L'ELIXIR DE VIE

par N.SRI RAM



(The Theosophist, Décembre 1969).

Traduction de l' Anglais pour "Le Lotus Bleu"- Janvier 1971"


Dans son style vif et imagé, Eliphas Lévi fait une observation sur la Mort: "Les cadavres ne sont que les feuilles mortes de l' arbre de la vie, qui aura de nouveau toutes ses feuilles au printemps". La vie dans sa totalité, et l' être humain en particulier, sont des arbres de vie, et les cadavres ne sont pas uniquement physiques (même les cellules du corps qui meurent par millions alors que le corps vit et prospère, peuvent être comparées à ces feuilles mortes), mais aussi astrals et mentais. Dans les ouvrages des débuts de la Théosophie, on parle "d' ombres", qui sont les restes astrals de l' entité morte, réanimés par quelque énergie de pensée, ou par quelque entité qui, n' éprouvant pas de répugnance vis-à-vis d' elles, est capable de les utiliser. A part quelques groupes de spirites et peut-être quelques occultistes égarés, la pensée moderne ne s' intéresse pas à ces phénomènes marginaux tels que les élémentaires ombres, etc., qui semblent avoir été plus proches des hommes dans le passé qu 'actuellement. De même que les feuilles mortes tombent de l' arbre, de même ces ombres incarnant les tendances Kama-manasiques de l' entité qui s' est retirée, se détachent à un certain moment et en général se désintègrent. L' arbre aura de nouvelles feuilles au printemps, car la vie est éternelle et impérissable. L' arbre de vie qu 'est chaque être humain se développe périodiquement et puis meurt jusqu 'à ses racines. L' arbre continuera à subir ces changements jusqu 'à ce qu' il soit complètement transformé et devenu un arbre de Vie et de Sagesse, non un arbre du bien et du mal. En d' autres termes, lorsqu 'une personne exprime la Sagesse, de tout son être, elle n'a plus à se dépouiller; les feuilles qui constituent son expression seront toujours des feuilles printanières, éternellement fraîches, n' ayant rien en elles qui puisse provoquer la décomposition.

Eliphas Lévi poursuit en remarquant que « la résurrection de l' homme ressemble éternellement à ces feuilles ». Ressusciter n' est pas renaître dans la matière, mais renaître en Esprit qui est hors du temps et donc ne se décompose pas. L' énergie du courant individuel de vie remonte vers l' Esprit, lorsqu' il n' est plus attiré par la matière et la sensation.

Dans la mythologie Indienne, où tant de vérités sont exprimées sous forme de paraboles ou sous forme allégorique, méthode souvent employée aux premiers temps de l' humanité, on dit que les Dévas ont trois attributs. Le mot Déva, notons-le ici, est employé pour différentes classes d' entités non physiques, depuis les petits esprits de la nature, en bas de l' échelle, qui sont comme de petits enfants, jusqu' aux Êtres supérieurs dont l' homme ne peut pas concevoir les activités, qui se trouvent en haut. Entre les deux se trouvent les Dévas, qui, bien que n' ayant pas de corps physique, sont humains dans leur nature psychique. Le mythe parle de l'apparation en forme physique de Dévas humains. On peut s' apercevoir que ce sont des Dévas, à trois signes, nous dit-on. Les trois signes en question sont tous physiques, mais peuvent être interprétés comme reflétant la nature psychique ou spirituelle de ces Êtres. L' un d' eux est que les Dévas ne transpirent jamais, l' autre qu 'ils regardent sans cligner des yeux, et le troisième qu 'ils ne projettent pas d' ombre. Un Déva ne transpire jamais, car son corps n' est qu 'une forme matérialisée, capable de faire ce qu' il désire, ce n' est pas un corps organique comme le nôtre. Mais cela nous suggère l' idée qu' un Déva vit et agit sans effort. Quand il n'y a ni effort ni tension dans ce que l' on fait, il y a toujours vitalité et fraîcheur. Il y a, sans aucun doute, dépense d' énergie, mais il peut y avoir un apport correspondant de vitalité.

Le fait de n' avoir pas de clignements de paupières peut être dû à ce que le corps étant une création artificielle, n'a pas tous les détails des processus physiologiques, mais cela suggère aussi une attention qui ne se relâche pas, et s' intéresse sans effort à ce qu 'elle fait ou observe. Le Déva peut entrer en communion, pour ainsi dire, avec ce qui l' attire sans que son attention dévie, sans que le mental se disperse.

Il ne porte pas d' ombre physique, peut-être parce que sa forme étant illusoire, n' est pas suffisamment dense. Métaphoriquement, cela peut signifier qu' il est translucide, sans opacité. Ces caractéristiques physiques indiquent peut-être l' être qu' il est spirituellement. Le fait qu' il ne disparaisse pas vient du flux de vitalité intérieure. Lorsque la fontaine intérieure n' est pas bloquée ou entravée, le courant qui en sort a les qualités de fraîcheur et de clarté des eaux pures de la vie. L' homme ressuscité, comparé aux feuilles du printemps, est supposé avoir les qualités ci-dessus: l' action sans effort, l' éveil constant (radiation constante de la conscience) et la pureté qui le rend translucide.

J. Krishnamurti énonce quelque chose de profondément intéressant, lorsqu' il dit (ou semble dire) que la mort, la vie et l' amour sont une seule et même chose. Présenté ainsi, cela nous semble inintelligible. Mais cette affirmation peut se rapporter à un état de l' être, du mental et du coeur, qui participe des trois — mourant à tous moments à l' accumulation que représente le passé, bourgeonnant de vie dans le présent et aimant à tout instant, comme quelque chose de toujours renouvelé, et d' une qualité ne reposant pas sur le temps.

La vie et la mort ne sont pas comme les deux faces d' une pièce de monnaie. Elles sont des phénomènes semblables au lever et au coucher du soleil. Le soleil peut se coucher à Madras, et en même temps se lever à Chicago. Une personne meurt dans notre monde, mais apparaît simultanément dans un autre. Le lever et le coucher du soleil sont des phénomènes illusoires, causés par la rotation de la terre autour de son axe, et l' angle de notre horizon par rapport aux rayons du soleil, tandis que le soleil reste fixe au centre du système. Si le soleil représente l' Esprit ou la Vie à sa source, l' Esprit, selon la Gîtâ, ne naît ni ne meurt; bien que, ainsi qu' on nous le dit dans l' une des Lettres des Mahatmas, "l' Esprit dans la matière est la vie". La vie peut exister sous diverses formes et à différents degrés. Quand la vie se retire de son enveloppe de matière — ce qui est la mort — elle retrouve sa condition originelle, qui est la résurrection en Esprit et en liberté. Ce processus consiste à effacer le passé tel qu' il se reflète dans le présent, et à un retour à la liberté pour l' entité qui, alors qu 'elle n' était pas conscience, s' était laissée emprisonner par des souvenirs et obsessions du passé. Cette dissolution couche par couche est « le bain d' oubli» qui permet à la Vie individuelle de retrouver sa condition originelle, neuve et innocente. Dans ce bain d' oubli la Vie individuelle n' abandonne rien de sa propre nature,qui brille comme de l' or pur dont on a retiré les scories, ou comme des feuilles printanières. Quand tout ce qui a été accumulé dans le temps a disparu, ce qui est éternel se manifeste.

La vie individualisée et la forme vont de pair. Il faut un vêtement à la manifestation de la vie, pas nécessairement un vêtement physique. Sans forme pour agir, la Vie ne peut exister qu 'à l' état potentiel, qui pour nous est une abstraction. En parlant de l' Esprit, la lettre des Mahatmas précédemment citée dit : "Qu' est-ce que l' Esprit, pur et impersonnel, en soi ? Un tel Esprit est une non-entité, une pure abstraction, il n' existe pas pour nos sens, même pour le plus spirituel". Puisque l' Esprit dans sa matière est la Vie, à la source ils sont une seule et même chose. L' énergie que nous appelons Vie, bien qu 'elle occupe un certain espace, peut se réduire à un point, et c' est apparemment ce qu 'elle fait pendant le pralaya, la nuit de Brahmâ (la Divinité dans sa première manifestation) selon les livres Hindous, quand tout l' univers revient à sa source. Cette nuit suit cycliquement le jour de Brahmâ, période active de l' univers, appelé Manvantara. On nous dit qu' il existe des pralayas mineurs, pendant lesquels seules des parties de l' univers constituant des systèmes, s' endorment ou deviennent latents. Mais en plus de cela il existe le Nitya Pralaya, qui peut être traduit par Pralaya ou mort à chaque instant. Cela peut désigner la mort de millions d' êtres humains, ou la mort d' autres vies survenant à tout moment. Cela peut aussi se référer à l' état d' esprit et de coeur qui est une mort à toute expérience, agréable ou douloureuse, auquel cas ce serait aussi une résurrection, à chaque instant. Cette mort est un perpétuel coucher du Soleil de la conscience individuelle, pour ce qui est passé, et un lever simultané du Soleil pour ce qui est présent.

La Mort et la Vie sont perpétuellement mêlées. Toutes deux semblent être présentes au même endroit, par exemple la vie de l' ensemble du corps, et la mort des cellules qui constituent ce corps. La forme ou organisme sont composés de parties, et le cycle de vie de l' ensemble ne coïncide pas avec le cycle de vie des parties. Ainsi que l' exprime un livre remarquable, Le Rêve de Ravan, d' un auteur anonyme, paru en feuilleton, au milieu du siècle dernier, dans un journal de l' Université de Dublin, la terre entière est un vaste charnier, quand on se tourne vers son passé. Des espèces vivantes innombrables y meurent depuis des millions d' années, et la terre est couverte de leur poussière et de leurs fragments. Et cependant parmi tous ceux qui sont morts depuis longtemps, et parmi ceux qui meurent, on voit la vie dans toute sa gloire et dans toutes ses variétés. La fontaine de vie, qui est sous terre, ne cesse de fonctionner et ses eaux empruntent toutes les voies possibles. Bien que le Temps détruise tout, il ne peut détruire que les formes de matière. Il ne peut toucher la Vie ou l' Esprit, qui, existant toujours dans ce moment fugitif qu 'est le présent, est hors d' atteinte du Temps.

Eliphas Lévi continue en disant que "les formes périssables sont conditionnées par des modèles immortels". Le mot "conditionné" signifie ici que les formes périssables (c' est-à-dire toutes les choses vivantes) prennent la forme d' un modèle immortel, l' archétype ou Idée de Platon. Dans Isis Dévoilée, H.P.B. affirme que "chaque mortel a sa contrepartie immortelle, son archétype au Ciel". Le Ciel signifie ici le Ciel des Idées Divines. Elle parle de l' être humain mortel, tandis que les formes périssables d' Eliphas Lévi englobent aussi les animaux et les plantes. La forme périssable cherche à se rapprocher, quelle que soit la distance, de sa contrepartie immortelle, et est reliée à elle par des fils subtils. H.P.B. dit qu 'elle est « indissolublement unie à son archétype », et dans le cas de l' homme, « unie par son principe spirituel - intellectuel ». Ce principe intellectuel n' est pas le mental, influencé par différentes sortes de désirs et de sensations, mais un prolongement de l' Esprit, en fait, son instrument. Eliphas Lévi semble dire que pour tout ce qui est imparfait et donc périssable, il y a un modèle correspondant, parfait et impérissable. La forme périssable est une tentative de la part de la Nature pour se conformer au modèle de cet archétype immortel. Il dit donc: "Tous ceux qui ont vécu sur terre, y vivent encore sous l' aspect d' exemplaires nouveaux de leur modèle".

Toutes sortes d' animaux ont vécu à la surface de la terre, et ont disparu depuis. Les créatures que nous voyons maintenant sont les nouveaux exemplaires. A différentes périodes il existe des formes à différents stades représentant le modèle immortel. On pourrait appeler les formes périssables d' ici-bas les ombres des formes parfaites se trouvant ailleurs. En d' autres termes, l' évolution comporte une succession de formes, chacune meilleure que la précédente, et sous certains angles, très différente, mais toutes reflètent à différents degrés le même modèle idéal. Eliphas Lévi, parlant des formes périssables, indique que tandis que la mort existe de ce côté-ci, il existe une correspondance immortelle de l' autre côté. La Mort est la contre-partie de l' Immortalité.

Eliphas Lévi dit plus loin que "les âmes qui ont dépassé leur modèle, reçoivent ailleurs une forme nouvelle fondée sur un type plus parfait, à mesure qu' elles gravissent l' échelle des mondes". En d' autres termes, il y a le modèle et les formes qui s' en approchent. Quand l' âme a évolué au-delà des limites de ce modèle, elle reçoit ailleurs cette nouvelle forme dont il parle. Il se peut qu' il pense à la vie dans une autre sphère ou un autre système. Si les âmes individuelles ont atteint le sommet dans des conditions données, elles peuvent évoluer davantage vers un type supérieur, car la capacité de ces âmes est illimitée et infinie.

Après avoir parlé de ces prototypes, il parle de l' âme de l' homme et dit : "Nos âmes sont en quelque sorte, la musique dont nos corps sont les instruments, mais elles ne peuvent se faire entendre sans intermédiaire matériel" ce qui est précisément l' idée exprimée par Platon.

La musique a différents effets sur l' homme et a des qualités très différentes. Elle peut être un simple rythme; elle peut devenir une fantaisie irréelle. En fait, il existe des compositions musicales que l' on nomme "Fantasia"; c' est-à-dire que leur musique s' apparente au rêve. Dans la constitution humaine ce genre d' action et d' expérience est lié à la psyché, cette âme subtile et semi-matérielle, distincte de l' âme spirituelle qui est une expression de l' Esprit. Tout rêve est forcément une projection du soi psychique. L'âme spirituelle, Bouddhi, ne rêve pas, car la nature même de l' Esprit est d' être éveillé pour percevoir tout ce qui peut être perçu, tout ce qui est. Quand cette âme n' est pas éveillée ou active elle peut se retirer dans un état de pralaya, un état d' absolu, ou samadhi, terme indien familier, trop souvent identifié avec l' absence de conscience. Ce que l' Esprit ou âme spirituelle perçoit doit être la vérité, mais la vérité est intérieure et infinie. L' âme spirituelle représente les parties de cette vérité qu 'elle a réussi à attirer à elle-même.

L' action de la psyché, et celle de l' individualité spirituelle de l' homme, ses rêves et ses réalisations peuvent être représentées sous forme de musique. Mais on doit faire une distinction nette entre la musique qui satisfait la nature psychique, qui est habituellement quelque chose de composite, et celle qui représente les intuitions et réalisations de l' âme spirituelle. La qualité de la musique différerait de manière correspondante.

La musique peut susciter diverses humeurs ou états émotionnels, la musique indienne l'a étudié et reconnu. Les anciens maîtres aimaient produire de la musique capable d' évoquer l' amour, la sérénité, la tristesse, l' action énergique, etc.. Lord Byron a écrit un poème sur Alexandre le Grand qui illustre de manière frappante les contrastes d' humeur engendrés par la musique.

Il y a, chez tout individu une vérité, une beauté unique, mais. elle est si profondément enfouie en lui-même, qu 'elle est difficile à percevoir. Cette beauté ou vérité se manifeste dans l' âme spirituelle, et se reflète dans son caractère et sa manière de voir. H.P.B., en traduisant Bouddhi par âme spirituelle, lui a donné une profondeur que l' on oublie souvent, en utilisant communément ce terme. "Bouddhi" a apparemment différents sens, ainsi que chacun a pu le noter d' après les contextes où on rencontre ce terme dans la Gîtâ. Elle modèle la psyché conformément à ce qu 'elle est, ce qui fait partie du processus devant accorder l' homme à son archétype. La psyché devient alors un prolongement du spirituel, une version en un idiome différent, avec des notes différentes, peut-être plus fouillée, plus de détails illustrant ses qualités spirituelles, mais nécessairement moins profonde, avec moins de pénétration, et moins de suggestions inconnues telle qu' il en existe toujours dans chaque parcelle d' Esprit. La nature psychique est transformée et transfigurée, tandis que l' âme spirituelle ne fait que s' épanouir et révéler ce qui y est déjà présent.

Le processus consistant à accorder parfaitement la nature psychique à la nature spirituelle, peut être envisagée comme une succession de remodelages, ou comme le fait de repeindre plusieurs fois un tableau, ou encore comme la modification d' une mélodie ordinaire par des variations lui conférant une beauté inconcevable. Toutes ces comparaisons expriment la même vérité. Toute conception de l' âme a des chances d' être erronée ou défectueuse, du moins en certains points. Sa nature ne peut être suggérée que par des comparaisons. Elle ne peut être communiquée à une personne n' ayant pas la compréhension nécessaire. Quand Eliphas Lévi dit: "que l' âme est en quelque sorte, une musique" qui sans un ou des corps ne peut s' exprimer, il offre matière à réflexion, ainsi que le font beaucoup d' autres pensées formulées dans son article.


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