LES THÉOSOPHES D'AUTREFOIS ET D'AUJOURD'HUI

par Phan-Chon-T�n

���������������������� En cette ann�e o� est f�t� le Centenaire de la publication de �La Doctrine Secr�te�, et o� la Soci�t� Th�osophique totalise cent treize ann�es d'existence, il est bon de faire un retour en arri�re et d'aller � la recherche de nos sources.

���������������������� �Si nous lisons �La Cl� de la Th�osophie�, nous apprenons que le terme �th�osophie� date de plusieurs si�cles. Si nous nous ref�rons au nom cit� comme celui du premier �th�osophe�, Ammonius Saccas, la chose th�osophique a sa racine dans la �substance mentale� -pour paraphraser Patanjali- de l'humanit� des tout premiers si�cles de notre �re, et s'est concr�tis�e dans la c�l�bre Ecole d'Alexandrie, au III� si�cle.

���������������������� Il faut bien se rappeler que le mot �th�osophie� est d'origine grecque, car Ammonius Saccas a �tabli son �cole � Alexandrie et tous ses disciples, tel Plotin, �taient Grecs. Donc, th�osophie vient de theos, dieu, et de sophia, connaissance ou sagesse; et le mot �dieu�, comme H.P.B. a bien pris la pr�caution, judicieuse et justifi�e, de le pr�ciser, doit �tre pris dans le sens grec, c'est-�-dire une personnification d'un aspect ou d'une force de la Nature, com�me Apollon repr�sentant le soleil, l'�quivalent du R� �gyptien. Il est important de souligner la naissance de ce mot dans un berceau hell�nique, car, par suite, le mot theos fut adopt� par les docteurs de l'Eglise naissante et incorpor� dans le jargon th�ologique, pour d�signer �Dieu�, pendant les si�cles qui s�par�rent l'Ecole d'Alexandrie de la Soci�t� Th�osophique.

���������������������� Il convient d'avoir cette double �tymologie bien claire dans l'esprit pour lire la plupart des explications donn�es du mot �th�osophie� dans les dictionnaires et les encyclop�dies. Un des meilleurs textes � ce propos se trouve dans l'Encyclopaedia Universalis, un texte fort document� et r�dig� avec rigueur, honn�tet� et objectivit�. Il sera examin� plus loin, mais, pour l'instant, relevons ce passage concernant la Soci�t� Th�osophique: �Il importe de distinguer soigneusement de ce courant la Soci�t� qui, d�s la fin du si�cle dernier, v�hicule sous la m�me �tiquette un programme qui est presque sans aucun rapport avec la plus profonde tradition th�osophique.� Rappelons le jugement, cit� par ce texte, de Ren� Gu�non, qu'entre �la doctrine de la Soci�t� Th�osophique, ou du moins ce qui lui tient lieu de doctrine, et la th�osophie au sens v�ritable de ce mot, il n'y a absolument aucun lien de filiation, m�me id�ale�. Ren� Gu�non est d'ailleurs le dernier nom de la liste des �plus grands th�osophes�, selon l'auteur du texte encyclop�dique; laissons � celui-ci la responsabilit� de cette affirmation.

���������������������� Ce qu'il est important de faire, c'est de retracer bri�vement l'�arbre g�n�alogique� des �th�osophes�, d'en d�gager la d�finition �accept�e� du mot th�osophie, et de voir si la doctrine, dont l'existence m�me est contest�e par Gu�non, de la Soci�t� Th�osophique est conforme au sens �tymologique du mot.

���������������������� La fa�on la meilleure, et la plus simple, d'esquisser l'origine et l'�volution de l'id�e th�osophique est de citer des passages du texte dont il a �t� question plus haut. Pour ne pas entrer tout de suite dans l'un ou l'autre des syst�mes th�osophiques, et pour avoir une id�e d'ensemble, voyons d'abord la liste mentionn�e plus haut. �Depuis Ammonius Saccas et Plotin (III� s.), on peut citer, parmi les plus grands th�osophes d'Occident: les kabbalistes juifs (le Zohar� fut �crit au VIII� s., et la kabbale est �videmment une th�osophie), Paracelse, Corneille d'Agrippa, Fran�ois Georges de Venise, Guillaume Postel, Henri Khunrath, Valentin Weigel (XVI� s.); Michel Maier, Robert Fludd, Jacob Bohme, Johann Georg Gichtel, Pierre Poiret, Antoinette Bourignon, John Pordage, Thomas Vaughan (XVII� s.); Georg von Welling, Antoine Fabre d'Olivet, Saint-Georges de Marsay, Dutoit‑Membrini, J.C.Lavater, Emmanuel Swedenborg, F.C.OEtinger, Martines de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin, Novalis, Karl von Eckartshausen, Michael Hahn, Jean-Baptiste Willermoz (XVIII� s.); P.S.Ballanche, Franz von Baader, Eliphas Levi, Edouard Schur�, Stanislas de Guaita, Jos�phin Peladan, Saint‑Yves d'Alveydre (XIX� s.); V.Soloviev, N.Berdiaev, S.Boulgakov, Rudolf Steiner, S�dir, Ren� Gu�non (XX� s.).�

���������������������� Cette liste qui, on le suppose et l'esp�re, n'est pas exhaustive dans l'esprit de l'auteur, est fort instructive car elle r�unit des gens qui sont connus comme adeptes de mouvements tr�s divers. Tout en regrettant que l'��sot�risme iranien� mentionn� plus haut dans le texte n'y soit pas repr�sent�, l'on note avec plaisir que les kabbalistes juifs y figurent en bonne place et m�me que �la kabbale est �videmment une th�osophie�. Et l'on peut f�liciter l'auteur pour sa consistance, car tout ce beau monde r�pond effectivement � la d�finition qu'il a donn�e tout au d�but de son texte; �Il arrive aux docteurs de l'Eglise (de langue grecque notamment) d'appeler theosophia (�Sagesse de Dieu�), la th�ologie, car sophia, �sagesse�, signifie � la fois une connaissance et une doctrine (le sophos est un �sage�).� On voit bien que le r�dacteur de cette glose s'est bien renseign� sur le sujet, mais que, sans doute sous l'influence de certaines de ses sources, son esprit ne s'est pas aventur� au-del� du Moyen-Orient. C'est donc une th�osophie limit�e qu'il pr�sente, la tradition jud�o-chr�tienne, tout au plus teint�e de la tendance iranienne. Et si l'on s'en tient aux �valuations exot�riques, on ne peut que se f�liciter de lire dans l'Encyclopaedia britannica, un texte beaucoup plus large; �Elle (la th�osophie) est plus reli�e � la religion qu'� la philosophie dans le sens occidental souvent attribu� au terme, et est plus � l'aise avec les modes traditionnels indiens de pens�e qu'avec les modes gr�co-europ�ens, �tant donn� que les penseurs de l'Inde, par principe, ne tirent pas une ligne de d�marcation tranchante entre le qu�te religieuse et la recherche philosophique.� Essayons de faire le point de la question.

���������������������� Le fait que le mot theosophia est traduit par �sagesse de Dieu� est une explication implicite de l'opinion de l'auteur de la glose, � savoir que la Soci�t� Th�osophique v�hicule �un programme qui est presque sans rapport avec la plus profonde tradition th�osophique�. Car, pour ladite soci�t�, theosophia est la �sagesse des dieux�. Et �La Cl� de la Th�osophie� dit clairement: �Par cons�quent, ce n'est pas "Sagesse de Dieu" qu'il faut dire, ainsi que le traduisent certains, mais sagesse divine, telle que celle poss�d�e par les dieux�. Et l'on se rend compte imm�diatement du sens ambigu du mot "divin". Il y a alors tout lieu de penser que, lorsque l'auteur du texte cit� plus haut �crit: �les theosophoi sont ceux qui connaissent les choses divines�, ce dernier mot se rapporte � �Dieu�, tandis que, lorsqu'on dit qu'Ammonius Saccas �tait un theodidaktikos, on entend bien qu'il fut �instruit par les dieux�. Et l'on est alors en droit de dire que la tradition occidentale qu'on a d�nomm�e th�osophique -pour employer les termes m�mes de l'auteur cit�- �est presque sans aucun rapport avec� la tradition th�osophique originelle. Le seul rapport r�siderait dans le fait que ce que l'Occident chr�tien appelle Dieu peut �tre vu comme l'ensemble des dieux. Mais arr�tons l� la controverse verbale, et examinons la d�marche th�osophique.

���������������������� �Le th�osophe appara�t comme un rationaliste mystique (�raison� signifiant ici �coh�rence�, mais point n�cessairement une coh�rence de nature aristot�licienne) ou, mieux, comme un mystique rationaliste, ou encore comme les deux � la fois�. Cette description du th�osophe est tr�s heureuse, car elle s'applique � tout th�osophe, que la source de sa sophie soit �Dieu� ou �les dieux�. Car, quelle que soit l'�cole � laquelle il appartient, le champ de vision du th�osophe a la dimension du cosmos et sa r�flexion, bas�e sur la foi, est cependant libre de toute contrainte dogmatique. C'est pourquoi un th�osophe digne de ce nom ne dit pas d'un autre qu'il �n'a aucun lien de filiation�. Car ce lien, s'il est vrai et valable, n'est pas apparent ni perceptible aux yeux de la chair: la d�marche th�osophique est essentiellement �sot�rique et tout expos� destin� au �public� ne peut qu'appara�tre �chaotique, d�lirant, incoh�rent� � un oeil non-habitu� � lire derri�re la lettre.

���������������������� �Le credo ut intelligam (je crois pour comprendre) de Saint Anselme serait assez proche de la d�marche des th�osophes�, affirme avec raison l'auteur du texte encyclop�dique. En effet, �son travail commence l� o� cesse la philosophie rationelle, il finit l� o� commence la th�ologie�. En d'autres termes, si le rationaliste dit �je ne crois que ce que je comprends�, et si le th�ologien s'enferme dans une croyance aveugle tout en la diss�quant de fa�on st�rile, le th�osophe cherche � comprendre, soit la Nature qui l'entoure (Ecole d'Alexandrie, Soci�t� Th�osophique), soit �Dieu� (th�osophes jud�o-chr�tiens), non pas avec un intellect froidement rationnel, mais en faisant appel au �divin� qui est en lui et autour de lui: sa sophia vient du theos (que celui-ci soit Un ou multiple). Et comme il se rend compte du peu de choses qu'il sait sur theos, il ne s'enferme dans aucun syst�me, le plus parfait que celui-ci puisse para�tre, et garde son esprit ouvert, �en attente�, mais examine toute inspiration avec intelligence et discernement. La devise de la Soci�t� Th�osophique, d'ailleurs emprunt�e �la tradition hindoue, -satyan nasti paro dharma, aucun syst�me n'est sup�rieur � la v�rit�- t�moigne bien de cette attitude � la fois expectative et ��clectique�. Le dernier qualificatif est celui que s'est appliqu� l'Ecole d'Alexandrie, dont les adeptes se nommaient �philal�th�iens�, amis de la v�rit�. Et, comme il se rend compte aussi de la capacit� limit�e de son intellect � tout comprendre par raisonnement analytique, le th�osophe travaille aussi par analogie. Cette attitude fait partie du �credo� de la formule cit�e plus haut, la croyance que �ce qui est en bas� est un reflet de �ce qui est en haut�; les diff�rences, voire divergences, entre les �coles th�osophiques ont leur source dans le niveau o� on place le �haut� -les dieux ou Dieu-, et dans celui o� se trouve le miroir sur lequel s'op�re la r�flexion. C'est ici que se distinguent les trois cat�gories de th�osophes mentionn�es plus haut: le rationaliste mystique, le mystique-et-rationaliste, le mystique rationaliste. A ce propos, il est �tonnant que la liste ci-dessus ne comporte aucun mystique; l'auteur, inconnu, du Nuage d'Inconnaissance (l'ouvrage original, en langue anglaise, s'intitule The Cloud of Unknowing) est, � mon sens, bien plus digne du titre de th�osophe que certains noms de la liste cit�e. Il est d'ailleurs inutile de poursuivre plus avant cette querelle de d�finition. En effet, toute d�finition est forc�ment intellectuelle, alors que la �sagesse divine� s'acquiert et s'exprime par d'autres moyens. Et il convient de (re)donner au mot th�osophie sa signification universelle et essentielle.

���������������������� La qu�te th�osophique est l'effort humain pour d�couvrir le divin. C'est cette aspiration qui est importante, quelles que soient la place et la race auxquelles cet humain appartient, et quelle que soit l'image du divin qu'il a h�rit�e du contexte social et religieux dans lequel il est n�, grandit et vit. Quelle que soit l'opinion qu'on a des ouvrages de H.P. Blavatsky, et surtout quoi que chacun soit capable d'en comprendre, une chose qu'elle a dite traduit bien l'attitude qui vient d'�tre d�crite: la doctrine occulte est sui generis (s'auto-g�n�re). Les �choses divines� sont celles que l'�tre humain �ordinaire� ne conna�t pas (encore). Et la limite de cette connaissance ne r�side pas seulement dans la quantit� de d�couvertes faites par son intellect, mais aussi et surtout dans le �v�cu�, dans l'exp�rience qu'il aura faite, dans sa vie, de ces d�couvertes. Chaque exp�rience modifie son comportement, le contenu quantitatif et qualitatif de sa psych�, l'�tendue horizontale et verticale de son ��tre�, et le rend apte � comprendre davantage. C'est pourquoi le travail th�osophique est impossible sans une base �thique. Cette base, elle aussi, peut se placer sur une z�ne s'�chelonnant du mysticisme profond -c'est alors l'�abandon �Dieu�, ishvarapranidhana- au gnosticisme exp�rimental qui aboutit � l'alchimie spirituelle, la re-cr�ation d�lib�r�e de son propre �tre par une oeuvre pers�v�rante de trans�mutations pr�cises. Le �nouvel homme� de Louis-Claude de Saint-Martin n'est pas seulement celui qui a accumul� beaucoup de connaissances dans son intellect, mais un homme dont la constitu�tion dans sa totalit�, physique, psychique et mentale, a chang�. C'est pourquoi il est apte � comprendre �autre chose�, par osmose ou syntonisation. En lui, les choses jusqu'alors �divines� (ou �occultes�) deviennent actuelles: le th�osophe a alors atteint sa th�ophanie (la manifestation de Dieu / des dieux), et sa vie n'est plus individuelle mais universelle.

����������������������������������������������� Connais-toi toi-m�me

����������������������������������������������� Et tu conna�tras l'Univers et les dieux.

���������������������� L'univers et les dieux, il y a peu d'ouvrages qui en traitent aussi extensivement et intensivement que �La Doctrine Secr�te�. L'enseignement -un coin du voile- que H.P. Blavatsky y a (re)donn� au monde est un reflet de �la plus profonde tradition th�osophique�. Il appartient aux membres de la Soci�t� qu'elle a fond�e de faire en sorte que le �lien� que l'encyclop�diste n'a pas per�u, soit une r�alit�.


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