisent d' un objet à notre oeil; la "pensée" a lieu
lorsque, dans l' éther-pensée, des ondulations se produisent entre un objet et
notre mental. L' un n' est ni
plus – ni moins – mystérieux
que l' autre.
En traitant
du mental, nous verrons que certaines modifications dans la disposition de ses éléments sont dues au
contact d' ondes de pensée, tandis que, quand nous pensons à des
choses concrètes, nous ressentons à nouveau les impressions
primitivement reçues du dehors. Le sujet connaissant trouve
l' occasion de son activité dans ces vibrations, et tout ce à quoi elles
peuvent répondre constitue la connaissance. La pensée est une reproduction, dans le mental du sujet connaissant, de ce qui n' est
pas ce sujet connaissant. C' est un tableau produit par une combinaison de mouvements
ondulatoires, une image, au sens tout à fait littéral. Une partie du Non-Moi vibre et lorsque le sujet connaissant vibre en retour,
cette partie devient le Connu; entre
eux la matière, animée d' un léger tressaillement, les met en contact l' un avec l' autre et rend la Connaissance
possible. C' est ainsi que la relation du Connaissant, du Connu et de la Connaissance
s' établit
et se maintient.
"Devenu indifférent aux objets de perception,
l' élève doit chercher à découvrir le Râja des sens,
le Producteur de pensée, celui qui fait naître
l' illusion."
"Le Mental est le grand destructeur du Réel."
C' est ainsi
qu' il est écrit dans un des fragments traduits par H.
P. B. et extrait du Livre des préceptes d' or, [La voix du Silence,
page 14] cet exquis poème en prose, l' un des dons les plus précieux
que l' auteur ait fait au monde. Il n'y a pas, pour le mental, de
dénomination plus significative que celle de "Créateur d' illusion".
Le mental
n' est pas le sujet connaissant, et devrait toujours être
soigneusement distingué de lui. La plupart des confusions et des
difficultés qui embarrassent l' étudiant, viennent de ce qu' il ne se rappelle pas la distinction
entre lui qui
connaît, et le mental, instrument au moyen duquel il obtient ses connaissances. C'
est
comme si le sculpteur s' identifiait avec son ciseau.
Le mental
est, par essence, double et matériel, étant constitué par une enveloppe de fine substance appelée le corps causal, joint à Manas [MANAS, terme sanscrit (racine man, observer, connaître,
comprendre) employé dans les acceptations les plus variées, par les divers
systèmes philosophiques de l' Inde. Le monde se compose de sept plans, et la "substance" ou substratum de l' être se manifeste en sept modes correspondants. Chacun de
ces modes comporte l' universelle
qualité d' aspect qu' on indique
comme vie et forme, force et matière, etc. Manas est l' énergie pensante,
l' aspect-vie du mode intellectuel de l' être. (Note des éditeurs)] , le mental
abstrait, et par une enveloppe de substance plus grossière appelée
le corps mental, joint à Manas, le mental concret, Manas lui-même étant le reflet, dans la matière atomique, de cet aspect du Moi qui
représente la connaissance. Le mental limite le Jîva, qui, à mesure
que la conscience augmente, se trouve de toutes parts entravé par
elle. De même qu' un homme qui, pour effectuer certaine tâche,
mettrait des gants épais et trouverait que ses mains emprisonnées
dans les gants ont perdu une grande partie de leur sensibilité, de
leur délicatesse de toucher, de leur aptitude à ramasser de menus objets et qu' elles ne sont plus capables d' en saisir que
de
gros, de
sentir les lourdes pressions; de même en est-il lorsque le sujet
Connaissant revêt le mental, mais ses facultés sont très restreintes
dans leur expression.
Nous réserverons, dans les paragraphes suivants, le terme de mental au mental concret:
au corps mental joint à Manas.
Le mental
est le résultat de la pensée antérieure actuelle; c' est
une chose précise et définie, douée de certaines propriétés et de
certaines incapacités, de force et de faiblesse, qui sont le résultat
d' une activité déployée dans des existences antérieures. Notre mental est ce que nous l' avons fait; nous ne pouvons pas le modifier,
si ce n' est lentement; nous ne pouvons pas le dépasser
par un effort de volonté; nous ne pouvons pas nous en affranchir,
ni remédier instantanément à ses imperfections. Tel qu' il est, il est
nôtre, c' est une partie de Non-Moi appropriée à notre usage,
façonnée pour nous, et c' est par lui seulement que nous pouvons
connaître.
Tout ce qui
résulte de nos pensées antérieures est présent en
nous grâce au mental; chaque mental a son mode propre de vibration, sa propre sorte
de vibration; il est en mouvement
perpétuel, présentant une suite de tableaux toujours changeants. Toute impression qui nous
arrive du dehors est reçue dans cette
sphère déjà en activité, et la masse des vibrations existantes
modifie la nouvelle venue, en même temps qu' elle se trouve
modifiée par celle-ci. La résultante n' est donc pas une reproduction exacte de la nouvelle vibration, mais
une combinaison de cette
dernière avec les vibrations déjà existantes. Empruntons encore
une comparaison à la lumière. Si nous mettons un morceau de verre rouge devant nos yeux et si nous regardons
des objets verts, ils
nous paraîtront noirs. Les vibrations qui nous donnent la sensation
du rouge sont interceptées par celles qui nous donnent la sensation
du vert, et l' oeil est induit en erreur lorsqu' il voit l' objet noir. De
même, si nous regardons un objet bleu à travers un verre jaune,
nous le verrons noir. Dans chacun de ces cas, un intermédiaire
coloré cause une impression de couleur différente de celle qu' eût
fourni l' objet regardé à l' oeil nu. Et même, en regardant les choses à l' oeil nu, nous les voyons un peu différemment, car l' oeil modifie les
vibrations qu' il reçoit, et d' une manière plus sensible que bien des gens ne se l' imaginent. L' influence du mental,
en tant
qu' intermédiaire au moyen duquel le sujet Connaissant contemple
le monde extérieur, est très comparable à l' influence des verres colorés sur la couleur des objets vus à travers eux. Le moi Connaissant est aussi inconscient de cette influence du
mental qu' un homme à qui il n' aurait jamais été donné de voir (sinon à travers des verres rouges ou bleus), serait
inconscient des altérations qu 'ils produisent dans les couleurs du
paysage.
C' est à ce point de vue superficiel que l' esprit est appelé le "Créateur d' illusion". Il ne nous apporte que des images déformées,
combinaisons de lui-même et des objets extérieurs. En un sens
beaucoup plus profond, d' ailleurs, il est encore "Créateur
d' illusion", à savoir en ce sens, que ces images déformées elles-mêmes ne sont que les images d' apparences, non de réalités; des
ombres d' ombres; voilà tout ce que le mental nous fournit. Mais il
nous suffira, actuellement, de considérer les illusions dues à sa
nature propre.
Les idées que nous nous faisons du monde seraient toutes
différentes, si nous pouvions le connaître tel qu' il est, même sous
son aspect phénoménal, au lieu de ne le connaître qu' au moyen de
vibrations modifiées par le mental; et la chose n' est aucunement
impossible, bien qu' elle ne puisse être réalisée que par ceux qui ont
poussé très avant le contrôle de leur mental. Les vibrations du
mental peuvent s' arrêter, si la conscience s' en détourne; le contact
d' un objet façonnera alors une image correspondant exactement à cet objet, les vibrations étant identiques en qualité et en quantité,
sans alliage de vibrations dues à l' observateur Ou bien la
conscience peut se projeter et animer l' objet observé, de façon à en percevoir directement les vibrations. Dans les deux cas on obtient une connaissance
réelle de la forme. L' idée, dans le monde des
noumènes, dont la forme exprime l' aspect phénoménal, peut être
connue, elle aussi, mais seulement au moyen de la conscience
opérant dans le corps causal, sans l' entrave du mental concret ou
des véhicules inférieurs.
Cette vérité, à savoir que nous connaissons uniquement nos impressions des choses, non les choses
elles-mêmes – si ce n' est
dans les cas que je viens de mentionner – est d' une importance
capitale, quant on l' applique à la vie pratique. Elle nous enseigne
l' humilité et la prudence, nous dispose à accueillir les idées
nouvelles. Nous apprenons à nous défaire de notre instinctive conviction d'avoir raison dans nos observations, nous
apprenons à nous analyser avant de condamner les autres.
Un exemple
contribuera à nous rendre ceci plus clair.
Je rencontre une personne dont l' activité vibratoire s' exprime
sous un mode complémentaire du mien. En nous rencontrant nous
nous annulons réciproquement; il en résulte que nous ne nous
plaisons pas, nous ne découvrons rien l' une chez l' autre et nous
nous étonnons, chacune de notre côté, que X... trouve tant d'esprit à notre voisine, alors que nous nous jugeons réciproquement si incroyablement stupides. Mais, si j' ai acquis quelque connaissance
de moi-même, cet étonnement sera surmonté, en ce qui me concerne. Au lieu de penser que la personne est stupide, je me
demanderai: "Que me manque t-il en moi qui m' empêche de
répondre à ses vibrations ? Toutes deux nous vibrons et si je ne
peux pas pénétrer dans sa pensée et sa vie, c' est parce que je ne peux pas reproduire ses vibrations. Pourquoi
jugerais-je cette
personne, puisque je ne peux même pas la connaître avant de
m' être modifiée suffisamment pour être capable de lui donner accès?" – Nous ne pouvons guère modifier les autres, mais nous pouvons, dans une large mesure, nous modifier
nous-mêmes et
nous devrions nous efforcer sans cesse de développer notre faculté réceptive. Nous devons devenir pareils à la lumière blanche dans
laquelle toutes les couleurs sont présentes, qui n' en altère aucune
parce qu 'elle n' en repousse aucune, et qui possède en elle-même le
pouvoir de répondre à chacune. Nous pouvons mesurer la distance
qui nous sépare encore de la lumière blanche à notre aptitude à répondre aux caractères les
plus divers.
Nous pouvons maintenant envisager la composition du mental en tant qu' organe
de conscience, sous son aspect de sujet connaissant et voir quelle est cette
composition, comment nous
avons façonné le mental dans le passé, comment nous pouvons le
modifier dans le présent.
L' esprit,
envisagé du côté de la vie, est Manas, et Manas est le
reflet, dans la matière atomique du troisième plan – le mental ou
plan de l' aspect cognitif du Moi – du Moi en tant que sujet
connaissant.
Envisagé du côté de la forme, il présente deux aspects, qui
conditionnent respectivement l' activité de Manas, la conscience
opérant sur le plan mental. Ces aspects sont dus aux agrégations de
matière de ce plan, qui ont été attirées autour du centre de vibration
atomique. Cette matière, nous l' appelons, d' après sa nature et son
usage, matière-esprit ou matière-pensée. Elle forme une grande
région dans l' univers, pénétrant les matières astrale et physique et
compte sept subdivisions, correspondant aux états de la matière sur le plan physique; elle est surtout sensible aux vibrations qui viennent
du Moi, sous son aspect de Connaissance, et cet aspect
lui imprime son caractère spécifique.
Le
premier aspect, et le plus élevé, du mental envisagé du côté de la forme, est ce qu' on appelle le corps causal. Il est composé de
matières empruntées aux cinquième et sixième subdivisions du
plan mental, correspondant aux éthers les plus subtils du plan
physique. Ce corps causal est peu développé, chez la plupart, au
stade actuel de l' évolution, car il n' est pas employé dans les
opérations mentales ayant trait aux objets extérieurs et nous
pouvons par suite le laisser de côté, du moins pour le moment.
C' est, en somme, l' organe de la pensée abstraite.
Le second
aspect est ce qu' on appelle le corps mental, il est
composé de matière-pensée appartenant aux quatre subdivisions
inférieures du plan mental, correspondant à l' éther le plus dense et
aux états gazeux, liquide et solide de la matière sur le plan physique. On pourrait l' appeler le corps mental dense. Les corps
mentaux présentent sept grands types fondamentaux, dont chacun
comprend des formes aux degrés de développement les plus divers,
qui toutes évoluent et progressent selon les mêmes lois.
Comprendre et appliquer ces lois, c' est échanger la lente évolution
de la nature contre la rapide croissance due à l' intelligence se
déterminant elle-même. D' où l' importance essentielle de leur étude.
La méthode selon laquelle la conscience construit son véhicule
devrait être clairement comprise, car chaque jour et chaque heure de la vie nous fournissent
l' occasion d' appliquer cette méthode à des fins élevées. Que nous veillions ou dormions, nous sommes toujours en train de construire
notre corps mental; car lorsque la
conscience vibre, elle affecte la matière mentale qui l' entoure et
chaque frémissement de conscience, bien que dû uniquement à une
pensée passagère, attire dans le corps mental quelques particules de
matière mentale et en fait sortir quelques autres. Et tant qu' il s' agit
du véhicule – le corps – ceci est dû à la vibration; mais il ne faut
pas oublier que l' essence même de la conscience est de s' identifier constamment avec le Non-Moi et de s'
affirmer
elle-même à nouveau, tout aussi constamment, en rejetant le Non-Moi; la conscience consiste dans l' alternance de l' affirmation et de la négation suivantes: "Je
suis cela", "je ne suis pas cela", c' est pourquoi son mouvement
constitue et produit, dans la matière, cette attraction suivie de
répulsion que nous appelons vibration. La matière environnante est ébranlée, elle aussi, et sert ainsi d' intermédiaires pour affecter
d' autres consciences.
Or, la finesse
ou la grossièreté de la matière ainsi appropriée
dépend de la qualité des vibrations déterminées par la conscience.
Les pensées pures et élevées sont composées de vibrations, rapides
et ne peuvent affecter que les éléments rares et subtils de la
substance mentale. Les parties plus grossières ne sont pas atteintes, étant incapables de vibrer avec la vitesse voulue. Lorsqu' une
pensée de cette sorte fait vibrer le corps mental, des particules de la
matière la plus grossière sont rejetées hors du corps et leur place est prise par des particules plus fines, de sorte
que de meilleurs
matériaux sont introduits dans le corps mental. De même, les
pensées basses et mauvaises attirent dans le corps mental les
matériaux plus grossiers qui conviennent à leur expression et ces
matériaux chassent et repoussent les espèces plus fines.
Ainsi, ces vibrations de conscience font sans cesse sortir une
catégorie de matière pour en réintroduire une autre. Et il en résulte,
comme une conséquence nécessaire, que suivant la catégorie de
matière que nous aurons introduite jadis dans notre corps mental,
se trouvera déterminée notre faculté de répondre aux pensées qui
nous parviendront actuellement du dehors. Si notre corps mental
est composé de matériaux affinés, les pensées grossières et
mauvaises ne trouveront pas de réponse en nous et, par suite, ne nous feront aucun tort; tandis que s' il est
composé de matériaux
grossiers, il sera affecté par toute mauvaise influence ambiante, il
demeurera sans réponse devant le bien et n' en bénéficiera pas.
Lorsque nous
sommes mis en contact avec quelqu'un dont les
pensées sont élevées, ses vibrations-pensées, en agissant sur nous,
provoquent des vibrations de la matière qui, dans notre corps
mental, est capable d' y répondre; ces vibrations, à leur tour,
dérangent et même expulsent un peu ce qui est trop grossier dans
notre corps mental pour vibrer à leur haut degré d' activité. Le profit
que nous retirons d' autrui dépend ainsi, pour une grande part, de
notre pensée antérieure, et notre "compréhension" d' autrui, notre
faculté de répondre aux autres êtres, sont conditionnées par cela encore. Nous ne pouvons pas penser l' un pour l' autre; notre partenaire
ne peut penser ses propres pensées, amenant ainsi, dans la substance-esprit qui l' entoure, des vibrations correspondantes,
lesquelles agissent sur nous, éveillant dans notre corps mental des vibrations sympathiques. Ce sont celles-ci
qui affectent la
conscience. Un penseur extérieur à nous ne peut affecter notre conscience qu'en suscitant ces vibrations dans notre
corps mental.
Mais une compréhension
immédiate ne suit pas toujours la production de ces vibrations venues du dehors.
L' effet ressemble
parfois à celui du soleil, de la pluie et de la terre sur la semence enfouie dans le sol.
Il n'y a pas, tout d' abord, de réponse visible aux vibrations qui agissent sur cette semence; mais au-dedans
d' elle se
produit un léger frémissement de la vie qui l' anime, et ce
frémissement devient de jour en jour plus fort, jusqu' à ce que la vie
en évoluant, fasse éclater l' écorce de la semence, puis projette une petite racine et une tige grandissante.
Il en va de même pour
l' esprit. La conscience frémit légèrement au-dedans d' elle-même,
avant d' être en état de répondre extérieurement aux contacts qu 'elle subit; et alors que nous ne sommes point encore
capables de
comprendre un noble penseur, il y a cependant en nous, un
frémissement inconscient qui est le précurseur de notre réponse
consciente. Lorsque nous quittons la présence d' un grand Être,
nous sommes un peu plus rapprochés, que nous ne l' étions
auparavant, de la riche vie de pensée qui en émane: le
développement de certains germes-pensée a été hâté en nous, et
l' évolution de nos esprits a été facilitée.
Ainsi donc,
en une certaine mesure, le façonnement et le
développement de notre esprit peuvent être accomplis du dehors,
mais ils doivent résulter surtout de l' activité de notre conscience; et si nous voulons que notre
corps mental soit fort, bien
vivant,
actif, apte à saisir les pensées les plus élevées qu' on nous
présentera, nous devons travailler obstinément à bien penser; car
nous sommes nos propres constructeurs et modelons nous-mêmes
notre mental.
Il y a nombre
de gens qui lisent beaucoup. Mais la lecture ne
façonne pas le mental, la pensée seule la façonne. La lecture ne
vaut que parce qu' elle fournit des matériaux à la pensée. Un
homme peut lire beaucoup, mais son développement mental n' en
reste pas moins proportionné à la somme de pensées qu' il fournit
en lisant. La valeur qu' aura pour lui la pensée lue dépend de l' usage
qu' il en fera. A moins qu' il ne recueille cette pensée et ne travaille
par lui-même cette donnée, la valeur en sera mince et passagère. "Lire remplit l' homme", dit Lord Bacon et il en est du mental comme du corps. Manger remplit l' estomac,
mais de même que
l' aliment est sans profit pour le corps s' il n' est digéré et assimilé, de
même le mental peut être rempli par la lecture, mais s' il n'y a pas de
pensée, il n'y a pas d' assimilation de ce qui est lu et le mental ne
croît pas; il est même probable qu' il souffrira d' être surchargé et se
trouvera affaibli plutôt que fortifié par un fardeau d' idées non
assimilées.
Nous devons
lire moins et penser davantage, si nous voulons que notre mental s' élargisse et
que notre intelligence se développe.
Si nous prenions au sérieux la culture de notre mental, nous
consacrerions chaque jour une heure à l' étude de quelque livre
sérieux et suggestif: nous lirions cinq minutes et réfléchirions dix
minutes – et ainsi de suite durant l' heure entière. Le procédé habituel consiste à lire rapidement pendant une heure, puis à mettre
le livre de côté jusqu' à ce que vienne l' heure de se remettre à lire.
C' est pourquoi chez la plupart des gens la faculté de penser se
développe très lentement.
Un des points les plus caractéristiques, dans le mouvement
théosophique, c' est le progrès mental qu' on peut constater d' année
en année chez ses membres. Cela est dû, en grande partie, au fait
qu' on leur enseigne la nature de la pensée; ils commencent à comprendre un peu son mode de travail et s' appliquent à façonner
leur corps mental, au lieu de le laisser se développer par les
processus de la nature, abandonnés à eux-mêmes. L' étudiant
désireux de progrès devrait décider qu' aucun jour ne se passera
sans en consacrer cinq minutes au moins à lire et dix à réfléchir
profondément sur ce qui a été lu. Au début, notre sujet trouvera l' effort ennuyeux et laborieux; il constatera la faiblesse
de sa
pensée. Cette découverte marque un premier pas, car c' est beaucoup de constater qu' on est incapable
de penser fortement et
d' une façon prolongée. Les gens incapables de penser, mais qui s' imaginent qu' ils peuvent le faire,
progressent peu. Il vaut mieux
connaître sa propre faiblesse que s' imaginer qu' on est fort lorsqu' on est faible.
La
conscience de la faiblesse – l' incapacité de fixer le mental, le sentiment de chaleur, de confusion et de
fatigue qui
se
produit dans le cerveau, après un effort prolongé pour suivre un
développement de pensée difficile – est de tout point analogue au
sentiment similaire éprouvé dans les muscles après un grand épuisement musculaire. Grâce à l' exercice régulier et prolongé – mais pas excessif – la force de la pensée se développe, comme la
force musculaire. Et en même temps qu 'elle se développe, cette
force de pensée devient dirigeable et peut être utilisée à des fins
précises. Sans cette pensée, le corps mental restera mal défini et
inorganisé; et si l' on ne gagne pas en concentration – en capacité de fixer la pensée sur un point défini – on ne peut pas exercer du
tout la puissance de la pensée.
Presque tout le monde, de nos jours, est désireux de pratiquer la transmission de la pensée et rêve aux délices de communiquer avec un ami absent, sans recourir au téléphone, au télégraphe ou à la poste. Beaucoup de gens semblent croire qu' il leur suffira, pour accomplir cette tâche, d' un très léger effort et ils sont très surpris lorsqu' ils échouent totalement dans leur entreprise. Il est cependant clair qu' il faut être capable de penser avant de pouvoir transférer sa pensée, et qu' une certaine puissance de pensée vigoureuse est nécessaire afin de projeter à travers l' espace un courant de pensée. Les pensées faibles et vacillantes de la majorité des gens ne produisent que des vibrations tremblotantes dans l' atmosphère de la pensée, vibrations qui apparaissent et s' évanouissent à toute minute, sans donner naissance à aucune forme définie, parce que clouées d' une vitalité infiniment faible. Une forme-pensée doit être nettement découpée et d' une vitalité solide si elle est destinée à être lancée dans une direction définie et si l' on requiert d' elle assez de force pour qu'en arrivant à destination, elle détermine une reproduction d' elle-même.
Il
y a deux méthodes de transférer la pensée, l' une qu' on peut appeler physique, l' autre psychique: l' une relevant du
cerveau autant que du mental, l' autre du mental seul. Une pensée peut être
engendrée par la conscience, produire une vibration dans le corps mental, puis dans le
corps astral déterminer des ondulations dans
l' éther, puis dans les molécules plus denses du cerveau physique;
sous l' action de ces vibrations cérébrales, l' éther physique est
affecté et les ondes passent au dehors, jusqu 'à ce qu' elles atteignent
un autre cerveau et y déterminent des vibrations, tant dans l' éther
que dans les molécules plus denses. Par ce cerveau récepteur, des vibrations sont produites dans le corps astral, puis dans le corps
mental, qui tous deux sont attachés à lui, et les vibrations du corps
mental font jaillir, en réponse, un frémissement dans la conscience.
Tels sont les nombreux stades de l' arc traversé par une pensée.
Mais ce long détour n' est pas nécessaire. La conscience peut, lorsqu' elle produit ces vibrations dans son corps
mental, diriger ces vibrations tout droit sur le corps mental de la conscience
réceptrice, évitant ainsi le circuit que nous venons de décrire.
Examinons ce qui arrive en ce cas.
Il
y a dans le cerveau un petit organe, la glande pinéale, dont les fonctions sont inconnues des physiologistes occidentaux et dont
les psychologues occidentaux ne s' occupent pas. C' est un organe rudimentaire
chez la plupart des individus, mais qui, loin de
rétrograder; évolue et dont il est possible de hâter l' évolution au
point de mettre cet organe à même d' accomplir sa fonction propre, celle que dans l' avenir, il remplira chez
tous. Cette glande est
l' organe du transfert de la pensée, comme l' oeil est l' organe de la
vision ou l' oreille celui de l' audition.
Quiconque
pensera assidûment à une seule idée, en
concentrant sur elle une attention soutenue, aura conscience d' un
léger frisson dans la glande pinéale, d' une sensation de
fourmillement. Le frisson a lieu dans l' éther où baigne la glande et
il produit un léger courant magnétique, lequel donne naissance à la
sensation de fourmillement dans les molécules denses de la glande.
Si la pensée a été assez forte pour produire le courant, le penseur
saura qu' il a réussi à donner à sa pensée une netteté et une vigueur
qui la rende apte à être transmise.
Cette vibration
dans l' éther de la glande pinéale détermine des
ondes dans l' éther ambiant, semblables à des ondes de lumière, bien que beaucoup plus petites et plus rapides. Ces ondes se propagent dans
toutes les directions, mettant l' éther en mouvement
et ces ondes d' éther, à leur tour, en produisent d' autres dans l' éther
de la glande pinéale d' un autre cerveau, pour être transmises de là aux corps astral et mental, gagnant ainsi la conscience suivant
l' ordre régulier. Si la seconde glande pinéale ne peut pas reproduire
ces ondulations, la pensée passera inaperçue, elle ne fera pas d' impression, pas plus que les ondes lumineuses ne font
d' impression sur l' oeil d' un aveugle.
Dans la seconde
méthode de transmission, le penseur ayant
créé une forme-pensée sur son propre plan, ne la fait pas descendre
au cerveau, mais la dirige immédiatement vers un autre penseur
situé sur le même plan mental. Le pouvoir d' agir ainsi,
délibérément, implique un degré beaucoup plus élevé dans
l' évolution mentale que celui représenté par la méthode physique
de la transmission de la pensée, car celui qui agit doit être
conscient sur le plan mental pour pouvoir exercer sciemment cette
activité.
Mais ce pouvoir,
chacun de nous l' exerce continuellement,
quoique d' une façon indirecte et inconsciente, puisque toutes nos
pensées produisent, dans le corps mental, des vibrations qui doivent, par suite de
la nature des choses, être propagées à travers
la matière mentale environnante.
Il n'y a pas
de raison pour restreindre le sens de l' expression "transmission de la pensée" aux transmissions conscientes et
délibérées que fait, d' une pensée particulière, une personne à une
autre. Nous nous influençons continuellement les uns les autres par
ces ondes de pensée, produites sans intention définie, et ce qu' on appelle l' opinion publique se forme en grande partie par
ce
procédé. La plupart des gens pensent d' une certaine façon non pas
parce qu' ils ont soigneusement médité une question et qu' ils sont
arrivés à une conclusion – mais parce qu' un grand nombre de
personnes pensent d' une certaine façon et entraînent les autres avec
elles. La pensée vigoureuse d' un grand penseur se répand dans le monde, elle est recueillie par des esprits passifs qui s' en font
l' écho. Ceux-ci reproduisent les vibrations du premier et renforcent ainsi l'
onde
de pensée impressionnant alors d' autres esprits qui seraient
restés sans réponse aux ondes originelles. Ceux-ci répondant,
apportent un surcroît de force aux ondes qui deviennent, encore plus fortes, impressionnant alors
une
quantité énorme de gens.
L' opinion
publique une fois formée exerce une influence
prépondérante sur l' esprit de la grande majorité, frappant sans cesse sur tous les cerveaux et suscitant chez eux des ondes qui
répondent à celles reçues.
Il y a aussi certaines façons de penser nationales, des canaux
précis et profondément creusés résultant de la répétition
continuelle, pendant des siècles, des même pensées nées de
l' histoire des luttes et des coutumes d' une nation. Elles modifient
profondément et colorent vivement le mental de tous ceux qui
appartiennent à cette nation, et tout ce qui vient du dehors est
modifié par le mode de vibration national. De même que les
pensées qui nous viennent du monde extérieur son modifiées par notre corps mental et qu'en les recevant, nous accueillons leurs vibrations, plus nos propres vibrations normales – c' est-à-dire une
résultante – de même les nations recevant des nations voisines, les enregistrent
modifiées par leur propre mode de vibration national. C' est ainsi que l' Anglais et
le
Français, l' Anglais et le Boer voient les mêmes
faits, mais y ajoutent leurs propres possessions antérieures et
s' accusent, de très bonne foi, les uns les autres de falsifier les faits
et de pratiquer des méthodes illégales. Si cette vérité, avec son
caractère inéluctable, était reconnue, bien des querelles
internationales seraient aplanies plus aisément que ce n' est le cas
aujourd'hui, bien des guerres seraient évitées et à celles qu' on soutiendrait encore, on mettrait fin plus facilement. Chaque nation
reconnaîtrait, en outre, ce qu' on appelle quelquefois "l' équation
personnelle", et au lieu de blâmer la nation voisine à cause
d' une
différence d' opinion, chacune chercherait un moyen terme entre les
deux manières de voir, aucune ne soutiendrait exclusivement la
sienne propre.
La
question pratique par excellence, qui se pose à l' individu
dés qu' il a connaissance de ce continuel et général transfert de la
pensée, est la suivante: Quel bien puis-je retirer, quel mal puis-je éviter, dès lors que je vis dans une atmosphère mélangée, où les
ondes de pensées, bonnes et mauvaises, sont sans cesse actives et frappent sans cesse mon cerveau
? Comment puis-je me mettre en
garde contre une transmission de pensée préjudiciable et comment puis-je profiter d' une autre salutaire ? Il est d' une
importance
capitale de savoir comment nous pouvons faire la sélection.
Chacun
de nous est la personne qui exerce la plus constante influence sur son propre corps
mental. Les autres le modifient occasionnellement, lui toujours.
L' orateur que nous écoutons, l' auteur dont nous lisons le livre exercent une influence sur notre
corps mental. Mais ce sont des incidents dans notre vie, tandis que
nous-mêmes nous sommes un facteur permanent. Notre propre influence sur la composition
de notre corps mental est beaucoup plus forte que celle de n' importe qui, et
c' est nous-mêmes qui
fixons le mode de vibrations normal de notre mental. Les pensées
qui ne s' harmonisent pas avec ce mode seront rejetées de côté lorsqu' elles arriveront au contact du mental. Si l' homme pense la
vérité, un mensonge ne pourra pas élire domicile en son coeur; s' il
a des pensées d' amour, la haine ne pourra pas le troubler; s' il pense selon la sagesse,
l' ignorance ne pourra pas le paralyser. C' est en
cela seulement que résident la Sécurité, la puissance réelle. On ne
doit pas tolérer que le mental reste en jachère, car alors n' importe
quelle semence de pensée pourrait y prendre racine et s' y
développer; on ne doit pas tolérer qu' il vibre comme il veut, par la
raison qu' il répondrait à n' importe quelle vibration.
C' est en cela que réside la leçon pratique. L' homme qui
l' appliquera en découvrira vite la valeur, il s' apercevra que par la
pensée on peut rendre la vie plus noble et plus heureuse et que, par la sagesse, on
peut effectivement mettre fin à la souffrance.
Peu de personnes, en dehors du cercle de celles qui étudient la
psychologie, se sont préoccupées de résoudre cette question: D' où provient la pensée ? Lorsque aujourd'hui nous venons au monde, nous nous trouvons en possession
d' une forte somme de pensées
toutes faites, d' une vaste réserve de ce que nous appelons "idées
innées". Ce sont des conceptions que nous apportons avec nous en venant au monde, ce
sont les résultats condensés ou résumés des
expériences que nous avons faites dans les existences qui ont
précédé notre existence actuelle. Munis de cet approvisionnement
mental, nous commençons à agir dans cette vie, et jamais le
psychologue n' est à même d' étudier, par l' observation directe, les
débuts de la pensée.
Il peut, cependant, apprendre quelque chose en observant un
enfant, car de même que le corps physique du nouveau-né parcourt
rapidement, dans la vie prénatale, la longue évolution physique du
passé, de même le corps mental nouveau traverse rapidement les étapes de son long développement antérieur. Il est vrai que le "corps mental" n' est nullement identique à la "pensée" et que, par
suite, même en étudiant le nouveau corps mental lui-même, nous
n' étudions aucunement, en réalité, les "commencements de la
pensée"; cela nous paraîtra encore bien plus vrai si nous
considérons que peu de gens peuvent même étudier le corps mental
directement et qu' ils en sont réduits à observer les effets des actions
de ce corps sur son associé plus dense, le cerveau physique avec le
système nerveux. La "pensée" est aussi distincte du corps mental
que du corps physique: elle appartient à la conscience, à la vie,
tandis que les corps mental et physique appartiennent, l' un comme
l' autre, à la forme, à la matière et sont de simples véhicules
transitoires, de simples instruments. Ainsi qu' il a déjà été dit,
l' étudiant doit avoir toujours présente à la mémoire "la distinction
entre celui qui connaît et le mental, qui est l' instrument au moyen
duquel il obtient la connaissance" – ainsi que la définition déjà donnée du mot "mental", à savoir "le corps mental joint à Manas",
c' est-à-dire un composé.
Nous pouvons, cependant, en étudiant les effets de la pensée
sur ces corps lorsqu' ils sont nouveaux, acquérir, en raisonnant par
analogie, quelques notions relatives aux débuts de la pensée, au
moment où le Moi, dans un univers donné, prend pour la première fois contact avec le Non-Moi. Ces observations pourront nous aider en vertu
de l' adage: "En bas comme en haut". Toute chose
n' est ici qu' une réflexion, et en étudiant les réflexions nous
pouvons apprendre quelque chose sur les objets qui les produisent.
Si l' on observe soigneusement un enfant, on verra que les
sensations – les réponses aux excitations par les sentiments de
plaisir et de peine et premièrement par les sentiments de peine,
précèdent toute marque d' intelligence. C' est-à-dire que les
sensations vagues précèdent les connaissances précises. Avant sa
naissance, l' enfant subsistait grâce aux forces de vie se transmettant à travers le corps maternel. Au moment où il est lancé dans
l' existence, indépendant, ces forces lui sont supprimées. La vie se
retire du corps et n' est pas tout de suite renouvelée; lorsque les forces de vie diminuent, un besoin se fait sentir, et ce besoin
est
une douleur. La satisfaction du besoin donne le bien-être, le plaisir,
et l' enfant retourne à l' inconscience. Bientôt la vue et le son éveillent des sensations, mais il n'y a encore aucune marque d' intelligence.
Il
y en a pour la première fois lorsque la vue ou la
voix de la mère (ou de la nourrice), est associée à la satisfaction du
besoin sans cesse renaissant, au plaisir occasionné par la nourriture; l' intelligence apparaît lorsque, dans la mémoire ou par elle, un
groupe de sensations qui se reproduisent, se trouve associé à un
même objet externe, cet objet étant considéré comme distinct de
ces sensations et comme leur cause. La pensée est la connaissance
d' un rapport entre une pluralité de sensations et une unité qui les
relie. C' est la première expression de l' intelligence, la première
pensée – en langage technique, une "perception". Son essence est
l' établissement de la relation précédemment décrite entre une unité de conscience – un Jîva – et un objet, et partout où cette relation est établie, la pensée est présente.
Ce
fait simple et toujours vérifiable peut servir d' exemple
général pour nous montrer le commencement de la pensée dans un
Moi isolé, c' est-à-dire dans un triple Moi, renfermé dans une
enveloppe de matière, si subtile soit-elle, dans un Moi distinct du Moi [ Dans un Moi individuel par opposition au Moi indivisible. (Note
de l' éditeur)]; dans ce Moi isolé, les sensations précèdent les
pensées, l' attention du Moi est éveillée par une impression faite sur
lui et à laquelle il répond par une sensation. Le sentiment massif du
besoin, dû à la diminution de l' énergie vitale, est impuissant par
lui-même à éveiller l' attention; mais ce besoin est satisfait par le contact du lait qui
produit une impression locale définie,
impression suivie d' un sentiment de plaisir. Après que le
phénomène c' est souvent répété, le Moi atteint le monde extérieur,
vaguement, en tâtonnant; il se porte vers le monde extérieur, par
suite de la direction de l' impression qui est venue du dehors.
L' énergie vitale se répand ainsi dans le corps mental et le vivifie,
de sorte qu' il réfléchit – faiblement d' abord– l' objet qui, en prenant
contact avec le corps, a causé la sensation. Cette modification dans
le corps mental, répétée mainte et mainte fois, stimule le Moi sous son aspect cognitif et il vibre
d' une manière correspondante. Il a éprouvé le besoin, le contact, le plaisir, et avec le contact une
image se présente, l' oeil étant affecté en même temps que les lèvres, car ces deux sensations se sont confondues. Le Moi, en vertu de la nature
qui lui est inhérente, relie l' une à l' autre ces trois choses: le
besoin, l' image donnée dans le contact et le plaisir – et cette liaison
constitue la pensée. Tant que le Moi n' a pas répondu par cet acte, il
n'y a pas de pensée; c' est le Moi qui perçoit, ce n' est ni un autre
agent, ni un agent inférieur.
Par cette perception, le désir se spécialise, il cesse d' être une
vague aspiration vers n' importe quoi, il devient une aspiration
définie vers quelque chose de déterminé – le lait. Mais la
perception a besoin d' être révisée, car le sujet connaissant a associé trois choses ensemble et l' une d' elles doit être séparée des autres – à savoir: le besoin. Il est significatif qu' à un stade peu avancé la
vue de la personne qui donne le lait éveille le besoin, le sujet
connaissant évoquant le besoin lorsque apparaît l' image qui lui est
associée; l' enfant qui n' a pas faim pleure pour avoir le sein
lorsqu' il voit sa mère; plus tard ce lien erroné est rompu et l' image
de la nourrice est associée au plaisir, comme sa cause; elle est
regardée alors comme l' objet du plaisir. Le désir qu 'a l' enfant de sa
mère est ainsi constitué et devient, dès lors, un nouvel excitant
pour la pensée.
Dans main traité de psychologie, en Occident aussi bien qu'en Orient, il est
nettement déclaré que toute pensée a sa racine dans la sensation, qu' un
grand nombre de sensations doivent être accumulées avant qu' il y ait une
pensée.
"L' esprit, tel que nous le connaissons", dit H. P. Blavatsky, "peut se résoudre en états de conscience variant en durée, intensité,
complexité, etc., mais, au bout du compte, tous basés sur la
sensation qui est toujours maya [ Doctrine secrète, Volume I, page 38, note, 2ième édition] ".
Quelques auteurs sont allés plus loin et ont déclaré, non seulement
que les sensations sont des matériaux à l' aide desquels les pensées
sont construites, mais encore que les pensées sont produites par les
sensations, écartant ainsi tout Penseur, tout sujet connaissant.
D' autres, à l' extrême opposé, considèrent la pensée comme le
résultat de l' activité du sujet connaissant, activité qui serait
produite du dedans, au lieu de recevoir du dehors la première
impulsion, les sensations étant les matériaux auxquels le Penseur
applique les facultés spécifiques qui lui sont inhérentes, mais non
la condition nécessaire de son activité.
Ces
deux manières de voir – celle qui fait de la pensée le
produit des seules sensations et celle qui en fait le produit du sujet
connaissant – renferment chacune une part de vérité, mais la vérité absolue est entre les deux conceptions. S' il est nécessaire à l' éveil du sujet connaissant que les sensations agissent sur lui du dehors
et si
la première pensée produite est la conséquence d' impulsions
dues à la sensation, les sensations en sont en un sens les
antécédents nécessaires; – cependant, si le Moi n' avait pas en lui la
faculté de lier les choses entre elles, si sa propre nature n' était pas
de connaître, les sensations pourraient lui être apportées
continuellement sans que jamais une pensée se produisît. On
n' énonce qu' une moitié de la vérité en disant que les pensées ont
leur origine dans les sensations: il faut que celles-ci soient élaborées, qu' une puissance les organise, établisse des liens les
rattachant l' une à l' autre, des relations entre elles, ainsi qu' entre
elles et le monde extérieur. Le penseur est le père, la sensation la
mère, la pensée l' enfant.
Si
les pensées ont leur origine dans les sensations et si ces
sensations sont dues à des impacts du monde extérieur, il est de la plus haute importance, lorsque se produit une sensation,
que la
nature et l' étendue de cette sensation soient exactement observées.
La première tâche du sujet connaissant est d' observer: s' il n'y avait
rien à observer, il demeurerait toujours endormi; mais lorsqu' un
objet lui, est présenté, lorsqu' en tant que Moi il est conscient d' un impact, alors, en tant que sujet
connaissant, il observe. De la
justesse de son observation dépend la pensée qu' il va façonner, en rassemblant un grand nombre d' observations analogues. S' il observe
inexactement, s' il établit une relation erronée entre l' objet
qui a causé l' impact et lui-même, qui observe cet impact – de cette
erreur dans son travail découleront, en conséquence, une multitude
d' erreurs qui ne pourront être redressées autrement qu'en reprenant
les choses dès leur commencement.
Voyons
maintenant, dans un cas particulier, le rôle de la sensation et celui de la perception. Supposons que je sente un contact
sur ma main le contact produit provoque en réponse une sensation; la reconnaissance de l' objet qui a produit la sensation
est une pensée. Lorsque je sens un attouchement, je sens, et il n'y a
rien de plus à ajouter en ce qui concerne la simple sensation; mais quand, du sentiment je
passe à l' objet qui l'a produit, je perçois cet
objet, et la perception est une pensée. Cette perception signifie que, comme sujet connaissant, je reconnais l' existence
d' une relation
entre moi-même et l' objet, en tant que celui-ci a déterminé en moi une certaine sensation. Ceci, cependant, n' est pas tout ce qui se produit.
Car j' éprouve, en outre, d' autres sensations de couleur, de forme, de douceur,
de chaleur, de texture; ces sensations sont reconnues par moi en tant que sujet
connaissant
et, aidé par le
souvenir d' impressions analogues reçues antérieurement – c' est-à-dire en comparant d' anciennes images avec celle de l' objet qui
touche ma main – je me prononce sur la nature de cet objet.
Dans cette perception des choses qui éveillent en nous un
sentiment, réside le germe de la pensée; si nous exprimons cela
dans le langage métaphysique ordinaire, nous dirons que la perception d' un Non-Moi comme cause
de certaines sensations du Moi, est le commencement de la connaissance. Le sentiment
réduit à lui-même, si cela pouvait se rencontrer, serait impuissant à nous
rendre conscients du Non-Moi; il n' éveillerait qu' un sentiment de plaisir ou
de peine dans le Moi, la conscience
d' une expansion ou
d' une contraction. Nulle évolution ultérieure ne serait possible, si
l' homme n' était capable de rien de plus que de sentir; c' est
seulement lorsqu' il reconnaît les objets comme étant des causes de
plaisir et de peine, que l' éducation de l' homme commence. C' est sur
le fait d' établir une relation consciente entre le Moi et le Non-Moi
que repose l' évolution future tout entière, et cette évolution se
ramènera, en grande partie, à ce que ces relations deviendront de
plus en plus précises de la part du Moi connaissant. Chez celui-ci,
le déploiement extérieur commence lorsque la conscience qui vient
de s' éveiller, d' éprouver du plaisir ou de la peine, tourne son regard
vers le monde extérieur et déclare: "Cet objet m' a donné du plaisir; celui-ci de la peine."
Un grand nombre de sensations doivent être éprouvées avant que le Moi réponde par un jugement extérieur. Il y a alors un tâtonnement obscur, confus, en vue de rencontrer le plaisir, provenant, chez le Moi doué de volonté, du désir d' éprouver une répétition du plaisir. Et c' est là un bon exemple du fait mentionné plus haut, qu' il n' existe ni pensée pure, ni sentiment pur; car le "désir d' une répétition du plaisir" implique que l' image du plaisir demeure dans la conscience, si faible y fût-elle, et c' est là un fait de mémoire qui appartient à la pensée. Pendant longtemps, le Moi à demi éveillé va à la dérive d' un objet à un autre, se heurtant au hasard contre le Non-Moi, sans qu' aucune direction soit donnée à ces mouvements par la conscience, éprouvant du plaisir et de la peine sans aucune perception de la cause de l' un ou de l' autre. C' est seulement lorsque ceci a duré longtemps, que la perception, mentionnée plus haut, devient possible et qu 'une relation s' établit entre le sujet connaissant et l' objet connu.
Lorsqu' une relation est établie entre un plaisir et un certain
objet, alors s' éveille le désir précis d' obtenir à nouveau cet objet et
par-là de répéter le plaisir. Ou bien, s' il s' agit d' une liaison entre une peine et un certain
objet, le désir précis qui s' éveille est celui
d' éviter cet objet et d' échapper ainsi à la peine. En réponse à la
stimulation, le corps mental reproduit aussitôt l' image de l' objet;
car, par suite de la loi générale en vertu de laquelle l' énergie se
transmet dans la direction de la moindre résistance, la substance du corps mental prend, plus facilement que toute autre
forme, celle
qu' elle a déjà souvent revêtue; cette tendance à reproduire, sous
l' action d' une énergie nouvelle, des vibrations précédemment émises, est due à Tamas, à l' inertie de la matière et constitue le
germe de la Mémoire. Les molécules de matière qui ont été groupées ensemble se disjoignent lentement lorsque d' autres énergies agissent sur elles, mais elles conservent pendant un temps assez long
la tendance à reprendre leurs rapports réciproques; si
une impulsion, pareille à celle qui les avait une première fois
groupées, leur est imprimée, elles retombent bientôt dans leur
ancienne position. En outre, lorsque le sujet connaissant a vibré d' une manière spéciale, ce pouvoir de vibrer subsiste
en lui, et dans
le cas d' un objet qui a procuré du plaisir (ou de la peine), le désir
d'avoir cet objet (ou de l' éviter), libère le dit pouvoir, le pousse pour ainsi dire au dehors, et fournit ainsi au corps
mental, le
stimulant nécessaire.
L' image ainsi produite est reconnue par le sujet connaissant et dans l' un des
deux cas l' attraction causée par le plaisir lui fait reproduire aussi l' image de ce plaisir. Dans l' autre
cas, la répulsion
causée par la douleur ramène l' image de cette douleur. L' objet et le
plaisir – ou l' objet et la peine – sont associés dans l' expérience, et
quand se produit la série de vibrations qui composent l' image de
l' objet, celle qui constitue le plaisir – ou la peine – surgit aussi, de
sorte que le plaisir ou la peine, est éprouvé à nouveau, en l' absence
de l' objet. C' est là la mémoire sous sa forme la plus simple: une
vibration spontanée, de même nature que celle qui a causé le plaisir – ou la peine – et causant à nouveau le même sentiment. Ces images sont moins fortes et, par suite, paraissent au sujet
connaissant moins vives et moins réelles que celles causées par le
contact d' un objet extérieur, les lourdes vibrations physiques
conférant une grande énergie aux images mentales et à celles du
désir; mais, au fond, les vibrations sont identiques, et la mémoire
est la reproduction que fait, dans la matière mentale, le sujet
connaissant, des objets avec lesquels il s' est déjà trouvé en contact.
Cette reproduction peut être – et elle est – répétée mainte et mainte
fois, dans une matière de plus en plus subtile, indépendamment de
tout sujet connaissant particulier: la totalité de ces reproductions
forme le contenu partiel de la mémoire du Logos, Maître de
l' Univers. Ces images d' images peuvent être obtenues par n' importe quel sujet connaissant particulier, dans la mesure
où il a développé en lui le "pouvoir de vibrer" dont nous avons parlé antérieurement.
De même que, dans la télégraphie sans fil, une série de vibrations
composant un message peut être enregistré par n' importe quel
récepteur convenable – c' est-à-dire par tout récepteur capable de
reproduire ces vibrations – de même, un pouvoir de vibration latent, chez un sujet connaissant, peut être mis en activité par une vibration analogue, dans les images cosmiques. Celles-ci, sur le plan
akâshique, constituent les "annales akâshiques" dont il est
souvent parlé dans la littérature théosophique, et elles demeurent à travers toute la vie du système.
Si nous voulons comprendre ce qui constitue la "mauvaise
mémoire", il nous faut examiner les processus mentaux nécessaires à la production de ce qu' on appelle la mémoire. Bien que, dans la
plupart des livres de psychologie, on parle de la mémoire comme
d' une faculté mentale, il n' existe pas, en réalité, de faculté spéciale à laquelle ce nom puisse être donné. La persistance d' une image
mentale n' est due à aucune faculté spéciale, mais dépend de la qualité générale du mental; dans un mental faible, la persistance est faible, comme tout
le reste et – semblable à une substance trop fluide pour conserver la forme du moule dans lequel elle
a été versée – l' image perd vite la forme qu' elle avait prise. Là où le
corps mental est faiblement organisé, où il n' est qu' un agrégat
distendu de molécules de matière mentale, une masse nuageuse
sans grande cohérence – la mémoire sera certainement très faible.
Mais cette faiblesse est générale, non spéciale; elle s' applique au
mental tout entier et est due au stade peu élevé de son évolution.
Lorsque le corps mental s' organise et que les puissances du
Jîva opèrent en lui, on rencontre souvent encore ce qu' on appelle
une "mauvaise mémoire". Mais si l' on observe cette "mauvaise
mémoire", on constate qu' elle n' est pas fautive en tous points, que certaines choses
sont exactement remémorées et que le mental les retient sans effort. Si nous examinons alors ces choses,
nous
découvrons qu' elles intéressent vivement l' esprit, en un mot, que les choses qui plaisent beaucoup ne
sont pas oubliées. J' ai connu
une femme qui se plaignait de sa mauvaise mémoire en ce qui
concernait ce qu' elle étudiait – mais en même temps j' ai observé en
elle une mémoire qui retenait très bien les détails d' une toilette
qu' elle avait admirée. Le corps mental de cette femme, à tout
prendre, était loin de présenter aucune insuffisance de mémoire, et
lorsqu' elle observait les choses avec soin et attention, de façon qu' une image mentale claire se produisit, cette image persistait pendant
une
durée normale. Ceci nous est une clef pour
comprendre la "mauvaise mémoire".
Elle est due à un manque d' attention, à un manque de précision
dans l' observation et, par suite, à une confusion dans la pensée. La
pensée confuse, c' est l' impression inexacte produite par l' observation distraite
et
le manque d' attention, tandis que la pensée
claire est l' impression nette due à l' attention appliquée et
concentrée, à l' observation précise. Nous ne nous rappelons pas les choses dont nous faisons peu de cas, mais
nous nous souvenons
bien de celles qui nous intéressent vivement.
Comment conviendrait-il donc de traiter une "mauvaise
mémoire" ?Tout d' abord il faudrait noter les choses pour lesquelles elle est mauvaise
et celles qu' elle retient bien, afin de pouvoir apprécier
l' aptitude générale à retenir. Puis il faudrait examiner minutieusement les choses pour lesquelles
la mémoire est
mauvaise, afin de voir si elles valent d' être retenues ou si ce sont choses
dont nous n' avons cure. Si nous constatons
que ce sont des
choses de peu d' intérêt pour nous, mais dont à nos meilleurs moments nous sentons devoir nous soucier, notre devoir est de
nous dire: "Je veux y faire attention, je veux observer ces choses
très exactement, je veux y penser soigneusement et avec
persistance." En agissant ainsi, nous constaterons que notre
mémoire progressera. Car, ainsi que nous l' avons dit, la mémoire
dépend, en fait, de l' attention, de l' exacte observation et de la clarté de la pensée; pour fixer l' attention, le facteur de l' attraction est important, mais s'
il
fait défaut, la volonté doit prendre sa place.
Or c' est
précisément ici que s'
élève une difficulté très précise
et très généralement sentie. Comment "la volonté" peut-elle
prendre la place de l' attraction ? Qu' est-ce qui mettra la volonté elle-même en branle ? L' attraction soulève le désir et le désir, à son
tour détermine le mouvement vers l' objet attrayant. Mais, dans le
cas supposé, le désir fait défaut. Comment cette absence sera-t-elle
compensée par la volonté ? La volonté est la force qui amène
l' action, lorsque cette force est déterminée dans sa direction par la
raison réfléchie, et non par l' attraction des objets extérieurs.
Lorsque l' impulsion à l' acte, ce que j' ai souvent appelé l' énergie
d' expansion du Moi, est produite par les objets extérieurs, est attirée, nous appelons cette impulsion désir; lorsqu 'elle vient de la
raison pure, lorsqu' elle est émise, nous l' appelons: volonté. Ce qui,
alors, est nécessaire, en l' absence de toute attraction du dehors, c' est une illumination
du dedans, et le motif doit être fourni à la
volonté par un examen intellectuel de la situation, par un exercice
du jugement en quête du souverain bien, but de tous les efforts. Ce que la Raison choisit comme
le moyen contribuant le plus au bien
du Moi, sert de motif à la volonté. Et lorsqu' on a procédé ainsi une
fois de propos délibéré, alors, même dans les moments de lassitude, de faiblesse qui pourraient ensuite survenir,
le souvenir de
l' enchaînement de pensées qui a amené précédemment le choix
stimule encore la volonté. Ce moyen, délibérément choisi, peut, dès
lors, devenir attrayant, c' est-à-dire l' objet d' un désir, si l' on
applique l' imagination à se représenter les qualités agréables de ce
moyen, les effets avantageux – productifs de bonheur – qui
résultent de son emploi. Et comme celui qui veut un objet veut en
même temps les moyens de l' obtenir, nous devenons capables de surmonter, par l'
exercice
de la volonté ainsi motivé, notre répulsion
naturelle pour l' effort et la discipline désagréable.
Dans
le cas que nous avons considéré, ayant constaté que
certains objets sont éminemment désirables parce qu' ils conduisent à un bonheur prolongé, nous mettons en oeuvre notre volonté et lui
faisons déployer l' activité qui nous conduira à l' obtention de ce
bonheur.
Dans la culture de la faculté d' observation, comme en toute
chose, un peu d' exercice répété quotidiennement est beaucoup plus
efficace qu' un grand effort suivi d' une période d' inaction. Nous
devrions nous imposer chaque jour la petite tâche d' observer avec
soin une chose quelconque, nous la figurant en esprit dans tous ses
détails, maintenant notre esprit fixé sur elle pendant un certain
temps, de même que l' oeil physique peut se fixer sur un objet. Le
jour suivant, nous évoquerions l' image, la reproduirions aussi exactement que possible et la comparerions
ensuite à l' objet, en observant nos inexactitudes. Si nous consacrions cinq minutes par
jour à cet exercice, tour à tour observant un objet et nous le
figurant en notre mental, évoquant l' image telle qu' elle était le jour
précédent et la comparant à l' objet, nous pourrions "améliorer notre
mémoire" très rapidement, et nous améliorerons à coup sûr notre
faculté d' observation, d' attention, d' imagination, de concentration; en somme, nous.
façonnerions le corps mental et le rendrions apte, bien plus rapidement que ne le
fait la nature quand on ne l' aide pas, à remplir ses fonctions avec succès et utilité. Nul ne se soumet à un exercice comme celui-ci sans en ressentir les effets; et celui qui essaie
a bientôt la satisfaction de savoir que ses facultés mentales
ont progressé et sont bien mieux soumises au contrôle de la
volonté.
Les procédés
artificiels en vue d' améliorer la mémoire présentent
les choses à l' esprit sous une forme attrayante ou associent à cette
forme les choses qui doivent être remémorées. Une personne qui
visualise [ C' est-à-dire qui imagine, en donnant à ce mot son sens étymologique. (Note de l' éditeur) ] aisément aide sa mauvaise mémoire en
construisant un tableau et associe à certains points de ce tableau les
choses dont elle désire se souvenir; l' évocation du tableau ramène ainsi les choses qu' il s' agissait de se rappeler. D' autres personnes, chez
qui l' ouïe prédomine, se souviennent, grâce à la sonorité des
rimes et enchâssent, par exemple, une série de dates ou autres faits
peu attrayants, en des vers qui "se gravent dans l' esprit". Mais la
méthode rationnelle, exposée plus haut en détail, est bien
supérieure à tous ces moyens; par son usage le corps mental est
mieux façonné et devient plus cohérent dans ses matériaux.
Retournons à notre Moi connaissant qui n' est pas encore
développé.
Lorsque
la mémoire commence à fonctionner, la prévision la
suit bien vite, car la prévision n' est autre chose que la mémoire
portée en avant. Quand celle-ci nous fournit la reproduction d' un
plaisir éprouvé jadis, le désir cherche à saisir de nouveau l' objet
qui a procuré le plaisir, et lorsqu' on se représente cette
reproduction comme résultant de la découverte de l' objet dans le
monde extérieur et du plaisir qui s' ensuivra, c' est alors qu' on a
affaire à la prévision.
Le sujet connaissant s' arrête à considérer l' image de l' objet et celle du plaisir dans leurs relations l' une avec
l' autre; s' il ajoute à cette contemplation le facteur du temps, du passé et
de l' avenir, elle
peut prendre deux noms: avec l' idée du passé, cette contemplation
est la mémoire, avec l' idée de l' avenir, c' est la prévision.
A mesure que nous étudions ces images nous comprenons
toute la portée de l' aphorisme de Patanjali d' après lequel, pour, la
pratique du Yoga, l' homme doit arrêter les "modifications du
principe pensant". Considéré du point de vue de la science occulte, tout contact avec le Non-Moi modifie
le corps mental. Une partie
de la substance dont est composé ce corps est réemployée comme
copie ou image de l' objet extérieur. Lorsque des relations
s' établissent entre ces images, nous avons la pensée, au point de
vue "forme". Parallèlement à cela, des vibrations se produisent
dans le sujet connaissant lui-même et ces modifications survenues
au-dedans de lui constituent la pensée, au point de vue "vie". Il ne
faut pas oublier que l' établissement de ces relations est l' oeuvre propre du
sujet connaissant, c' est ce qu' il ajoute aux images par une
addition
qui transforme celles-ci en pensées. Les images, dans le
corps mental ressemblent beaucoup par leur caractère aux
impressions produites sur une plaque sensible par les ondulations
de l' éther, venu d' au-delà du spectre lumineux et qui agissent chimiquement
sur les sels d' argent, modifient
la disposition de la
matière sur la plaque sensible, de sorte qu' il s' y forme des images des objets devant
lesquels cette plaque a été exposée. De même,
sur cette plaque sensible que nous nommons corps mental, les
matériaux sont modifiés dans leur disposition de manière à fournir
une image des objets avec lesquels le sujet s' est trouvé en contact.
Le sujet connaissant perçoit ces images par les vibrations qu' elles éveillent en lui, il les étudie et au bout d' un certain temps
commence à les organiser, à les modifier par les vibrations qu' à son
tour il émet vers elles. En vertu de la loi dont il a déjà été parlé,
cette énergie suit la ligne de moindre résistance; le sujet
connaissant façonne et refaçonne les mêmes images, il crée des
images d' images; tant qu' il se borne à cette simple reproduction, avec l' addition du temps, comme seul facteur, nous
avons, ainsi
qu' il a déjà été dit, la mémoire et la prévision.
La pensée concrète n' est, après tout, que la répétition, dans une matière plus subtile, des expériences quotidiennes, avec cette différence que le sujet connaissant peut en arrêter et en changer la suite, les répéter, en accélérer ou en ralentir le défilé, à sa guise. Il peut s' attarder à une image quelconque, méditer sur elle, s' y arrêter et il retrouvera ainsi, en réexaminant à loisir ses expériences passées, bien des choses qui lui avaient échappé au cours de ces expériences, lié qu' il était à la roue du temps qui tourne sans hâte comme sans trêve. Dans son propre domaine il peut, selon son désir, faire que le temps s' écoule plus ou moins vite, ainsi que le fait le Logos pour ses mondes; mais il ne peut échapper à la succession qui est l' essence même du temps, aussi longtemps qu' il n' a pas atteint la conscience du Logos, en se libérant des entraves de la matière; et même alors il ne le peut qu'en ce qui touche au système dont il fait partie.
La première condition requise pour penser d' une façon convenable, c' est une attentive et exacte observation. Le Moi, en tant que
sujet connaissant, doit observer le Non-Moi avec attention et exactitude
puisque celui-ci doit devenir le connu et se fondre
ainsi dans le Moi.
La
seconde condition requise, c' est la réceptivité et la ténacité du corps mental, le pouvoir de céder rapidement aux impressions et
de les retenir après qu' elles se soient produites.
C'
est en proportion de l' attention et de l' exactitude d' observation du sujet connaissant – de la réceptivité et de la
ténacité de son corps mental – que son évolution sera plus rapide,
que ses facultés latentes deviendront plus vite des puissances
actives.
Si
le sujet connaissant n' a pas exactement observé l' image
mentale ou si le corps mental, non développé, a été insensible à toutes les vibrations d' un objet extérieur, sauf aux plus fortes, s' il a été par suite modifié de manière à ne fournir qu 'une reproduction
imparfaite, les matériaux de la pensée sont inexacts et erronés. Le
contour général est seul obtenu tout d' abord, les détails étant
obscurcis ou même omis. A mesure que nous développons nos
facultés et que nous édifions notre corps mental à l' aide d' une
substance plus fine, nous constatons que le même objet extérieur
nous fournit beaucoup plus qu' au temps où notre développement
n' était pas effectué. Nous trouvons ainsi beaucoup plus de choses dans un objet que nous n' en trouvions
auparavant.
Supposons
deux hommes au milieu d' un champ, en présence d' un splendide coucher de soleil. Supposons que l' un d' eux soit un laboureur
dont les facultés ne sont aucunement développées, qui n' a pas l' habitude d' observer la nature, si ce n' est au point de
vue des récoltes, qui n' a regardé le ciel que pour voir s' il annonçait la pluie ou le beau temps, ne se souciant en rien de son aspect, si ce n'
est en tant qu' il est favorable aux moyens de subsistance et au genre de
vie
du laboureur. Supposons que le second soit un artiste, un peintre de talent,
rempli d' amour pour la beauté, exercé à voir et à goûter chaque nuance de couleur, chaque jeu de lumière. Chez le
laboureur, les corps physique, astral et mental – sont tous trois en présence de ce splendide coucher de soleil, et toutes les vibrations ainsi produites
agissent sur les véhicules de la conscience du
spectateur; celui-ci aperçoit au ciel différentes couleurs, il
remarque qu' il y a beaucoup de rouge, présage d' une belle journée
pour le lendemain, ce qui est, suivant les cas, bon ou mauvais pour
les récoltes. C' est tout ce que notre laboureur retire du spectacle. Chez le peintre,
les corps physique, astral et mental sont tous trois
exposés exactement aux même vibrations, mais combien le résultat
diffère ! La fine substance des corps de ce peintre reproduit un million de vibrations,
trop rapides et trop subtiles pour ébranler la
grossière étoffe de l' autre. En conséquence, notre peintre aura du
coucher de soleil une image absolument différente de celle qu'en a
le laboureur. Les teintes délicates de la couleur, une nuance se fondant dans une autre, un bleu et un rose
transparents, le vert le
plus pâle éclairé de rayons dorés et tacheté d' une pourpre royale;
tout cela est goûté par le spectateur artiste avec une joie à laquelle
il s' attarde, dans une extase de ravissement sensuel; toutes les émotions délicates sont éveillées, l' amour et l' admiration se
changent insensiblement en vénération et en joie de ce qu 'une telle
beauté soit; des idées naissent, fécondes en inspiration, à mesure que le corps mental se modifie sous l' action des vibrations éprouvées sur le plan mental et produites par l' aspect mental du soleil couchant. La
différence des images n' est pas due à une cause
externe, mais à une réceptivité interne. Elle ne vient pas du dehors,
mais de l' aptitude à répondre du dedans. Elle ne réside pas dans le
Non-Moi, mais dans le Moi et dans ses enveloppes. Le résultat
produit est conforme à cette différence: combien pauvre dans l' un
des cas, combien riche dans l' autre !
Nous
voyons ici avec une force saisissante la portée de
l' évolution du sujet connaissant. Un univers de beauté peut nous
envelopper, ses émanations peuvent agir sur nous de toutes parts,
et cependant il peut être pour nous non-existant. Tout ce qui est contenu dans le mental du Logos de
notre système agit actuellement sur nous et sur notre corps. Ce que nous en pouvons recevoir
marque le stade de notre évolution. Ce qui est nécessaire à notre développement opère en nous. Toutes choses nous sont déjà données, mais il, nous reste à développer la capacité d' utilisation.
Il ressort de ce que nous venons de dire qu' un des éléments de
la pensée claire est l' observation exacte. Nous devons commencer à nous y appliquer dès le plan physique, où nos corps sont en contact
avec le Non-Moi. Nous franchissons les échelons en montant, et
toute évolution commence sur le plan inférieur pour passer au plan
supérieur; sur le premier, nous prenons d' abord contact avec le
monde extérieur et de là, les vibrations montent – ou se dirigent
vers le dedans – éveillant les puissances intérieures.
L' observation exacte est donc une faculté qu' il faut cultiver
d' une manière précise. La plupart des gens traversent le monde, les
yeux à demi-fermés, et nous pouvons tous vérifier cela sur nous-mêmes en nous interrogeant sur ce que nous avons remarqué en
passant le long d' une rue. Nous pouvons nous demander "Qu' ai-je remarqué en descendant cette rue ?" Un grand nombre de
personnes n' auront à peu près rien observé, aucune image claire ne
se sera formée dans leur mental. D' autres auront observé une faible
quantité de choses; d' autres en auront observé beaucoup. Houdin [ Probablement Robert-Houdin, le célèbre prestidigitateur. (Note de l' éditeur.) ] raconte
qu' il avait habitué son fils à observer le contenu des boutiques devant lesquelles il passait, lorsqu' il traversait
les rues de
Londres – jusqu' a ce que l' enfant put lui énumérer tout le contenu
d' une devanture devant laquelle il avait passé sans s' arrêter, après
n'y avoir jeté qu' un simple regard. L' enfant normal et le sauvage sont tous deux observateurs,
et c' est leur capacité d' observation qui donne la mesure de leur intelligence. L' habitude de l' observation
claire et rapide constitue, chez l' homme moyen, la racine de la
pensée claire. Ceux chez qui l' on constate la plus grande confusion
dans la pensée sont, en général, ceux qui observent avec le moins
d' exactitude, – excepté le cas où l' intelligence est hautement
développée, mais dirigée vers le dedans et où les trois corps n' ont
pas été exercés de la manière dont nous avons parlé. La réponse à la question posée plus haut pourra être ceci: "Je pensais à autre
chose et c' est pourquoi je n' ai pas observé." Et cette réponse sera
bonne, si celui qui l'a fait pensait à quelque chose de plus important que l' exercice du corps mental et que la puissance
où atteint l' attention par une observation minutieuse. Dans ce cas, un homme peut
avoir eu raison dans son manque d' observation; mais
s' il n' a fait que rêver, laissant aller sa pensée à la dérive, sans but – il a alors gaspillé son temps bien plus que s' il avait dirigé ailleurs
son énergie.
Un
homme profondément plongé dans une pensée n' observera
pas les objets devant lesquels il passe, son regard sera tourné vers
le dedans et non vers le dehors, et il ne prêtera aucune attention à ce qui se produira sous ses yeux. Il se peut qu'en cette vie il ne s' agisse
pas pour lui de dresser ses trois corps à faire des
observations quasi-indépendantes, car l' individu hautement
développé et celui qui ne l' est que partiellement ont besoin
d' exercices différents.
Mais
combien de personnes, parmi celles qui n' observent pas,
sont réellement "plongées profondément dans une pensée" ? Pour la plupart, il ne s' agit que d' une nonchalante contemplation de la
moindre
pensée-image qui se présente, d' un maniement sans but du
contenu du mental, à la façon dont une femme désoeuvrée manie le
contenu de ses armoires à robes ou de sa boîte à bijoux. Ce n' est
pas là penser, car, nous l' avons vu, penser veut dire établir des relations, ajouter quelque chose qui n' existe pas encore. Dans l'
acte
de penser, l' attention du sujet connaissant est intentionnellement
dirigée sur les pensées-images et s' exerce activement sur elles.
Le
développement de l'habitude d'observer fait donc partie de
l'éducation du mental et ceux qui la pratiquent trouveront que le mental devient
plus clair, augmente en puissance et se laisse
gouverner plus aisément, de sorte qu'ils pourront le diriger vers
n'importe quel objet donné bien mieux qu'ils n'avaient pu le faire
auparavant. Dès lors cette puissance d'observation, une fois
définitivement établie, travaille par un procédé automatique, le corps mental et les autres enregistrent des images qui se retrouveront
avec profit plus tard, s'il en est besoin, sans réclamer à ce moment l'attention du sujet. Il n'est, alors, plus nécessaire que
l'attention de la personne soit dirigée sur les objets présentés aux organes des sens, pour qu'une impression de ces objets se produise et se
conserve. Un exemple banal, mais significatif m'est fourni par
ma propre expérience. Pendant un voyage en Amérique, la
question fut un jour soulevé de savoir quel numéro portait la
locomotive d'un train que nous avions pris. Mon mental me
présenta immédiatement ce numéro, mais ce n'était là, en rien, un
cas de clairvoyance. S'il s'était agi de perception clairvoyante, il eût été nécessaire de chercher à voir le train et son numéro astralement. Sans aucun acte conscient de ma part, mes organes des sens et
mon
mental avaient observé et enregistré le numéro lorsque le train était
arrivé à la station, et lorsqu'il avait été nécessaire de retrouver ce
numéro, l'image mentale du train arrivant, avec un numéro sur le
devant de la machine, avait surgi tout à coup. Cette faculté, une
fois acquise, est des plus utiles, car grâce à elle certaines choses
qui se sont passées autour de nous sans avoir attiré notre attention,
peuvent néanmoins être retrouvées par nous, si nous examinons les
traces qu'en ont enregistrés, pour leur propre compte, nos corps
mental, astral et physique.
Cette
activité automatique du corps mental, distincte de
l'activité consciente du Jîva, a chez nous tous une extension beaucoup plus grande qu'on ne pourrait le
supposer, car on a
constaté que lorsqu'une personne est hypnotisée, elle raconte un
certain nombre de petits événements qui s'étaient produits sans éveiller son attention. Ces impressions gagnent le corps mental à travers le cerveau et s'inscrivent sur celui-ci aussi bien que celui-là. De nombreuses impressions gagnent ainsi le corps mental, qui ne sont pas assez
profondes pour pénétrer dans la conscience, non pas
que celle-ci puisse les connaître, mais parce qu'à l'état normal elle
n'est pas assez en éveil pour retenir autre chose que les impressions
très profondes. Dans l'hypnose, le délire ou les rêves, lorsque le
Jîva s'est retiré, le cerveau dégage ces impressions qui, d'ordinaire,
sont dominées par celles, beaucoup plus fortes, que reçoit et que
produit le Jîva; mais si le mental est habitué à observer et à enregistrer, le Jîva peut lui faire reproduire à volonté les
impressions produites de la sorte. A
Ainsi,
si deux personnes, l'une entraînée et l'autre non-entraînée à l'observation, descendent une rue, toutes deux recevront un certain nombre d'impressions,
et il se pourra qu'aucune n'en ait alors conscience; mais plus tard la personne
habituée à observer
sera en état de retrouver ces impressions, tandis que l'autre ne le pourra pas. Comme
cette faculté fait la base de la pensée claire,
ceux qui désirent cultiver et diriger le pouvoir de la pensée, feront
bien de développer en eux l'habitude d'observer et renonceront au plaisir de se laisser
nonchalamment entraîner partout où le courant
de l'imagination peut les conduire.
A mesure que les images s'accumulent, la tâche du sujet connaissant se complique, et par l'action qu'il exerce sur elles,
il
met en oeuvre, l'une après l'autre, chacune des facultés inhérentes à sa nature divine. Il se refuse à n'accepter le monde extérieur que
dans ses simples relations avec lui-même, en tant que contenant des objets qui sont pour lui une cause de plaisir ou
de peine; mais, au
contraire, le sujet dispose l'une à côté de l'autre les images
représentant ces objets, il les étudie sous leurs aspects divers, les
transforme entièrement et les considère à nouveau. Il commence
aussi à classer ses propres observations. Lorsqu'une image en évoque une autre, il note l'ordre de leur succession. Lorsque la seconde a suivi
la première un grand nombre de fois, il commence à s'attendre à la seconde lorsque apparaît la première et relie ainsi
l'une à l'autre. C'est là son premier essai de raisonnement et là encore nous sommes en présence d'un appel fait à une faculté inhérente. Il fait ce raisonnement que, puisque A et B sont
toujours
apparus successivement, il s'ensuit que A apparaissant, B également apparaîtra. Cette anticipation étant sans cesse vérifiée, le
sujet en vient à rattacher les deux événements l'un à l'autre, en tant
que "cause" et "effet", et un grand nombre de ses premières erreurs
sont dues à ce qu'il établit trop vite cette relation causale. Ensuite,
plaçant les images côte à côte, il observe leurs ressemblances et
leurs dissemblances et il développe sa faculté de comparer. Il choisit l'une ou l'autre parce qu'elle lui procure du plaisir,
et pour la
chercher dans le monde extérieur, il met son corps en mouvement,
développant son jugement par ces sélections et leurs conséquences.
Il forme ainsi en lui le sentiment de la proportion par rapport à la
ressemblance et à la différence, et il groupe les objets ensemble
d'après leur ressemblance dominante, les séparant des autres en
raison de leur différence principale; ici encore, le sujet commet
bien des erreurs – qu'il corrigera par des observations ultérieures – étant aisément trompé,
tout d'abord, par des similitudes
superficielles.
Ainsi
l'observation, le discernement, la raison, la comparaison, le jugement se forment
l'un après l'autre, et ces facultés grandissent par l'exercice; de la sorte, l'aspect du Moi qui est celui de
sujet
connaissant, se développe par l'activité des pensées, par l'action et
la réaction sans cesse répétés du Moi sur le Non-Moi.
Pour hâter l'évolution de ces facultés, nous devons les exercer
consciemment et délibérément, nous servant des circonstances de la vie quotidienne comme d'occasions
pour les développer. De
même que nous avons vu la puissance d'observation susceptible
d'être développée dans la vie journalière, de même pouvons-nous
nous habituer à percevoir les points de ressemblance et de dissemblance des objets qui nous
entourent; nous pouvons comparer et juger, tout cela consciemment et de propos
délibéré.
Le pouvoir de la pensée se développe vite par cet exercice
volontaire, et devient une chose consciemment maniée et
définitivement acquise.
Cultiver le mental dans n'importe quelle direction particulière
c'est aussi l'exercer jusqu'à un certain point d'une façon générale,
car tout mode précis de culture influe sur l'organisation de la
matière mentale dont le corps mental est composé et éveille, en
même temps, quelques-unes des facultés du Sujet connaissant. La
qualité développée peut être dirigée vers n'importe quel but et
servira à quelque fin qu'on l'emploie. Un mental exercé pourra
s'appliquer à un sujet nouveau, il le maniera et s'en rendra maître,
alors que ce sera chose impossible à un mental non exercé: c'est là ce qui fait l'importance de l'éducation.
Cependant il ne faut jamais oublier que l'éducation du mental
ne consiste pas à le bourrer de faits, mais à dégager ses facultés
latentes. On ne développe pas le mental en le saturant des pensées
d'autrui, mais en exerçant ses propres facultés. On dit des grands
Maîtres qui sont à la tête de l'évolution humaine qu'ils connaissent tout ce qui existe sous le soleil. Cela ne
veut pas dire que tous les
faits qui s'y déroulent sont sans cesse présents à Leur conscience,
mais plutôt que ces Maîtres ont si bien développé en Eux l'aspect de la connaissance que lorsqu'Ils dirigent Leur attention dans
une
direction quelconque, Ils connaissent l'objet vers lequel Ils se sont
tournés. C'est là quelque chose de bien supérieur à l'emmagasinage
dans le mental d'un certain nombre de faits; de même que voir tous
les objets sur lesquels l'oeil peut se porter est quelque chose de bien
supérieur au fait d'être aveugle et de ne les connaître que par la
description d'autrui. Le développement du mental se mesure, non à la quantité d'images qu'il contient, mais au degré où atteint chez lui la connaissance, le pouvoir de reproduire au-dedans de lui
un objet
quelconque qui lui est présenté. Cette propriété sera aussi utile dans tout autre univers que dans celui-ci, et une fois acquise
elle
est le nôtre, où que nous puissions nous trouver.
Mais cette oeuvre d'éducation du mental peut être grandement
facilitée par le contact avec des êtres dont l'évolution est plus
avancée que la nôtre. Un morceau de fer posé à terre ne peut pas émettre de vibrations de chaleur; mais s'il est par hasard, placé près du feu, il pourra répondre
aux vibrations de chaleur du feu et, de la sorte, s'échauffer.
Lorsque nous sommes placés auprès d'un penseur vigoureux, ses vibrations agissent sur notre corps mental et produisent
en lui des vibrations correspondantes, de sorte que nous vibrons sympathiquement
avec lui. Momentanément, nous sentons que notre puissance mentale est accrue et que nous sommes
en état de
saisir des idées qui, d'ordinaire, nous échappent. Mais quand nous
nous retrouvons seuls, nous constatons que ces idées sont devenues
obscures et confuses.
Certaines
personnes écouteront une conférence, la suivront
intelligemment, comprenant fort bien, au moment même,
l'enseignement exposé. Ces personnes sortiront satisfaites, sentant
qu'elles ont réalisé un gain réel de connaissance. Le jour suivant,
désireuses de partager avec un ami ce qu'elles ont gagné, elles
seront très mortifiées de voir qu'elles ne peuvent pas ré-exposer les
idées qui semblaient si claires et si lumineuses. A maintes reprises
elles s'écrieront, impatientées: "Je suis sûr que je le sais; je l'ai là,
si seulement je pouvais le tenir !" Ce sentiment provient du
souvenir des vibrations éprouvées à la fois par le corps mental et
par le Jîva; ce qui subsiste, c'est la conscience d'avoir saisi les
idées, la mémoire des formes revêtues et le sentiment que, s'étant
produites, la reproduction en sera facile. Mais le jour précédent,
c'était les vibrations supérieures du penseur plus vigoureux qui
avaient imposé les formes prises par le corps mental; elles avaient été tracées du dehors, non du dedans. Le sentiment d'impuissance éprouvé lors de la tentative faite pour les reproduire, indique qu'elles doivent subir
plusieurs fois ce modelage, avant d'avoir la force suffisante pour se reproduire
par des vibrations émises du
dedans. Le Sujet connaissant doit avoir vibré plusieurs fois selon
ce mode supérieur, avant de pouvoir reproduire ces vibrations à volonté. En vertu de la nature propre qui lui est inhérente, il peut
développer en lui la faculté de les reproduire, après avoir été amené, à diverses reprises, à répondre au contact extérieur. Le
pouvoir est le même chez les deux Sujets connaissants, mais il a été développé par l'un, tandis qu'il est resté latent chez l'autre. Ce
pouvoir est tiré de l'état latent par le contact d'un pouvoir analogue
déjà en activité, si bien que le plus fort hâte l'évolution du plus
faible.
C'est
en cela que consiste l'un des avantages du contact avec des personnes plus avancées que nous. Nous profitons à leur
contact et nous progressons sous leur influence stimulante. Un
véritable Instructeur aidera, par conséquent, beaucoup plus ses
disciples en les ayant toujours auprès de lui qu'en leur adressant
n'importe quelles paroles.
Pour cette influence, le contact personnel immédiat constitue
le moyen le plus effectif. Mais à défaut ou en plus de cela, on peut obtenir beaucoup aussi par les livres, s'ils
sont sagement choisis.
En lisant l'oeuvre d'un écrivain vraiment grand, nous devrions nous
efforcer de nous mettre momentanément dans une disposition
négative ou réceptive, de manière à recueillir le plus possible de
ses vibrations-pensées. Après avoir lu les phrases, nous devrions
nous y arrêter, en peser le sens, nous efforcer d'atteindre et de
sentir l'idée qu'elles n'expriment que partiellement, en dégager les
affinités secrètes. Notre attention devrait être concentrée de
manière à pénétrer la pensée de l'auteur à travers le voile de ses
paroles. Lire ainsi sert à notre éducation et accélère notre évolution
mentale. Une lecture faite avec moins de zèle pourra nous servir
d'agréable passe-temps, meubler notre esprit de faits importants et
nous être ainsi, d'une manière indirecte, profitable. Mais une lecture, dans les conditions que nous avons
dites, stimule notre évolution et ne devrait pas être négligée par ceux qui cherchent à progresser afin de pouvoir servir au progrès
d'autrui.
Peu de choses éprouvent autant que la concentration les
facultés de l'étudiant qui commence l'éducation de son mental. Aux
premiers stades de l'activité du mental, le progrès dépend de la
rapidité de la concentration, de sa promptitude à recevoir le choc
des sensations l'une après l'autre, c'est-à-dire à diriger vivement
l'attention de l'une à l'autre. A ce stade, la mobilité est une qualité des plus précieuses, et l'attention constamment tournée vers le
dehors est une condition de progrès. Tant que le mental rassemble
des matériaux pour la pensée, l'extrême mobilité est un avantage, et
au cours d'existences très, très nombreuses, le mental se développe
par cette mobilité et l'accroît encore par l'exercice. L'arrêt brusque
de cette habitude de s'extérioriser dans toutes les directions;
l'obligation, imposée à l'attention, de se fixer sur un seul point,
sont un changement qui amène naturellement une lutte, un choc, et
le mental s'élance, impétueux, comme un cheval non dressé qui
sent le mors pour la première fois.
Nous
avons vu que le corps mental figurait les images des objets vers lesquels l'attention
se dirigeait. Patanjali parle d'arrêter
les modifications du principe pensant, c'est-à-dire d'arrêter ces
reproductions toujours changeantes du monde extérieur. Arrêter les
modifications toujours changeantes du corps mental et le maintenir
modelé sur une même image fixe: c'est là la concentration en ce
qui concerne la forme; diriger obstinément l'attention vers cette
forme, de façon à la reproduire parfaitement en soi c'est là la
concentration, en ce qui concerne le Sujet connaissant.
Dans
la concentration, la conscience est maintenue sur une seule image; l'attention tout
entière du Sujet connaissant est fixée
sur un seul point, sans osciller ni chanceler. Le mental – qui
s'élance sans cesse d'une chose à une autre, attiré par les objets
extérieurs et les figurant l'un après l'autre dans une succession
rapide – est réprimé, contenu et forcé par la volonté de s'arrêter sur
une seule forme, de ne figurer qu'une seule image, en négligeant
toute autre impression venant le solliciter.
Or,
lorsque le mental est ainsi maintenu dans la reproduction d'une image unique, que
le Sujet connaissant contemple
obstinément, celui-ci obtient, de l'objet, une connaissance bien plus
complète qu'il ne pourrait le faire au moyen de n'importe quelle description verbale.
L'idée que nous nous faisons d'un tableau, d'un paysage, est bien plus exacte lorsque
nous avons vu la chose, que lorsque nous en avons simplement lu ou entendu la
description. Et
si nous nous concentrons sur cette description, la scène est figurée
dans le corps mental et nous en obtenons une connaissance bien
plus complète que nous ne l'aurions eue par la simple lecture. Les mots sont les symboles
des choses, et la concentration sur le
contour général d'une chose, dessiné par un mot qui la décrit,
complète les détails l'un après l'autre, car la conscience est mise
plus étroitement en contact avec l'objet décrit.
On
ne devra pas oublier que la concentration n'est pas un état
passif, mais au contraire un état d'activité intense et réglée. C'est
une condition qui, dans le monde mental, ressemble dans le monde
physique à la contraction des muscles au moment d'un saut ou à leur tension en vue d'affronter un effort prolongé. De fait, cette
tension se manifeste toujours, chez les commençants, par une tension physique correspondante, et la fatigue physique suit l'exercice
de la concentration – fatigue des muscles et non pas
seulement du système nerveux. De même que si nous fixons
obstinément notre oeil sur un objet, il nous devient possible d'en
distinguer les détails qui auraient échappé à un coup d'oeil rapide;
de même que la concentration nous permet d'observer les détails
d'une idée. Et à mesure que nous augmentons l'intensité de cette
concentration, nous relevons plus de choses pendant la même
durée, de même qu'un individu, en courant, voit défiler plus
d'objets que s'il marchait. Le marcheur dépensera exactement la
même somme d'énergie musculaire pour passer devant vingt objets
que celui qui court, mais l'émission plus rapide d'énergie
correspond au minimum de temps employé.
Au
début de la concentration, deux difficultés sont à surmonter. Tout d'abord il s'agit de repousser les impressions qui viennent
sans cesse solliciter le mental. Il faut empêcher le corps
mental de réagir à ces contacts et il faut surmonter la tendance à répondre aux impressions du dehors; mais ceci nécessite que
l'attention soit en partie dirigée vers la résistance elle-même, et
lorsque la tendance à répondre a été vaincue, la résistance elle-même doit cesser; un équilibre parfait est nécessaire: ni résistance
ni absence de résistance, mais une ferme quiétude, assez forte pour
que les ondes venues du dehors ne produisent aucun résultat, pas
même celui, très secondaire, d'amener la conscience de quelque
chose à quoi il faut résister.
En
second lieu, le mental lui-même doit maintenir
momentanément l'image de l'objet de la concentration; il doit non seulement refuser de
se modifier en réponse aux chocs venus du
dehors, mais il doit, en outre, suspendre son activité propre
appliquée constamment à réorganiser le contenu du mental, à l'examiner, à établir de nouveaux rapports, à découvrir des
ressemblances et des différences cachées.
Le
mental doit maintenant limiter son attention à un seul objet,
se fixer sur lui. Il ne suspend pas, bien entendu, son activité, mais il
la dirige tout entière le long d'un seul canal. Lorsque l'eau coule sur
une surface très étendue en comparaison de son volume, elle n'a qu'une faible force motrice. La
même quantité d'eau dirigée le long
d'un canal étroit, avec la même impulsion initiale, renversera un
obstacle. De là la valeur de "l'unique direction", sur laquelle les
maîtres de la méditation insistent sans cesse. Sans ajouter à la force
du mental, sa force effective s'en trouve immensément accrue. La
vapeur qu'on laisse se répandre dans l'air ne détourne pas un
moucheron de sa route, mais dirigée dans un cylindre, la même
vapeur ferait mouvoir un piston. Imposer cette tranquillité intérieure est chose encore plus difficile que de soustraire
le mental
aux chocs extérieurs, car cet exercice intéresse sa vie la plus
profonde et la plus pleine. S'isoler du monde extérieur est chose
plus aisée que d'établir la paix intérieure, car ce monde intérieur est
plus étroitement identifié au Moi et, de fait, chez la plupart des
gens, au stade actuel de l'évolution, c'est lui qui représente le "Moi". Cependant, la simple tentative en vue de pacifier le mental
réalise bientôt un pas en avant dans l'évolution de la conscience, car nous sentons bien vite que le gouverneur et le
gouverné ne peuvent pas ne faire qu'un, et instinctivement nous nous identifions avec
le gouverneur: "Je pacifie mon mental", telle est l'expression de la conscience, et l'on sent que le mental appartient
au "Moi ",
qu'il est une possession de ce "Moi".
Cette
distinction s'accentue inconsciemment et l'étudiant se
sent devenir conscient d'une dualité, de quelque chose qui contrôle
et de quelque chose qui est contrôlé. Le mental inférieur, concret,
est séparé de l'autre, le "Moi" est perçu comme ayant une puissance
plus grande, une vision plus claire, et il naît le sentiment que ce
Moi " ne dépend ni du corps, ni du mental. C'est la première constatation ou sentiment, dans la
conscience, de la véritable nature immortelle, déjà reconnue
intellectuellement; cette reconnaissance ayant, en fait, poussé à la concentration, qui se trouve ainsi récompensée. A mesure que
l'exercice se continue, l'horizon s'élargit, mais toujours vers le dedans, non vers le dehors, mais continuellement
et indéfiniment
vers l'intérieur. La faculté de reconnaître à première vue la vérité se
développe, mais elle ne se manifeste que lorsque le mental, avec
ses lents procédés de raisonnement, est dépassé. [Le lecteur ne doit
pas oublier que le "mental" est toujours employé ici, dans le sens
du "mental inférieur", le corps mental joint à Manas.] Car "je" est
l'expression du Moi dont la nature est de connaître et à quelque
moment qu'il se trouve en contact avec une vérité, il en reconnaît les vibrations exactes, qui sont ainsi susceptibles de produire en lui une
image cohérente, tandis que les vibrations inexactes
engendrent une image déformée mal proportionnée, qui révèle sa
nature par son apparition même. A mesure que le mental prend une
position plus subordonnée, cette puissance de l'Ego affirme sa
prédominance, et l'intuition – analogue à la vision directe du plan
physique – prend la place du raisonnement que l'on pourrait comparer au sens du toucher
sur le plan physique. De fait,
l'analogie est plus grande qu'elle pourrait paraître au premier abord.
Car l'intuition se développe et procède du raisonnement, qu'elle
prolonge de la même manière ininterrompue et sans changement
essentiel de nature, tout comme l'oeil se développe et procède du
toucher. Il y a, certes, une grande différence de processus; mais
cela ne doit pas nous rendre aveugles à l'ordre régulier de
l'évolution. L'intuition de l'être intelligent est l'impulsion, née du
désir; elle est inférieure, et non pas supérieure au raisonnement.
Quand le mental est bien exercé à se concentrer sur un objet et
qu'il sait conserver son unité de direction pendant un certain temps,
le stade suivant consiste à se détacher de l'objet et à maintenir le
mental dans cette attitude d'attention fixe, sans que l'attention soif
dirigée sur rien. Dans cette condition, le corps mental ne présente
aucune image; ses matériaux sont là, maintenus fermement et solidement, sans recevoir d'impressions, dans un calme
parfait,
semblable à un lac sans ride. C'est là un état qui ne saurait durer
au-delà d'un temps très court, de même que "l'état critique" des
chimistes, le point de contact entre deux sous-états de matière
reconnus et définis. Autrement dit, lorsque le corps – mental est
pacifié, la conscience s'en échappe pour atteindre et dépasser "le
centre laya", point neutre de contact entre le corps mental et le corps causal; le passage
est accompagné d'un évanouissement
momentané ou perte de conscience – résultat inévitable de la
disparition des objets susceptibles d'être appréhendés par elle – suivie d'un état de conscience d'un ordre plus élevé. La disparition
des objets de conscience appartenant aux mondes inférieurs est
ainsi suivie par l'apparition d'objets de conscience d'un ordre plus élevé. L'Ego peut alors façonner le corps mental conformément à ses propres pensées, désormais élevées, et le pénétrer de ses
propres vibrations. Il peut façonner ce corps d'après les hautes
visions des plans situés au-delà du sien propre et dont il a entrevu
l'éclat dans les instants où il s'est lui-même élevé plus haut: de la
sorte il peut faire descendre et répandre nu dehors des idées
auxquelles, sans cela, le corps mental serait incapable de répondre.
Telles sont les inspirations du génie, qui se fondent sur le mental
qu'elles illuminent d'une éblouissante lumière et qui éclairent un
monde. L'homme qui les communique au monde pourrait à peine
dire lui-même, lorsqu'il est dans son état mental ordinaire, comment elles lui sont venues; il sait seulement que par
quelque étrange manière,
...la puissance qui vibre au-dedans de
mon être,
c'est elle qui vit sur ma lèvre et fait signe avec ma main.
Dans le monde des formes, toute forme occupe un lieu défini
et on ne peut pas dire qu'elle soit – s'il m'est permis de m'exprimer
ainsi – en un lieu où elle n'est pas. C'est-à-dire qu'occupant une
certaine position elle est plus rapprochée ou plus éloignée d'autres
formes qui occupent, elles aussi, certaines positions par rapport à la
première. Si elle avait à changer de place, il lui faudrait traverser
l'espace intermédiaire: la traversée pourrait se faire vivement ou
lentement, elle pourrait être rapide comme l'éclair ou progresser
aussi paresseusement que la tortue: d'une manière ou d'une autre il
faudrait qu'elle se fît et elle demanderait un certain temps, que ce
soit peu ou beaucoup.
Mais
quand il s'agit de la conscience l'espace n'existe pas en ce sens. La conscience
change d'état, non de lieu, elle embrasse plus
ou moins, connaît ou ignore ce qui n'est pas dans la mesure elle-même, où elle peut ou ne peut pas, répondre aux vibrations de ces
non-moi. Son horizon s'élargit avec sa réceptivité, c'est-à-dire avec
sa faculté de répondre aux vibrations et de les reproduire. En cela il n'est pas question de
se déplacer, de traverser des espaces
intermédiaires. L'espace appartient aux formes, qui s'affectent d'autant plus l'une l'autre
qu'elles
sont plus rapprochées l'une de
l'autre, et leur action réciproque diminue à mesure que croît la
distance de l'une à l'autre.
Tous
les débutants qui ont réussi à atteindre la concentration
ont découvert à nouveau, pour leur propre compte, cette non-existence de l'espace par rapport à la conscience. Un Adepte peut
atteindre à la connaissance de n'importe quel objet contenu dans Ses limites propres en
concentrant sur lui Son attention, et la
distance n'affecte en aucune manière cette concentration. L'Adepte
devient conscient d'un objet, situé par exemple sur une autre
planète, non pas parce que sa vision astrale agit à la manière d'un
télescope, mais parce que, dans la région interne, l'univers tout
entier existe représenté par un point; un homme comme l'Adepte
atteint le coeur même de la vie et il y voit toutes choses.
Il est écrit dans les Upanishads, qu'à l'intérieur du coeur il
existe une petite chambre, au-dedans de laquelle se trouve "l' éther
intérieur" coextensif de l'espace: c'est l'Atma, le Moi, qui est immortel, sur lequel
la douleur n'a pas de prise:
"A l'intérieur de ce domaine résident le ciel et l'univers; à l'intérieur de ce domaine se trouvent le feu et l'air, le soleil et la lune, la foudre et les étoiles, tout ce qui est et tout ce qui n'est pas en lui (dans l'univers)" [Chândogyopanishad VIII, 1-3. ],
Nous
nous sentons "ici", parce que nous recevons des impressions des objets qui nous entourent. De la
sorte, lorsque la
conscience vibre en réponse à des objets "éloignés" aussi fortement
que s'il s'agissait d'objets "proches" nous nous sentons auprès de
ceux-là Si la conscience répond à un événement qui a lieu sur la
planète Mars, aussi distinctement qu'à un événement qui se passe
dans notre chambre, il n'y aura pas de différence dans la
connaissance qu'elle aura de l'un et de l'autre, et elle se sentira "ici" aussi bien dans un cas que dans l'autre. Il ne s'agit pas d'une question de
lieu, mais d'une question d'évolution de capacité. Le
Sujet connaissant est présent partout où sa conscience peut
répondre, et tout progrès de son aptitude à répondre dénote l'accès,
dans sa conscience, de tout ce à quoi il répond, de tout ce que
comporte son mode spécial de vibration.
Ici encore l'analogie d'ordre physique nous servira. L'oeil voit tout ce qui
est capable de lui transmettre des vibrations lumineuses et rien d'autre. Il
ne peut répondre que selon un certain mode de vibrations; tout ce qui est en dehors de
ce monde, au-delà ou en
deçà, demeure dans l'obscurité pour l'oeil. Le vieil axiome
hermétique: "En bas comme en haut" est pour nous un fil dans le
labyrinthe qui nous entoure, et en étudiant le reflet produit en bas, nous apprenons souvent quelque chose de l'objet
qui, en haut,
cause ce reflet.
L'une des différences entre cette faculté d'être conscient en
n'importe quel lieu et celle de "s'élever" aux plans supérieurs,
consiste en ce que dans le premier cas le Jîva, enfermé ou non dans
ses véhicules inférieurs, se sent immédiatement en présence des
objets "éloignés", tandis que dans le second cas, enveloppé par le corps mental et astral ou seulement par le corps mental, il passe rapidement
d'un point à un autre et prend conscience de cette
translation. Une autre différence, bien plus importante, c'est que
dans le second cas, le Jîva peut, se trouver au milieu d'une foule d'objets auxquels il ne comprend rien
du tout, monde surprenant et
nouveau où il se sent étranger et déconcerté, tandis que dans le
premier cas il comprend tout ce qu'il voit, et connaît, en toute
circonstance, la vie aussi bien que la, forme. Ainsi étudiée, la
lumière du Moi Unique rayonné à travers tout et l'on jouit d'une
connaissance sereine, que l'on ne saurait acquérir en séjournant,
fût-ce un nombre incalculable d'années, au milieu de la confusion
des formes.
La concentration est le moyen par lequel le Jîva échappe à l'esclavage des formes et entre dans le séjour de la paix. "Pour celui
qui n'a pas la concentration, la paix n'existe pas", dit le Maître [Bhagavad Gîta, II, 66 ], car la paix fait son nid sur un rocher qui domine de haut les eaux
agitées de la forme.
Après avoir compris la théorie de la concentration, l'étudiant
doit passer à la pratique.
S'il est d'un tempérament dévotionnel, sa tâche sera bien
simplifiée, car il pourra faire alors de l'objet de sa dévotion, celui
de sa contemplation, et son coeur étant fortement attiré vers cet
objet, son esprit s'y arrêtera volontiers, sans effort, et lui présentera
l'image aimée, tandis que les autres seront exclues avec la même
facilité. Car le mental est sans cesse entraîné par le désir et pourvoit constamment au plaisir. Ce qui procure des plaisirs est toujours
recherché par le mental et il s'efforce toujours de
maintenir présentes les images qui donnent du plaisir et d'exclure celles qui sont pour lui
des sources de peine. C'est pourquoi il
s'arrêtera sur une image agréable, fixé dans cette contemplation par
le plaisir qu'il y prend: si on l'arrache de force à cette
contemplation, il y reviendra sans cesse. Un dévot peut ainsi
atteindre très promptement un degré considérable de
contemplation, il pensera à l'objet de sa dévotion, créera dans son imagination une figure, une image aussi claire que possible de cet
objet, et maintiendra son esprit fixé sur l'image, sur la pensée de
l'objet aimé. C'est ainsi qu'un Chrétien pensera au Christ, à la
Vierge Mère, à son Saint-Patron, à son Ange Gardien; c'est ainsi
encore qu'un Hindou pensera à Maheshvara, à Vishnou, à Umâ, à Shrî Krishna; un Bouddhiste, pensera de même à Bouddha,
au
Bodhisattva [Bodhisattva (mot sanscrit); ce terme désigne, en particulier pour les Hindous, une succession de grands Êtres qui remplissent
des fonctions élevées dans la hiérarchie de l'Univers. (Note de l'éditeur.) ]; un Parsi, à Ahura-Mazda, à Mithra et ainsi de suite. Chacun de ces objets fait
appel à la dévotion du fidèle et l'attraction exercée sur le coeur
attache le mental à l'objet, source de plaisir. De la sorte, le mental se concentre avec le moindre
effort, la moindre perte d'énergie.
Lorsqu'on
n'a pas affaire à un tempérament dévotionnel, le facteur de l'attraction peut encore fournir un secours utile, mais
en
ce cas il rattache l'esprit à une idée, non à une personne. Les
premiers essais de concentration devraient toujours être tentés par
ce moyen. Chez les natures qui ne sont pas dévotionnelles, l'image
qui exercera l'attraction revêtira la forme de quelque idée profonde,
de quelque problème élevé; c'est cela qui devrait constituer l'objet
de la concentration et c'est à cela que l'esprit devrait être sans cesse
appliqué. Ici le pouvoir qui détermine l'attraction est l'intérêt
intellectuel, le désir profond de savoir, l'une des passions les plus
fortes de l'humanité.
Une autre forme, de concentration très profitable à ceux qui ne
sont pas attirés vers une personnalité, objet de leur dévotion,
consiste à choisir une vertu et à concentrer l'esprit sur elle. Une
dévotion très réelle peut être éveillée par un objet de cette sorte, car
il fait appel au coeur à travers l'amour de la beauté intellectuelle et
morale. Dans le mental, la vertu devrait être représentée aussi
complètement que possible et après qu'il ait jeté un regard
d'ensemble sur ses effets, il devrait demeurer fixé sur sa nature essentielle. En outre, un grand avantage de cette sorte de concentration,
c'est qu'à mesure que le mental se forme à la vertu et
en reproduit les vibrations, cette vertu en vient graduellement à faire partie de la nature et s'incorpore solidement dans le caractère.
Cette formation du mental est vraiment un acte d'auto-création, car
au bout d'un certain temps, le mental revêt sans peine les formes auxquelles la concentration l'a contraint, et ces formes
deviennent
les organes de son expression habituelle. Il est très vrai, ainsi qu'on
l'a écrit jadis, que:
"L'homme est la création de la pensée; telles les choses auxquelles il applique son esprit dans cette vie, tel il devient par la suite" [Chandogyopanishad . III. XIV, I. ].
C'est
un exercice mental utile et instructif que celui qui consiste, lorsque le
mental a ainsi glissé inconsciemment loin de
son objet, à le ramener, en lui faisant suivre à rebours le chemin
même, qu'il a suivi dans ses écarts. Ce procédé accroît le contrôle
du cavalier sur son cheval échappé et diminue ainsi chez celui-ci la
tendance à fuir.
La
pensée suivie, bien qu'elle soit un premier pas vers la concentration, ne s'identifie
pas avec elle, car dans la pensée
suivie, le mental passe d'une suite d'images à l'autre et n'est pas
fixé sur une seule. Mais comme c'est chose bien plus aisée que la
concentration, le commençant pourra s'en servir pour s'élever à une
tâche plus difficile. Il est souvent d'un grand secours pour un dévot
de choisir une scène dans la vie du héros, objet de sa dévotion, et
de se figurer la scène nettement, avec tous ses détails, de la
replacer dans son cadre, au milieu du paysage et des couleurs à elle
propres. De la sorte, le mental est graduellement soutenu dans une
même direction, il peut être conduit jusqu'à la figure centrale de la
scène, et finalement être fixé sur cette figure, objet de sa dévotion.
Lorsque la scène se reproduit dans le mental, elle s'accompagne
d'un sentiment de réalité, et de cette façon il devient possible
d'entrer en contact magnétique avec la figuration de cette scène sur
un plan plus élevé – avec sa photographie permanente dans l'éther
cosmique – et d'en obtenir ainsi une connaissance beaucoup plus approfondie qu'aucune description
n'aurait pu en fournir. Par le
même moyen, le dévot pourra entrer en contact magnétique avec
l'objet de sa dévotion et contracter avec lui, par ce contact direct, des relations bien plus
intimes qu'il n'aurait été possible sans cela.
Car la conscience n'est pas renfermée dans les limites de l'espace
physique, mais elle est partout où existe un objet dont elle prend
conscience; nous avons expliqué cela antérieurement.
Cependant la concentration elle-même, il faut se le rappeler,
est autre chose que cet enchaînement de pensées et le mental doit, en fin de compte, se fixer sur l'objet unique et y rester
attaché sans raisonner, mais, pour ainsi dire, en aspirant, en absorbant le contenu
de cet objet.
Ceux qui commencent à pratiquer la concentration se plaignent
tous que l'effort même pour se concentrer aboutit à une plus grande
agitation du mental. Cela est vrai jusqu'à un certain point car la loi
de l'action et de la réaction opère ici comme ailleurs, et la pression
exercée sur le mental amène une réaction correspondante. Mais tout en admettant cela, nous constatons, en examinant
les choses de
plus près, que l'accroissement d'agitation est en grande partie illusoire. Le sentiment de cet accroissement
d'agitation est dû surtout à l'opposition qui s'élève tout à coup entre l'Ego qui veut la
stabilité et le mental dans sa condition normale de mobilité. L'Ego
pendant une longue série d'existences, a été entraîné par le mental dans tous ses mouvements rapides, comme un homme est toujours
entraîné à travers l'espace par le tourbillon de la terre. Il n'est pas conscient du mouvement,
il ne sait pas que le monde se meut, tant
il en fait étroitement partie, mû lorsque se meut le monde. S'il était
possible à l'homme de se séparer de la terre et d'arrêter son propre
mouvement sans être brisé en morceaux, il se rendrait compte, à ce
moment-là seulement, que la terre se meut avec une grande vitesse. Tant qu'un homme se
prête à chacun des mouvements de son mental, il n'a pas conscience de la continuelle
activité, de l'agitation de celui-ci, mais lorsqu'il se fixe, qu'il cesse de se mouvoir
c'est alors qu'il sent le mouvement continu du mental auquel il a jusqu'alors
obéi.
Si le débutant connaît ces faits, il ne sera pas découragé dès le
début de ses efforts en faisant à son tour l'expérience universelle, mais sachant que la chose est naturelle, il poursuivra tranquillement
sa tâche. Et, après tout, il ne fera que répéter
l'expérience proclamée par Arjuna il y a cinq mille ans:
"Ce Yoga que tu as déclaré trouver par la sérénité, O meurtrier de Madhu, je ne vois pas pour elle de fondement solide, à cause de l'agitation perpétuelle, car le mental est très agité, O Krishna; il est impétueux, violent et très difficile à contenir; j'estime qu'il est aussi malaisé à dompter que le vent."
Et la réponse est toujours encore juste, qui indique l'unique moyen de succès:
"Sans doute, O puissamment armé, le mental est malaisé à dompter et agité, mais il peut être dompté par la pratique constante et par l'indifférence" [Bhagavad Gîta, VI, 35, 36 ].
Le mental ainsi stabilisé, ne perdra pas si aisément son équilibre, sous l'influence des pensées vagabondes échappées aux
autres esprits et qui cherchent toujours à trouver un logement, foule errante qui nous enveloppe sans cesse. Le mental
habitué à la
concentration conserve toujours un certain caractère affirmatif et
ne se laisse pas aisément façonner par des intrus importuns.
Tous
ceux qui travaillent à l'entraînement de leur mental devraient conserver une attitude de ferme vigilance par
rapport aux
pensées qui "viennent à l'esprit", et ils devraient exercer, vis-à-vis
d'elles une constante sélection. Le refus d'héberger les mauvaises
pensées, leur prompt rejet si elles parviennent à entrer, le
remplacement immédiat d'une mauvaise pensée par une pensée
bonne de nature opposée, c'est là un exercice qui dispose le mental de telle sorte qu'au bout d'un certain temps
il agit automatiquement, repoussant le mal de son propre mouvement. Les vibrations
harmonieuses et rythmiques écartent celles qui sont discordantes
et irrégulières; celles-ci sont projetées loin de la surface des vibrations rythmiques, comme une pierre qui vient heurter
une roue en mouvement. Vivant, comme nous le faisons tous, dans un courant continuel
de pensées bonnes et mauvaises, nous devons
cultiver la sélection du mental, afin que le bon puisse être
automatiquement attiré, le mauvais automatiquement repoussé.
Le
mental est comme un aimant, il attire et repousse, et la nature de ses attractions
et de ses répulsions peut être déterminée
par nous. Si nous surveillons les pensées qui entrent dans notre
mental, nous constatons qu'elles sont de même sorte que celles que
nous favorisons d'ordinaire. Le mental attire les pensées qui sont
conformes à son activité normale. Si donc, pendant un certain
temps, nous pratiquons délibérément la sélection, le mental
effectuera bientôt cette sélection pour son propre compte, d'après le
plan qui lui a été tracé pour cela, et ainsi les mauvaises pensées ne
pourront pas pénétrer dans le mental, tandis que les bonnes
trouveront toujours la porte ouverte.
La
plupart des gens ne sont que trop enclins à la réceptivité,
mais cette réceptivité est due à la faiblesse, non à un abandon
délibéré de soi-même à des influences plus élevées. Il est, donc
bon d'apprendre comment notre activité peut devenir positive à l'état normal, et comment elle peut devenir négative lorsque nous
décidons qu'il est désirable qu'elle le soit.
L'habitude
de la concentration tend d'elle-même à fortifier le
mental, de sorte qu'il exerce sans peine un contrôle et une sélection
vis-à-vis des pensées qui lui viennent du dehors, et nous avons déjà indiqué comment on peut habituer automatiquement à repousser les
mauvaises. Mais il est bon d'ajouter à ce que nous avons dit que
lorsqu'une pensée mauvaise pénètre dans le mental, il vaut mieux
ne pas la combattre directement, mais mettre à profit le fait que le
mental ne peut penser qu'à une chose à la fois; qu'on le tourne
donc aussitôt vers une bonne pensée, et la mauvaise sera
nécessairement expulsée. En luttant contre une chose quelconque,
la force même que nous émettons cause une réaction
correspondante et accroît ainsi la difficulté; tandis que si nous
tournons notre oeil mental vers une image située dans une direction
différente, l'autre image se trouve silencieusement hors du champ visuel. Bien des
gens perdent des années à combattre des pensées
impures, tandis que si le mental s'appliquait tranquillement à des
pensées pures, il ne resterait plus de place aux assaillants; en outre, le mental
attirant ainsi à lui une matière qui ne répond pas au
mal, s'affirme peu à peu dans son caractère positif et perd toute
réceptivité à l'égard de cette sorte de pensées.
Tel est le secret de la bonne réceptivité; le mental répond selon
sa composition, il répond à tout ce qui est d'une nature analogue à la sienne; nous le rendons positif à l'égard du mal, négatif à l'égard
du bien, en nous habituant à bien penser, c'est-à-dire en le
construisant de matériaux susceptibles de recevoir le bien, incapables de recevoir le mal. Nous devons
réfléchir à ce que nous
désirons ne pas recevoir. Un mental exercé à cela attirera à lui les
bonnes pensées parmi l'océan de pensées qui l'entourent, il repoussera les mauvaises et deviendra ainsi de plus en
plus pur, de
plus en plus fort, dans les conditions même où un autre deviendrait
plus impur et plus faible.
La méthode qui consiste à remplacer une pensée par une autre
peut être utilisée avec avantage de bien des façons. Si une pensée
désobligeante au sujet d'une autre personne entre dans le mental, il faut la remplacer
aussitôt par la pensée de quelque vertu possédée par cette personne ou de quelque bonne action accomplie par elle. Si le mental
est harcelé par les soucis, dirigez-le vers la pensée du
but qui oriente la vie entière, vers la Bonne Loi qui "avec force et
douceur ordonne toutes choses".
Si
une forme particulière de pensée regrettable s'impose
obstinément, il sera sage de se munir d'une arme spéciale; on
choisira un vers ou une phrase où soit formulée l'idée opposée, et,
chaque fois que l'idée fâcheuse se présentera, on répétera cette
phrase en la méditant. Au bout d'une semaine ou deux, la pensée
aura cessé d'être importune.
C'est une sage mesure que de fournir constamment à l'esprit
quelque pensée élevée, quelque parole de réconfort, qui inspire le
désir de vivre noblement. Avant d'entrer dans le tumulte de la vie, tous les jours,
régulièrement, nous devrions donner au mental le
bouclier de la bonne pensée. Quelques paroles suffisent, tirées des
Écritures sacrées de notre race; récitées plusieurs fois dès le matin,
elles se fixeraient dans le mental, lui reviendraient à mainte et
mainte reprise au cours de la journée, et le mental les répéterait
machinalement chaque fois qu'il ne serait pas occupé.
Il y a certains dangers attachés à l'exercice de la concentration,
et dont le commençant doit être averti, car bon nombre d'étudiants
zélés, dans leur désir d'avancer fort loin, vont trop vite et apportent
ainsi des entraves à leur propre progrès au lieu de le faciliter.
Le
corps est exposé à souffrir par suite de l'ignorance et de
l'inattention du débutant.
Lorsqu'un
homme concentre son esprit, son corps se met dans
un état de tension, mais le sujet ne s'en aperçoit pas, c'est
involontaire de sa part. Ce résultat d'un certain état d'esprit, pour le
corps, peut être observé dans bien des cas insignifiants: un effort
de mémoire fait plisser le front, les yeux deviennent fixes, les sourcils s'abaissent;
l'attention intense s'accompagne de la fixité des yeux, l'anxiété donne un regard douteux et ardent. Pendant des
siècles, l'effort du mental a été suivi d'un effort du corps; le mental
n'étant appliqué qu'à satisfaire les besoins du corps à l'aide des
mouvements effectués par celui-ci, une association s'est ainsi établie, qui agit automatiquement.
Lorsque
la concentration commence, le corps, selon cette habitude, suit l'esprit, et les
muscles se raidissent en même temps
que les nerfs se tendent; de là une grande fatigue physique,
l'épuisement musculaire et nerveux, des douleurs de tête aiguës, qui ont bien des chances de se produire au-cours de la concentration; par
suite, beaucoup de gens sont tentés d'y renoncer,
pensant que ces fâcheux effets sont inévitables.
De
fait, ils peuvent être évités par une simple précaution. Le
débutant devrait, de temps à autre, s'arracher suffisamment à sa
concentration pour noter l'état de son corps; et s'il le trouvait
surmené, tendu ou crispé, il devrait aussitôt relâcher sa contrainte;
après avoir fait cela plusieurs fois, les liens de l'association seraient
brisés, et le corps demeurerait souple et au repos, tandis que le
mental serait concentré.
Patanjali
disait que la posture adoptée dans la méditation
devrait être "aisée et commode"; le corps ne peut pas, par sa
tension, aider l'esprit, et il se nuit à lui-même.
Peut-être me permettra-t-on une anecdote personnelle à l'appui
de tout ceci. A l'époque où je m'instruisais auprès de H. P.
Blavatsky, elle exprima un jour le désir que je fisse un effort de
volonté; je le fis intense, et le résultat fut une forte dilatation des
veines de ma tête. "Ma chère, me dit-elle sèchement, ce n'est pas
avec vos veines que vous devez vouloir."
Un
autre danger physique provient de l'effet produit par la concentration sur les cellules
nerveuses du cerveau. A mesure que la puissance de concentration
augmente, que le mental s'apaise, et
qu'à travers lui l'Ego commence à fonctionner, à travers le mental,
il réclame un nouvel apport de la part des cellules nerveuses
cérébrales. Ces cellules, bien entendu, ont pour éléments ultimes
des atomes dont la masse est constituée par des enroulements de
spirilles, à travers lesquelles circulent des courants d'énergie vitale.
Parmi ces spirilles, on distingue sept espèces, dont quatre
seulement sont en fonction; les trois autres sont momentanément
sans emploi – ce sont en réalité des organes rudimentaires. Lorsque
les énergies supérieures se déversent, cherchant à se frayer un
passage dans les atomes, la catégorie de spirilles qui, à un stade
ultérieur d'évolution, leur servira de canal, entre forcément en
activité. Si cela s'effectue doucement et avec précaution, il n'en
résulte aucun mal, mais une pression trop forte altère la structure
délicate des spirilles. Ces conduits fins et délicats, lorsqu'ils ne fonctionnent pas, sont en contact par leurs parois l'un
avec l'autre,
comme des tubes de caoutchouc mou; si les parois sont
violemment écartées l'une de l'autre, une rupture peut en résulter. L'annonce du danger est un sentiment de pesanteur et de lourdeur dans
tout le cerveau; si l'on n'y prend garde, une douleur aiguë se
fera bientôt sentir, et une inflammation opiniâtre pourra s'ensuivre.
La concentration devrait donc être pratiquée au début avec une
grande modération et ne devrait jamais aller jusqu'à la fatigue
cérébrale. Quelques minutes à la fois suffisent – en commençant,
la durée augmentant peu à peu à mesure que la pratique se fait plus
habituelle.
Mais, si court que
soit le temps consacré à la concentration, il doit
l'être avec régularité; si l'habitude est négligée un seul jour, l'atome
reprend sa condition antérieure, et tout le travail demande à être
recommencé. L'exercice constant et régulier, pas trop prolongé,
assure les meilleurs résultats et écarte le danger.
Dans quelques écoles de ce qu'on appelle Hatha-Yoga, on
recommande aux élèves, pour faciliter la concentration, de fixer les yeux sur un point noir qui
se détache sur le mur blanc, et de
prolonger cette fixité du regard jusqu'à ce que la transe se produise. Or, il y a deux raisons pour lesquelles on ne
doit pas faire cela.
Tout d'abord, au bout d'un certain temps, cet exercice abîme la vue
et les yeux perdent leur faculté d'adaptation. Secondement, cela
amène une forme de paralysie cérébrale. Elle commence par une
fatigue des cellules de la rétine, lorsque les ondes lumineuses les
atteignent, puis le point noir disparaît, l'endroit de la rétine où son
image se faisait étant devenu insensible par suite d'un exercice trop
prolongé. Cette fatigue gagne les centres jusqu'à ce que, finalement, une sorte de paralysie survienne qui plonge le sujet dans
l'état hypnotique. De fait, l'excitation excessive d'un organe des sens est, en
Occident, un des moyens reconnus pour produire
l'hypnose – le miroir tournant, la lumière électrique, etc., étant
employé à cette fin.
Or, non seulement la paralysie cérébrale arrête toute pensée sur le plan physique, mais elle rend, en outre, le cerveau insensible aux vibrations
hyper-physiques, de sorte que l'Ego ne peut plus l'impressionner; la paralysie
cérébrale ne libère pas l'Ego, elle ne fait que lui retirer son instrument. Un homme peut rester
pendant
des semaines dans un état d'hypnose ainsi provoqué, et lorsqu'il se
réveillera, il ne sera en rien plus sage qu'au début de la transe. Il n'aura pas acquis de connaissance; il aura simplement perdu
son
temps. Ces méthodes ne donnent pas de puissance spirituelle; elles produisent simplement
l'incapacité physique.
Nous avons déjà expliqué antérieurement ce qu'est – la
méditation: c'est simplement l'attitude soutenue du mental qui se concentre en
face d'un objet de son culte, d'un problème qui exige une illumination pour devenir intelligible ou de n'importe quelle
chose dont il s'agit d'absorber et de s'assimiler la vie plutôt que la
forme.
La méditation ne peut pas être pratiquée avec fruit avant qu'on
ne se soit rendu maître, au moins en partie, de la concentration. Car
celle-ci n'est pas en elle-même une fin, ce n'est qu'un moyen en vue d'une fin; elle fait du mental un instrument
qui peut être utilisé au
gré de son possesseur. Lorsqu'un mental se concentre et se dirige
obstinément vers un objet, résolu à en percer les voiles, à en
atteindre la vie et à unir cette vie à celle à laquelle le mental
appartient, alors nous avons la méditation. La concentration peut être considérée comme le façonnement de l'organe, la méditation
comme son exercice. Le mental a été mis en état de se fixer sur un
point unique; il se dirigera alors et demeurera fixé sur n'importe
quel objet dont la connaissance sera désirée.
Tous ceux qui sont décidés à mener une vie spirituelle devront
consacrer chaque jour quelque temps à la méditation. La vie physique ne peut pas plus se soutenir sans nourriture que la
vie
spirituelle sans méditation. Ceux qui ne peuvent pas se réserver
une demi-heure par jour, pendant laquelle le monde sera oublié et
le mental pourra recevoir des plans spirituels un courant de vie,
ceux-là ne peuvent pas mener une vie spirituelle.
C'est seulement à un mental en état de concentration,
persévérant, fermé au monde que le Divin peut se révéler. Dieu se
manifeste, dans son univers, sous des formes infinies, mais à l'intérieur du coeur humain Il se montre dans Sa vie et dans Sa
nature, s'y révélant à ce qui est un fragment de Lui-même. Dans ce
silence, la paix, la vigueur et la force viennent inonder l'âme, et
l'homme qui pratique la méditation est toujours l'homme le plus
puissant de ce monde.
Lord Rosebery, parlant de Cromwel, le dépeint comme un "mystique pratique", et déclare qu'un mystique pratique est la plus grande force de l'univers. Cela est
vrai. L'intelligence concentrée,
la faculté de s'isoler du tumulte du monde représentent une énergie
au travail immensément accrue et sont signes de fermeté, de
maîtrise de soi, de sérénité; l'homme qui pratique la méditation est
celui qui ne perd jamais de temps, ne gaspille pas son énergie, ne manque aucune des occasions dont il peut profiter. Un tel homme domine
les événements parce qu'au-dedans de lui réside le pouvoir
dont les événements ne sont que l'expression extérieure; il
participe à la vie divine et, partant, au pouvoir divin.
Nous pouvons maintenant aborder l'étude de la valeur pratique
de la puissance de la pensée, car toute étude qui n'aboutit pas à la
pratique est stérile. La vieille formule est toujours vraie "Le but de la philosophie est de mettre fin à la douleur." Nous
devons apprendre à développer notre pouvoir de pensée, puis, ce
pouvoir une fois développé, à en user pour secourir ceux qui nous entourent, les vivants et les soi-disant
morts, afin d'accélérer
l'évolution humaine et de hâter notre propre progrès.
La
puissance de la pensée ne peut être accrue que par un
exercice constant et prolongé; de même que le développement
musculaire dépend exactement et réellement de l'exercice de nos
muscles, de même le développement mental dépend de l'exercice de notre mental, quel que soit son état actuel.
C'est
une loi de la vie que la croissance résulte de l'exercice.
La vie, qui est notre Moi, cherche (ou tend) sans cesse à s'exprimer
plus complètement à l'extérieur au moyen de la forme qui la revêt.
Affluant à l'appel qu'est l'exercice, la pression qu'elle exerce sur la
forme détermine l'expansion de celle-ci: il se produit un apport de
matière que la forme incorpore, et, de la sorte, une partie de l'expansion est rendue
permanente. Lorsque le muscle est détendu
par l'exercice, la vie s'y répand plus abondamment, les cellules se multiplient, et ainsi le muscle grossit.
Lorsque le corps mental
vibre sous l'action de la pensée, un nouvel apport de matière y
pénètre, venu de l'atmosphère mentale: le corps se l'assimile et
augmente ainsi de volume en même temps que sa structure se fait plus complexe. Un corps mental continuellement
exercé grandit,
que la pensée qu'on y introduit soit bonne ou mauvaise. La somme
des pensées détermine l'accroissement du corps, la qualité des
pensées détermine le genre de matière employée à cet
accroissement.
D'autre
part, dans le cerveau physique, les cellules de matière
grise se multiplient à mesure que le cerveau s'exerce à penser. Les autopsies ont fait voir que le cerveau du penseur est non seulement
plus développé et plus lourd que celui du laboureur, mais qu'il
présente, en outre, un nombre bien plus grand de circonvolutions. Celles-ci accroissent
considérablement la surface de la substance
grise qui est l'instrument physique immédiat de la pensée, sur
lequel la pensée agit directement, sans intermédiaire.
Ainsi,
le corps mental et le cerveau physique s'accroissent tous deux par l'exercice, et
ceux qui veulent les améliorer et les
développer, doivent recourir à une méditation quotidienne,
régulière, pratiquée dans le but précis de perfectionner leurs
facultés mentales. Il est inutile d'ajouter que les forces inhérentes
au Sujet connaissant se développent plus rapidement, elles aussi,
grâce à cet exercice et qu'elles agissent sur les véhicules avec une
intensité croissante.
Pour
qu'il puisse produire tout son effet, cet exercice doit être
méthodique. Le débutant choisira quelque livre bien fait, sur un
sujet qui l'intéresse, quelque livre écrit par un auteur compétent et
contenant des pensées neuves et fortifiantes. Une ou plusieurs
phrases seront lues lentement, après quoi le lecteur réfléchira
soigneusement et profondément sur ce qu'il a lu. C'est une sage habitude que celle de consacrer deux fois
plus de temps à la
réflexion qu'à la lecture, car l'objet de cette dernière n'est pas
simplement d'acquérir des idées nouvelles, mais de fortifier la
faculté de penser. Une demi-heure, si possible, devrait être
consacrée à cet exercice, mais le débutant pourra commencer par
un quart d'heure, car, au début, il trouvera que l'attention soutenue
le fatigue un peu.
Toute
personne qui adoptera l'habitude de cet exercice et le
pratiquera régulièrement pendant quelques mois, aura conscience, au bout de ce temps, d'un accroissement
sensible de force mentale
et se sentira capable de manier les problèmes de la vie ordinaire
avec beaucoup plus de succès qu'auparavant. La nature est un
payeur équitable; elle donne à chacun le salaire qu'il a gagné, mais
elle ne donne pas un centime immérité. Ceux qui veulent récolter le
salaire d'un perfectionnement mental doivent le mériter par un
effort de pensée ardu.
La
tâche est double, ainsi que nous l'avons déjà indiqué. D'une
part, les forces de la conscience sont attirées au dehors; de l'autre,
les formes par lesquelles elles s'expriment sont développées, – et le
premier de ces points ne doit pas être oublié. Beaucoup de
personnes reconnaissent la valeur de la pensée précise en tant qu'elle affecte le cerveau, mais elles oublient que la source de
toute
pensée est le Moi incréé, éternel, et qu'elles ne font, par suite, que
réaliser ce qu'elles possédaient déjà. Au-dedans d'elles réside tout
pouvoir, elles n'ont qu'à le mettre à profit, car le Moi divin est, pour chacun, la racine de la vie; et l'aspect
connaissance du Moi vit en chacun, cherchant sans cesse l'occasion de s'exprimer
d'une
façon plus complète. Tout pouvoir réside en chacun, incréé, éternel; la forme est façonnée, elle se transforme, mais la vie vient du Moi de l'homme, et son pouvoir est
illimité. Cette puissance qui réside
au dedans de chacun de nous est la même qui a façonné l'Univers, elle est divine et non humaine, elle fait partie de la vie du Logos
et
n'en est pas distincte.
Si
l'on se rendait compte de cela et si le débutant se rappelait
que la difficulté provient, non pas de l'insuffisance du pouvoir, mais de l'imperfection de l'instrument,
il travaillerait souvent avec plus de courage et d'espoir, et partant avec plus
de succès. Il doit
sentir que l'essence de sa nature est la connaissance et qu'il dépend
de lui de donner à cette nature, pendant son incarnation actuelle, une expression plus ou moins
parfaite. L'expression, sans doute, est
restreinte par les pensées que nous avons eues dans les existences
antérieures, mais elle peut être perfectionnée et rendue plus
efficace par la même puissance qui, dans ce passé, a façonné le
présent. Les formes sont plastiques et peuvent être modelées à nouveau, bien que lentement, par les vibrations de la vie.
Par-dessus tout, le débutant doit se rappeler que pour
progresser d'une façon continue, la régularité de l'exercice pratique est essentielle. Lorsqu'on y manque un jour, il faut
l'effort de trois ou quatre autres jours pour contrebalancer le recul, au moins
dans
les débuts de la croissance. Lorsqu'on a acquis l'habitude de la
pensée soutenue, la régularité de la pratique est moins nécessaire.
Mais jusqu'à ce que cette habitude soit définitivement prise, la
régularité est de la plus grande importance, car l'habitude plus ancienne de laisser aller
la pensée à la dérive se réinstalle, la
matière du corps mental reprend ses anciennes formes, et il faut
l'en dépouiller une fois encore avant de reprendre l'habitude interrompue. Cinq minutes
d'effort quotidien valent mieux qu'une demi-heure certains jours et d'autres
jours rien.
[Le souci voir (En anglais worry, littéralement: tracas, ou encore, tourment, fatigue,
obsession, etc.Note du traducteur]
On
a dit, fort justement, que les gens vieillissent plus par les soucis que par le travail.
A moins d'être excessif, le travail n'est pas
préjudiciable au mécanisme de la pensée, mais, au contraire, il le
renforce. En revanche, le processus mental désigné du nom de "souci" est nettement préjudiciable et produit, à la longue, une
irritabilité, un épuisement nerveux qui rendent impossible le travail
mental prolongé.
Qu'est-ce
que le "souci". C'est la répétition d'un même
enchaînement de pensée, indéfiniment le même à quelques légères
modifications près, et n'aboutissant à aucun résultat, ne tendant
même vers aucun. C'est la reproduction continue de formes de
pensée, créées par le corps mental et le cerveau – non par la
conscience – et imposées par eux à celle-ci. De même que les
muscles surmenés ne peuvent rester au repos, mais entrent sans
cesse en activité, même malgré la volonté; de même le corps
mental et le cerveau, lorsqu'ils sont fatigués, répètent indéfiniment
les vibrations qui les ont épuisés, et le penseur s'efforce en vain de les amener au repos et de trouver ainsi
le calme. L'automatisme
nous apparaît encore une fois: nous retrouvons la tendance à se
mouvoir dans la direction même où le mouvement s'est déjà effectué. Le penseur je suppose, aura médité sur quelque sujet
triste et se sera efforcé d'arriver à une conclusion précise et utile. Il échoue, cesse de penser, mais demeure insatisfait, désireux de
trouver une solution et dominé par la crainte de la peine anticipée
d'échouer encore. Cette crainte entretient en lui un état d'anxiété et d'agitation qui provoque un afflux irrégulier d'énergie. Dès lors, le
corps mental et le cerveau, sous cette double impulsion de l'énergie
et du désir, mais non dirigés par le penseur, continuent à s'agiter et,
font reparaître les images déjà produites et déjà écartées. Celles-ci
s'imposent, en quelque sorte, à l'attention, et la série recommence
indéfiniment. A mesure que la fatigue augmente, l'irritabilité se
manifeste et réagit encore sur les phénomènes de la fatigue, de
sorte que l'action et la réaction se succèdent dans un cercle vicieux. Le penseur, lorsqu'il est las, est l'esclave des
corps qui le servent et
souffre de leur tyrannie.
Or,
cet automatisme du corps mental et du cerveau, cette
tendance à répéter les vibrations déjà produites, peuvent être
utilisés pour corriger précisément la reproduction inutile de
pensées pénibles. Lorsqu'un courant de pensées s'est tracé un canal – une forme de pensée – de nouveaux courants de pensée tendent à suivre la même voie, qui est celle de la moindre résistance. Une
pensée qui cause de la peine revient aussitôt ainsi, par la
fascination de la crainte, de même qu'une pensée qui fait plaisir revient par la fascination de l'attrait. L'objet de la crainte,
la
représentation de ce qui arrivera lorsque notre anticipation
deviendra réalité, creuse ainsi un canal dans l'esprit, forme un
moule pour la pensée et un sillon dans le cerveau. La tendance du corps mental et du cerveau, lorsqu'ils
n'ont aucune tâche immédiate, est de répéter la forme et de laisser l'énergie sans
emploi se déverser dans le canal déjà tracé.
Peut-être
la meilleure manière de se débarrasser d'un "canal de
souci" est-elle d'en creuser un autre d'un caractère diamétralement
opposé. Un canal de ce genre, nous l'avons vu, se creuse par la pensée
précise, persistante et régulière. Toute personne qui souffre d'obsessions devra donc, le matin en se levant, consacrer
trois ou quatre minutes à la méditation de
quelque pensée noble et encourageante: "Le Moi est Paix; je suis
ce Moi. Le Moi est Force, je suis ce Moi", par exemple. Que cette
personne songe que, au plus profond de son for intérieur, elle est
avec le Père Suprême; que, participant à cette nature, elle est
impérissable, immuable, libre, dégagée toute crainte, sereine et
forte; d'autre part, les vêtements périssables qui la revêtissent sont
sensibles à l'aiguillon de la douleur, au tourment rongeur de
l'anxiété; et que cette personne songe à l'erreur quelle commet en
identifiant cela à son Moi. Tandis qu'elle méditera ainsi, la paix la
pénétrera, et elle sentira que c'est là son atmosphère propre, celle
qui lui est naturelle.
En procédant ainsi jour après jour, la pensée se creuse bientôt
un canal dans le corps mental et le cerveau; et bientôt dans les
moments où l'esprit n'est pas occupé de quelque travail, cette
pensée du Moi qui est Paix, et Force se présente spontanément et
déploie ses ailes autour de l'esprit, au milieu du tumulte du monde.
L'énergie mentale se répand naturellement dans ce canal et le souci
s'efface dans le passé.
Une autre
méthode consiste à habituer
l'esprit à méditer sur la Bonne Loi, ce qui lui fait contracter l'habitude du contentement.
L'homme médite alors sur cette pensée que toutes les circonstances se produisent en vertu de la Loi, et que rien
n'arrive par hasard. C'est uniquement ce que la Loi nous apporte qui peut
nous atteindre, quelle que soit la main qui, en apparence, nous le transmette.
Aucun mal ne nous frappe qui ne nous soit dû, attiré sur
nous par notre volonté et nos actes antérieurs; aucun homme ne peut nous nuire, sinon parce qu'il est l'instrument de
la loi et qu'il
réclame de nous une dette que nous avons contractée. Même au cas
où la prévision d'un chagrin ou d'un ennui viendrait assaillir l'esprit, celui-ci fera
bien de l'envisager calme, de l'accepter, d'y
consentir. La blessure disparaît en grande partie lorsque nous
acquiesçons, reconnaissant la Loi, quelle qu'elle soit. Et nous
ferons cela plus aisément encore, si nous nous souvenons que la loi agit toujours en vue de nous affranchir
, exigeant de
nous
des dettes qui nous retiennent en prison et que, s'il s'ensuit pour nous
de la peine, cette peine n'est que le chemin qui conduit au
bonheur.
Toute souffrance, de quelque manière qu'elle
nous vienne, tend à notre félicité finale et ne fait que rompre les
liens qui nous tiennent enchaînés à la roue, toujours en
mouvement, des naissances et des morts.
Lorsque ces pensées sont devenues habituelles, l'esprit cesse de se tourmenter, car les griffes
du tracas ne peuvent pas entamer la
solide armure de la paix.
On peut gagner beaucoup de force en apprenant à penser et à cesser de penser à volonté. Tandis que nous pensons, nous devrions concentrer tout notre mental sur l'effort
pour penser de
notre mieux. Mais lorsque notre tâche est terminée, la pensée
devrait être écartée complètement et ne devrait pas être autorisée à nous occuper vaguement, à aborder notre mental et à s'en éloigner, comme un bateau qui heurte un rocher. On ne laisse pas marcher une machine
si ce n'est pour accomplir un travail, car cela en userait les rouages sans profit,
tandis qu'on laisse les rouages du mental, dont la valeur est incomparable, fonctionner
indéfiniment
sans but, s'usant sans aucun résultat utile. Apprendre à cesser de penser, à laisser le mental en repos, c'est faire une acquisition des
plus précieuses. De même que les membres fatigués reprennent
leur vigueur lorsqu'ils se détendent au repos, de même le mental
fatigué trouve du bien-être dans l'inaction absolue. Penser
constamment, c'est s'épuiser constamment. L'épuisement et la
déchéance prématurée sont la suite de cette dépense inutile
d'énergie, et l'homme peut prolonger l'intégrité de son corps mental
et de son cerveau en apprenant à suspendre sa pensée lorsqu'elle ne
tend à aucun résultat utile.
Il
est vrai de dire que "cesser de penser" n'est rien moins que
chose aisée. Peut-être même est-ce encore plus difficile que de penser. Il faut s'y exercer pendant un
temps très court, jusqu'à ce
que l'habitude en soit prise, car, au début, maintenir le mental en
repos représente une dépense de force. Le débutant, après qu'il ait
réfléchi d'une façon sérieuse, doit écarter sa pensée et, dès que
celle-ci tente de revenir, il doit en détourner son attention. Sans se
lasser, il doit se détourner de tous les intrus; si c'est nécessaire, il
imaginera le vide, comme un échelon vers la quiétude, et il essaiera
de ne prendre conscience que de la tranquillité et de l'obscurité. Si
l'on persiste à procéder comme nous l'indiquons, cette méthode sera de mieux en mieux comprise, et un sentiment de paix et de repos encouragera
l'étudiant à persister davantage encore.
Il
ne faudrait pas oublier non plus que suspendre la pensée,
lorsqu'elle est tournée vers l'activité extérieure, c'est une condition
préliminaire qui lui permet de travailler sur des plans plus élevés.
Lorsque le cerveau a appris la quiétude, lorsqu'il a cessé de raviver
sans cesse les images décousues, résidus de son activité passée;
alors, s'ouvre la possibilité, pour la conscience, d'écarter son
enveloppe physique et de déployer, dans son propre monde, sa
libre activité. Ceux qui espèrent réaliser ce pas en avant dès la vie
présente doivent apprendre à suspendre leur pensée, car c'est
seulement lorsque "les modifications du principe pensant" sont
réprimées sur le plan inférieur, que la liberté peut être obtenue sur
le plan supérieur.
Un
autre moyen de procurer le repos au corps mental et au
cerveau – moyen bien plus aisé que l'arrêt de la pensée – consiste à changer de pensée. Tout individu dont la pensée suit, avec intensité et persistance, une même direction, devrait avoir un second sujet de
réflexion aussi différent que possible du premier et vers lequel il pourrait se tourner pour se reposer.
La fraîcheur et la jeunesse de
pensée si extraordinaires chez William Ewart Gladstone sur ses
vieux jours, résultaient en grande partie de la diversité de son
activité intellectuelle. C'est vers la politique qu'elle fut dirigée avec
le plus d'ardeur et de continuité, mais les études de théologie et de grec remplirent bien des heures de loisir, dans la vie de Gladstone.
Sans doute ce ne fut qu'un théologien médiocre, et je ne suis pas à même d'apprécier ce qu'il fut comme helléniste, mais si on ne peut
pas dire que le monde ait beaucoup gagné par ses jugements
théologiques, Gladstone lui-même dut à ses études et à celle du
grec, d'avoir gardé jusqu'à la fin de sa vie un cerveau vigoureux et
réceptif. Charles Darwin, en revanche, se désolait sur ses vieux
jours d'avoir laissé s'atrophier, en ne les exerçant pas, les facultés
qui lui auraient permis de s'intéresser à des sujets autres que celui
de ses études spéciales. La littérature et l'art étaient sans intérêt
pour lui, et il avait une conscience très vive des limites dans
lesquelles il s'était enfermé en s'absorbant trop exclusivement dans
une seule direction d'étude. Tout homme a besoin de varier ses exercices, aussi bien quand il s'agit
de sa pensée que de son corps, sans quoi il pourra souffrir de la crampe mentale, comme
d'autres
souffrent de la crampe des écrivains.
Peut-être est-il spécialement important que les hommes
absorbés par la vie pratique, s'intéressent à un sujet concernant
celles de leurs facultés qui ne sont pas requises par leurs affaires, que ce soit l'art, la science
ou la littérature qui fournissent à ces
hommes une récréation mentale et polissent leur esprit. Les jeunes gens surtout devraient adopter
une étude de ce genre, avant que
leur cerveau, vigoureux et actif, ne soit fatigué et surmené; sur
leurs vieux jours ils trouveraient alors en eux-mêmes des
ressources qui les enrichiraient et illumineraient leurs dernières
années. La forme conserve beaucoup plus longtemps son élasticité lorsqu'on lui a ainsi accordé du
repos par le changement
d'occupations.
Dans ce que nous venons d'étudier, nous avons déjà trouvé,
indiquée en partie, la méthode qui procure la paix du mental. Mais
la condition nécessaire avant toute autre, c'est que nous reconnaissions clairement et comprenions
notre place dans
l'univers.
Nous
faisons partie d'une grande Vie totale, qui ne commet pas d'erreur, ignore les pertes
d'effort ou de force, qui, "ordonnant
toutes choses avec force et douceur" emporte les mondes vers leur
but. L'idée que notre petite vie est une unité séparée et
indépendante, combattant, pour son propre compte, d'innombrables
unités séparées et indépendantes elles aussi, est une erreur des plus
désespérantes. Tant que nous envisageons de ce point de vue le monde et la vie, la paix
demeure loin de nous, sur une tour inaccessible. Lorsque nous sentons et comprenons
que tous les Moi
ne sont qu'un, la paix du mental devient nôtre sans que nous ayons
crainte de la perdre.
Toutes
nos difficultés proviennent de ce que nous nous
considérons comme unités séparées, de ce que nous tournons alors
sur notre propre axe mental, ne songeant qu'à nos intérêts
particuliers, à nos fins particulières, à nos joies et à nos chagrins particuliers. Quelques-uns agissent ainsi par rapport aux choses
les
moins élevées de la vie, et ce sont les plus mécontents de tous; sans
trêve ils cherchent à s'emparer de quelque chose dans le stock
général des biens matériels, et ils empilent ces trésors inutiles.
D'autres cherchent sans cesse à réaliser leur propre progrès
individuel dans la vie supérieure: ce sont de braves gens sérieux,
mais toujours mécontents et anxieux. Ils se contemplent et
s'analysent sans cesse: "Est-ce que j'avance ? Est-ce que j'en sais
plus que l'année dernière ?" et ainsi de suite, s'usant dans la recherche continuelle d'une assurance de
progrès, leur pensée ayant
toujours pour centre leur propre gain intérieur.
La
paix ne se trouve pas dans la recherche continuelle d'un contentement pour le soi
séparé, même si ce contentement était de
la nature la plus élevée. La paix se trouve en renonçant au moi
séparé, en s'appuyant sur le Moi qui est Un, le Moi qui se
manifeste à tout stade de l'évolution, à celui où nous sommes
autant qu'aux autres, et qui satisfait partout.
Le
désir de progresser spirituellement est du plus grand prix
tant que les désirs inférieurs étouffent et enchaînent les aspirations
du novice; celui-ci puise de la force pour se libérer d'eux dans le
désir passionné de progresser spirituellement; mais cela ne donne pas, ne peut pas donner le
bonheur, lequel ne se rencontre que
lorsque le moi séparé est rejeté et le grand Moi reconnu comme objet pour l'amour duquel nous vivons en ce monde.
Même dans la
vie ordinaire, les personnes qui ne sont pas égoïstes sont les plus
heureuses – celles qui travaillent à rendre les autres heureux et
s'oublient elles-mêmes. Les personnes mécontentes sont celles qui
cherchent toujours leur propre bonheur.
Nous sommes le Moi et, par suite, les joies et les peines des
autres sont à nous autant qu'à eux, et dans la mesure où nous
sentons cela et apprenons à vivre de telle sorte que l'univers entier partage la vie qui circule en nous,
notre mental apprend le secret de
la paix en qui tous les désirs coulent comme les rivières coulent
vers l'Océan, qui est rempli d'eau mais demeure immuable, – (mais) n'atteint pas la paix, celui qui cherche le désir [Bhagavad
Gîta,
II, 70] ". Plus nous désirons, plus doit croître notre soif de bonheur – c'est-à-dire notre malheur. Le secret de la paix est de se connaître
soi-même, et la pensée "Je suis ce Moi" nous aidera à conquérir
une paix mentale que rien ne pourra troubler.
Le plus précieux des avantages que retire celui qui s'est efforcé de développer la puissance de sa pensée, c'est qu'il est bien mieux à même d'aider ceux qui l'entourent, ceux qui, plus faibles que lui, n'ont pas encore
appris à tirer profit de leurs propres moyens. Celui
dont le mental et le coeur sont en paix remplit les conditions
voulues pour aider autrui.
Une
simple bonne pensée est bienfaisante dans une certaine
mesure; mais l'étudiant désirera faire bien plus que de jeter une
simple miette de pain à celui qui meurt d'inanition.
Considérons
d'abord le cas d'un homme dominé par quelque
mauvaise habitude – celle, par exemple, de la boisson – et qu'un étudiant désire secourir. Celui-ci devra d'abord rechercher, si
possible, à quel moment le mental du malade offre des chances
d'être inoccupé – à quelle heure, par exemple, le patient se couche.
S'il pouvait être endormi, cela n'en vaudrait que mieux. A ce
moment, notre médecin de l'âme devrait s'asseoir, seul, et se
représenter aussi vivement que possible l'image de son malade assis en face de lui,
il devrait se représenter la chose clairement et
en détail, de façon à voir l'image comme il verrait son homme. La
grande clarté de cette image n'est pas essentielle, bien qu'elle
contribue à rendre le procédé plus efficace. L'étudiant devrait alors fixer son attention sur cette image et, avec toute la concentration
dont il est capable, lui adresser une à une et lentement, les pensées
qu'il désire graver dans le mental de son client. Il faut les présenter sous forme d'images mentales claires, absolument comme si au moyen de
mots, l'on exposait des arguments devant l'interlocuteur.
Dans le cas considéré, l'étudiant pourra imaginer devant ses yeux
un tableau frappant des maux de la misère qu'entraîne à sa suite la
boisson, de la déchéance nerveuse, de la fin inévitable. Si le sujet
est endormi, il sera attiré par la personne qui pense ainsi à lui et il
animera l'image qu'elle se fait de lui. Le succès dépend de la
concentration de la pensée et de la persévérance avec laquelle elle
est dirigée sur le patient; son effet sera exactement proportionné au degré de développement de la puissance de la pensée.
Il
faut se garder, dans un cas de ce genre, d'essayer en aucune
manière de dominer la volonté du patient; l'effort doit tendre
entièrement à placer devant son mental des idées qui, s'adressant à son intelligence et à ses émotions, l'amèneront à juger sainement et
le stimuleront à faire un effort pour traduire son jugement en action. Si l'on essaie d'imposer
au malade une ligne particulière de
conduite, même si l'on réussit, on aura gagné bien peu de chose. La
tendance mentale qui nous pousse à nous laisser aller à nos vices
ne sera en rien modifié du fait qu'on aura mis un obstacle sur la
route que prenait telle forme particulière de cette tendance;
repoussé dans une direction, elle en prendra une autre, et un vice nouveau supplantera
l'ancien. Un homme contraint à être tempérant
par une force qui domine sa volonté, ne sera pas plus guéri de son
vice que si on l'enfermait en prison. Même sans cela, aucun homme
ne devrait essayer d'imposer sa volonté à un autre, fût-ce dans le
but de le faire bien agir. Le progrès n'est pas favorisé par une
pression extérieure de ce genre; l'intelligence doit être convaincue,
les émotions éveillées et purifiées, sans quoi l'on n'obtient pas de
gain réel.
Si
l'étudiant désire procurer, au moyen de sa pensée, n'importe
quel autre genre de secours, il devra procéder de la même façon,
imaginant son protégé et lui présentant clairement les idées dont il
désire le pénétrer. Un désir ardent pour son bien qui lui est envoyé comme un agent destiné à le protéger demeurera près de lui comme
une forme-pensée pendant un temps proportionné à l'intensité de la
pensée initiale et protégera cet homme contre tout mal, sera comme
une barrière devant les pensées hostiles et écartera même les
dangers physiques. Une pensée de paix et de consolation, dépêchée
de la sorte, adoucira et calmera le mental en répandant autour de
son objet une atmosphère de calme.
L'aide
qu'apporte souvent à une personne la prière d'une autre
est, en grande partie, de même nature que le phénomène ci-dessus
décrit, la fréquente efficacité des prières en vue d'obtenir des biens
ordinaires étant due à la concentration et à l'intensité plus grandes
qu'apporte le croyant pieux dans sa prière. Le même degré d'intensité et de concentration amènerait le même résultat sans
recourir à la prière.
La
prière, assurément, est parfois efficace en un autre sens: elle appelle l'attention de quelque
intelligence supra-humaine ayant
atteint un degré supérieur d'évolution – sur la personne pour qui
l'on prie, de sorte qu'un secours direct peut lui être accordé par l'entremise d'une puissance bien plus grande que celle dont disposait celui
qui priait.
Peut-être ferons-nous bien d'intercaler une remarque: le
théosophe à demi instruit ne devra pas s'effrayer ni s'abstenir de
donner à un ami toute l'aide qu'il pourrait lui fournir au moyen de
sa pensée, dans la crainte qu'il pourrait avoir "de s'immiscer dans
karma". Qu'il laisse donc karma veiller à ses propres intérêts et ne craigne pas plus de s'immiscer dans les attributions de karma que dans
la loi de la gravitation. Si ce théosophe peut aider son ami, qu'il le fasse sans crainte, dans l'assurance que
s'il réussit, ce
secours fait partie du karma de son ami et qu'il est, quant à lui,
l'heureux agent de la Loi.
Tout ce que nous pouvons faire par la pensée pour les vivants, nous pouvons le faire plus facilement encore pour ceux qui
nous
ont devancés et ont déjà franchi les portes de la mort, car dans leur cas nous n'avons plus de lourde
matière physique à faire vibrer
avant que notre pensée puisse atteindre la conscience en éveil.
Après qu'il ait traversé la mort, la tendance de l'homme est de tourner son attention vers le dedans
et de vivre dans son propre
mental plutôt que dans le monde extérieur. Les courants de pensée
qui avaient coutume de se précipiter au dehors, cherchant le monde
extérieur à travers les organes des sens, se trouvent maintenant
arrêtés par un vide dû à la disparition de leurs instruments. C'est
comme si un homme se précipitait vers un pont qu'il a l'habitude de
traverser pour franchir un précipice et que, brusquement, il se
trouvât arrêté par l'abîme, le pont s'étant évanoui.
La
réorganisation du corps astral, qui suit de très près la perte
du corps physique, tend en outre à tenir renfermées les énergies
mentales, à les empêcher de s'exprimer au dehors. La matière
astrale, si elle n'est pas gênée par l'intervention de ceux qui sont
restés sur terre, forme une enveloppe protectrice au lieu d'un instrument plastique,
et plus la vie terrestre qui vient de s'achever a été élevée et pure, plus impénétrable est la barrière qui garantit des
impressions du dehors et des événements du dedans. Mais la
personne ainsi entravée dans l'expansion de son énergie, n'en est
que plus apte à recevoir les influences du monde mental et, par
suite, elle peut être aidée, réconfortée, conseillée, bien plus
efficacement que lorsqu'elle était sur terre.
Dans
le monde qu'habitent les êtres délivrés de leur corps
physique, une pensée affectueuse est aussi palpable aux sens que le sont, ici-bas, une parole affectueuse
ou une tendre caresse. Toute
personne qui meurt devrait donc être escortée par des pensées
d'amour et de paix, par notre désir de la voir s'avancer rapidement, à travers les vallées de la mort, vers la brillante région qui est au-delà. Il n'y a que trop de personnes qui demeurent dans la condition
intermédiaire plus longtemps qu'elles n'y seraient restées, si leur mauvais karma n'avait pas voulu qu'elles n'eussent pas d'amis sachant
les aider de l'autre côté de la mort. Et si les vivants savaient
la consolation et le bonheur qu'éprouvent les voyageurs des
mondes célestes en recevant ces messages vraiment angéliques (les
pensées d'amour et d'encouragement), s'ils savaient de quelle puissance ils disposent
pour fortifier et réconforter, certes, nul ne
serait abandonné par ceux qui restent en arrière. Nos chers "morts" ont droit à notre amour et à notre intérêt, mais même en dehors de
cela, quelle immense consolation pour le coeur privé d'une présence
qui était le rayon de soleil de sa vie, d'être encore en mesure d'aider
la personne aimée et de l'entourer des anges gardiens de la pensée !
Les occultistes qui ont fondé les grandes religions n'ont pas
négligé cette assistance que doivent ceux qui restent sur terre à ceux qui les ont devancés. L'Hindou a son Shrâddha par lequel il
aide à avancer les âmes qui ont pénétré dans le monde suivant,
hâtant leur passage dans Svarga: L'Eglise Chrétienne a des messes
et des prières pour les "morts". "Accordez-lui, ô Seigneur, la paix éternelle et que la lumière brille perpétuellement sur lui", c'est en
ces termes que le Chrétien prie pour un ami de l'autre monde. Il n'y
a parmi les Chrétiens que la secte Protestante qui ait perdu cette excellente tradition, comme
tant d'autres qui se rattachent à la vie
supérieure du Chrétien. Puisse la connaissance rétablir bientôt la
tradition utile et bienfaisante que l'ignorance lui a fait perdre.
Nous ne pouvons pas restreindre l'activité de notre pensée aux heures que nous passons dans le corps physique, car nous pouvons, par la
pensée, accomplir un travail très profitable tandis que notre
corps est tranquillement endormi.
Le
fait de "s'endormir" signifie simplement que la conscience,
enveloppée de ses corps les plus subtils, se retire loin du corps physique, qu'elle laisse
plongé dans le sommeil, tandis que
l'homme lui-même passe dans le monde astral. Libéré du corps physique, le sujet est beaucoup plus puissant en ce qui regarde les
effets qu'il peut produire par la pensée; cependant il ne dirige
guère sa force vers le dehors, mais en applique la plus grande partie au dedans
de lui, à des sujets qui l'intéressent pendant la
veille. Son énergie de pensée se déverse dans les moules
accoutumés et s'applique aux problèmes que la conscience cherche à résoudre à l'état de veille.
Le
proverbe: "la nuit porte conseil", l'avis donné à ceux qui
ont une importante décision à prendre, de "dormir avant de se
prononcer" ce sont là de vagues intuitions du fait que l'activité mentale se poursuit pendant le sommeil. Sans tenter expressément
d'utiliser l'intelligence mise en liberté, l'homme recueille cependant
le fruit du travail de son intelligence.
Ceux,
cependant, qui essaient de diriger leur propre évolution
au lieu de la laisser aller à la dérive devraient, en connaissance de cause, profiter du pouvoir plus grand qu'ils
peuvent exercer dès
qu'ils ne sont plus entravés par le poids du corps. Ce qu'il y a à faire pour cela est simple. Le problème quelconque dont on désire
trouver la solution doit être tranquillement maintenu devant le mental au moment de s'endormir; il ne
faut pas le creuser, chercher des arguments, sans quoi le sommeil ne viendra
pas: il faut
simplement le poser et voilà tout. Ceci suffit pour donner à la
pensée la direction requise: le Penseur reprendra le problème et
s'en occupera lorsqu'il n'aura plus à s'inquiéter de son corps
physique. La solution se présentera le plus souvent à l'esprit au
moment du réveil, c'est-à-dire que le Penseur l'aura inscrite dans le cerveau; aussi est-ce une bonne
précaution que d'avoir du papier et
un crayon prés de son lit, pour noter immédiatement au réveil les
solutions, car celles qu'on obtient ainsi sont aisément effacées par
la foule d'impressions venues du monde physique – et il n'est pas
facile de les retrouver. Bien des difficultés de la vie pourront être éclairées nettement par ce procédé, et un sentier pourra être tracé au milieu des obstacles. De même, plus d'un problème mental
trouvera sa solution lorsqu'on le soumettra à l'intelligence alors qu'elle n'est point alourdie par le cerveau physique, de
nature plus
dense.
Une méthode analogue permettra à l'étudiant
d'aider, pendant
son sommeil, un ami encore vivant ou déjà dans l'autre monde. Il
devra se représenter en esprit son ami, et s'efforcer de le trouver et de l'aider. Cette image
mentale attirera l'un vers l'autre l'ami et lui, et ils communiqueront l'un avec
l'autre dans le monde astral. Mais,
dans le cas où la pensée de l'ami éveillerait une émotion
quelconque – par exemple s'il s'agit d'un ami disparu – l'étudiant
devra s'efforcer de calmer son émotion avant de s'endormir. Car
cette émotion cause un tourbillon dans le corps astral, et lorsque celui-ci est fortement
agité, il isole la conscience et met les
vibrations mentales dans l'impossibilité de s'extérioriser.
Il
y a des cas de communication dans le monde astral dont la
mémoire, à l'état de veille, conserve un "rêve", tandis que d'autres
cas ne laissent aucune trace. Le rêve est le souvenir, – souvent
confus et mêlé de vibrations étrangères – d'une rencontre hors du
corps; c'est comme tel qu'il doit être considéré. Mais si le cerveau
n'a conservé aucune trace, cela n'importe pas, puisque l'activité de
l'intelligence libre n'est pas entravée par l'ignorance du cerveau qui n'y collabore pas. Le pouvoir que peut exercer
un homme dans le
monde astral, n'est pas subordonné aux souvenirs qu'enregistre
dans le cerveau la conscience lorsqu'elle réapparaît; ces souvenirs
peuvent faire complètement défaut, alors qu'un travail très
fructueux a rempli les heures où le corps était endormi.
Une
autre forme du travail de la pensée auquel on songe peu et qui est possible aussi bien dans le corps physique qu'en
dehors de lui, c'est la collaboration aux grandes causes, aux mouvements
collectifs au profit de l'humanité.
Méditer là-dessus d'une façon spéciale, c'est générer des
courants d'aide émanant des plans intérieurs de notre être, et nous
pouvons, en particulier, examiner la chose par rapport au:
L'accroissement de force qui résulte de ce que plusieurs
personnes s'unissent en faveur d'un même but, est reconnu, non seulement par les occultistes, mais par tous ceux qui
entendent
quelque chose à la science approfondie de l'esprit. Il est d'usage, dans quelques parties au
moins de la Chrétienté, qu'avant d'envoyer
un missionnaire évangéliser quelque région particulière, on
s'assemble pour méditer longuement sur un point précis. Un petit
groupe de catholiques romains, par exemple, se réunira pendant
des semaines ou des mois avant le départ d'une mission, pour
préparer le terrain sur lequel on veut agir, en imaginant les lieux, en s'y transportant
par la pensée, enfin en méditant avec une
attention soutenue, quelque dogme particulier de l' Église. Il se
forme ainsi, dans le pays éloigné, une atmosphère de pensées plus
favorables à la propagation des dogmes du catholicisme, et les
cerveaux récepteurs sont préparés à désirer recevoir
l'enseignement. L'oeuvre de la pensée sera facilitée par
l'accroissement d'intensité qu'elle devra aux prières ferventes, autre
forme du travail de la pensée produite par l'ardeur de la ferveur
religieuse.
Les
ordres contemplatifs dans l'Eglise Catholique Romaine accomplissent, au moyen de
la pensée, une oeuvre bonne et utile, de
même que les ascètes des religions Hindoue et Bouddhiste. Partout
où une intelligence bonne et pure se met à l'oeuvre pour venir en
aide au monde, en y répandant des pensées nobles et élevées, un
service réel est rendu aux hommes, et le penseur isolé devient un
des leviers du monde.
Un groupe d'hommes qui ont des convictions communes, un
groupe de théosophes, par exemple, peut contribuer, dans une large
mesure, répandre les idées théosophiques dans leur entourage
immédiat, s'ils s'entendent pour consacrer, en même temps, dix
minutes par jour à la méditation de quelque enseignement
théosophique. Il n'est pas nécessaire que leurs personnes soient
réunies en un même lieu, pourvu que leurs esprits soient unis. Supposons un petit groupe ayant
décidé de méditer sur la
réincarnation dix minutes par jour, à une heure convenue, pendant
trois ou six mois. Des formes-pensées très puissantes viendraient
assaillir en foule la région choisie, et l'idée de réincarnation
pénétrerait dans un nombre considérable d'esprits. On s'informerait, on chercherait des livres sur le sujet et,
après une
préparation de ce genre, une conférence sur la question attirerait un
public très avide d'informations et à l'avance très intéressé. Un
progrès hors de proportion avec les moyens physiques employés se
réalise partout où des hommes et des femmes s'entendent
sérieusement en vue d'une telle propagande mentale.
Voilà donc comment nous pouvons apprendre à utiliser les
grandes forces qui sont en nous tous, et à les utiliser en vue du
meilleur résultat possible. A mesure que nous les exercerons, elles
se développeront jusqu'à ce que nous constations, avec surprise et ravissement, que notre pouvoir de
nous rendre utiles est immense.
Souvenons-nous que nous faisons de ce pouvoir un usage continuel: faiblement,
d'une manière inconsciente et spasmodique, nous modifions sans cesse en bien ou en mal tous
ceux qui se
trouvent sur notre route. Nous nous sommes efforcés ici de persuader le lecteur d'user de ces forces consciemment, continuellement
et énergiquement. Nous ne pouvons nous
empêcher de penser dans une certaine mesure, si faibles que soient les courants de
pensée par nous produits. Nous modifions
forcément ceux qui nous entourent, que nous 1e voulions ou non, la seule question
que nous ayons à trancher est de savoir si nous
voulons le faire d'une manière profitable ou d'une manière nuisible à autrui, faiblement ou fortement, en laissant agir le hasard ou en connaissance
de cause.
Nous ne pouvons pas empêcher que les pensées des autres n'entrent en contact avec notre mental; nous ne pouvons que choisir
celles que nous voulons accueillir et celles que nous voulons rejeter. Nous
modifions et nous sommes modifiés
forcément; mais nous pouvons modifier les autres à leur avantage
ou à leur désavantage, nous pouvons être modifiés en bien ou en
mal. C'est cela que nous avons à choisir, et notre choix est d'une
importance essentielle pour nous-mêmes et pour le monde tout
entier:
"Surtout choisissez bien, car votre choix est bref.
C'est un moment, mais c'est aussi l'éternité."
Paix à tous les êtres.
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