LES VOIES DE L’ЙVEIL
ou
Les Échelles de Jacob et d’autrespar

PHAN-CHON-TФN

2000


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TABLE DES MATIИRES

PRЙFACE                                                                  

I.  DE L’HOMME VERS DIEU ou l’Ascиse Chrйtienne 

II. DU SOI VERS LE SOI ou l’Ascиse Hindoue          

III. DU SOI AU NON-SOI ou l’Ascиse Bouddhiste        

IV DE DIEU А DIEU ou l’Ascиse Judaпque      

V.DE DIEU А L’HOMME ou l’Ascиse Islamique        

VI. INTRODUCTION AU YOGA                        

VII LES LOIS DE BASE DE LA VIE SPIRITUELLE         

VIII. LES OBSTACLES AU DЙVELOPPEMENT INTЙRIEUR             

ЙPILOGUE                                                             


PRЙFACE

            L’Humanitй est composй d’кtres de types diffйrents, et c’est la raison pour laquelle tous les кtres humains ne cherchent pas la mкme chose, et surtout pas de la mкme faзon.

            L’histoire de l’humanitй nous a montrй que cette recherche s’est exprimйe par des voies diffйrentes, incarnйes par ce qu’on appelle les religions. De par leurs diffйrences, les religions ont malheureusement йtй la cause de dйsaccords, de luttes, de guerres. Il est bon de les examiner chacune dans son essence, afin de comprendre que, en fin de compte, elles visent toutes а l’amйlioration de l’кtre humain ; seule la faзon de le faire diffиre selon l’йpoque.

            Dans ce qui suit, nous examinerons successivement le christianisme, le bouddhisme, l’hindouisme, le judaпsme et l’islam, et nous terminerons par le yoga et quelques rиgles essentielles de l’ascиse spirituelle.

            Ce livre n’est pas destinй а кtre un manuel d’йtude. Il est originellement le recueil d’une tentative d’ « йtude comparative des religions », faite sous la forme de confйrences traitant de faзon aussi simple mais aussi dynamique que possible chaque voie йvoquйe.

            Bonne route, amie et ami, sur votre voie de l’йveil !

                                    Phan-Chon-Tфn



I

DE L’HOMME VERS DIEU

ou

L’ASCИSE CHRЙTIENNE

Ce chapitre devrait plutфt s'intituler L'ABANDON а DIEU, et cette ascиse, а vrai dire, n'est pas spйcifiquement chrйtienne. Cependant, c'est dans les йcritures chrйtiennes que cette voie a йtй le plus clairement йnoncйe.

L'on connaоt bien le Pater Noster, tirй de Matthieu 6 - 9 :

«NOTRE PИRE, QUI ES AUX CIEUX,
QUE TON NOM SOIT SANCTIFIЙ
QUE TON RИGNE VIENNE
QUE TA VOLONTЙ SOIT FAITE
SUR LA TERRE COMME AU CIEL ... »

Cette priиre йnonce clairement l'absence complиte de la volontй propre de l'homme, l'abandon total de l'homme dans la main de Dieu, le fait que le Fils s'en remet entiиrement а la volontй du Pиre. C'est ce qu'a fait Jйsus en toute occasion, et c'est pourquoi l'attitude de Jйsus peut кtre prise comme le type de cette ascиse. Mais des hommes d'autres religions, d'autres traditions, la pratiquent йgalement.

Ce qui est remarquable, lorsqu'on lit les йvangiles, c'est de constater le constant effacement de Jйsus devant la volontй du Pиre.

« Mon enseignement n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyй » peut-on lire dans l'йvangile de Jean (7 - 17).

Dйjа remarquable est l'attitude effacйe de Jйsus avant qu'il n’ait mкme commencй а donner son enseignement. En effet l'on se souvient que, lorsqu'il se prйsenta devant Jean pour se faire baptiser, et que Jean refusa de le faire, il dit:

«LAISSE FAIRE POUR LE MOMENT,
CAR IL EST CONVENABLE QUE NOUS
ACCOMPLISSIONS AINSI TOUT CE QUI EST JUSTE.»   (Matthieu, 3:13)

Il n'a jamais revendiquй de mйrite personnel, eu йgard а des efforts et des peines, ni а cause de joies et de rйussites. Il se place humblement comme un agent, pas comme un acteur: « JE NE SUIS PAS VENU POUR ABOLIR, MAIS POUR ACCOMPLIR. » Autrement dit, il n'apporte rien de nouveau, il ne fait qu'amener а un certain terme ce qui a dйjа йtй commencй.

C'est un chemin difficile, trиs ingrat, car c'est une attitude qui n'est pas naturelle а la plupart des кtres humains. Chez l'homme, le sentiment du moi est enracinй, l'affirmation de soi est si naturelle, qu'il lui est difficile, quasi impossible, de rйaliser ce que Jйsus йtait et faisait. Il n'йtait rien, et tout ce qu'il faisait йtait accompli pour et par son «Pиre qui est aux cieux ». Le fait de s'abstenir de rйclamer ses droits, de se rйclamer l'auteur de ses actes, est absolu, et absolument incomprйhensible, voire inconcevable pour ses proches.

Ce fait mкme dйmontre que Jйsus avait atteint un degrй de dйveloppement qui dйpassait l'entendement de la plupart de ses contemporains. Et que la voie qu'il s'йtait choisie, йtait une voie abrupte, dure, difficile, dangereuse, mortelle. Mais c'йtait sa voie. Et il йtait arrivй а un degrй oщ cette voie lui йtait possible, et surtout oщ toute autre attitude n'йtait plus possible.

On retrouve, avec quelque surprise, l'йnoncй de la mкme attitude, dans le traitй de Yoga de Pataсjali. Dans le premier chapitre de ce traitй, Pataсjali йnonce les divers moyens par lesquels on atteint le samвdhi, l'illumination. Et aprиs avoir йnumйrй des voies plus intellectuelles, discursives, tout d'un coup, on lit le verset

I. 23 ou par l'abandon de soi а Dieu. (Оshvara‑pranidhвnвd vв)

Le mot pranidhвnв veut dire se placer entre les mains de -‑ et l'on retrouve lа une attitude tout а fait chrйtienne.

Il est intйressant, en poursuivant la lecture du traitй de Yoga de Pataсjali, de voir le Maоtre revenir а cette question dans le deuxiиme chapitre, qui traite spйcialement des moyens pour atteindre l'illumination: « L'accomplissement du samвdhi provient de l'abandon а Dieu » (II-45).

Le deuxiиme chapitre commence par:

II. 1. L'austйritй, l'йtude de soi et l'abandon а Dieu constituent le yoga prйliminaire.

Et plus loin:

II. 32. La puretй, le contentement, l'austйritй, l'йtude de soi et l'abandon а Dieu constituent les observances.

Autrement dit, l'abandon а Dieu n'est pas un dйbut en soi, mais presque l'aboutissement d'une longue discipline. Ceci est encore une autre indication, que, si Jйsus, dans la vie que nous lui connaissons, pratiquait d'emblйe cet abandon а Dieu, il n'en йtait pas au dйbut de son chemin, mais а la fin de sa quкte.

Mais revenons au verset 32, qui йnumиre les cinq « observances ». Celles-ci constituent la deuxiиme des 8 йtapes (anga) de la discipline du Yoga. Cette deuxiиme йtape est dйnommйe niyama observance positive, йtape qui suit celle de yama abstention (ou observance nйgative). La premiиre de ces observances est la puretй (shaucha); n'oublions pas que nous sommes ici а la deuxiиme йtape, et par consйquent il s'agit, non pas d'une puretй par abstention d'impuretй, mais bien d'application а кtre plus pur. Cette application, ce dйsir ardent est nй des premiиres lueurs que l'кtre perзoit, de temps а autre, de la Vie Divine, d'Ishvara, de Dieu.

          Ces lueurs viennent avec la mйditation, et l'entendement basй sur ces lueurs en a йlaborй un certain nombre d'attributs, dont la puretй est le premier et le plus fondamental. La deuxiиme observance est samtosha qu'on traduit gйnйralement par contentement et qui, йtymologiquement, signifie « joie parfaite ou constante ». C'est un йtat extrкmement positif, qui n'a rien de commun avec le contentement nйgatif, l'acceptation passive des peines de la vie. Cette joie constante est, je pense, un des attributs importants de Jйsus, et est dйcrit par tous les mystiques. Cette constance dans la joie rйsulte d'une connaissance parfaite de la loi, et est l'un des moyens de parvenir а la troisiиme observance, tapas, qu'on traduit gйnйralement par austйritй.

            Ce mot, malheureusement, introduit un йlйment de contrainte pйnible, qui n'est pas la nature de tapas. Tapas est tout simplement l'application pratique, surtout au corps, de la loi qu'on a comprise dans son essence. Tapas est vu comme austйritй, lorsqu'on veut insister sur la stricte autodiscipline, le constant effort pour soumettre le corps aux exigences de la Loi. Mais ce n'est pas plus austиre que la discipline d'un athlиte ou d'un danseur, d'un musicien ou d'un chanteur. La rйpйtition de mouvements bien dйcomposйs et bien agencйs est nйcessaire а l'acquisition de l'agilitй ou de la maоtrise artistique. Ici, il s'agit d'encore plus d’application, il s'agit d'atteindre la maоtrise totale non seulement du corps physique, mais de tous les corps; ainsi la discipline est dure, stricte, de lа austиre. Mais elle ne comporte aucun йlйment pйnible, car c'est la volontй intйrieure de se conformer а la loi qui rend austиre cette discipline.

Ce n'est qu’alors qu'on est prкt pour entreprendre l'йtude de soi (svвdhyвya), la quatriиme observance. Ceci est plus facile а saisir pour la plupart des gens, car c'est ainsi que nous comprenons gйnйralement les mots йtude, recherche, philosophie ou religion.

Cette incursion assez longue dans le traitй de Pataсjali peut surprendre le lecteur, mais est nйcessaire, car la pensйe chrйtienne ne s’oriente pas vers les dйtails techniques que ce traitй de Yoga les expose si clairement. Mais, ne lit-on pas, dans l'йvangile de Matthieu (22 - 36):

« Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cњur, de toute ton вme, de toute ta pensйe ».

De tout ton cњur, c'est la puretй.
De toute ton вme, c'est le contentement.
De toute ta pensйe, c'est l'йtude de soi.

Mais nous savons que l'austйritй est sous-jacente dans la plupart des doctrines chrйtiennes.

Ces quatre observances, йnoncйes si facilement, prennent gйnйralement toute une vie, sinon plus, pour se rйaliser. Tous les chercheurs, sages et saints sont passйs par ces йtapes, et selon leur ligne de pensйe et de recherche, ils ont passй plus ou moins de temps sur chacune d'elles.

Et ce n'est qu’une fois ces quatre exigences rйalisйes, que l'кtre est prкt а passer la cinquiиme йpreuve, qui est l'abandon de soi а Dieu.

C'est une йpreuve difficile а dйcrire, car elle paraоt nйgative aprиs des prйliminaires tellement positifs. Ce n'est donc pas la nйgation de la puretй, du contentement, de l'austйritй et de l'йtude de soi, mais le fait de transcender tout cela, de laisser tout cela, maintenant que tout cela a йtй maоtrisй, pour s'en affranchir, pour se libйrer en Dieu. Se placer dans la main de Dieu ne peut se faire que lorsqu'on n'a plus aucun lien, ni nйgatif ni positif, plus aucune attache. L'вme doit se dйpouiller de tout attachement, et se trouve ainsi sans aucun support connu. Alors seulement l'abandon est total. On ne peut s'abandonner sans abandonner ses attributs. Ces attributs ont йtй acquis, et conquis par les quatre observances prйcйdentes. Il faut maintenant les dйpasser, les transcender, et ainsi dйgagй, s'en remettre entiиrement а la volontй de Dieu. C'est un renoncement, mais pas un renoncement raisonnй, c'est une reddition inconditionnelle. Ce n'est mкme pas un ajustement de sa propre volontй а la Volontй Divine, c'est l'abstention volontaire de toute volontй individuelle, afin de n'кtre que le vйhicule de la Volontй Divine. On n'existe plus, on n'est plus qu'un outil aux mains de Dieu. (Peu importe notre conception de Dieu, pour le moment ce qui importe est l'attitude de l'кtre qui s'abandonne а ce qu'il appelle Dieu). Cet abandon est si total, que rien ne persiste de la vie profane, qu'aucune attache prйcйdente ne subsiste. C'est ce qui est montrй par le passage de l'йvangile de Matthieu, dans lequel on annonce а Jйsus que sa mиre et son frиre dйsiraient le voir; sa rйponse fut : « Quiconque fait la Volontй de mon Pиre qui est dans les cieux, celui-lа est mon frиre, et ma sњur et mon frиre. » (Matthieu, 12 - 50). [Cette rйponse rappelle celle qu'a fait le Bouddha lorsque son pиre par la chair, le roi Suddhodhana lui reprocha de vivre comme les mendiants: « Je vis comme les gens de ma race ».

« Mais ta race est celle des rois. »
« Je parle de ceux qui m'ont prйcйdй sur ce chemin. »].

L'abandon de tout attribut a pour rйsultat apparent qu'on est comme un enfant. Et c'est pourquoi Jйsus a dit: « Laissez les petits enfants, et ne les empкchez pas de venir а moi; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. » (Matthieu, 19 - 24). Ailleurs, il a prononcй ces mots: « Je Te loue, Pиre, Seigneur du ciel et le la terre, d'avoir cachй ces choses aux sages et aux intelligents, et de les avoir rйvйlйes aux enfants. » (Matthieu, 11 - 25). Ces mots montrent nettement le fait que ce n'est pas par l'intelligence ou par l'йtude qu'on peut atteindre « les choses de Dieu ». Seuls les enfants, ou ceux qui leur ressemblent, c'est-а-dire ceux qui ne sont entravйs par aucun lien physique, йmotionnel, intellectuel, peuvent кtre en contact avec la prйsence divine.

Il est intйressant de rappeler ici quelques indications donnйes par Saint Jean de la Croix.

« Nous pouvons pour trois motifs appeler nuit l'йtat par lequel passe l'вme pour arriver а l'union divine. Le premier vient du point de dйpart de l'вme, car elle doit priver peu а peu ses tendances du goыt qu'elles йprouvaient dans toutes les choses du monde et le leur refuser. Or ce refus, cette absence de jouissances est comme une nuit pour toutes les tendances et les sens de l'homme.

Le second motif vient du moyen que l'on emploie, ou du chemin par lequel l'вme doit passer, pour arriver а l'union. Ce moyen est la foi qui, obscure, elle aussi, est pour l'entendement, comme une nuit.

Le troisiиme vient du terme oщ l'вme tend, c'est-а-dire de Dieu: comme il est incomprйhensible et infiniment parfait, on peut bien l'appeler une nuit obscure pour l'вme en cette vie. »

Pour atteindre а cette union, « une seule chose est indispensable, celle de savoir se renoncer vйritablement а l'intйrieur et а l'extйrieur,... et а la mort complиte de soi-mкme. » Saint Jean de la Croix donne des indications plus prйcises:

« Il est racontй qu'Йlie, йtant au sommet de la montagne, se couvrit le visage en prйsence de Dieu (III Reg., XIX,13); cela signifie qu'il mettait son entendement dans les tйnиbres, parce qu'il n'osait pas employer un moyen si bas pour contempler un objet si йlevй. Il comprenait parfaitement que tout ce qu'il pouvait considйrer ou comprendre йtait trиs йloignй et trиs diffйrent de Dieu... Voilа pourquoi la contemplation, а l'aide de laquelle l'entendement reзoit la lumiиre divine, s'appelle thйologie mystique, c'est-а-dire sagesse cachйe de Dieu, parce qu'elle est cachйe а l'entendement lui-mкme qui la reзoit. Saint Denys l'appelle : rayon des tйnиbres. Aussi l'entendement, pour s'unir а Dieu, doit se dйpouiller de toutes les lumiиres qu'il peut acquйrir par lui-mкme. »

Ces quelques citations de Saint Jean de la Croix montrent combien les enseignements de diffйrentes traditions sont identiques. Chez Saint Jean de la Croix, l'austйritй se traduit par la souffrance. Mais а part ceci, son enseignement rejoint tout а fait celui de Pataсjali.

Or Saint Jean de la Croix est un contemplatif, et Pataсjali est un Raja Yogi, trиs teintй de jсвna, c'est-а-dire quelqu'un qui йtudie en dйtail le cheminement spirituel. Ceci dйmontre que l'йtape « abandon а Dieu » n'est pas une dйmarche йmotionnelle mais dйpasse et les йmotions et l'intellect. On a souvent assimilй cet abandon de soi а Dieu а la Voie de l'Amour, le Bhakti Yoga. Il n'est cependant pas l'apanage exclusif de cette Voie. Tous les chercheurs doivent passer par cette йtape, tфt au tard. Bien entendu cette йtape est d'une particuliиre importance chez un Bhakti, puisque le don de soi est naturel chez celui-ci. Il en est de mкme de quelqu'un qui suit la voie du Service et du Sacrifice, le Karma Yoga.

Il est а remarquer йgalement que si Jйsus a suivi cette voie de l'abandon de soi а Dieu, tous les apфtres ne suivent pas forcйment cette voie. Et l'on sait que certains grands chrйtiens sont des fervents rationalistes.

Pour clore ce chapitre, faisons appel а Gandhi. Pour lui la Vйritй, Satya, dйrive de Sat, Cela, c'est-а-dire Dieu.

« Vйritй est l'appellation exacte pour Dieu... quand on s'y conforme, toute erreur qu'on peut faire dans cette poursuite de la Vйritй se corrige automatiquement.

Car cette recherche nйcessite des tapas (austйritйs), des austйritйs volontairement acceptйes, qui peuvent parfois conduire presqu'а la mort. Elle ne laisse aucune place pour la plus petite ombre de prйoccupations personnelles intйressйes. La poursuite de la Vйritй est donc la vйritable bhakti (dйvotion). C'est le chemin qui mиne а Dieu. On n'y trouve place ni pour la lвchetй, ni pour la dйfaite. C'est le talisman qui fait de la mort elle-mкme la porte de la vie йternelle. »

N'est-ce pas par cette porte qu'est passй Jйsus ? Cet abandon de soi а Dieu est aussi l'attitude essentielle des Musulmans. On peut citer cet extrait du Roubвyat de Mevlвnв Djelal-Eddоn-S-Roumо:

« Oщ que je me prosterne, c'est devant Lui. Dans les six directions et en dehors des six directions, c'est Lui. Le jardin, la rose, le rossignol, le concert spirituel, la bien-aimйe, sont des prйtextes; celui que l'on cherche, c'est Lui »



II

DU Soi VERS LE SOI

ou

L'ASCИSE HINDOUE

«Une fois qu'il est devenu calme, maоtre de ses sens, tranquille, patient et recueilli, il devrait voir le Soi (universel) dans le soi (individuel)».

      Brhadaranyakфpanisad, IV, IV, 23

«Et maintenant ton soi est perdu dans le Soi, toi‑mкme en TOI-MКME, absorbй dans le SOI dont tu as rayonnй tout d'abord».

La Voix du Silence I

Sur ces deux versets, repose toute l'ascиse hindoue.

(Encore une fois, j'appelle cette ascиse, hindoue, parce que c'est dans l'hindouisme que cette voie est la plus typiquement dйveloppйe. Il est bien entendu qu'on trouve des adeptes de cette voie dans toutes les traditions).

Les deux idйes principales dans l'ascиse hindoue sont donc:

1. Le soi doit кtre uni au Soi : Yoga
2. Le Soi individuel (Вtman) est le Soi universel (Brahman)

Sachant ceci, il se consacre а cela, et en rйalisant le Soi (Вtman) par le Yoga, dйcouvre du mкme coup, Brahman, le Soi universel, Dieu.

Nous allons d'abord йtablir le deuxiиme point, car une fois ce point bien йtabli, nous le laisserons pour traiter surtout du premier.

Une des meilleures explications sur le deuxiиme point a йtй donnйe par le Swami Siddheswarвnanda (Avant-Propos du livre Comment discriminer le Spectateur du Spectacle ?, Drg-Drзya-Viveka, traduit par M. Sauton, Йd. A. Maisonneuve., Paris, 1945).

« Les termes: "Brahman'' et "вtman’’ sont, en quelque sorte, les deux piliers sur lesquels repose l'йdifice entier de la philosophie hindoue; ils indiquent, l'un et l'autre, l'ultime Rйalitй. Le mot Brahman semble, а l'origine, avoir signifiй «priиre» car il dйrive de la racine "brh'', croоtre, s'йpanouir ; Brahman, en tant que priиre, est ce qui se manifeste comme langage articulй; de lа, provient le sens philosophique qui s'applique ‑ non seulement au langage ‑ mais а ce qui йclфt spontanйment, c'est-а-dire а la Cause premiиre de l'Univers. Le terme ‘‘Вtman" a dы, au dйbut, signifier "le souffle"; il en arrive а dйsigner l'йlйment essentiel de toute chose, et, notamment, de l'individualitй humaine.

Nous voyons par lа comment ces deux termes finirent par dйnommer Brahman, la source ultime du monde extйrieur ‑ et l’вtman, le Soi intйrieur. Dиs lors, Brahman et вtman furent utilisйs comme synonymes; la pensйe hindoue avait rйussi а identifier l'une avec l'autre, la "rйalitй extйrieure" et la "'rйalitй intйrieure", c'йtait, au point de vue spirituel, la dйcouverte la plus fйconde».

L'on peut citer, pour appuyer ces dires, quelques lignes du Mundakopanishad:

«11.3. De Lui naissent la vie, le mental et tous les sens, l'йther, l'air, le feu, l'eau et la terre, support de tout...

9.       De Lui tous les Ocйans et toutes les montagnes ; de Lui toutes les riviиres de toutes sortes, de Lui toutes les plantes; la sиve aussi, par quoi en vйritй le Soi intйrieur s'unit а la crйature.

10.    Ce tout est en toute Vйritй l'Homme : action, pensйe et aussi le sublime Brahman, l'immortel».

Et cet autre verset, tirй du Kaivalyopanishad:

«10. Вtman, qui se tient en tous les кtres, tous les кtres aussi sont en lui; c'est en le voyant distinctement qu'on va au Suprкme Brahman et par nul autre moyen».

Depuis les temps immйmoriaux, cette identitй entre Вtman et Brahman a йtй enseignйe, dans les Vйdas, puis par toutes les йcoles ultйrieures. Et l'esprit de l'hindou est tellement nourri de cette identitй, cette identitй est tellement ancrйe dans son esprit, qu'elle y a une place toute naturelle, presque innйe. C'est pourquoi, si l'hindou de la rue, le croyant, prie Dieu par l'intermйdiaire de ses hypostases, le vrai chercheur hindou emprunte le chemin pratique, celui qui mиne а la dйcouverte de l’Вtman, du Soi, car nous l'avons vu, « c'est en le voyant distinctement qu'on va au Suprкme Brahman, et par nul autre moyen. » Si donc, pour le croyant, Brahman est avant tout priиre, pour le chercheur, Brahman est avant tout l'кtre, l'кtre-tй devrions-nous dire, et il le recherche en йtant le soi.

Dans l'йvolution de la philosophie hindoue, il y eut bien entendu maints essais pour justifier cette identitй. Dans le fond, c'est un problиme qui, sur le plan pratique, n'est pas important. Mais comme l'кtre humain a toujours besoin de «comprendre» quelque chose avant de pouvoir le mettre en pratique - ici rйside une diffйrence essentielle avec l'attitude d'abandon dont nous avons parlй dans la premiиre partie - nombre de philosophes s'y sont attachйs.

« Le concept de Brahman, privй d'application sur le plan individuel, n'йtant tout au plus qu'une hypothиse; au point de vue spirituel il йtait dйpourvu de valeur.

Le concept d'Вtman, privй d'application sur le plan universel, йtait limitй, et, par consйquent, impuissant а suggйrer la Rйalitй intйgrale ». (Siddheswarвnanda, ibidem).

Car, contrairement au chrйtien qui considиre Dieu plus «intйrieur» que l'homme, l'hindou plus pragmatique, conзoit une rйalitй subjective, lui-mкme (mot а dйfinir), dont l'ultime concept est l'Вtman, et une rйalitй objective, le monde qui l'entoure, et dont l'ultime concept est Brahman. Autrement dit, et c'est ici qu'il faut bien comprendre le fondement de l'ascиse hindoue, l'Вtman, le Soi, est le dieu intйrieur , tandis que Brahman est le dieu extйrieur . C'est une position initiale qui est quasi diamйtralement opposйe а celle des chrйtiens. et, aussi paradoxal que cela puisse paraоtre aux chrйtiens, pour l'hindou, le dieu extйrieur - c'est-а-dire Dieu - est plus facile а connaоtre, que le dieu intйrieur. Pourquoi? Parce qu'on peut en observer les manifestations de faзon objective. Ainsi, paradoxalement, le cheminement de la dйcouverte intйrieure de l'Вtman, le Yoga, s'appuie sur les modalitйs de manifestation extйrieure de Brahman.

Autrement dit, pour rйsumer ce qui a йtй dit jusqu'ici :

1. Parce que Dieu, Brahman et l’Homme, Atman sont identiques, la dйcouverte de l'Homme conduit automatiquement en une dйcouverte de Dieu, Brahman. Point n'est besoin donc de s'occuper de chercher Dieu. La seule ascиse valable est la dйcouverte du Soi.

2. Mais l'Вtman ayant ses koshas, ses enveloppes faites des йlйments des divers aspects de la manifestation de Brahman, la dйcouverte du Soi, de l'Вtman, repose - essentiellement et pratiquement - sur la connaissance et la maоtrise de ces divers aspects de la manifestation.

Il y a ainsi dans l'ascиse hindoue, une interpйnйtration de Dieu et de l’Homme, la connaissance des « њuvres de Dieu » (pour employer un terme chrйtien) menant а la dйcouverte de l'Homme.

Autrement dit, si l'idйal hindou est spirituel, la dйmarche de l'ascиse hindoue se fait dans le matйriel, et est - а toutes fins utiles - matйrialiste si on peut employer ce terme dans le sens de l'intйrкt portй а la matiиre.

C'est pourquoi - et ceci soit dit en anticipant sur l'йtude des bases du yoga, qui se fera un peu plus tard ‑ si dans l'Inde, l'observateur non averti dйnombre sept yogas principaux, а savoir : le Raja Yoga, le Karma Yoga, le Jсвna Yoga, le Bhakti Yoga, le Laya Yoga, le Hatha Yoga et le Mantra Yoga, et apprend – intellectuellement ‑ que les quatre premiers yogas sont des yogas spirituels tandis que les trois derniers sont des yogas matйriels, et surtout pense que chacun des yogas est une unitй en lui -mкme, l'hindou sait que, de par sa nature innйe, il est plus apte а adopter initialement une forme de yoga, mais qu'ultй­rieurement, il lui faut pratiquer, simultanйment, toutes les formes de yoga, et qu'ultimement, le yoga ‑ alors intйgrй - le mиne а la dйcouverte de lui-mкme, de son Soi, par l'intermйdiaire de la connaissance et de la maоtrise des йlйments - empruntйs au monde objectif - qui composent les enveloppes de son Soi.

Ayant jetй ces bases, nous pouvons maintenant aborder notre йtude de l'ascиse hindoue. Et pour commencer, voyons d'abord les diffйrents aspects de la manifestation de Brahman, et les enveloppes correspondantes de l'Вtman.

  Brahman    Вtman  
Sat :    Brahma          
Purusha
Chit:     Avidya        Jivвtma     Avyakta
Вnanda:   Mahat          Вtma
 
L'univers     Objectif  L'homme = jоva

La construction de l'univers est exposйe par des rйcits mythologiques, trиs difficiles а dйmкler. Aprиs tout, ce n'est pas exactement ce qui nous intйresse, car les diffйrents degrйs de cette manifestation que l'enseignement thйosophique appelle plans, ne sont que le support sur lequel se joue le drame de la manifestation. Ce qui nous concerne, c'est l'ascиse de l'homme.

Si l'on suit l'enseignement du Vedвnta, вtma (ou le jоva), ayant йtй imprйgnй par Avidya, la caractйristique de Chit, ignore son identitй avec Brahman. Il commence donc а dйvelopper ce qu'il a reзu d'Вtman, la conscience de l'кtre, ahamkara -qui devient alors la conscience du «je» - se donne des «gaines», des «enveloppes» (kosha). Ces cinq gaines sont:

Les cinq gaines sont:
 
annamaya-kosha    enveloppe corporelle
prвnamaya-kosha        enveloppe de vie
manomaya-kosha          enveloppe psychique (du mental)
vijсвnamaya-kosha        enveloppe de raison
вnandamaya-kosha           enveloppe de fйlicitй

Notons que tous ces termes se terminent par maya. Maya est la matrice de l'univers, c'est la cause de la dualitй, cause de l'Avidya. Tout ce qui existe n'existe que par maya.

Rappelons aussi que c'est au niveau de Chit que Brahma commence а se manifester, plutфt porte le germe de la manifestation, qu'il se divise en deux, Vidya qui garde la nature de Sat Vйritй, et Avidya, qui a perdu la nature de Sat, est a-Sat. [Comme Sat est gйnйralement traduit par l’Кtre, a-Sat est souvent traduit par non-кtre, ce qui introduit une idйe de nйgation. Or c'est Avidya, qui tire son origine de maya, qui est la source de toute crйation.] Il est aussi considйrй, dans la philosophie hindoue, que cette duplication s'est faite parce que Brahma se pose la question : « Puis-je devenir multiple ? »

C'est une faзon anthropomorphique d'exprimer ce qui s'est produit а l'origine de toute crйation. Mais c'est pour cette raison aussi que Chit est considйrй, dans la philosophie hindoue, comme la «matiиre mentale» primordiale.

Citons pour preuve, en passant car nous y reviendrons, ce verset qui est le vйritable dйbut du Traitй de Yoga de Pataсjali:

Yogash chitta-vritti-nirodhah

Le Yoga est l'inhibition des modifications du mental ou la suppression des vibrations de la matiиre mentale dans lequel le terme mental traduit le mot chitta qui tire son origine de Chit. [Dans le fond, la premiиre vibration de la matiиre mentale est l'йmergence mкme du deuxiиme aspect, l'aspect dualitй de Brahma. Et toute la manifestation est finalement une idйation, c'est-а-dire une suite de «modifications de la matiиre mentale» primordiale, qui, chez l'homme, sont dйnommйes «йtats mentaux»]

C'est l'identification de ces йtats mentaux du jоva (de l'вme en partance) avec la matiиre des divers plans qui crйe ces koshas, ces enveloppes. [Ceci est trиs bien expliquй dans les Shiva-Sutras, que Taimni commente dans son livre L'Ultime Rйalitй et sa Rйalisation.]

Il y a d'autres divisions des «enveloppes» de l'homme, telles que celles de l'йcole Taraka de Raja Yoga, qui insiste sur les upadhis (bases d'expression); mais cette division selon le Vйdanta peut nous servir de base pour notre йtude.

Pour nous remettre les idйes en ordre, rappelons que:

-Dans le principe, Вtman (le Soi individuel) est identique а Brahman (le Soi universel).

-Dans la manifestation, cette identitй, bien qu'elle soit toujours lа, est «oubliйe» а cause de l'obscurcissement du « sentiment universel » par le « sentiment individuel » (ahamkara).

L'Вtman se manifeste donc par des «йtats mentaux» qui s'identifient avec la matiиre des divers plans de l'univers pour concrйtiser autour d'eux, une «enveloppe» sur chaque plan. Ces enveloppes sont de cinq ordres.

On peut donc reprйsenter l'homme et ses enveloppes comme suit :

Brahman             Вtman

Jоva qui
s’entoure de l’     
enveloppe de    bйatitude (ananda)
enveloppe de           raison ou intuition (vijсвna)
enveloppe du          mental (mano)
enveloppe de      vie (prвna)
enveloppe de    forme (anna)

Les enveloppes se forment et se dйtruisent, vie et mort, mais jоva reste le mкme = l'homme immortel. Comme jоiva n'est qu'une manifestation de Вtma, c'est Вtma qui est le vйritable homme йternel. Вtman est l'incrйй.

Le passage de Вtman а Вtma se fait par l'intervention d'un troisiиme йlйment qui est le Karma, la loi de relativitй, le code de construction de l'univers manifestй. C'est Karma qui prйside а la construction de chacune des enveloppes. Karma, dans l'йdification de ces enveloppes, est conditionnй par un autre йlйment, difficilement concevable, qui est le type de l'Вtman. Ce sont ces diffйrentes expressions de Karma qui sont а la base des diffйrents yogas. Car chaque yoga consiste en la comprйhension, puis en la maоtrise de la loi qui gouverne l'agencement des enveloppes selon le type de l'Вtma qui s'en est entourй.

Nous verrons un peu plus tard les bases du yoga. Pour le moment, il suffit de se rappeler que, quelque soit la forme particuliиre du yoga suivi, l'ascиse consiste а dйmonter un а un les rouages de la mйcanique des enveloppes afin d'en connaоtre le plan directeur, et ensuite de s'en rendre maоtre.

Pour ce faire, on a toutes les йcritures. Mais aucune ne nous permet de nous affranchir de l'identification avec l'enveloppe. Toutes nous enseignent comment les maоtriser mais une maоtrise encore servile.

La vйritable ascиse consiste а s'affranchir de l'identification avec les enveloppes. C'est le Drg-drзya-viveka, le discernement entre le Voyeur et le Vu.

Ce discernement rйsulte а la fois d'une maоtrise de plus en plus parfaite des enveloppes, d'une assise philosophique fondamentale, qui provient d'une acceptation intellectuelle du processus de manifestation, acceptation qui, avec la discipline de yoga adoptйe, se transforme petit а petit en une certitude, puis en une rйalisation.

Afin de pouvoir dйcrire le cheminement de cette recherche du discernement, il est bon de rappeler la division psychologique de l'homme selon le Raja Yoga de Taraka.

Dans cette division, l'homme Вtma est vu comme ayant йtabli trois bases d'action, ou upadhis:     

la base spirituelle       karanopadhi
la base mentale          sыkshmopadhi
la base formelle        sthыlopadhi

C'est, trиs grossiиrement, la triade chrйtienne : l'esprit, l'вme et le corps.

L'Вtma, demeure le mкme et en mкme temps se « projette » dans le plan immйdiatement infйrieur, le plan de Buddhi, йtablissant ainsi une premiиre base d'action. Mais cette base ne peut кtre active que sur ce plan йlevй. Pour йtendre son rayon d'action, elle se « projette » de nouveau dans le plan immйdiatement infйrieur, et йtablit une nouvelle base en manas, dans le mental. Enfin, pour participer pleinement а l'йvolution universelle, cette nouvelle base se « projette » encore une fois et se constitue la vraie base d'action, qu'est l'enveloppe corporelle, le corps physique, avec son double subtil, le vйhicule de prвna.

Dans l'йtape actuelle de l'йvolution humaine, c'est dans cette base qu'est concentrй tout le travail, c'est-а-dire que l’вtma, par sa projection dans buddhi, puis sa projection dans manas, s'identifie fortement avec la matiиre la plus grossiиre. Tout ce processus est sous-tendu par ahamkara le sentiment du « je ». Et cette identification de la double projection d'Вtma avec le corps est ce que Pataсjali appelle asmita.

Ahamkara est а l'homme ce que l'attraction universelle est а l'univers. C'est la loi d'action et de rйaction qui fait qu'autour d'une idйe se concrйtise un agglomйrat de matiиre. C'est tout, c'est tout naturel. Ahamkara est ce que le christianisme appelle le pйchй originel, avec la diffйrence que, pour l'hindou, ahamkara est une loi naturelle, sans contexte mauvais. C'est ahamkara qui, par son fonctionnement contribue а l'йtablissement de la premiиre base (esprit incarnй), puis la deuxiиme base (вme ou psychй), puis la troisiиme (le complexe corporel).

Le lien qui relie вtma aux trois bases successives est appelй sutrвtma, souvent dйnommй le fil d'argent. C'est le canal par lequel la vie йmane d'вtma. Et ce sera le canal par lequel l'expйrience acquise sera retransmise des bases successivement jusqu'а вtma.

C'est un fil trиs tйnu, et qui comporte, а chaque йtape, une sorte de «relais» ou de «transformateur». Ce relais, pour le moment ne fonctionne que dans un sens, de haut en bas, et encore, ne transporte pas beaucoup de courant; mais ce qu'il fait surtout, c'est d'empкcher ce qui est en bas de remonter librement vers le haut.

Pour l'homme moyen, le plus important de ces relais est celui qui sйpare la premiиre de la deuxiиme base, celui qui se trouve entre le karanopadhi, le buddhi, et  sыkshmopadhi, la psychй.

Il est appelй antah-karana, йtymologiquement « organe interne », organe parce qu'il est un agglomйrat de matiиre destinй а un certain fonctionnement et interne parce que cet agglomйrat entoure la projection d'вtma, l'homme intйrieur. Tous les yogas visent а l'ouverture d'antah-karana afin que l'influence spirituelle se fasse sentir directement.

Donc, ce qui est prйsentement actif chez l'homme, ce sont les deux bases les plus extйrieures, le mental et le corps. C'est pourquoi beaucoup d'йcoles de yoga considиrent que l'homme a deux niveaux d'activitй, l'activitй physique qui s'exerce sur des « objets » et l'activitй mentale, dont les produits sont les « idйations » (les idйations sont les agglomйrats de matiиre mentale autour des centres de pensйe, ce que Pataсjali appelle samskara).

Les « objets » produisent des sensations dans la forme corporelle, et l'identification avec la forme corporelle est la cause de l'attachement, du dйsir. De son cфtй, le mental s'identifie avec ses « idйations » et se trouve ainsi ballottй d'une idйation а une autre. Et avec la loi d'action et de rйaction, tout ceci finit par constituer un enchevкtrement inextricable qui lie l'esprit а la matiиre.

C'est pourquoi, l'ascиse consiste а dйpartager le sujet de l'objet, le penseur de la pensйe, ce que le Vedanta dйsigne par la phrase : Drg-drзya-viveka, distinguer le voyeur du vu. C'est un processus long et ardu, car l'attachement est tenace.

On commence par discerner les objets en se mettant hors des objets. C'est facile а dire, mais l'imagination trompeuse nous joue bien des tours. Il faut d'abord comprendre ceci par l'intellect. C'est le premier pas, le discernement, la vue juste selon le bouddhisme. Puis il faut essayer de « rйaliser » cette comprйhension, et c'est l'йtape des « austйritйs ». Nous avons dйjа vu que le mot austйritй veut dire en rйalitй la mise en pratique persйvйrante, tenace, du fait de comprendre que le corps est une « base » d'action, mais que celui qui le commande lui est distinct. Beaucoup font ceci en martyrisant le corps. C'est une attitude exagйrйe, mais qui est fondйe, car le corps rйcidive, et trиs souvent, si on ne le fait pas « souffrir », il se rйveille toujours et redevient le maоtre. C'est ici que se placent la plupart des disciplines prйliminaires des yogas, et surtout du hatha yoga.

En mкme temps, sur le plan intйrieur, on s'exerce а se dйtacher des objets. C'est le deuxiиme pas intйrieur, vairagya. Vairagya et tapas vont de pair.

Petit а petit, une certitude naоt, et se renforce, jusqu'а dominer toute la psychologie de l'homme. Il n'a alors plus qu'un but, celui de la libйration finale. А partir de ce moment, le travail se fait sur des plans de plus en plus subtils, et lorsque, vraiment, les « modifications du mental » sont inhibйes, le Spectateur se rйalise, l'antah-karana s'ouvre, et l'union du soi avec le Soi se fait. Ceci se passe en un йclair, mais souvent demande une longue ascиse.

« Ce Soi ne peut кtre atteint que par la vйritй, la mйditation, par la connaissance pure et la constante discipline. »

Mundakopanishad III, 1, 5

«De mкme que les riviиres, roulant vers leur but, vont а l'Ocйan, et abandonnant leur nom et leur forme; ainsi le sage dйlivrй du nom et de la forme, s'en va а l'Homme radieux, au-delа de l'Au‑delа».

Mundakopanishad III, 2, 8



III

DU SOI AU NON SOI

ou

L'ASCИSE BOUDDHISTE

« Il est dit dans la grande loi: “Avant de devenir le connaisseur du TOUT SOI, tu dois кtre d'abord le connaisseur de ton Soi.” Pour arriver а connaоtre ce Soi, il faut abandonner le Soi au Non-soi, l’Кtre au Non-Кtre; alors tu pourras reposer entre les ailes du Grand-Oiseau. »

La Voix du Silence.

Lorsqu'aprиs ces longues heures passйes en mйditation au pied de l'arbre BO, le Bouddha atteignit l'Illumination, est-il йcrit, il se leva et ses premiиres paroles furent : « Maintenant, Toi, constructeur de ce tabernacle, Toi, je te connais. Tu ne bвtiras plus ces murs qui contiennent la souffrance, tu ne dresseras plus le faоte de tes artifices, et tu ne placeras plus de nouvelles solives sur l'argile, ta maison est dйtruite et sa poutre maоtresse est brisйe. » Ces paroles, qui passent souvent inaperзues а l'ombre des grands thиmes de la Doctrine, sont pourtant d'une importance primordiale. Elles montrent la voie du Bouddha. А la diffйrence des Hindous qui nйgligent le moi pour tendre vers le Soi, а la diffйrence des Chrйtiens qui mйprisent le moi et ne tendent que vers Dieu, le Bouddha a suivi un cheminement logique de la pensйe. Cette logique, il l'a poursuivie durant toute sa mйditation, et l'a poussйe jusqu'а la limite des possibilitйs humaines, puis l'a dйpassйe pour atteindre l'Illumination. D'ailleurs que veut dire Illumination? Ce mot signifie tout simplement le fait d'кtre йclairй, d'avoir compris. Le Bйni a dit :

« 0 disciple, tant que le savoir et la vision absolument vйritables concernant les Quatre Nobles Vйritйs n'йtaient pas parfaitement clairs en moi, aussi longtemps ai-je doutй d'avoir obtenu l'illumination. » Pour lui-mкme, la preuve qu'il a atteint l'illumination est de savoir et de voir vraiment. Savoir et voir vraiment quoi ? Les Quatre Nobles Vйritйs.

Quelles sont les Quatre Nobles Vйritйs ?

   - Souffrance
   - Cause de la Souffrance
   - Cessation de la Souffrance
   - Voie menant а la Cessation de la souffrance

Il n'est pas dans mon propos de commenter les Quatre Nobles Vйritйs ici. Je voulais juste les йnoncer pour donner une preuve de la mйthode du Bouddha. Pour s'affranchir d'une chose, il ne s'agit pas de l'ignorer ou de l'йviter, il faut la connaоtre а fond. Selon la doctrine bouddhique, toute chose existante a trois caractйristique:

  - Toute chose est sans permanence : anicca
  - Toute chose est sujette а la souffrance : dukkha
  - Toute chose est sans entitй-йgo : anatta

C'est sur cette troisiиme caractйristique que j’aimerais attirer votre attention.

L'on voit tout de suite une diffйrence fondamentale entre la doctrine bouddhique et celle par exemple de l'hindouisme. L'hindou essaie de s'affranchir de son moi pour tendre finalement vers son soi, son Вtma, considйrй comme entitй permanente, voire йternelle, le centre de l'кtre, consubstantiel а Brahma, Dieu. Bouddha nous enseigne, au contraire, que nulle "formation" n'a d'Вtma. Et dans l'enseignement du Bouddha, l'homme est aussi une "formation". « La forme est transitoire, la sensation est transitoire, la perception est transitoire, les formations sont transitoires, la conscience est transitoire. Et de ce qui est transitoire et sujet а la souffrance et au changement perpйtuel, l'on ne peut dire justement: « Ceci m'appartient, je suis ceci, ceci est moi. » Ceci йtabli dans le principe, le Bouddha sait fort bien que tous les Кtres sont attachйs а leur corps, а ce qu'ils considиrent comme leur soi, leur Вtma. Et qu'il est difficile de les en dйtacher simplement en prкchant que l'Вtma n'existe pas. Alors il a choisi de dйmontrer cela de faзon scientifique. Cette dйmonstration se trouve exposйe dans la doctrine des Khandha [Orthographe pali; en sanscrit: skhanda. Dans le contexte bouddhiste, l’emploi du pali est plus adéquat ] ou Agrйgats.

Les Khandhas, au nombre de cinq, sont:

Rupa-Khandha l'Agrйgat de la forme
Vedanв              l'Agrйgat de la sensation
Saссв                l'Agrйgat de la perception
Sankhвra           l'Agrйgat des formations mentales
Viссвna             l'Agrйgat de la conscience

Pour vous donner un spйcimen de la faзon scientifique dont le Bouddha examine les choses, voici ce qu'Il dit du Rupa-Khandha :

« Toute forme matйrielle, que ce soit la sienne propre ou une forme extйrieure, grossiиre ou subtile, йlevйe ou basse, йloignйe ou proche, appartient а l'agrйgat de la forme corporelle alliйe а l'attachement. »

Il est intйressant de s'arrкter quelques minutes sur cette phrase. Lorsque quelqu'un lit la succession des cinq khandhas, il ne manquera pas d'associer la notion d'agrйgat de la forme а celle de son propre corps physique. Or la notion d'agrйgat, dans l'esprit de la doctrine, ne se limite pas а une forme, mais а toute forme. C'est de la forme principielle qu'il s'agit. C'est la faзon dont toute forme est agrйgйe qui intйresse le Bouddha, et sachant comment la forme est agrйgйe, il est а mкme de dйfaire l'illusion de la forme, de toute forme, de la sienne propre comme de celle des autres кtres, humains ou non-humains. Or parmi ceux-ci, il en est dont la forme n'est pas visible, mais invisible, pas grossiиre mais subtile. Ce sont les кtres des rиgnes parallиles au rиgne humain, les dйvas ou dieux et les asuras ou dйmons. L'enseignement de Bouddha est tellement essentiel qu'il couvre non seulement un rиgne ou les rиgnes visibles, mais tous les rиgnes. N'oublions pas que le Bouddha est le « Seigneur des Trois Mondes » et qu'il est « l'Instructeur, non seulement des hommes, mais aussi des dйvas et des asuras ».

Voyons maintenant les Khandhas successifs. Le deuxiиme est celui des sensations et le troisiиme celui des perceptions. L'enseignement bouddhique est trиs pratique. L'Hindouisme aurait parlй de Kвma, des йmotions et des sentiments. Or l'on sait trиs bien que, pratiquement, les йmotions et les sentiments ont pour origine notre propre forme et pour objet certaines formes qui nous entourent. Comment ces formes nous sont-elles accessibles? Tout d'abord par les sensations, le toucher, l'ouпe... Ces sensations se transforment ensuite en des perceptions. Autrement dit, l'agrйgat de la sensation et celui de la perception ont а faire а notre activitй йmotionnelle, la sensation йtant le rйsultat d'activitй йmotionnelle йmanйe du physique, la perception mettant en jeu les йmotions et le principe pensant. La psychologie yoguique les appelle Kвma - rupa et Kвma-manas. Du point de vue fonctionnel ce sont des entitйs trиs puissantes, ce sont des bases (upвdhis) de notre vie. L'agrйgat des formations mentales se comprend aisйment. Je tiens seulement а faire remarquer que le Bouddha ne parle pas de pensйe, mais des formations mentales. Car, en effet, la plupart de ce qui peuple notre mental, ce que nous appelons nos pensйes, ne sont autres que des agglomйrations de matiиre mentale autour d'un centre d'intйrкt nourri par le dйsir, le plaisir, la peur, l'espoir et la crainte. Nous avons extrкmement peu de vraies pensйes. La grande part de notre activitй intellectuelle consiste а assembler, а relier les choses ensemble. Qu'est-ce qu'une thйorie, c'est une suite d'idйes, c'est selon le vocabulaire bouddhique une "formation mentale". Le cinquiиme agrйgat surprendra plus d'un Europйen: l'agrйgat de la conscience. Gйnйralement on place la conscience dans un lieu sacro-saint, au-dessus de tout, pratiquement йquivalent а l'вme ou а l'esprit. Or il est facile de dйmontrer que la conscience d'un enfant est radicalement diffйrente de celle d'un adulte, la conscience d'un кtre primitif qui vit simplement, dans la nature, est totalement diffйrente de celle d'un homme vivant dans une sociйtй dite civilisйe. Les йlйments qui peuplent la conscience de l'un sont trиs diffйrents de ceux qui peuplent la conscience de l'autre. La conscience est formйe de l'essence des expйriences passйes. Or chacun de nous a un passй diffйrent et les mкmes expйriences n'ont pas йtй "expйrimentйes" de la mкme faзon selon qu'on appartient а un groupe humain ou а un autre. Et les expйriences proviennent d'origines diffйrentes. Comme les causes sont nombreuses, les rйsultats sont йgalement multiples. Ainsi la conscience, qui est formйe par l'essence des multiples expйriences, est un agrйgat. Et en tant qu'agrйgat, il est soumis aux mкmes lois de formation, de changement et de destruction que tout autre agrйgat. Ainsi donc tout agrйgat a йtй formй. Or tout ce qui se forme, se dйsagrиge un jour, tout ce qui a un commencement, aura nйcessairement une fin. Un agrйgat est par consйquent non-permanent (anicca). Un agrйgat est aussi sujet а changement. Voyez comme notre mental vagabonde : nos formations mentales changent soit en nature, soit en nuance, mais changent continuellement. Nos perceptions et nos sensations ne sont jamais les mкmes. Une perception dйpend de l'objet perзu, mais aussi de l'кtre qui le perзoit, et l'objet perзu, telle une fleur, une maison, est changeant, et l'кtre qui perзoit change. Une sensation est hautement momentanйe et change d'une seconde а l'autre. Et notre forme! Ne lit-on pas ce vers cйlиbre: "des ans l'irrйparable outrage". D'autre part, l'on sait, scientifiquement, que notre corps est entiиrement renouvelй tous les sept ans. Ce qui se voit comme "notre" forme est ainsi donc non-permanent. Et cette forme que nous voyons aujourd'hui, n'йtait pas faite de la mкme matiиre il y a sept ans et ne le sera pas dans sept ans. Qu'est-ce qu'on voit alors, une chose qui a existй, qui existe mais remplie d'autre chose, et qui existera, autre йgalement. Il est donc illusoire d'appeler cela un soi, un Вtma. D'oщ le caractиre anatta, non-soi, de toute formation.

Ayant dйmontrй le caractиre non-Вtma des formations, voyons maintenant comment on peut atteindre cet йtat hors formation. Comme je l'ai dit dйjа plusieurs fois, la mйthode du Bouddha n'est pas d'йchapper au monde des formations, mais au contraire de s'en affranchir en le maоtrisant. Et la meilleure faзon de maоtriser une chose est de l'йtudier en dйtail afin d'en connaоtre tous les rouages. Une fois les rouages connus, on sait comment les arrкter. Quand votre auto tombe en panne, elle est un problиme pour vous et vous en кtes incommodй. Qui appelez-vous? Un mйcanicien. Que fait le mйcanicien, il teste un circuit, puis un autre, jusqu'au moment oщ il dit : « Ah , j'ai compris », ou « j'ai trouvй ». Lorsque vous ouvrez le capot de votre voiture, tous ces tuyaux, tous ces fils ... sont une jungle pour vous, et vous vous y perdez. Pour le mйcanicien, chaque tuyau, chaque fil a son rфle, appartient а un circuit dйterminй. Ce qui, pour vous, est obscur, pour lui, est tout clair. Pourquoi, parce que vous ne connaissez pas le principe du moteur, alors que lui l'a йtudiй et le met en pratique. Passons а quelque chose plus proche de notre sujet. On a vu de nos jours fleurir la psychologie, puis la psychanalyse, qui essaie de dйmontrer les rouages de la psychй humaine pour en connaоtre le fonctionnement. Rouages du conscient, rouages du subconscient, tout est mis а l'йpreuve. Dans cet ordre d'idйes, on peut dire que le Bouddha йtait un grand psychologue, non point seulement philosophique, mais scientifique et expйrimental. Pour preuve ces deux passages : « Bien que les yeux soient intacts, si pourtant une forme extйrieure n'entre pas dans le champ visuel et qu'aucune conjoncture correspondante n'ait lieu, il ne se produit dans ce cas aucune formation correspondant а l'aspect conscient, ou si les yeux sont intacts et qu'une forme extйrieure entre dans le champ visuel sans pourtant avoir une conjoncture correspondante, dans ce cas non plus, il ne se produira aucune formation correspondante de l'aspect conscient. Si enfin les yeux йtant intacts et une forme extйrieure entrant dans le champ de la vision, une conjoncture correspondante prend place, dans ce cas aura lieu la formation correspondante de l'aspect conscient. »

Remarquons tout d'abord la prйcision minutieuse de ces assertions syllogiques.

-Premier cas : yeux intacts, mais objet hors du champ de vision : pas de formation.
-Deuxiиme cas : yeux intacts, objet dans le champ de vision, mais pas de conjoncture : pas de formation.
-Troisiиme cas : yeux intacts, objet dans le champ de vision, et conjoncture : alors formation.

Le premier cas est tout simplement une leзon d'optique, autrement dit de physique pure. Le deuxiи­me cas a deux aspects : la conjoncture peut кtre une focalisation de l'њil - alors c'est de nouveau de l'optique (mauvaise vue, ou absence de focalisation volontaire), ou bien un manque involontaire ou volontaire d'attention (psychologie expйrimentale). Le troisiиme cas est un corollaire du deuxiиme cas et en est la consйquence, cependant cette consйquence comporte un pas de plus : une formation en rйsulte et apporte sa contribution а tout notre кtre. Cette formation est, primitivement, une sensation. Quand l'objet entre dans le champ de vision et que l'њil est focalisй sur lui, il se crйe une image dans l'њil : sensation physique. Cette image va ensuite кtre transmise au cerveau et interprйtйe selon l'expйrience sensitive passйe : perception. Cette perception est ensuite classifiйe, rйpertoriйe, et devient une formation mentale. Puis finalement, cette formation mentale aura un retentissement plus ou moins grand - selon qu'elle correspond plus ou moins а la tendance gйnйrale de l'кtre - sur la conscience et ainsi la modifie. La doctrine des Khandhas est ainsi une psychologie extrкmement fondamentale et pratique а la fois. Donnons encore quelques exemples de l'examen scientifique fait sur le monde par le Bouddha. Voyons la description du premier agrйgat, celui de la forme.

« Et qu'est-ce que l'agrйgat de la forme corporelle? Ce sont les quatre йlйments primordiaux et la forme corporelle qui est dйrivйe d'eux.

Et les quatre йlйments primordiaux sont : l'Йlйment solide, l'Йlйment fluide, l'Йlйment de chaleur, l'Йlйment de vibration. Qu'est-ce que l'Йlйment solide ? L'йlйment solide existe dans notre propre corps et les autres corps, il est subjectif et objectif. L'йlйment solide subjectif est la propriйtй dйpendante de notre personne qui est dure ou solide comme : les cheveux, les dents, les ongles, la peau, la chair, les muscles, les os, la moelle, les reins, le cњur, le foie, le diaphragme, la rate, les poumons, l'estomac, les intestins, le mйsentиre, les excrйments et tout ce qui sur la personne ou dans le corps, est dur et solide... »

Mкme type de description pour les autres йlйments.

Faisons maintenant un pas de plus vers le sujet en cours.

« Quoi qu'il y ait de "forme" dans la conscience, par cela s'йlиve ce qui appartient а l'agrйgat de la forme corporelle alliй а l'attachement а l'existence. Quoi qu'il y ait de "sensations"... Ces assertions d'une minutie par trop mathйmatique seront plus accessibles sous la forme suivante : « (L'origine) c'est le dйsir avide liй au plaisir et а la convoitise... »

Comment naоt le dйsir, en voici un exemple : « Lorsqu'on perзoit une forme visible, un son, une odeur, un goыt, un contact physique, ou une idйe dans l'esprit, si l'objet est agrйable, l'on est attirй vers lui, s'il est dйsagrйable, on en est йloignй. » Voilа, c'est tout simple. Ce qui nous est agrйable nous attire. Premiиre forme de dйsir : le dйsir sensuel (kama-tanha). Ceci se comprend aisйment et n'a pas besoin de longs commentaires. Puis lorsque nos corps (agrйgats) ont goыtй а un plaisir, ils dйsirent le rйpйter, garder prиs d'eux l'objet du dйsir. C'est la deuxiиme forme du dйsir : le dйsir de permanence (bhava-tanha). Puis, paradoxalement, comme on se rend compte que rien n'est permanent, on a le dйsir de profiter au plus haut point du plaisir qu'on a d'un objet de dйsir, le dйsir du bonheur le plus grand et le plus immйdiat (vibhava-tanha). [Est-ce que la psychanalyse est allйe aussi loin ?]

Nous avons vu suffisamment l'aspect scientifique de la prise de conscience du monde telle qu'enseigne le Bouddhisme. Faisons un pas de plus vers la solution proposйe. Je cite tout d'abord le deuxiиme exemple promis tout а l'heure : « Un homme est blessй par une flиche empoisonnйe, et ses amis et parents ont fait venir un mйdecin. Que fera l'homme? Se laissera-t-il soigner ? Ou dira-t-il : je ne veux pas qu'on retire cette flиche avant que je sache quel est l'homme qui m'a blessй, de quel bois est faite la flиche...? » Cet exemple montre l'esprit pratique de l'enseignement du Bouddha. Corollaire а cette anecdote est celle-ci : quelqu'un demanda au Bouddha de parler de Dieu. Il rйpondit: « Pourquoi veux-tu mesurer ce qui est incommensurable ? » Il ne nie pas Dieu, il y a mкme fait allusion а plusieurs reprises dans une forme gйnйrale : « En vйritй, il y a un rиgne oщ n'existe ni le solide, ni le fluide, ni la chaleur, ni le mouvement, ni ce monde-ci, ni un autre, ni le soleil, ni la lune. Ceci, je ne l'appelle ni une chose qui s'йlиvera, ni qui ne va, ni qui est en avant, ni en train de naоtre, ni en train de mourir. » Mais ce monde est, pour le moment hors d'atteinte, incommensurable. Occupons-nous d'abord de ce qu'on peut voir, examiner, comprendre, et finalement maоtriser. Il n'est pas possible de voir tous les aspects de l'enseignement du Bouddha en ce domaine.

Je voudrais vous donner seulement un exemple prйcis, tirй de la NOBLE VOIE OCTUPLE : Vue juste, Pensйe juste, Parole juste, Action juste, Moyen de vie juste, Effort juste, Attention juste, Concentration juste.

La succession de ces HUIT PAS est extraordinaire. Mais arrкtons-nous sur le septiиme pas : Attention juste. On peut lire ceci : « La seule faзon d'atteindre la puretй, de surmonter le chagrin, de faire cesser la peine et la douleur, d'ouvrir l'accиs au vrai chemin de la rйalisation du Nirvana, se trouve dans les quatre attentions fondamentales. » Et ces quatre attentions sont :

-contemplation du corps (Kвyвnupassanв)
-contemplation des sentiments (Vedanвnupassanв)
-contemplation de l'esprit (Cittвnupassanв)
-contemplation des phйnomиnes (Dhammвnu­passanв)

Cette contemplation du corps est l'une des caractйristiques de l'enseignement bouddhique. Elle vise deux buts principaux :

1. C'est un exercice de concentration. Le corps est l'objet dont on dispose de faзon constante. Pourquoi ne pas s'en servir comme objet de concentration. C'est un objet qui peut кtre immobile (et кtre dйtaillй а volontй) ou mouvant (et кtre observй dans son mouvement et ses rйactions) et d'autre part, il change avec le temps : c'est l'une des premiиres dйcouvertes du Bouddha (impermanence).

2. Le corps est un йlйment important de ce que nous appelons notre кtre, le plus important mкme tant que nous vivons dans ce monde physique. Il est par consйquent important de bien observer le corps, de l'йtudier dans son repos et ses mouvements, et de le maоtriser.

Il en est de mкme des sentiments et de l'esprit.

Je voudrais m'arrкter ensuite sur la quatriиme attention : Contemplation des phйnomиnes (DHAMMВNUPASSANВ)

Il est important de bien comprendre le mot dhamma. Ce mot est souvent traduit par enseignement, doctrine, religion. En rйalitй il a un sens extrкmement vaste. Dhamma [Orthographe pali; dharma en sanscrit. ] signifie tout simplement tout ce qui se concrйtise а partir d'йlйments constitutifs individuels, mais ramenй а l'aspect principiel, gйnйrique. Lorsque, par exemple, on a regardй une rose, un dahlia, un gйranium, et qu'on en tire la notion de fleur, fleur est un dhamma. Dans ce sens on peut le traduire par concept. En йlargissant, ce qui se produit est aussi un dhamma. Si le concept voiture est un dhamma, le mouvement de la voiture est aussi un dhamma. La comprйhension de ce mouvement est aussi un dhamma.

Si l'agrйgat de la forme est un dhamma, le mouvement de cet agrйgat est aussi un dhamma : c’est le concept VIE. L'excиs de fonctionnement engendre le concept agitation, ou fatigue, ou colиre. Le manque d'activitй engendre le concept paresse ... Examinant ainsi chaque concept, on en comprend la formation et finalement on s'en affranchit. Il est intйressant de remarquer que la doctrine du Bouddha est aussi appelйe Dhamma. Mкme la faзon d'expliquer les йlйments de l'illumination emploie des concepts, et leur agencement, c'est-а-dire un dhamma. Ce dhamma doit кtre йtudiй, examinй, et finalement mкme maоtrisй. Ce cheminement, qui se fait par une connaissance de plus en plus approfondie de ce qui a corps, de ce qui contribue а crйer l'illusion du soi, aboutit nйcessairement а la comprйhension de l'absence de permanence de tous ces йlйments du soi et ainsi а la comprйhension que le soi est une illusion. Cette comprйhension mкme nous projette dans le monde du non-soi. C’est l’illumination, et l’entrйe dans le monde du non-soi, dans le Nirvвna.



IV

DE DIEU A DIEU

Ou

L’ASCИSE JUIVE

Si on lit La Genиse, dans l’Ancien Testament, on se rend compte que l’histoire des Juifs commence effectivement aprиs le Dйluge :

« …Au second mois, le vingt-septiиme jour du mois, la terre fut sиche.
…Alors Dieu parla ainsi а Noй : “Sors de l’arche, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes fils avec toi. Tous les animaux qui sont avec toi, tout ce qui est chair en fait d’oiseaux, de bestiaux et de tout ce qui rampe sur la terre, fais-les sortir avec toi : qu’ils pullulent sur la terre…”
…Dieu bйnit Noй et ses fils et il leur dit : Soyez fйconds, multipliez, emplissez la terre…
Je mets mon arc dans la nuйe et il deviendra un signe d’alliance entre moi et la terre…
Les fils de Noй qui sortirent de l’arche йtaient Sem, Cham et Japhet… »
Les Patriarches d’aprиs le dйluge
            Voici la descendance de Sem : …
-1иre lignйe : Arpakshad, Shйlah,  Eber,  Pйleg et Yoqtвn qui donneront  13 enfants.
- 2иme lignйe : Pйleg, Rйu, Sйrug, Nahor, Tйrah, Abram + Nahor + Harвn.
-3иme lignйe : Harвn, Lot ;
-4иme lignйe : Abram + Saraп ; Saraп est stйrile.
-5иme lignйe : Nabor + Milka.

«           Tйrah prit son fils Abram, son petit-fils Lot, fils de Harвn, et sa bru Saraп, femme d’Abram. Il les fit sortir d’Ur des Chaldйens pour aller au pays de Canaan, mais arrivйs а Harвn, ils s’y йtablirent. La durйe de vie de Tйrah fut de deux cents cinq ans, puis il mourut а Harвn.

Vocation d’Abraham

            12. Yahvй dit а Abram : « Quitte ton pays, ta parentй et la maison de ton pиre, pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bйnirai, je magnifierai ton nom, qui servira de bйnйdiction….

            Abram partit, comme lui avait dit Yahvй, et Lot partit avec lui. Abram avait soixante-quinze ans lorsqu’il quitta Harвn. Abram prit sa femme Saraп, son neveu Lot, tout l’avoir qu’il avait amassй et le personnel qu’ils avaient acquis а Harвn ; ils se mirent en route pour le pays de Canaan et ils y arrivиrent.

            Abram traversa le pays jusqu’au lieu saint de Sichem, au Chкne de Morй. Les Cananйens йtaient alors dans le pays. Yahvй apparut а Abram et dit : « C’est а ta postйritй que je donne le pays. » Et lа, Abram bвtit un autel а Yahvй qui lui йtait apparu. Il passa de lа dans la montagne, а l’orient de Bйthel, et il dressa sa tente, ayant Bйthel а l’Ouest et Ai а l’Est. Lа, il bвtit un autel а Yahvй et il invoqua son nom. Puis, de campement en campement, Abram alla au Nйgeb.

…Il y eut une famine dans le pays et Abram descendit en Egypte pour y sйjourner, car la famine pesait lourdement sur le pays… Puis ils rentrиrent au pays de Canaan.  »

Lorsqu’on lit ces lignes, on se rend compte du fait que la destinйe du peuple juif йtait entiиrement dirigйe par les ordres de Dieu. Et le propre d’Abram comme de ses prйdйcesseurs fut d’obйir. Et quand on lit leur histoire, on ne peut qu’admirer leur attitude : ils ne se sont jamais posй de question quant а ce qui leur arrivait. C’est certainement un peuple qui a beaucoup souffert, mais dont l’obйissance a toujours йtй sans faille. Il accomplit la volontй de Dieu.

Et ce qui ne peut pas ne pas nous йtonner, c’est une sorte de rйpйtition dans l’histoire de ce peuple. Car, а cause de la famine, Abram et sa famille ont dы se rйfugier en Йgypte. Par peur d’кtre tuй, il dйclara que Saraп йtait, non sa femme, mais sa sњur ; et comme le Pharaon йtait trиs йpris de sa beautй, il l’a prise dans sa maison et a bien traitй Abram. Mais il fit preuve d’honnкtetй, lorsqu’il dйcouvrit que Saraп йtait la femme d’Abram : il les libйra, en leur attribuant beaucoup de biens. Et ce fut alors qu’Abram s’installa dans le pays de Canaan pour de bon, et que sa famille y prospйra.

Ce fut alors qu’un premier miracle se produisit :

            Lorsque Abram eut atteint quatre-vingt-dix-neuf ans, Yahvй lui apparut et lui dit : « Je suis El Shaddai, marche en ma prйsence, et sois parfait. J’йtablis mon alliance entre moi et toi, et je t’accroitrai extrкmement. »

Abram tomba la face contre terre et Dieu lui parla ainsi : « Moi, voici mon alliance avec toi : tu deviendras pиre d’une multitude de peuples. Et l’on ne t’appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te rendrai extrкmement fйcond, de toi je ferai des peuples et des rois sortiront de toi. J’instituerai mon alliance entre moi et toi, et ta race aprиs toi, de gйnйration en gйnйration, une alliance perpйtuelle, pour кtre ton Dieu et celui de ta race aprиs toi. A toi et а ta race aprиs toi, je donnerai le pays oщ tu sйjournes, tout le pays de Canaan, en possession а perpйtuitй, et je serai votre Dieu. »…

Dieu dit а Abraham : « Ta femme Saraп, tu ne l’appelleras plus Saraп, mais son nom est Sara. Je la bйnirai et mкme je te donnerai d’elle un fils ; je la bйnirai et elle deviendra des peuples, des rois, des nations viendront d’elle. »..Sara te donnera un fils, tu l’appelleras Isaac, j’йtablirai mon alliance avec lui, comme une alliance perpйtuelle… 

Citons maintenant quelques passages d’un article de Laudahn (voir note 1 page suivante) :

            "Quand nous rencontrons pour la premiиre fois Abram et Saraп, leurs noms s'йpellent comme on vient de les йcrire, sans le "h". Saraп se plaint qu'elle avance en вge et devient trop vieille pour porter un enfant "digne d'elle". C'est pourquoi elle suggиre qu'Abram vive en concubinage avec sa servante Hagar (йpelй plus adйquatement dans le Nouveau Testament comme Agar), et le rйsultat en est un garзon, Ishmaлl. Ishmaлl grandit et est dйcrit comme un кtre sauvage (lisez "primitif"). Lorsqu'il atteint l'вge de quatorze ans, et Saraп quatre-vingt-dix, Abram reзoit un visiteur qui lui dit que Saraп est encore capable de porter un enfant, et qu'en effet, elle aura un fils.

            Abram alors se met а rire 'а tкte dйtachйe', mais son visiteur cйleste l'assure que, malgrй ses doutes, il sera de nouveau pиre. Il ajoute qu'Abram et Saraп devraient ajouter un "h" а leurs noms, de sorte qu'ils deviennent Abraham et Sarah.

            L'enfant naоt, un garзon, qui est nommй Isaac et lui aussi devient un homme, et est comblй de tous les biens de la terre par son pиre. Alors Ishmaлl vient se plaindre, pensant qu'йtant l'aоnй, il aurait dы кtre l'hйritier...

 Trois points ressortent de cette histoire:
1) Le premier enfant, Ishmaлl, le sauvage ou primitif, n'hйrite pas ;
2) Le second fils, Isaac, hйrite;
Avec un peu d'imagination, donnons plus de signification au changement de noms, d'Abram et Saraп en Abraham et Sarah, et appelons ce changement le "facteur-H"; maintenant
 3) Supposons que ce qu'Isaac hйrite rйellement de sa mиre et de son pиre est justement ce "facteur-H" qu'ils viennent d'obtenir. Comme Ishmaлl est dйcrit comme sauvage ou primitif, Isaac pourrait alors кtre appelй "H-man", ou Humain.

            La Bible raconte cette histoire plusieurs fois, mкme dans le Nouveau Testament, avec d'autres noms, bien sыr, et des dйtails lйgиrement diffйrents, mais avec toujours а peu prиs le mкme contenu. Comme autre exemple, jetons un coup d'њil sur l'histoire d'Isaac et de ses deux fils, Esaь et Jacob.

            Dans cette lйgende, Esaь, le premier-nй est dйpeint comme sauvage, aux cheveux hirsutes et roux (La Genиse XXV: 25). Ici aussi, bien qu'il soit l'aоnй, il n'hйrite pas. C'est Jacob, le deuxiиme arrivй, qui, des annйes plus tard et au moment critique, reзoit la bйnйdiction de son pиre, mais seulement aprиs s’кtre revкtu d'une veste de peau. Ce qui vient d'кtre dit nous rappelle Adam et Eve, qui mettent des vкtements de peau et reзoivent en hйritage, ou acquiиrent, le don de connaоtre la diffйrence entre le bien et le mal, c'est-а-dire le don de la sagesse. L'on est alors tentй de penser que le "facteur-H" a quelque chose а voir avec une facultй telle que le mental...

            Dans les allйgories, mythes, fables ou contes de fйes, le fait de nommer un individu dйsigne aussi sa tribu, sa nation, sa race, ou mкme l'humanitй toute entiиre.

            L'histoire d'Ishmaлl et Esaь pourrait alors se rapporter а un groupe de gens qui sont sauvages, qui n'hйritent pas, qui n'ont pas le "facteur-H". Un tel groupe est la tribu des Ephraimites, qui sont sauvages (dans le sens qu'ils sont en colиre) parce qu'ils n'ont pas йtй invitйs а partager ou recevoir en hйritage les honneurs de la Guerre des Ammonites. Les Ephraimites n'ont certainement pas le "facteur-H", parce qu'il ne peuvent pas prononcer le mot Shibboleth lorsque celui-ci est employй comme mot-de-passe, mais le prononcent Sibboleth, une sifflante plus lйgиre, c'est-а-dire sans le "H" (Juges XII, 6)..."

[
Publié dans The Canadian Theosophist, Juillet-Août 1990. Voilà donc ce qu'a écrit Laudahn. Et il continue:

                Il y a plusieurs années, j'ai entendu quelqu'un essayer d'expliquer l'histoire des Ephraimites, disant que le nombre de tués, quarante-deux mille, devrait plutôt se lire "quarante plus deux mille", c'est-à-dire seulement "deux mille-quarante". Après tout, ils n'étaient qu'une petite tribu, et sûrement l'élimination de deux mille-quarante était une punition suffisante. Mais, si nous acceptons le nombre original tel qu'imprimé, et le traitons comme une allégorie en éliminant les zéros, nous nous retrouvons avec le nombre quarante-deux. Si nous cherchons ce nombre dans la "Concordance" de Cruden, nous trouvons qu'il correspond à des villes, des enfants, des hommes, au temps en années et, à deux occasions, au temps en mois. Si nous convertissons ces quarante-deux mois en années, nous arrivons au chiffre de trois et demi, qui, soit dit en passant, est le plus petit nombre qu'on rencontre lorsqu'on lit le passage du Livre des Révélations: "une fois, deux fois et la moitié d'une fois" (XII : 14)..."

                On se rend compte qu’avec Abram devenu Abraham et Saraï devenue Sarah, un nouveau « facteur » a pris racine dans ces êtres. Dans les langages occidentaux, on écrit ce « facteur » H, mais en hébreu, c’est le « é », qui est propre au spirituel. Et, si on se reporte à La Doctrine Secrète, (Vol. 3, Ed. 2000), on voit, à la page 429, la figure intitulée le Méridien des Races, avec, en bas, au point médian de la 3ème race (point 31/2), où la courbe termine sa course vers le bas et commence à remonter : c’est le moment où le composant spirituel entre dans la composition de « ce qu’on appelait homme », mais qui n’est complètement « humain » qu’après ce point.]

Nous n’allons pas passer en revue toute l’histoire du peuple juif. Aprиs une longue pйriode de bonne entente avec les gens d’Йgypte, pays que la majoritй des Juifs habitaient, un nouveau Pharaon vint au pouvoir, et dit а ses sujets : « Voici que le peuple des enfants d’Israлl, par son nombre et sa puissance, devient un danger pour nous… » Point n’est besoin de rappeler les problиmes, et finalement la naissance de Moпse et l’obligation pour sa mиre de l’abandonner dans une corbeille qu’elle mit dans le Fleuve. Puis, ce fut l’ordre, donnй par Yahvй au buisson ardent, d’aller demander а Pharaon de faire sortir d’Йgypte « mon peuple, les enfants d’Israлl »…Les enfants d’Israлl partirent de Ramsиs vers Sukkot, au nombre de prиs de six cent mille hommes de pied – tous des hommes – sans compter leurs familles…Puis le passage de la « Mer des Roseaux »…

x x x

Si ce retour а l’origine historique йtait indispensable pour mettre en йvidence la caractйristique essentielle du peuple juif, il est opportun, maintenant, de voir l’enseignement judaпque.

Et bien entendu, ce sont les Dix Commandements, que Yahvй donna а Moпse sur le Mont Sinaп :

Tu n’auras pas d’autres dieux que moi…
Tu ne prononceras pas le nom de Yahvй ton Dieu а faux
(usage abusif) …
Souviens-toi du jour du sabbat [ Étymol. : cesser, chômer ]
Honore ton pиre et ta mиre…
Tu ne tueras pas.
Tu ne commettras pas d’adultиre.
Tu ne voleras pas.
Tu ne porteras pas de tйmoignage contre ton prochain.
Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain.
Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain…

Ce qui est remarquable, c’est qu’on retrouve dans ces Commandements des rиgles йtablies par d’autres instructeurs ; les dix Commandements sont presqu’identiques aux Cinq Rиgles йnoncйes par le Bouddha. Ce sont les trois premiers qui caractйrisent le Judaпsme : Un SEUL Dieu, pas d’usage abusif du nom de Dieu, et repose-toi le jour oщ Dieu, aprиs avoir travaillй pendant six jours, se repose lui-mкme. Le Juif doit donc conformer sa vie а celle de son Dieu – dans la prйsentation acceptйe de l’Ancien Testament, Dieu insiste bien sur le fait qu’il est LE Dieu des enfants d’Israлl, que, par consйquent, les enfants d’Israлl n’ont qu’UN Dieu. Pour un Juif, rien n’existe exceptй SON Dieu. Et il faut reconnaоtre que les Juifs, dans l’ensemble, se comportent ainsi, ce qui a fait en mкme temps leur malheur et leur honneur.

Aprиs avoir йtabli les fondements aussi bien historiques que religieux de l’enseignement judaпque, citons quelques passages d’une confйrence qu’a donnйe le regrettй Rabin Jean-Pierre LHOTE pour entrer un peu dans la vie pratique d’un Juif.

            “…Lorsque les Juifs sont sortis d'Egypte, ils ont reзu la Torah; la Torah, c'est la Loi juive, c'est la Loi qui rйgit quotidiennement le Judaпsme et c'est aussi la Loi qui permet de connaоtre plus profondйment le dйsir de Dieu, et Sa volontй sur terre.

            Cette Torah a йtй donnйe en deux parties et, de cela on en a la preuve: cela apparaоt dans le Lйvitique, chapitre 26, verset 42.

            Quand Dieu s'adresse а Moпse, il parle des Lois : la Loi orale et la Loi йcrite. La Loi йcrite c'est le Pantateuque, la Loi que tout le monde connaоt, la Bible qui commence par la Gйnиse et se termine par le sepher de varime ; cette Loi est incomprйhensible si on n'a pas la possibilitй de l'йtudier, de l'approfondir par la Loi orale.

            Alors quelle est la Loi orale ? C'est le Talmud. Le Talmud est composй de la Mishna et de la Gemвrв ; il faut bien comprendre que l'йtude de la Loi йcrite par la Loi orale est la base fondamentale du Judaпsme ; cela veut dire que quelqu'un qui ne peut comprendre, qui ne peut lire ni ne peut йtudier, est incapable de parler du Judaпsme…

            Il faut bien comprendre que le fait d'кtre Juif n'est pas seulement un fait biologique, mais c'est, йventuellement et principalement, un fait spirituel, et ce fait spirituel, c'est l'йtude du Talmud, de la Torah, qui peut permettre а un juif de comprendre. Je vais vous donner un exemple trиs simple de la faзon dont une Loi peut-кtre dйformйe et incomprise ... Je vais vous parler de la Loi du Talion.

            La Loi du Talion est souvent donnйe en exemple de la Justice juive par le monde chrйtien qui dйclare volontiers : «Voilа de quelle faзon les Juifs rиglent la justice, c'est extrкmement simple ; ils disent : "њil pour њil, dent pour dent"», qui donne ainsi une image complиtement dйformйe de ce qu'est la Loi juive.

            La Loi du Talion n'a jamais йtй appliquйe de cette maniиre, et, comme on le sait, il y a une йtude qui apparaоt dans le Talmud, le Talmud йtant le livre qui explique la Loi йcrite, et on pose une premiиre question : si une Loi Divine apparaоt dans la Torah, il est impossible que cette Loi soit en contradiction avec une situation quelle qu'elle soit. Or, si un homme aveugle rend aveugle une autre personne, il y a une contradiction entre ce que la Torah donne comme ordre et mise en application de cet ordre. Quelqu'un qui est aveugle et qui rend une personne borgne, on ne pourrait pas lui enlever d'yeux : il n'en a plus, il n'a plus la possibilitй de voir, donc impossibilitй d'obйir а une Loi Divine; et ceci est une contradiction avec l'essence mкme de la Torah, а partir du moment oщ on considиre la Torah comme йtant d'essence divine.

            Les Rabbins du Talmud se sont posйs la question, comment pouvait-on expliquer la Loi du Talion ; alors on a utilisй une connaissance qui a йtй aussi versйe au peuple juif au moment du don de la Torah, qui est une maniиre d'expliquer les textes et les versets de la Torah par rapport а d'autres textes qui apparaissent а d'autres moments dans la Torah, et on s'aperзoit en fait que la Loi du Talion  - et ceci est un texte qui date de 2000 ans, et ce n'est pas du rйnovй pour faire plaisir aux dйfenseurs des droits de l'homme -, que la Loi du Talion n'est pas une Loi faite pour se venger, mais plutфt pour rйparer et donner des compensations йconomiques aux personnes qui ont йtй lйsйes.

            Il y a un autre exemple qui est assez intйressant, toujours dans le Talmud, dans le livre de Sanhedrin dont la fonction est de lйgifйrer sur le droit des hommes. On y explique que : si une femme met au monde un enfant et que cet enfant risque de mettre en danger la vie de la femme, on est devant un choix ; et quel choix devons-nous prendre ?, Quelle dйcision devons-nous accomplir ? Le Talmud est trиs net, il dit : "Tant que l'enfant n'est pas nй, c'est la vie de la femme qui prime, parce que l'enfant, tant que la tкte n'est pas sortie du corps de la mиre, n'est pas une vie humaine au mкme titre que la vie de la mиre. Lа encore, le Talmud donne une lйgislation qui date de plus de 2000 ans, qui est absolument actuelle, puisque ces problиmes se rencontrent dans notre sociйtй actuelle.

            Dans le Judaпsme, on considиre que le matйriel n'est pas quelque chose de nйgatif en soi, mais que c'est quelque chose qu'il faut йlever progressivement au spirituel afin d'arriver а йtablir une harmonie entre l'кtre humain et Dieu, et de faire en sorte que la volontй de Dieu puisse кtre accomplie а tout moment et а tout instant de la vie quel qu'il soit, il n'y a aucun instant dans le Judaпsme qui ne soit considйrй comme un instant bestial: la bestialitй n'existe pas.

            Quel que soit le moment de la vie de l'кtre humain, il y a un lien total entre la volontй divine et l'acte de l'кtre humain. Par exemple, -et cela va vous paraоtre peut-кtre йtrange, mais- le choul'han anouh, qui est le livre lйgifйrant d'un maniиre dйfinitive sur le comportement du peuple juif, le soucranaour parle de l'acte sexuel entre un homme et une femme et dit comment un homme et une femme doivent se comporter et quelles sont les obligations de l'homme vis а vis de la femme…

            Effectivement, le peuple juif, par le nombre de commandements qu'il a, par la possibilitй et la connaissance du Divin qu'il a,  a une situation oщ il est considйrй comme le phare spirituel de l'humanitй. Il a donc une obligation vis а vis de celle-ci, c'est-а-dire que chaque fois qu'un juif n'obйit pas aux commandements, en fait ce n'est pas vis а vis de lui-mкme qu'il faute mais vis а vis de l'humanitй, car la connaissance totale de Dieu ne pourra se faire que le jour oщ le peuple juif dans son ensemble obйira aux Lois divines…

            Maintenant, je vais essayer de conclure sur un texte assez intйressant, qui est issu du Talmud, qui parle des rйflexions d'un sage sur son йpoque au moment oщ il allait mourir :

            Lorsque Rabbi est devenu malade, ses йlиves sont venus lui rendre visite et, au moment oщ il les a vus, il a commencй а pleurer …Alors ses йlиves lui disent : "Lumiиre d'Israлl, Toi qui es le symbole de la force, comment peux-tu pleurer ? Tu vas mourir, tu vas te joindre а Dieu ". Il leur dit : "Si jamais je devais кtre emmenй vers un Roi de chair et de sang, alors qu'aujourd'hui il est vivant et demain il sera mort, s'il est mйcontent de moi, son mйcontentement sera seulement temporaire et s'il me punit cette punition ne sera pas une punition йternelle, puisque seulement terrestre. Et malgrй cela j'aurais pleurй, car effectivement  j'aurais eu peur de la punition que l'on m'envoie devant le Maоtre des Anges qui lui est йternel; s'il est mйcontent de moi, son mйcontentement sera йternel ... cette punition sera йternelle."

            Alors ses йlиves viennent vers lui et lui disent : "Bйnis nous! Qu'as-tu а nous dire avant de mourir ?" " Que soit la volontй de Dieu que vous ayez peur de Dieu toujours,… ! Il y a Dieu en face de moi, la peur de Dieu, c'est pouvoir comprendre qu'on aura des comptes а rendre un moment ou un autre et la personne а qui on rendra des comptes n'est pas un кtre humain, on ne peut le tromper, c'est le Saint,  "Bйni soit-il, c'est celui qui connaоt tout." C'est celui qui connaоt toutes nos excuses et toutes nos faiblesses ; et cela, je pense que c'est l'idйe principale du Judaпsme. Il faut кtre responsable, il faut savoir que l'on a chacun des actes sur lesquels on devra rendre des comptes, et qu'on a chacun un dйsir, une connaissance et, plus on approfondit cette connaissance, meilleur on pourra кtre devant Dieu, parce qu'effectivement on aura la possibilitй de pouvoir expliquer le pourquoi de sa raison d'кtre…”

            Pour terminer, on peut dire que, dans l’ascиse judaпque, tout vient de Dieu et revient а Dieu, et l’кtre humain ne joue que le rфle d’exйcutant du plan de Dieu.



V

DE DIEU А L’HOMME

Ou

LA VOIE ISLAMIQUE

            A la diffйrence d’avec le judaпsme, la religion musulmane n’est pas issue d’une source hйrйditaire venant de Dieu lui-mкme au travers d’une multitude de gйnйrations se terminant avec Abram.

            En disant cela, je sais bien que les Musulmans se rйclament aussi d’Abraham (remarquez le changement d’orthographe, voir la citation de Laudahn, plus haut), et sont fiers de faire partie d’une religion monothйiste.

            Mais, LE Prophиte, Mahomet – en arabe Mohammed, exaltй, digne de louange - , fut un homme, nй d’un pиre humain et d’une mиre humaine, et n’a eu la vision de l’Archange Gabriel qu’а l’вge de quarante ans. Avant cela – et bien sыr aprиs - , il fut dйcrit par l’historien arabe Aboulfйda (1273-1331) comme suit : « Quant а ses qualitйs morales, elles l’emportaient sur celles des autres hommes. Adressant а Dieu de frйquentes priиres, il йtait sobre de discours futiles, et son goыt le portait а garder le silence. Son visage annonзait la bienveillance ; son humeur йtait douce, son caractиre йgal ; parents ou йtrangers, faibles ou puissants, trouvaient en lui une йgale justice… Il s’occupait lui-mкme а traire ses brebis, s’asseyait а terre, raccommodait ses vкtements et ses chaussures, qu’il portait ensuite, tout raccommodйs qu’ils йtaient… »

            Et, pour terminer la prйsentation de cet кtre exceptionnel, on peut citer ce qu’a йcrit Edouard Montet dans l’Introduction au CORAN : « Ce qu’il y a de trиs frappant dans le caractиre religieux de Mahomet, au dйbut de sa propagande missionnaire, c’est que les premiиres conversions qu’il fit furent parmi les membres de sa famille et ses proches. Je crois qu’il est le seul fondateur de religion qui ait eu le privilиge de gagner а ses idйes ceux qui lui tenaient le plus prиs soit par le sang, soit par l’intimitй. » Mahomet йtait donc avant tout un кtre humain, dans sa nature comme dans ses relations avec son entourage.

            Et le Coran, qui est le livre central des Musulmans, n’a pas йtй йcrit d’une seule traite. Mahomet l’a revu йpisodiquement pendant environ vingt ans, et, а chaque fois, comme l’a йcrit le professeur Hamidullah dans sa traduction du Coran (1971) : « Les sources sont d’accord pour dire que toutes les fois qu’un fragment du Coran йtait rйvйlй, le Prophиte appelait un de ses compagnons lettrйs, et le lui dictait, tout en prйcisant la place exacte du nouveau fragment dans l’ensemble dйjа reзu… Les rйcits prйcisent qu’aprиs la dictйe, Mahomet demandait au scribe de lui lire ce qu’il avait notй, pour pouvoir corriger les dйficiences s’il y en avait… Un autre cйlиbre rйcit nous dit que le Prophиte rйcitait chaque annйe, au mois de Ramadвn, devant Gabriel, tout le Coran (rйvйlй jusqu’alors)…, que le Ramadвn qui prйcйda sa mort, Gabriel le lui fit rйciter par deux fois… »

Ceci est un trait caractйristique qu’il convient de mettre en avant : contrairement а la plupart des « prophиtes », qui transmettent leur rйvйlation par voie orale, pour Mahomet, la premiиre rйvйlation fut la suivante (sourate 96, versets 1 а 5) :

Lis au nom de ton Seigneur qui crйa
Qui crйa l’homme de quelque choses qui s’accroche
Lis ! Ton Seigneur est le trиs Noble
Celui qui enseigna par la plume
Qui enseigna а l’homme ce qu’il ne connaissait pas.
Et quoi de plus clair que cette Sourate 56 (versets 77 а 80) :

Voici une lecture noble [ Dans le texte: Qur’an, qui veut dire « lecture »]

Dans un йcrit gardй avec soin
Que seuls touchent les Purifiйs
C’est une Rйvйlation du Seigneur des Mondes.
[ BUCAILLE, Maurice, LA BIBLE, LE CORAN ET LA SCIENCE, Seghers, Paris, 1976]

            Et ce qui est aussi remarquable chez Mahomet, c’est qu’il йcrivait – aprиs rйvйlation – aussi bien des textes «religieux » que « lйgislatifs » et « sociaux ». C’est cela qui est trиs caractйristique de la Loi musulmane : elle rиgle tous les faits et gestes des fidиles, premiиrement dans leur vie de tous les jours.

x x x

            Comme je ne connais pas bien l’ensei­gnement islamique, je prйfиre en rester lа, et citer, pour terminer, ces deux Sourates :

L’Apфtre croit en ce qui lui a йtй rйvйlй de la part de son Seigneur ; et les croyants croient tous en Allвh, et en Ses Anges, et en Ses Livres et en Ses Apфtres. (Sour. 2, v. 285)

O vous qui croyez ! croyez en Allвh, et en Ses Apфtres, et au Livre qu’Il a rйvйlй а Son Apфtre, et au Livre qu’Il a rйvйlй auparavant. Car celui qui ne croit pas en Allвh, ni en Ses Anges, ni а Ses Livres, ni а Son Apфtre, ni au dernier jour, celui-lа est dans une profonde erreur. (Sour. 4, V. 135. [MAHOMET, LE CORAN, traduction nouvelle par Edouard MONTET, Payot, Paris, 1929. ]

En somme, le Musulman obйit а Allah, non comme le Juif qui exйcute ce que veut Yahvй, mais en menant sa vie humaine selon les conseils que lui rapporte Mahomet des rйvйlations, qui toutes proviennent de l’Archange Gabriel, et qui toutes ont йtй immйdiatement consignйes par йcrit, et qui, ensemble, constituent  le Coran. Ce mot, qui est une dйformation du mot arabe Qur’an, qui veut dire « lecture ». Le CORAN est donc, а proprement parler, LE LIVRE.


APPENDICE

            Ajoutons quelques mots sur le Soufisme, qui est considйrй comme l’aspect mystique de l’Islam.

            « Le soufisme est considйrй gйnйralement comme un mysticisme islamique, bien qu'on puisse contester certaines de ses dйfinitions. D'une maniиre gйnйrale, on pense que le mot "soufi" lui-mкme dйrive du mot arabe suf signifiant "laine", le matйriau grossier du vкtement portй а la fois par les chrйtiens et par les musulmans. D'autres possibilitйs ont йtй йvoquйes. Par exemple, il se pourrait que ce mot fasse humoristiquement rйfйrence au mot grec sophos, signifiant sage [Baldick, J., Mystical Islam, Tauris, London, 1989. ]. Nicholson [ Nicholson, R.A. The Mystics of Islam, Arkana, London, 1989. ]   prйtend que certains soufis font dйriver leur nom d'un mot arabe dont les significations ont trait а la puretй, ce qui permettrait d'affirmer qu'un soufi est un кtre au coeur pur, ou l'un des йlus. » [Harding, B., Quelques traits caractérisant le soufisme et ses relations avec l'Islam traditionnel, Theosophy in Australia, vol. 56, n°5, déc. 1992. ]

            Nicholson2 note que les mystiques musulmans aiment а кtre appelйs Ahl al-Haqq, "ceux qui poursuivent le Rйel". La rйalitй qui reprйsente le but du soufi est Dieu, et pour le musulman, Allah, le (seul et unique) Dieu. Schimmel (1975) (citй dans 3) dйfinit le mysticisme comme йtant l'amour de l'Absolu et va plus loin lorsqu'il dйclare que le pouvoir qui distingue le mysticisme du simple ascйtisme est l'Amour. Le mysticisme prйsuppose un Amant et un Bien-Aimй, et nous allons voir que l'Amour et la quкte du Bien-Aimй jouent un rфle crucial dans les croyances et les pratiques soufies.

            Alors que la dйfinition de Schimmel ne tient pas compte des dйveloppements thйosophiques ultйrieurs du soufisme, il nous permet de distinguer entre les premiers soufis, qui йtaient des ascиtes isolйs rejetant le monde, de ceux qui leur succйdиrent а partir de Rabi'a de Basra (717-801 de notre иre), la fameuse mystique.

            Trimingham [Trimingham, J.S., The Sufi Orders in Islan, Clarendon - Press, Oxford, 1971 ] donne une dйfinition large du soufi, а savoir, toute personne croyant en la possibilitй d'une expйrience directe de Dieu et qui est prкte а quitter son propre chemin afin d'atteindre un йtat oщ elle puisse кtre en mesure de la vivre. » [Voir note 3 p. 10. ]

            Ce livre n’йtant pas une anthologie des religions, contentons-nous de citer quelques textes caractйristiques du Soufisme (toujours tirйs de l’article de Brian Harding, voir note 3 page 10).

« Je n'ai pas servi Dieu par peur de l'Enfer, car je serais un pauvre laquais si je l'avais fait par peur ;
Ni par amour du Paradis, car je serais une servante indigne si je servais pour ce qu'on me donne,
Mais je ne l'ai servi que pour l'amour de Lui, et par dйsir de Lui.

            Ainsi parla Rabi'a al-Adawiyya de Basra lorsque Sufyan al-Thawri lui demanda d'expliquer l'essence de sa foi (Smith[ ] . Rabi'a fut l'une des premiиres soufies а enseigner que l'Amour йtait le guide du mystique sur le Chemin. On peut certainement la considйrer comme la premiиre vraie soufie. Un amour plus puissant que tout remplissait son cњur, en excluait tout sentiment de second ordre. Lorsqu'on lui demanda si elle haпssait Satan, elle rйpondit : "Mon amour de Dieu m'obsиde tellement qu'il ne reste plus de place en moi pour aimer ou haпr quiconque, а l'exception de Lui."

Les vers les plus fameux de Rabi'a ont trait а ses deux amours pour Dieu (Smith, p. 223) :

Je T'ai aimй de deux amours, d'un amour йgoпste et d'un amour digne de Toi.
Quant а l'amour йgoпste, en lui je me consacre а Toi, а l'exclusion de tout autre.
Mais en celui qui est digne de Toi, Tu lиves le voile afin que je puisse Te voir.
La louange de l'un ou de l'autre n'est toutefois pas mienne,
Et il T'appartient d'apprйcier l'un et l'autre. »

Al-Junayd fait allusion а ce double sentiment d'union et de sйparation dans un court poиme (Arberry, op. cit., P. 59) :

            J'ai dйsormais pris connaissance, O Seigneur,
            De ce que contient mon coeur ;
            En secret, sйparй du monde,
            Ma langue a parlй а mon Adorй.
            Ainsi, d'une certaine faзon,
            Nous sommes unis et Un ;
            Et cependant, d'une autre, notre condition est
            Celle d'une йternelle sйparation.
            Bien qu'а mon regard scrutateur
            Un profond effroi ait voilй Ta Face,
            Dans la merveilleuse Grвce extatique,
            Je T'ai senti toucher le trйfonds de mon кtre.

            Alors que Mahomet mettait un gouffre infranchissable entre le monde et Allah, il ressentait Allah comme йtant а la fois transcendant et immanent, comme la lumiиre des cieux et de la terre, comme un кtre qui travaille dans le monde et dans l'вme de l'homme (Nicholson, op. cit., pp. 21-22).

            Si mes serviteurs m'interrogent sur Moi, Io, je suis tout prиs. (Coran, 2:182)

Ce dernier vers ne fait-il pas penser а cette phrase de Krishnamurti (L’Immortel Ami):

            Partout oщ je regarde, Tu es lа.

            C’est le fait de  ressentir cette Prйsence « partout » qui caractйrise l’attitude mystique, а quelque religion qu’elle se rattache.



VI

INTRODUCTION AU YOGA

Qu'est-ce que le Yoga?

En ce temps oщ le mot Yoga, comme tant d'autres, est galvaudй, il convient de bien le dйfinir avant d'entrer dans le dйtail. L'homme est douй de facultйs multiples, qui, au dйbut de son йvolution, sont latentes et qui, graduellement, se dйveloppent. Au niveau actuel de l'homme moyen, un certain nombre de ces facultйs sont dйveloppйes alors que d'autres lui sont encore inaccessibles. Mais elles sont lа dans sa nature, attendant d'кtre mises а jour. Dans le processus normal d'йvolution, un jour toutes les facultйs de l'homme seront dйveloppйes. Lorsqu'on acquiert une idйe du dйveloppement final, on peut volontairement accйlйrer ce dйve­loppement. Ce processus est ce que les hindous appellent Yoga. "Le Yoga est donc une maniиre d'accйlйrer le dйveloppement normal de la conscience", comme l'a йcrit Annie Besant. Ce n'est pas quelque chose d'artificiel, de factice, de fabriquй. Ce n'est pas une mise en scиne. Ce n'est rien d'extraordinaire.

Principes de base du Yoga

Le Yoga s'appuie sur cette vйritй de base : les lois de l'йvolution de la forme et celles du dйveloppement de la conscience sont identiques, dans l'univers comme dans l'homme. Cette vйritй est le fondement sur lequel s'йdifie tout le processus du yoga. Pour toutes les formes du yoga, le travail commence par la connaissance puis la maоtrise des vйhicules formels, pour en tirer la connaissance des lois qui les gouvernent. Comme ces lois sont les mкmes que celles qui gouvernent le fonctionnement et le dйveloppement de la conscience, ce dйveloppement s'acquiert tout naturellement. Une fois que ceci est bien clair, tout l'aspect phйnomйnal de tous les yogas se comprend aisйment.

Les diffйrents йlйments du yoga

А l'йtape humaine, c'est le mental qui est l'instrument crucial, car l'homme a acquis l’usage du mental mais ne le maоtrise pas encore. C'est donc par le mental que le yoga commence son travail, avant de pouvoir aller plus loin. C'est pourquoi la mйditation est l'йlйment principal de tout yoga. Mais la mйditation ne peut se rйaliser que si les vйhicules qui servent d'appuis au mental sont calmйs et maоtrisйs : c'est lа la nйcessitй des postures, c'est-а-dire les faзons dont le corps peut кtre assujetti, afin que le mental soit libйrй. Ces deux aspects sont les plus importants dans tout le yoga. Accessoirement, la rйpйtition de pensйes ou de paroles aide а l'entraоnement du mental, en mкme temps qu'elle peut produire des effets propres. C'est lа la justification de l'usage des mantras.

Mйditation

Avant d'entrer dans le sujet lui-mкme, je voudrais citer quelques passages de la prйface du livre Great Systems of Yoga par Ernest Wood :

"Une heure passйe en mйditation ou mкme en rйflexion le matin n'est pas du temps perdu. Elle n'est mкme pas du temps йcoulй (gaspillй). C'est du temps gagnй, parce qu'elle va rendre le reste de la journйe plus fructueuse qu'elle ne l'aurait йtй autrement. Pourquoi? Pour quatre raisons. Premiиrement, ceci va coordonner le contenu du mental dans tous les aspects des sujets aux­quels vous кtes prйsentement intйressйs et assurer que rien n'est omis ou nйgligй. Deuxiиmement, ceci va permettre la naissance de nouvelles idйes, par la recombinaison des anciennes, et des suggestions qui en sont issues. Troisiиmement, ceci va exercer la facultй mentale, et ainsi augmenter а la fois sa puissance et son йtendue, la rendant plus fonctionnelle pour toute la journйe, de la mкme faзon que le dйveloppement musculaire acquis par un exercice de 10 minutes le matin donne au corps une force accrue pour toute la journйe. Quatriиmement, ceci va automatiquement mettre en mouvement quelque peu de la "magie du mental" par laquelle vous serez mis de faзon tйlйmagnйtique en rapport avec des choses et des personnes en lesquelles vous avez un intйrкt et ainsi cela crйera des occasions, et mкme des soi-disant coпncidences."

Maintenant, entrons dans le sujet "Le yoga est la cessation des modifications du mental" (yogash chitta-vritti nirodha), peut-on lire au dйbut du traitй de Yoga de Pataсjali. C'est vraiment la phrase-clй, si elle est bien comprise et appliquйe, le yoga est rйalisй et on n'a besoin de rien d'autre. L'on peut lire, dans "La Science du Yoga" les commentaires de Taimni sur chitta : « Ce mot est dйrivй de Chit ou Chiti, un des trois aspects de Paramвtma appelй Sat-Chit-Ananda dans le Vйdвnta. Cet aspect est а la base du cфtй formel de l'univers qui est crйй par ce moyen. La rйflexion de cet aspect dans l'вme individuelle, microcosme, est appelйe chitta. Chitta est ainsi l'instrument, ou l'intermйdiaire, au moyen duquel le jоvвtma matйrialise son monde individuel, vit et йvolue dans le monde jusqu'а ce qu'il soit devenu parfait et uni avec le Paramвtma. Dans son sens large chitta correspond donc au mental de la psychologie moderne, mais il a une importance plus vaste et un champ de fonctionnement plus йtendu. Tandis que chitta peut кtre considйrй comme un milieu universel au moyen duquel la conscience fonctionne sur tous les plans de l'univers manifestй, le mental de la psychologie moderne se borne а l'expression de la pensйe, de la volition et du sentiment. »

Vient ensuite le mot vritti. Ce mot dйrive de vrit qui signifie « exister ». Vritti est donc une faзon d'exister. Le mot chitta-vritti correspond donc exactement а l'expression « йtat mental » (dont il est question dans les Shiva-Sыtras), c'est-а-dire une des transformations successives et multiples de la matiиre mentale primordiale, l'ensemble de ces transformations constituant un univers manifestй. Ainsi, le nirodha, l'arrкt, le contrфle,... des chitta-vritti, est un acte d'une importance non seulement individuelle mais cosmique. C'est pourquoi le Yoga est une chose trиs grande, trиs vaste, et ne doit pas кtre pris а la lйgиre. Si ce processus de nirodha est rйalisй, alors l'emprise de l'illusion universelle cesse, et c'est la libйration, l'union avec la rйalitй. L’objet du Yoga est en effet l'union du jоvвtma avec le Paramвtma.

Et le maоtre du Yoga de continuer : Chez l'homme :

1.5 "les modifications du Mental sont quintuples et sont pйnibles ou non-pйnibles.
1.6 (Ce sont) la connaissance juste, la connaissance fausse, la fantaisie, le sommeil et la mйmoire.
1.7 La connaissance juste est basйe sur la connaissance directe, la dйduction ou le tйmoignage.
1.8 La connaissance fausse est une fausse conception d'une chose dont la forme rйelle ne correspond pas а une telle conception erronйe.
1.9 Une image йvoquйe par des mots sans aucune substance derriиre elle est de l'imagination
1.10 Cette modification du mental qui est fondйe sur l'absence en lui de tout contenu, est le sommeil.
1.11 La mйmoire, c'est de ne pas permettre а un objet dont on a fait l'expйrience, de s'йchapper."

Aprиs avoir йnoncй ces 5 modifications, voici la faзon de les contrфler

1 .12 Leur contrфle (est amenй) par la persistance dans l'effort et le dйtachement(abhyвsa, vairвgya).

Ce verset est le deuxiиme axiome du Yoga. Le premier йtait: "Le Yoga est le contrфle des modifications du mental." C'est le but а atteindre. Comment l'atteindre? "par la pratique constante (l'effort persйvйrant) et par le non-attachement."

 Ce sont lа les deux mots-clйs du Yoga
Abhyвsa : effort persйvйrant
Vairвgya : non‑attachement

Les divers yogas dйveloppйs par les diffйrentes йcoles dйcrivent tous abhyвsa dans ses diverses formes. Mais tout ceci ne mиne а rien si on reste attachй aux choses qui dйrivent des modifications du mental, s'il y a toujours "identification du Voyeur (Purusha) avec les modifications du mental."

Voici ce qu'on lit dans le sixiиme dialogue de la Bhagavad Gоta :

VI. 34 Car le mental est trиs agitй, Krishna, il est impйtueux, fort et rebelle. Il semble aussi difficile а dompter qu'il est difficile d'arrкter le vent. Le Seigneur bйni dit :

VI. 35 Sans doute,  ф puissamment armй, le mental est difficile а soumettre et inconstant ; mais il peut кtre domptй par l'effort constant et par le dйtachement.

Voyons d'abord abhyвsa, l'effort constant.
On peut lire dans le mкme dialogue:

VI. 26 Chaque fois que le mental instable et inconstant cherche а s'йchapper, reprends-le toujours fermement en main et ramиne-le constamment au soi.

Ceci doit se faire jour aprиs jour, mois aprиs mois, annйe aprиs annйe. C'est cela la pratique constante. Pour aiguiser notre curiositй je citerai ici quelques lignes du livre "Le traitй de la Fleur d'Or du Suprкme Un", qui est un amalgame du Yoga hindou avec l'ascиse taoпste et bouddhiste :

"Enfants, songez-y! Nйgligez-vous la mйditation un seul jour, la lumiиre s'йchappe, et qui sait oщ. Que, par contre, vous mйditiez un seul quart d'heure, et vous pourrez mettre un terme aux dix mille йons et mille naissances."

La rйgularitй ininterrompue, c'est lа la clй du succиs. C'est la raison d'кtre de la discipline yoguique. Cette discipline consiste en observances, en postures, et en mйditation, d’oщ rйsulte le samвdhi.

Voici les observances telles qu'йnumйrйes par Pataсjali :

Il. 32 La puretй, le contentement, l'austйritй, l'йtude du soi et l'abandon а Dieu constituent les observances.

POSTURES

Voyons maintenant les postures. Pataсjali, qui est le maоtre du Rвja Yoga, dit:

Il. 46 La posture doit кtre stable et aisйe. (sthira-sukham вsanam.)

               Taimni a cru nйcessaire de faire les commen­taires suivants :

« Les йtudiants du Yoga sont gйnйralement au courant des pratiques dйsignйes par le mot Asana. En fait, bien des personnes... le confondent avec ces exercices physiques. Il est cependant nйcessaire, mкme pour l'йtudiant de la philosophie du yoga, de comprendre clairement la place et le rфle des вsanas dans le Rвja-Yoga car, dans le Hatha-Yoga, et dans certains systиmes de culture physique, leur but est trиs diffйrent. Dans le Hatha-Yoga la question des Asanas est traitйe longuement et on y dйcrit en dйtail au moins 84 вsanas, trиs spйcifiques, et parfois, on attribue а beaucoup d'entre eux des rйsultats exagйrйs. Il ne fait pas de doute que beaucoup de ces вsanas, en affectant les glandes endocrines et les courants prвniques, tendent а produire des changements trиs marquйs dans le corps, s'ils sont pratiquйs correctement et pendant assez longtemps, et qu'ils favorisent remarquablement une bonne santй. Le Hatha-Yoga est fondй sur le principe que les changements dans la conscience peuvent кtre produits par la mise en mouvement de courants de certaines forces subtiles (prвna, kundalini) dans le corps physique. La premiиre chose а faire pour entrer en contact avec les niveaux les plus profonds de la conscience est donc de rendre le corps physique parfaitement sain et apte а recevoir l'influx de ces forces, et а supporter leur manipulation. C'est pourquoi on insiste tant sur la prйparation du corps physique et on exige que le sвdhaka accomplisse les diffйrents aspects d'exercices physiques dont parlent les traitйs de Hatha-Yoga.

            Dans le Rвja-Yoga, la mйthode adoptйe pour produire les changements dans la conscience est fondйe essentiellement sur le contrфle du mental par la volontй et la suppression par degrй des chitta-vrittis, des modifications du mental.

La technique du Rвja-Yoga est donc dirigйe vers l’йlimination de toutes les sources de dйrangement du mental, que ces sources soient externes ou internes. Or, une des importantes sources de dйrangement du mental est le corps physique. Mкme la psychologie moderne reconnaоt le lien йtroit entre le mental et le corps et leurs rйactions mutuelles continuelles. Ainsi le Yogi doit-il йliminer complиtement les dйrangements qui proviennent du corps physique, avant de chercher а s’attaquer au problиme du mental lui-mкme.

On y arrive par la pratique des asanas (postures). Le corps physique est mis dans une certaine posture et on s’aperзoit que, lorsqu’il peut s’y maintenir longtemps, il cesse d’кtre une source de dйrangement pour le mental. »

L’un des йlйments contribuant а la maоtrise de la posture est le « relвchement de l’effort ». Ceci est un point important. Trиs souvent, on voit celui qui essaie de mйditer froncer les sourcils pour se concentrer. Ce geste fait partie de l’aspect « image » qu’on aime а se construire. L’кtre humain est fait de telle sorte qu’il ne peut se voir lui-mкme. L’image est la seule « personne » а qui on peut faire des grimaces, des mimiques, sans qu’elle rйagisse. C’est pourquoi c’est а soi-mкme qu’on joue le plus la comйdie. Et pour montrer qu’on est concentrй, on serre les muscles. Et on se regarde dans un miroir imaginaire pour se convaincre qu’on est concentrй.

Cette habitude est tellement ancrйe que nous projetons ainsi notre image devant nos yeux imaginaires presque sans le vouloir. Constatez par vous-mкme comme il est difficile de vous concentrer sans froncer les sourcils.

Lorsque Annie Besant s’entraоnait а la mйditation, un jour, Mme Blavatsky la vit et lui dit : « Cessez de mйditer avec les muscles de votre visage ! »

Le corps ne se stabilise pas parce qu’on le force а se stabiliser, parce qu’on fait attention а lui, parce qu’on lui impose une position. Il faut au contraire se dйtacher du corps. Bien entendu, au dйbut, il y a une lutte entre la volontй du corps et notre propre volontй, mais l’objet de la technique d’asana est d’amener le corps а trouver sa stabilitй naturelle.

Il y a trois qualitйs – gunas – dans la matiиre : rajas ou activitй, tamas ou inertie, et sattva ou harmonie. Il faut apprendre а observer leurs expressions dans les attitudes de notre corps.

Le corps est gйnйralement sollicitй, (sinon ?) par les objets extйrieurs, (du moins ?) par des impacts psychologiques, et surtout, lorsqu’on s’assied pour mйditer, il devient tout d’un coup conscient de toutes les sollicitations qui tournent autour de lui ; cela est une expression de rajas. D’un autre cфtй, il tend а s’affaler, et mкme а s’endormir ; c’est tamas qui gagne. Il s’agit, pour une bonne mйditation, de trouver la position juste pour que le corps soit « stable et confortable » (Yogasыtra, II, 46).

Et, une fois que le corps est tranquillisй, voici un conseil donnй dans la Bhagavad Gоta : « Tenant droits et immobiles le corps, la tкte et le cou, regardant, d’un regard impassible, la pointe de son nez. » Cette derniиre recommandation intrigue plus d’un aspirant. Et il est intйressant de lire dans Le Traitй de la Fleur d’Or du Suprкme Un, ces lignes :

«Les Fondateurs du Taoпsme et du Bouddhisme ont enseignй les uns et les autres а regarder l’arкte du nez. Ils n’entendaient pas que les pensйes doivent кtre fixйes au bout du nez. Non plus que l’њil regardant le bout du nez, les pensйes sont rassemblйes au Centre jaune. Lа oщ l’њil se dirige, lа se fixe le cњur …

L’expression “bout du nez” est adroitement choisie. Le nez sert а l’њil de repиre. Ne se rиgle-t-on pas sur le nez, on ouvre largement les yeux, le regard se perd au loin de sorte qu’on ne voit pas le nez ; ou bien on baisse trop les paupiиres : les yeux se ferment, le nez n’est pas vu non plus. L’ouverture excessive des yeux les oriente vers l’extйrieur, d’oщ une lйgиre distraction. Leur fermeture excessive les oriente vers l’intйrieur, d’oщ une lйgиre plongйe dans l’йtat de rкve. C’est seulement si les paupiиres sont fixйes au niveau moyen qu’on voit parfaitement le bout du nez.

Aussi le prend-on comme repиre.

L’important est que les paupiиres soient abaissйes correctement, que la lumiиre rayonne d’elle-mкme, sans effort personnel de concentration et de rayonnement intйrieur. La vue du nez n’est utilisйe qu’au dйbut, afin d’amener le regard dans la direction convenable et de l’y maintenir. Aprиs quoi on s'en abstient. Tel le maзon fixant son cordeau : lorsque c'est fait, il se met au travail, sans avoir constamment l'њil au cordeau. »

Cette derniиre phrase, qui est un commentaire du Maоtre Liu-Tsou, est а retenir tout au long de notre ascиse. Un certain nombre d'exercices, de postures recommandйes est nйcessaire pour la prйparation а la mйditation. Il faut savoir que ce ne sont que des йlйments prйparatoires, que ce n'est pas cela le Yoga. Il faut se souvenir aussi que ces exercices ne donnent pas de rйsultats immйdiats, par consйquent doivent кtre pratiquйs pendant un temps qui semble toujours long а des gens modernes habituйs а la trйpidation, et que la maоtrise du corps s'obtient en un temps plus ou moins long selon le degrй de sйrieux du pratiquant. Sachant que c'est une йtape trиs prйliminaire, qui est destinйe а кtre dйpassйe, il convient de ne pas s'attacher а ces exercices et postures, mais il faut s'en affranchir. L'essentiel, c'est de calmer le corps, pour l'oublier, non pour l'adorer.

MANTRA

On est maintenant prкt а aborder la mйditation. Cependant je voudrais auparavant dire deux mots de l'usage des mantra. Ceci est un peu hors du cadre, mais on en parle tellement. On peut lire dans Pataсjali-

1. 27 Son dйsignateur est OM.

Dйsignateur de Оshvara, qui est un Purusha non liй par le Karma.

28 Sa constante rйpйtition et la mйditation sur sa  signification.
29 Conduit а la disparition des obstacles et le retournement vers l'intйrieur de la conscience.

OM est le seul mantra qu'on pourrait utiliser si on le veut et en кtre instruit. Je n'en dis pas plus. Tout autre mantra est, en gйnйral, dangereux.

MЙDITATION

Nous pouvons maintenant aborder le sujet de la mйditation elle-mкme. Il y a trois йtapes dans la mйditation :

-          l'apprentissage de la mйditation, ou concentration
-          la mйditation proprement dite
-          la rйalisation = Samвdhi

Concentration

La concentration est la continuation de l'apprentissage de la maоtrise. Par l'вsana, le corps est calmй et, peu а peu, maоtrisй. Cette maоtrise du corps est gйnйralement plus difficile qu'on ne le pense. Car le corps, par ses fonctions, gйnиre plus de problиmes qu'on ne le croit. Pensez par exemple aux pйchйs dont  parle l'enseignement chrйtien. Eh bien tous ont une origine physique. Tous sont nйs de l'attachement aux rйsultats ou produits de l'activitй physique, ou de l'inactivitй physique (je pense а la paresse).

De cet attachement sont nйs les dйsirs correspondant aux sensations йprouvйes, puis le dйsir de la rйpйtition des dйsirs ou des sensations. Le dйsir engendre la recherche de la faзon dont on peut satisfaire ce dйsir. Ceci affecte le mental, et lorsqu'on s'assied pour mйditer, le corps appelle une foule de soi-disant pensйes, qui ne sont que la progйniture des besoins du corps. Puis il y a les йmotions qui sont gйnйrйes et perpйtuйes sur le plan des йmotions. Puis ce que nous appelons les pensйes. Il s'agit, dans ce processus prйliminaire, de filtrer tout ce flot, de reconnaоtre les "pensйes" qui nous arrivent, et de les faire passer, afin qu'elles ne restent pas а encombrer notre mental. Le premier pas dans la concentration est donc plutфt un nettoyage, le fait d'enlever ce qui encombre le mental. Le deuxiиme pas est l'apprentissage de la maоtrise de la fonction mentale elle‑mкme. On apprend а focaliser son attention sur un sujet, et а maintenir cette focalisation. Ces deux pas ne sont pas successifs, et gйnйralement se chevauchent, se complиtent. Ceci dйpend du tempйrament de celui qui s'exerce, et chez la mкme personne, il y a des pйriodes oщ l'on fait mieux le nettoyage, et d'autres oщ l'on prйfиre avoir recours а un sujet pour se concentrer. Pour anticiper sur le rйsultat, ces deux pas conduisent а deux sortes de rйalisation, de samвdhi, le samвdhi avec semence et le samвdhi sans semence. Mais revenons а la concentration. Lorsque, par un travail patient, domptant le mental "plus difficile а dompter que le vent", on arrive а la concentration vйritable, naturelle et sans contrainte, alors dйbute la mйditation.

Mйditation

La mйditation est une ouverture. L'apprentissage de la concentration ayant calmй les "modifications du mental", ce mental calmй ressemble а la surface d'un lac, qui tout d'un coup, lorsqu'aucune brise ne la ride, devient si lisse, si claire, que le ciel s'y reflиte dans son intйgralitй et son infinitй. Le ciel, ici, est le Soi supйrieur. La mйditation, c'est cela, rien que cela, mais aussi rien moins que cela. Toutes ces techniques oщ l'on nous raconte des histoires... ne sont qu'enfantillages. Ce n'est que le jour oщ vous ne pensez plus que vous mйditez vraiment. Attention : ne plus penser ne veut pas dire ne pas penser, mais veut prйcisйment dire connaоtre parfaitement l'usage ‑et la maоtrise‑ de la pensйe de sorte qu'on est capable d'arrкter le processus de ratiocination, de mouvement mental, pour laisser la pensйe pure s'exprimer. Ceci est incommunicable.

C'est une expйrience que peu de gens ont rйalisйe, et lorsqu'elle arrive, elle fait souvent reculer, car, pour l'humain moyen, c'est une chose non encore expйrimentйe, et on a toujours peur de choses inconnues. Ce recul est toujours motivй par un reste d'attachement. On peut кtre attachй aux choses grossiиres, aussi bien qu'aux choses les plus subtiles. C'est pourquoi malgrй toute la prйparation dйcrite, le moment du "lвcher prise" ne vient souvent que tardivement, car les corps matйriels ont un grand pouvoir sur l'homme et ce pouvoir est difficile а vaincre. Cependant, un jour, tout а coup, presque sans le vouloir (et justement parce qu'on ne veut pas, qu'on n'est pas polarisй) le dйclic se fait, en une fraction de seconde, "quelque chose" se produit puis on retombe de nouveau sur nos corps. Cependant l'expйrience laisse sa marque, et on finit par se demander si on sait de nouveau retrouver cette ouverture soudaine et fugitive. C'est alors qu'on arrive au deuxiиme йtat de conscience, que les hindous appellent l'йtat de rкve. Avant cela, on йtait dans l'йtat de veille (jвgrat). Il faut bien s'entendre sur les termes. Le mot veille a son acception habituelle. Lorsqu'on est йveillй, on voit les choses "rйellement" ; c'est ce qu'on pense gйnйralement. А la vйritй, ce "rйel" est le plus irrйel possible. Mais dans l'йtat de veille, on s'identifie avec cet irrйel, et l'irrйel devient rйel. Parce que ce rйel constitue notre expйrience journaliиre, nous nous y sentons confortable. C'est le moment oщ le chercheur est ardent, et "sage". Il a l'impression qu'il comprend tout, qu'il sait beaucoup et qu'il peut tout savoir. Lorsqu'il a eu une ou deux expйriences dont j'ai parlй plus haut, oщ il a eu une lueur de l'autre cфtй du rйel, du "vrai" rйel, il commence а ne plus кtre aussi sыr de lui, il se trouve dйracinй d'un monde et ne comprend pas tout а fait l'autre. Il est comme dans l'йtat de rкve (svapna), oщ l'on ne sait plus trиs bien oщ l'on est. C'est l'йtat que certaines traditions (soufisme) appelle le -fou-. Il faut bien comprendre que ces termes sont des images, qui tendent de dйcrire un йtat de conscience. Ce n'est pas le rкve qui se produit dans le sommeil. L'appellation du troisiиme йtat de conscience va encore plus loin dans l'image : l'йtat de sommeil sans rкve (sushupti). Ici encore moins, il ne s'agit pas du tout du sommeil physique. Autrement un bon somnifиre aurait le mкme effet. C'est l'йtat de celui qui, maintenant, a fait plusieurs expйriences et qui ne se trouble plus. Il a choisi entre les deux mondes, et sait se maintenir dans le vrai "rйel". C'est l'йtat des hommes que les hindous appellent Mahвtmas. En gйnйral, les personnes ayant atteint cet йtat se retirent du monde afin de pouvoir poursuivre tranquillement leur mйditation. Car ces personnes, elles, mйditent. Cet йtat est la vraie mйditation.

Contemplation

Et insensiblement, un jour arrive, naturellement, par un autre dйclic, le quatriиme йtat, Turiya, qui est la rйalisation, l'illumination, qui d'ailleurs n'est plus un йtat. Les hindous l’appellent le Samвdhi, et le Zen, le Satori. De cet йtat, rien ne peut кtre dit, car tout ce qui en est dit est confinй dans notre connu, qui ne comporte pas d’expйriences de cet йtat.

Citons simplement ces versets en guise de conclusion :

1. 16 Par la contemplation de la Rйalitй dans sa puretй, jaillit la capacitй de contrecarrer le pouvoir qui lie l'вme au monde rйel.

     17 Par le contrфle, et finalement la suppression de l'activitй du mental individuel, on atteint la connaissance de l'Вtma, l'esprit individuel dans l'homme.

C'est cela, le Yoga.



VII

LES LOIS DE BASE

de la

VIE SPIRITUELLE

I. INTRODUCTION

La vйritй premiиre dont il faut se pйnйtrer est que l'homme est fait de Matiиre, d'Intelligence et d'Esprit, et que par consйquent la Vie Spirituelle est une йtape tout а fait normale, inйvitable de l'йvolution humaine.

Par consйquent, lorsque quelqu'un -comme on le dit gйnйralement -se tourne vers la Vie Spirituelle, il ne fait qu'amorcer une nouvelle йtape de sa progression normale. Rien d'anormal, rien de supйrieur, rien d'exceptionnel. Celui qui foule donc le Sentier Spirituel ne fait -ne doit faire -rien d'extraordinaire. Ce qu'il fait, ce qu'il doit faire, c'est uniquement actualiser ce qu’il a а l’йtat potentiel.

II. LOIS DE BASE

Lorsqu'on a dit ce qui prйcиde, il devient йvident que les lois de la Vie Spirituelle sont basiquement les mкmes que celles qui gouvernent toute la vie. Il n'y a pas de lois de base diffйrentes. Il n'y a d'ailleurs qu'une loi qui rйgit tout l'Univers, et c'est la loi du Karma. On parle souvent d'autres lois, mais elles dйcoulent toutes de la loi du Karma. L'йtudiant en spiritualitй doit donc bien connaоtre la loi du Karma. Sur le chemin spirituel, cette loi va s'exprimer par des corollaires particuliers, et c'est ce qu'on appelle les lois de la Vie Spirituelle. Avant donc de parler des lois de la Vie Spirituelle, voyons d'abord la loi de base : Karma.

            A.  Loi de Karma

J'emploie de prйfйrence le nom sanscrit de cette loi, car toute traduction en langages occidentaux n'en est que fragmentaire. On l'appelle souvent loi d'Action et de Rйaction; je l'appelle loi d'Йquilibre. Mais tous ces termes sont limitйs et limitatifs.

Le mot Karma est fait de 3 consonnes : K, R, M. Si on les prononce, on se rend compte que le K naоt de la gorge, que le R fait vibrer cette impulsion nйe de la gorge, et que le mot se termine par les lиvres fermйes. Impulsion premiиre, perpйtuation, puis clфture du processus vocal. Karma, en son, traduit donc tout le processus de la crйation, de la manifestation, et ainsi veut dire la loi qui est sous-jacente а la vie manifestйe de l'Univers. Elle n'est rien moins que cela.

Nous n'allons pas entrer dans les considйrations rhйtoriques sur l'origine de la manifestation. Il est plus utile d'йtudier le fonctionnement de cette Loi.

1. Comment opиre la loi de Karma

La meilleure illustration de l'opйration de la loi de Karma consiste а jeter un caillou dans une mare tranquille. Le point d'impact du caillou dans l'eau constitue le centre de l'impulsion. Que constate-t-on? Autour du point d'impulsion, des ondes concentriques se propagent de plus en plus loin du centre.

Observons dйjа ces ondes. Elles sont constituйes par des crкtes et des creux qui se succиdent. Si l'on retrace en pensйe, car ceci se passe de faзon trиs fugitive, la formation de ces ondes, on peut s'imaginer que le caillou, par son poids a crйй une dйpression dans l'eau, c'est l'origine des creux. Mais immйdiatement l'eau rйagit en jaillissant au-dessus de sa surface, avec une force йgale au poids du caillou, c'est l'origine des crкtes. Comme le creux initial constitue un dйsйquilibre dans la masse de l'eau, le rйtablissement de l'йquilibre crйe le jet initial, ce jet йtant de nouveau en dйsйquilibre, une rйaction se fait, et un autre creux se crйe... ainsi naissent les ondes successives.

Ce rйtablissement est produit par l'une des trois "qualitйs" de la matiиre, а savoir l'inertie (tamas) ou la tendance а rester inchangйe, ou а rйtablir l'йtat de repos.

Mais la matiиre est douйe d'une autre "qualitй", celle du mouvement (rajas), c'est-а-dire la tendance, lorsqu'elle est mise en mouvement, а garder indйfiniment ce mouvement. Cette deuxiиme "qualitй" est, finalement, un corollaire de la premiиre. Tout ce que je viens de dire, ne croyez pas que cela se trouve seulement dans la notion de gunas des hindous, c'est clairement, explicitement йnoncй, dans la physique moderne, par le "Principe d'Inertie" :

Tout corps matйriel au repos tend а rester au repos. Tout corps matйriel auquel un mouvement a йtй imposй, tend а garder indйfiniment ce mouvement.

[Souvenez-vous de cette loi lorsque vous lirez ou relirez Le Pouvoir de la Pensйe d'Annie Besant, vous verrez les usages qu'on peut en faire].

Maintenant voyons la propagation de ces ondes. On voit qu'elles se propagent de faзon uniforme, les crкtes succйdant aux creux.

En physique, on a fait des expйriences qui ont dйmontrй que l'eau elle-mкme ne se dйplace pas dans le sens de la propagation des ondes, mais seulement verticalement. Autrement dit l'onde se propage, mais le substratum sur lequel elle se propage reste immobile.

Si maintenant nous supposons que la surface sur laquelle les ondes se propagent est limitйe, par exemple lorsqu'on utilise une cuvette pour cette expйrience, les ondes, en arrivant aux bords de la cuvette, se reflиtent et reviennent vers le centre. Si nous les suivons, on voit qu'arrivйes au centre, elles repartent de nouveau dans le sens centrifuge.

Ainsi, en principe, lorsqu'une impulsion est donnйe, l'onde qui en rйsulte se propage indйfiniment et si elle rencontre un obstacle, se reflиte dans le sens inverse : voilа la loi d'action et de rйaction illustrйe.

Voilа une image claire et saisissante de la loi du Karma. Le point d'impact est le K, les crкtes et creux qui se propagent et se perpйtuent sont les vibration reflйtйes du R. Nous verrons le M plus loin.

Maintenant, voyons un autre aspect de la propagation ondulatoire. Supposons qu'on ait un deuxiиme centre d'impulsion. De ce centre, des ondes se propagent de faзon concentrique et centripиte йgalement. Lorsque ce deuxiиme systиme d'onde croise le premier, il y a ce qu'on appelle interfйrence. Quand une crкte rencontre une crкte, il y a rehaussement des deux crкtes. Mais lorsqu'une crкte rencontre un creux, alors ils s'annulent. L’interfйrence des deux systиmes a ainsi pour rйsultat un autre systиme de crкtes et de creux qui rйsultent soit de la conjonction de deux crкtes ou de deux creux, soit de l'opposition de phase d'une crкte et d'un creux.

Ce systиme d'interfйrence est, а proprement parler, le Karma qui lie les deux centres d'impulsion.

Nous avons pris lа l'exemple de deux centres d'impulsion, de deux causes et de leur effet rйciproque ; ces deux causes deviennent ainsi causes interdйpendantes (cf. Bouddhisme : les douze nidвnas).

On peut en faire deux extensions principales :

a] Supposez l'existence d'un troisiиme centre d'impulsion et imaginez la figure d'interfйrence. Puis un quatriиme, un cinquiиme ... un grand nombre de centres d'impulsion, de "causes", vous voyez combien est imbriquй le karma collectif de l'humanitй.

b] Le deuxiиme systиme d'onde peut кtre l'onde rйflйchie gйnйrйe par la premiиre onde qui a frappй un obstacle. Ici, la premiиre cause a gйnйrй un effet, qui en heurtant un obstacle devient lui-mкme une cause engendrant un second effet. Ce second effet, йtant un systиme d'onde, peut entrer en interfйrence avec le premier systиme. En poursuivant cette image, vous comprendrez la faзon dont l'effet d'une cause йvolue en complexitй avec ses propres effets.

2. Consйquences de l'opйration de la loi du Karma

a] Les consйquences de l'opйration de la loi du Karma sont tout simplement tout ce qui existe, statique ou mobile.

Exemple statique :

Quand vous vous asseyez sur cette chaise ou ce banc, et que vous y restez assis, c'est parce que la chaise est capable d'opposer une rйaction а l'action de votre poids ; quand vous construisez une maison, vous mettez une brique sur une autre, et le mur s'йlиve... parce que la premiиre brique oppose une rйaction au poids de la seconde... Comprenez ainsi que toute forme, tout йdifice, vu par nous comme stable, est le rйsultat du jeu d'action et de rйaction des matйriaux. Dans ce cas, il y a йquilibre entre les deux forces en opposition.

Exemple semi-statique :

Vous avez tous vu ces films Western, oщ l'on voit un homme courageux faire avancer un train sur un pont fragile surplombant un torrent en crue. Si le train n'y est pas, il y a toutes les chances pour que le pont soit emportй par les eaux en furie. Mais le poids du train donne un surcroоt de poids, c'est-а-dire de capacitй de rйsistance au pont. Si la force des eaux ne dйpasse pas celle combinйe du pont et du poids du train, le systиme restera en йquilibre. Cet йquilibre est d'ailleurs plus saisissant lorsqu'on imagine que ce pont est une digue qui contient les eaux d'un barrage.

Exemple cinйtique:

Mais si malgrй le poids du train, tout le systиme est encore plus faible que la force des eaux, alors tout est entraоnй. On se rend compte ainsi que le mouvement rйsulte d'un dйsйquilibre entre les forces en opposition, rйsulte du fait que la rйaction est plus faible que l'action (parfois c'est le contraire qui se produit, comme le cas d'un meneur de foule qui n'arrive pas а contenir la foule en rйaction, favorable ou dйfavorable. Dans les sphиres occultes, ce sont les "chocs en retour" qui sont souvent redoutables).

En rйsumй, il y a en physique, deux parties : la Statique, qui est la science de l'йquilibre et la Dynamique, qui est la science du dйsйquilibre. Toutes deux sont des aspects de la loi du Karma.

Cette loi mйrite qu’on en parle longuement, parce qu'elle est la loi gouvernant tout agrйgat de Matiиre, et la Matiиre est le Rйservoir de la Sagesse.

Rappelons ce sыtra de Pataсjali :

II. 23 "Le but de l'union de Purusha et de Prakriti est le gain par le Purusha de la conscience de sa propre nature, et le dйveloppement des pouvoirs inhйrents en lui et Prakriti."

C'est par la connaissance de la Matiиre que l'Esprit comprend et rйalise sa propre nature. Cette vйritй est а la base de tout systиme, de toute discipline.

b] Le gyroscope

Il est une application de la loi d'inertie qui est tout а fait remarquable. C'est que lorsqu'un corps matйriel est mis en mouvement rotatoire, il maintient son axe de rotation fixe. L'exemple le plus visible, bien que nous ne le voyions pas, est le globe terrestre avec l’axe de ses deux pфles autour duquel il tourne, ce qui nous donne le jour et la nuit.

Un exemple simple et trиs efficace est le gyroscope. Le gyroscope est trиs utilisй en ce siиcle de voyage interplanйtaire, car c'est lui qui permet de garder une trajectoire fixe. Et lorsqu'on exerce sur l'axe une force, alors tout le gyroscope change d'axe.

Je voudrais aussi vous signaler un autre instrument utilisй aussi en balistique interplanйtaire, c'est un vibreur, une sorte de diapason dont la vibration est maintenue par un йlectro-aimant. Ce mouvement vibratoire selon un axe, maintient l'axe perpendiculaire inchangй. Ici aussi, si on exerce une force que l’axe, le balistique change de direction.

c] La loi de Pйriodicitй

Tout le monde connaоt la balanзoire. Si on la pousse, son poids la ramиne а la position d'йquilibre, mais l'inertie matйrielle lui fait conserver son mouvement et la fait dйpasser le point d'йquilibre. Puis le processus recommence. Le passage а la position d'йquilibre devient pйriodique. Un laps de temps s'йcoule entre deux passages. Ici on voit l'imbrication du temps et de l'espace.

d] Matiиre et йnergie

On connaоt cette expйrience de physique, dont on a fait d'ailleurs un jeu. Trois boules sont suspendues а un mкme support horizontal, а la mкme hauteur et cфte а cфte. Lorsqu’on йcarte la premiиre et la laisse retomber, et c'est la troisiиme qui est projetйe en l'air. C'est l'inertie de la premiиre boule qui, en dйsйquilibre, lui donne une йnergie. Cette йnergie se transmet а la deuxiиme, qui la transmet immйdiatement а la troisiиme, et par inertie elle demeure immobile. En langage profane, ceci s'appelle "l'effet ricochet", aussi trиs important en occultisme.

e] Interaction matiиre/esprit

Nous avons vu jusqu'ici quelques illustrations de la loi qui rйgit la matiиre.

Supposons maintenant que dans le cas de la balanзoire, il y a une surface qui touche la balanзoire а son plus bas niveau, et qui est dotйe d'un mouvement uniforme. Si on a fixй une plume sous la balanзoire ; celle-ci tracera la figure ci-dessous :

mouvement           mouvement
de la balanзoire    de la surface

Prenons maintenant le cas du gyroscope. Si l'axe est mы d'une translation uniforme, et qu'on fixe une plume sur un point du corps tournant, on aurait

sens du                   sens de dйplacement
gyroscope               de l’axe

Ceci est, nous le savons, l'illustration de l'йvolution. Le gyroscope ou la balanзoire est la matiиre ; l'axe ou le plan immobile est l'esprit. Le mouvement de l'axe ou du plan est l'opйration du mental, ou le Saint Esprit.

En rйsumй, nous avons vu successivement la loi de Karma et trois de ses corollaires sur le plan de la manifestation : la loi d'Inertie, la loi de Pйriodicitй et la loi d'Йvolution.

III. EXPRESSIONS DE LA LOI AU STADE HUMAIN

Les implications de ces lois sur la constitution humaine sont multiples. Nous n'en examinerons  ici que quelques aspects ayant rapport avec ce sujet, sous deux points de vue, celui de l'homme а notre stade d'йvolution, et celui de la vie spirituelle.

La caractйristique principale de la matiиre est l'Inertie : C'est ce qui crйe la plupart des ennuis de l'homme. Car avec l'interpйnйtration de l'esprit et du mental avec la matiиre, il y a la construction des formes. Or qui dit construction dit йlйvation du niveau d'йnergie emmagasinйe. C'est ce qu'en physique on appelle une diminution d'entropie. Or la premiиre tendance de la matiиre est de rester inchangйe, ce qui empкche l'йnergie de se dйgager de la matiиre pour changer et йvoluer, ce qui cause la paresse. La paresse est trиs justement cataloguйe comme l'un des sept pйchйs capitaux.

(Si vous y rйflйchissez bien, vous verrez que les sept dйrivent de la loi de Karma).

Ayant un corps, il est naturel que l'homme soit paresseux. C'est la tendance naturelle inhйrente а la matiиre. C'est dans l'ordre des choses propre а l'йvolution de la matiиre. Il faut bien comprendre ceci et notre "prise en main" de ce que nous appelons nous-mкme sera beaucoup plus harmonieuse.

Gйnйralement on dit que la paresse est un dйfaut. Oui elle est un dйfaut pour la partie spirituelle qui veut utiliser la forme faite de matiиre pour йvoluer. Mais c'est une qualitй inhйrente de la matiиre, sans laquelle la matiиre n'йvoluerait pas en tant que matiиre. L’homme peut se condamner pour sa paresse, pas son corps. Ce n’est pas que la paresse est bonne pour notre corps ; c'est une tendance « normale » de la matiиre de tendre vers l'immobilitй. Sachant cela, on doit s’appliquer а comprendre comment cette tendance s'exprime dans la vie de notre corps, et а le contrфler.

Un autre aspect de la paresse est la tendance а crйer des habitudes йtablies. Souvenez-vous du gyroscope. Chaque habitude du corps est telle un gyroscope qui maintient toujours son axe inchangй. L'ensemble de ces habitudes provoque l'automatisme fonctionnel de notre corps. Si vous observez bien ceux qui vous entourent, si vous vous observez bien, vous voyez que chacun de nous, dans sa vie physique, est un ensemble d'habitudes acquises rйpйtйes, perpйtuйes. Plus un gyroscope tourne vite, plus son axe est fortement maintenu. Avec l'entretien d'une habitude - ce qui revient а la renforcer -l'habitude devient plus ancrйe, plus difficile а changer.

Ce qui vient d’кtre dit concernant le corps physique s'applique aux deux autres corps dont l'homme a usage. Il y a des tendances йmotionnelles, des sentiments exacerbйs : claustrophobie, peur de la solitude, racisme, tendances musicales.... Puis, sur le plan mental, il y a les prйjugйs, les idйes fixes.

Cependant, ce qu'on appelle "mauvaises habitudes" sont crййes et maintenues par la loi d'inertie, les bonnes habitudes aussi. On dit souvent : c'est le premier pas qui compte, car la tendance naturelle du corps est de rйpйter un geste qui a йtй fait, car c'est la ligne de moindre rйsistance, car il est paresseux. S'entraоner dans de bonnes habitudes c'est, tout bien examinй, une paresse bien dirigйe, c’est utiliser la tendance naturelle vers les lignes de moindre rйsistance pour son propre perfectionnement.

Pour perdre les mauvaises habitudes, on peut aussi utiliser d’une autre faзon la tendance naturelle de la matiиre. Nous avons vu qu'une habitude se maintient parce qu'on l'entretient. Si notre attention est dйtournйe ailleurs, faute d'aliment, l'habitude s'attйnue et finit par ne plus s'exprimer.

Attention cependant dans ce cas, car le gyroscope, s'il tourne lentement, tourne encore, et dиs la moindre йnergie reзue, reprend de plus belle. C'est l'une des raisons de ce qu'on appelle les chutes des disciples ou mкme des initiйs.

Il y a une autre faзon de faire, c'est la transmutation des habitudes. Nous avons vu que le gyroscope, en tournant, maintient son axe. Mais si l'on exerce une force sur une extrйmitй de l'axe, tout le plan de rotation est changй. Ainsi peut-on opйrer. Par exemple, on est colйreux. Eh bien, on peut "dйvier l'axe" afin que la tendance а la colиre, au lieu de s'exercer sur des choses futiles ou triviales, s'exprime peu а peu par l'indignation devant des agissements injustes, autrement dit amener la tendance а la colиre а devenir un sentiment plus noble et plus pur. Par cet affinement graduel, on arrive а faire changer tous les constituants de nos corps. Ainsi patiemment on commence а opйrer ce qu'Annie Besant appelle, dans Vers le Temple, l'alchimie spirituelle.

IV LOIS PROPRES А LA VIE SPIRITUELLE

A. La Non-Action ou l'action non-liante

Lorsqu'on a compris l'opйration de la loi de Karma, l'on arrive petit а petit а acquйrir ce que la Bhagavad Gоta appelle non-action :

IV. 18."Celui qui peut voir l'inaction dans l'action et l'action dans l'inaction, celui-lа est sage parmi les hommes ; il reste harmonieux alors mкme qu'il accomplit l'action."

Il ne s'agit pas du tout de ne pas agir, mais l'action est tellement conforme а la loi qu'elle ne provoque aucune rйaction. Prenons l'exemple du conducteur d'une automobile : s'il ne connaоt pas le code de la route, il ne pourra pas faire mouvoir son auto sans crйer d'accident : son action crйera inйvitablement des rйactions nйfastes. Tel est notre comportement actuel. Ignorants de la Loi, notre action engendre des rйactions, et augmente le Karma - de nous-mкmes et de nos semblables -. Mais un conducteur qui connaоt et observe le code de la route, fait mouvoir son auto sans causer de trouble. L’ensemble des autos ainsi conduites forme ce qu'on appelle une circulation fluide, sans heurt, sans choc, sans dйsordre. Tout en йtant en action, il ne provoque aucune action de la part des autres. Dans cette circulation, il est pratiquement un йlйment, mobile certes, mais non-agissant. Telle est la faзon d'agir de ceux qu'on appelle les Maоtres. Telle est la faзon qu'essaient d'atteindre les disciples et aspirants. Une telle action ne crйe pas de karma. C'est l'action libre, sans karma.

B. Le Sacrifice

La loi du sacrifice est une application de la loi de non-action. Mais alors que celle-ci s'applique aux choses extйrieures, la loi du sacrifice s'applique а sa propre constitution.

Nous avons vu que nos corps sont des agrйgats de matiиre et qu'en tant que tels, ils obйissent aux lois gouvernant la matiиre. L’alchimie spirituelle nous permet de les affiner, mais les mкmes contraintes karmiques demeurent. А un certain moment, il faut que ces corps se dissolvent, non pas en se dйsagrйgeant, mais en йtant assemblйs sans crйer de karma. Ceci n'est gйnйralement rйalisй qu'а un haut niveau d'initiation (4иme), et il est difficile d'en donner mкme une idйe gйnйrale. C'est l'йtat qu'on dйcrit chez certains кtres comme "transparent". Si le corps existe, il n'est plus un centre d'impulsion et de rйaction, mais un canal. Le vrai sens du mot sacrifice est "rendre sacrй". Autrement dit, c'est l'йtat oщ Esprit et Matiиre se confondent et deviennent Un (Yoga). А ce moment, du K R M se dйgagera AUM.

V. CONCLUSION

En conclusion, l'entrйe dans la vie spirituelle ne consiste pas а construire quelque chose de mirobolant, mais au contraire а dйfaire les constructions karmiques. Un кtre spirituel n'est pas plus que les autres, il n’est que celui qui a dйveloppй ce que tous les кtres ont en potentialitйs.

« Ne t'imagine pas que tu puisses t'isoler du mйchant ou de l'homme insensй. Ils sont toi-mкme, quoique а un moindre degrй que ton ami ou que toi-mкme... Ton karma est inextricablement tissй avec le grand karma. » (La Lumiиre sur le Sentier).

Bien au contraire, il n'est rien. Et ce verset de La Voix du Silence rйsumera ce que j'ai essayй de vous faire sentir :

"Avant de devenir le connaisseur du tout Soi, tu dois кtre d'abord le connaisseur de ton soi." Pour arriver а connaоtre ce soi, il faut abandonner le soi au non-soi, l'Кtre au non-кtre ; alors tu pourras reposer entre les ailes du Grand Oiseau (Kala Hamsa=AUM).

Essayons de rйsumer et de voir

COMMENT UN SPIRITUALISTE VIT DANS LE MONDE

Un vieil adage oriental dit :

De premiиre classe est de mener une vie spirituelle dans le monde.

De deuxiиme classe est de mener une vie spirituelle dans la montagne.

Car йchapper au monde n'est pas synonyme de vivre la vie spirituelle. Bien entendu, il y a des moments oщ une retraite est nйcessaire. Mais, de toute faзon, la vie spirituelle ne suppose pas un retrait de la vie dans le monde.



VIII

LES OBSTACLES

au

DЙVELOPPEMENT INTЙRIEUR

Si les chapitres prйcйdents йtaient relativement faciles car ils traitaient de sujets prйcis, celui-ci sera plus difficile, car il passe en revue les points dйjа traitйs, en y ajoutant d'autres, et l'ordre est difficile а йtablir.

La faзon la plus simple est de reposer la question : Qu’est-ce que la vie intйrieure ? Qu’est-ce que le dйveloppement intйrieur ?

La vie intйrieure dйbute par un cheminement vers l'intйrieur, un retrait « en soi » avec l’examen, ne serait-ce qu’intellectuel, du monde extйrieur ; puis une retraite dans ce monde encore inconnu qu'est le monde intйrieur, qu'on dйcouvre petit а petit.

Dans cette retraite, il y a beaucoup d'obstacles, beaucoup de piиges. Dans ce retrait, il y a des problиmes.

Puis, lorsque la vie intйrieure commence а кtre vйcue, l'attention se tourne de nouveau vers les activitйs extйrieures. Ici aussi, il y a beaucoup d'orniиres, d'attrapes.

Il y a un KOAN Zen qui dйcrit bien ce cheminement:

« Au dйbut les montagnes sont des montagnes. Puis les montagnes ne sont plus des montagnes. А la fin, les montagnes sont а nouveau des montagnes. »

C'est la faзon Zen de dйcrire les trois йtats de conscience reconnus par le yoga jвgrat, svapna, sushupti. Voyons quelques uns des obstacles.

La difficultй de faire le choix

Le premier pas, gйnйralement, est un retrait d'avec le monde extйrieur. Il y a d'abord l'exagйration, due а un manque de discernement. On a tendance а penser que tout ce qui appartient au monde extйrieur est illusoire, et on s'attache exagйrйment aux choses de l'intйrieur, qu'on ne connaоt pas d'ailleurs. Comme on ne les connaоt pas, on prйtend - et c'est pourtant souvent vrai - les sentir.

Oui gйnйralement, dans nos premiers pas, notre recherche est encore assez pure pour qu'on s'ouvre а l'influence intйrieure. Quelque chose nous parle, nous appelle, et rйellement, on le ressent. Mais immйdiatement, l'intellect s'en mкle, et on se met а classer les choses, les unes extйrieures, les autres intйrieures, puis on fait le choix ; on finit par se persuader que ce qu'on fait est intйrieur. C'est lа la premiиre erreur. On s'en aperзoit d'ailleurs assez vite, car а force de pousser exagйrйment vers l'intйrieur, on s'aperзoit qu'on n'arrive qu'aux idйes qu'on s'est faites de la vie intйrieure.

Alors vient le doute, un ennemi redoutable. Car alors il y a trois choix :

- ou bien on rencontre quelqu'un qui suit une autre voie que soi, et on en est йbloui et on le suit, abandonnant son propre chemin ;

- ou bien on dйsespиre, et on lвche tout ;
- ou bien on persйvиre, et le doute est dйpassй.

H.P.Blavatsky a йcrit dans 0ccultisme pratique : « Tous les doutes viennent de la nature infйrieure, jamais de la nature supйrieure. »

Cette phrase demande au moins quelques instants de rйflexion. Le doute est le fait d'кtre incertain, incertain de la valeur d'une chose. Or la valeur d'une chose est celle que nous lui accordons. Ce « nous » est а dйfinir. Nous y reviendrons tout а l'heure. Pour le moment, qu'il suffise de dire que ce que nous appelons « nous » est notre personnalitй. Une chose a une valeur pour notre personnalitй lorsqu'elle lui plaоt, lorsqu'elle la favorise ou la flatte, ou lorsqu'elle lui est dйsagrйable. Il y a toujours un йlйment de relation, positive ou nйgative. Il y a toujours un йlйment d'attachement. Lorsque nous sommes entourйs, nourris par ce qui nous plaоt, c'est-а-dire ce qui est en bonne rйsonance avec nos corps infйrieurs, alors nous sommes heureux, nous sommes certains, soi-disant en paix.

Lorsque nous commenзons а comprendre certaines choses affйrant а la Vie intйrieure, mкme intellectuellement, nous commenзons а nous poser des questions, et nous dйrangeons l'йquilibre tamasique ou rajasique de nos corps. Comme ces choses ne concordent pas avec les besoins et tendances de nos corps, il y a tiraillement. Comme, par cet appel intйrieur, nous sommes malgrй nous attirйs vers la vie intйrieure, il y a friction, et par rйaction nos corps engendrent le doute. Doute d'abord vis-а-vis des choses intйrieures, doute ensuite vis-а-vis des choses extйrieures, doute de nouveau vers les valeurs intйrieures, et ce n'est qu'en vainquant ce dernier doute qu'un pas est fait.

Cette fluctuation du doute peut se faire en mкme temps qu'on a des activitйs que j'appellerais "extйrieures". Le fait, par exemple, qu'on adhиre а une sociйtй, telle la Sociйtй Thйosophique, est un acte extйrieur qui traduit une tentative de recherche intйrieure. Ne nous leurrons pas lа-dessus. Ce n'est pas parce que nous suivons un groupe ou un autre que nous avanзons.

L’avancement -si avancement il y a -est un rйsultat lointain dans notre кtre intйrieur, rйsultat qui n'est forcйment pas proportionnel а notre activitй dans le groupe. Par exemple, ce n'est pas parce que j’occupe une fonction importante que je suis forcйment en train d'avancer intйrieurement. Bien souvent c'est plutфt le contraire.

Le deuxiиme obstacle est par consйquent : la difficultй а discerner ce qui est vraiment de la nature intйrieure de ce qui ne l'est pas.

Ceci amиne un troisiиme obstacle, qui est le manque de dйcision ; l'indйcision. L’indйcision est la cause de beaucoup de nos maux.

Sans dйcision, on n'a pas le cњur de s'engager fermement dans une voie et de s'y maintenir. C'est de lа que viennent les obstacles que les yogas listent souvent en termes techniques :

- la langueur mentale;
- l'indolence ou la paresse physique;
- l'instabilitй.

Et parce que le mental manque de tranchant dans son discernement, parce que le corps est indolent, on finit par se laisser aller au point de vue de la moralitй а des abstinences physiques et йmotionnelles. Ceci peut nous mener vers une sorte d'impasse : on accepte les fausses vйritйs et on s’en contente, et on s'y habitue, mкme s'y complaоt. Tout ceci en croyant bien faire.

Maintenant voyons comment l'enseignement thйosophique explique et permet de surmonter ces obstacles.

Lors de la manifestation d'un nouvel univers, un certain nombre d'Йtincelles divines rйpondent а l'appel du Troisiиme Logos et participent а la formation de la matiиre. On sait que l’univers manifestй est formй de sept plans, et que chaque plan est constituй par un degrй de complexitй de la matiиre. L’essence monadique qui entre dans la constitution du premier plan, se concrйtise de plus en plus, et plus on va vers les plans infйrieurs, plus la matiиre devient grossiиre. Dans les plans les plus infйrieurs, mental, astral, physique, ceux qui constituent la matiиre sont appelйs les йlйmentaux. Le plan mental, et par consйquent notre corps mental, est constituй d'йlйmentaux mentaux, le corps astral, d'кlйmentaux astraux, et le corps physique, d'йlйmentaux physiques. L’йvolution de l'essence йlйmentale est d'aller vers une complexitй de plus en plus grande, c'est-а-dire vers le bas.

Ces йlйmentaux sont ensuite utilisйs par le Deuxiиme Logos pour constituer les formes. Les formes sont donc des agrйgats d'йlйmentaux. Du fait que les йlйmentaux sont groupйs en corps constituйs, ces corps acquiиrent leur caractйristique et leur tendance propre, leur "volontй" propre, la volontй de grossir, d’кtre de plus en plus massifs, lourds, et de se maintenir... (Pouvoir de la Pensйe).

Lorsque les formes sont prкtes, alors intervient le Premier Logos, qui fait appel а un autre ordre de monades, qui, prennent possession des formes constituйes pour йvoluer, elles, vers le haut. Chaque кtre humain est par consйquent formй d'au moins deux entitйs : l'une qui tend vers le haut, l'Esprit, et l'autre qui tend vers le bas, le corps fait d'йlйmentaux. L’йvolution humaine consiste en ce jeu de friction, d'opposition entre ces deux entitйs. (Alchimie spirituelle).

Pour rйsumer, citons Pataсjali. Dans le deuxiиme chapitre du traitй de Yoga, Pataсjali explique les kleshas, les misиres de la vie, les obstacles au dйveloppement :

Avidya   
ignorance
Asmita              
identitй
Rвga       
attraction
Dvesha      
rйpulsion
Abhinivesha       
dйsir de vivre

Remarquables sont les versets

II. 10 Ceux-ci, les subtils [Traduction de Taimni, dans La Science du Yoga. Voir Le Yoga de Patañjali, de Phan-Chon-Tôn, pour une autre explication ] peuvent кtre rйduits en les renvoyant а leur origine.

II. 11 Leurs modifications actives doivent кtre supprimйes par la mйditation.

II.12 Le rйservoir des karmas qui sont enracinйs dans les kleshas amиne toutes sortes d'expйriences dans la vie prйsente et les vies futures.

II. 13 Tant que la racine est lа, elle doit mыrir et produire des vies de diffйrentes classes, longueurs et expйriences.

EPILOGUE

Comme l’indique son titre, ce petit livre ne vise pas а faire une revue comparative des diffйrentes religions. Il met en avant l’orientation intйrieure de chaque pratiquant de chaque religion : c’est la dynamique de cette marche vers l’йveil qui est а percevoir, non les particularitйs phйnomйnologiques.

Il n’y a qu’un petit point qui jette une ombre sur l’esprit de l’auteur. C’est le fait que, dans une tentative de rйconciliation, les trois religions issues d’Abraham se considиrent comme les seules monothйistes, et partant, tentent de s’isoler des autres, ce qui pourrait йriger un nouvel obstacle entre les кtres humains. Or, lorsqu’on considиre la trinitй hindoue, elle reflиte aussi bien l’unitй divine que celle des Chrйtiens. Et lorsque le Bouddha dit : « Pourquoi veux-tu mesurer ce qui est incommensurable ? », n’essaie-t-il pas de nous faire comprendre, en d’autres termes, ce que les Juifs professent : « Le nom de Dieu est ineffable. » Ce qui ne peut se mesurer, comme ce qui ne peut se prononcer, est la source de tout, qu’on le nomme Pиre ou Sat.

Ainsi, ce n’est pas ce qu’on a, de grй ou de force, appris а croire qui est important pour la rйalisation intйrieure. Ce qui importe, c’est ce conseil d’un instructeur а quelqu’un qui a faim et qui regarde un bon plat : « Tends ta main, prends et mange. »


Notes :

UPANISHAD

sad               s'asseoir

upa            auprиs

ni              dans un esprit de dйvotion

                 enseignement йsotйrique que le Maоtre dispense aux disciples assis а ses pieds dans

                 la posture consacrйe.

VEDANTA = conclusion des Vйdas.

Les Upanishads se prйsentent а la fin des Vйdas -vйdanta. Plus tard, vйdanta = essence, couronnement de l'enseignement vйdique.


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