CONNAISSANCE DU SOI

par SHRI SHANKARACHARYA

1. Ce traitй intitulй "Connaissance du Soi", est destinй а ceux dont les pйchйs ont йtй abolis par les austйritйs et qui, avec un mental tranquille et libre de tout attachement, aspirent а la libйration.

2. Comparйe а tous les autres moyens, la connaissance est le seul moyen direct pour la libйration. De mкme qu'il est impossible de cuire sans feu, de mкme la libйration est impossible sans connaissance.

3. Le rituel ne peut pas dissiper l'ignorance, parce qu'entre eux il n'y a pas de contradiction mutuelle. Mais la connaissance, sыrement, dйtruit l'ignorance, de mкme que la lumiиre dйtruit la plus dense obscuritй.

4. Le soi apparaоt comme conditionnй par l'effet de l'ignorance. Quand celle-ci est dйtruite, le soi non-conditionnél brille de sa propre lumiиre, tel le soleil quand les nuages sont dissipйs.

5. Ayant purifiй, en suivant avec persйvйrance les instructions, l'вme qui est rendue trouble par l'ignorance, la connaissance elle-mкme doit s'effacer, comme la pвte du gravier nettoyant le fait avec l'eau. [Le gravier nettoyant, fait de petits cailloux, enrobés d'une pâte nettoyante, lorsqu'il est jeté dans une eau trouble, la clarifie en se déposant lui-même au fond avec la saleté qui se sédimente]

6. Le monde phйnomйnal, qui abonde en dйsir, haine, etc., est, en vйritй, comme un rкve. Tant qu'il dure, il semble rйel. Mais lorsqu'on s'йveille, il devient irrйel.

7. Telle l'illusion d'argent dans l'opale, le monde parait rйel jusqu'au moment ou le soi suprкme, l'immuable rйalitй derriиre toutes choses, est rйalisй.

8. Telles les bulles dans l'eau, les mondes naissent, se maintiennent et se dissolvent dans le Seigneur Suprкme qui est la cause matйrielle et le fondement de toutes choses.

9. Sur l'Eternel Vishnou (qui est la pure existence et la pure conscience) servant de base, les diverses apparences sont incrustйes, tels les bracelets et autres formes faits d'or.

10. Tel l'espace, le Seigneur Vishnou, en venant en contact avec les diffйrentes conditions, apparaоt comme diffйrent en raison de leurs diffйrences, mais est perзu comme non-diffйrenciй quand ces conditions sont dйtruites.

11. C'est seulement а cause des diverses conditions que caste, nom, pйriodes de vie religieuses, etc., sont imposйes sur le soi, de mкme que le goыt, la couleur et d'autres attributs sont imposйs а l'eau.

12. Le lieu pour faire l'expйrience du bonheur et de la tristesse, qui est fait des quintuples composйs des grands йlйments et dont la formation rйsulte d'actions passйes, est appelй le corps (dense).

13. L'instrument de jouissance, qui est fait d'йlйments non-composйs et consiste en les cinq forces vitales, le mental, la conscience et les dix sens, est le corps subtil.[Les cinq sens de perception et les cinq membre moteurs du corps]

14. L'illusion sans commencement, qui est indйfinissable, et appelйe le corps causal. L'on doit comprendre que le soi est autre que ces trois corps (ou conditions).

15. Le pur soi, а cause de ses relations avec les cinq enveloppes, etc., se pare de leurs natures respectives, tel un cristal reflйtant un tissu de couleur.

16. L'on doit sйparer le grain du pur soi intйrieur de la balle constituйe par le corps et les autres enveloppes, grвce au battage fait par la raison.

17. Bien que le soi soit en tout temps et dans toutes choses, il ne peut briller nulle part, sauf dans la conscience, tout comme une rйflexion ne peut apparaоtre que sur une surface polie.

18. L'on doit comprendre que le soi doit toujours кtre comme un roi, diffйrent du corps, des sens, du mental, de la conscience, ainsi que des yeux, les tйmoins de leurs activitйs.

19. A l'homme dйnuй de discernement, le soi apparaоt comme actif, tandis qu'en rйalitй ce sont les sens (seuls) qui le sont, de la mкme faзon que la lune est vue comme si elle court, alors que ce sont les nuages qui se dйplacent.

20. Le corps, les sens, le mental et la conscience vaquent а leurs propres activitйs tout en dйpendant de la conscience du soi, de mкme que les hommes dйpendent de la lumiиre du soleil.

21. Par manque de discernement, les hommes attribuent les qualitйs et les activitйs du corps et des sens au soi, qui est pure existence et pure conscience, [Le soi est la conscience absolue, et se distingue de bouddhi, la conscience individuelle] de la mкme faзon que la couleur bleue est attribuйe au ciel.

22. De plus, la nature agissante [Textuellement: "nature de faiseur", autrement dit l'activité dans le monde phénoménal] qui appartient au mental conditionneur, est attribuйe au soi, tout comme le mouvement de l'eau est attribuй au reflet de la lune sur celle-ci.

23. Les passions, les dйsirs, le bonheur, la tristesse, etc. exercent leur fonction quand la conscience est prйsente, et n'existent pas dans le sommeil profond alors que la conscience est absente. Ils appartiennent, par consйquent, а la conscience, non au soi.

24. De mкme que la lumiиre est la nature mкme de soleil, que la froideur est celle de l'eau, que la chaleur est celle du feu, de mкme l'кtre-tй, la conscience, la fйlicitй, l'йternitй et le caractиre absolu sont la nature mкme du soi.

25. Par le fait, dы au manque de discernement, de confondre l'aspect "кtre et conscience" du soi avec la fonction de la conscience individuelle, naоt l'idйe : "Je sais".

26. Le soi ne subit pas de modification, ni la connaissance ne peut йmerger d'aucune faзon de la conscience individuelle (seule). Et pourtant, l'on s'imagine, par ignorance, que l'вme individuelle sait, fait et voit bien toutes choses.

27. En prenant, par erreur, le soi pour l'вme individuelle, comme on prend une corde pour un serpent [Ceci est une métaphore très répandue en Inde: Lorsque, par hasard, on marche (pieds nus) sur une corde mouillée, la première réaction est une grande peur, car on croit marcher sur un serpent. Mais lorsqu'on s'aperçoit que ce n'est qu'un morceau de corde, inoffensif, la peur s'en va] , l'on est sujet а la peur. Mais si l'on se rend compte que "Je ne suis pas l'вme individuelle, mais le soi Supйrieur", alors on est libйrй de la peur.

28. Le soi seul illumine la conscience, les sens, etc., de mкme que la lumiиre fait apparaоtre le pot et d'autres objets; (mais) notre propre soi n'est pas illuminй par ces objets illuminables [Ce barbarisme tente à traduire la qualité passive de ces objets. Comme le trio connaisseur - connaissance - connu, il est question ici du trio illuminateur - illumination - illuminable. Ce dernier mot veut dire: susceptible d'être illuminé, mais incapable, per se, d'émettre de la lumière]

29. La nature du soi йtant la connaissance, elle ne dйpend, par la connaissance d'elle-mкme, d'aucune autre connaissance, de la mкme faзon qu'une lumiиre n'a pas besoin d'une autre lumiиre pour se rйvйler.

30. En йliminant routes les limitations avec l'aide de la formule "pas ceci, pas ceci" ["Neti, neti" = "je ne suis pas ceci, je suis pas ceci". Formule prononcée dans une forme de méditation dans laquelle on examine les choses du monde extérieur (y compris son corps) et le rejette successivement comme ne faisant pas partie du Soi] , l'on prendra conscience de l'identitй de l'вme individuelle et du soi suprкme au moyen des enseignements des йcritures.

31. Le corps et les autres objets de perception sont les produits de l'ignorance et sont aussi йvanescents que des bulles. Le soi, qui est non-conditionnй, est distinct de ces objets et doit кtre compris comme "Je suis Brahman".

32. La naissance, la vieillesse, la dйcrйpitude, la mort, etc., ne sont pas moi, parce que je suis distinct du corps. Le son et les autres objets des sens n'ont pas de liens avec moi, car je ne suis pas les sens.

33. Je ne suis pas le mental; par consйquent, la tristesse, le dйsir, la haine, la peur, etc., ne m'affectent pas. Comme cela est affirmй par les йcritures, le soi n'est ni les sens ni le mental, mais est inconditionnй.

34. Je suis sans attribut, sans fonction, йternel, sans doute, sans tache, sans changement, sans forme, йternellement libre et non conditionnй.

35. Tel l'йther, j'imprиgne toute chose, intйrieurement et extйrieurement. Je suis impйrissable, а jamais la (vйritй) йtablie, semblable а tous, sans attache, non-conditionnй, imperturbable.

36. Je suis le suprкme Brahman mкme, qui est la rйalitй, la connaissance et l'infirmitй, qui est а jamais non-conditionnй et libre, l'unique et indivisible fйlicitй qui est sans seconde.

37. Le fait d'imprimer constamment au mental la phrase "je suis seulement Brahman" fait disparaоtre la turbulence de l'ignorance, comme l'йlixir de vie guйrit tous les maux.

38. Assis dans un endroit retirй, libre de toutes passions, avec les sens subjuguйs, l'on doit contempler ce soi unique et infini, sans penser а rien d'autre.

39. Un homme sage doit, par son intelligence, immerger dans le soi tout ce qui est objectif et contempler l'unique soi qui est comme l'espace illimitй.

40. Celui qui a rйalisй la vйritй suprкme abandonne tout, forme, caste, etc. et s'йtablit, par nature, dans (le soi, qui est) la conscience et la fйlicitй infinies.

41. La distinction entre le connaisseur, la connaissance et le connu n'existe pas pour le soi-suprкme. Etant l'unique conscience et fйlicitй, il brille par lui seul.

42. La flamme de la connaissance qui est attisйe par le constant remou [Afin d'attiser le feu, il faut remuer constamment le bois] (par la mйditation) exerce sur le bois [Le bois Arani, utilisé pour allumer le feu sacrificiel] (du soi), consumera entiиrement l'huile de l'ignorance.

43. Lorsque la connaissance a dйtruit l'ignorance, le soi se manifestera, de la mкme faзon que le soleil se lиve aussitфt que l'aurore [Aruna, le conducteur du char du soleil, le dieu de l'aurore] du jour a dissipй l'obscuritй.

44. Le soi qui est а jamais en nous, apparaоt, par ignorance, comme s'il ne pouvait кtre trouvй, et lorsque cette (ignorance) est dйtruite, il est trouvй, tel son propre collier [Se réfère au fait, souvent constaté, qu'on cherche son collier et ne le trouve pas alors qu'on l'a toujours eu au cou]

45. La condition de l'вme individuelle a йtй imprimйe sur Brahman par l'illusion, comme une forme humaine sur un poteau [Se réfère au fait qu'on peut parfois prendre un poteau planté en terre pour un être humain; cette forme humaine n'a aucune réalité, de même que l'Âme individuelle par rapport au Soi suprême] mais elle disparaоt dиs qu'on a pris conscience de la vraie nature de l'вme individuelle.

46. La connaissance, qui naоt de la prise de conscience de sa propre nature, dйtruit d'elle-mкme l'illusion du "je" et du "mien", qui ressemble а la confusion entre les directions [Celui qui est confus quant aux directions se réoriente dès qu'il a localisé l'endroit où il se trouve ]

47. Le yogui qui a obtenu la rйalisation juste voit toutes choses, par l'oeil de la connaissance, comme existant en son propre soi, et l'unique soi comme toutes choses.

48. Il voit toutes choses comme son propre soi, de la mкme faзon que l'on voit des pots comme simplement de l'argile; (car) tout cet univers est seulement le soi, et il n'y a rien d'autre que le soi.

49. L'йtat de libйrй-vivant [Jivanmukta ] signifie que la personne sage, ayant abandonnй ses limitations et qualitйs passйes, et acquйrant les propriйtйs de l'кtre, de la conscience et de la fйlicitй, atteint Brahman, de la mкme faзon que la chenille devient papillon.

50. Ayant traversй l'ocйan de l'ignorance et tuй les dйmons des attractions et rйpulsions, le voyeur, uni а la tranquillitй, est suprкmement heureux dans la jouissance de la fйlicitй de son propre soi [Ceci est une explication allégorique, tirée de la légende du Ramayana]

51. Laissant de cotй tout attachement aux plaisirs extйrieurs et transitoires, et heureux dans la fйlicitй du soi, une telle personne, pour toujours, brille intйrieurement, telle une lumiиre dans un globe.

52. Le voyeur, bien que demeurant au milieu des limitations, n'est cependant, comme l'espace, plus affectй par leurs qualitйs. Connaissant tout, il doit кtre comme quelqu'un qui ne sait rien et doit errer, sans attache, comme le vent.

53. Quand les limitations disparaissent, le voyeur se fond sans rйserve dans le Suprкme (Vishnou), comme l'eau dans l'eau, l'espace dans l'espace, la lumiиre dans la lumiиre.

54. Acquisition qu'aucune acquisition ne dйpasse, fйlicitй а laquelle aucune fйlicitй n'est supйrieure, connaissance insurpassйe par aucune connaissance-cela, - comprends-le, est Brahman.

55. Voyant ce que rien d'autre ne reste а voir, devenant ce que rien ne redevient [Naissance], sachant ce que rien d'autre ne reste а savoir - cela, comprends- le, est Brahman.

56. Ce qui pйnиtre tout, autour, au-dessus, en-dessous, qui est кtre, conscience et fйlicitй, qui est sans second, sans fin, йternel, unique - cela, comprends-le, est Brahman.

57. L'immuable, l'unique fйlicitй ininterrompue, qui est dйsignйe par le Vйdanta par l'exclusion ce qui n'est pas elle-mкme [Technique "Neti, neti" (voir Aphorisme 30 ci-haut)] ­ cela, comprends-le, est Brahman.

58. Le Brahma (а quatre faces) et les autres, qui ne sont que des parties de ce soi qui est la fйlicitй non-interrompue, deviennent heureux, chacun а son niveau, par la possession d'une petite portion de cette fйlicitй.

59. Chaque objet (est tel parce qu'il) possиde cela. Toute activitй a en elle un courant de la conscience qui le traverse. [Ces deux aspects du soi sont sat (l'être) et chit (la conscience) L'aspect ananda (félicité) a été évoqué dans le verset précédent] Le Soi Suprкme, ainsi, imprиgne l'univers entier, comme le beurre est prйsent dans toutes les parties du lait.

60. Ce qui n'est ni subtil ni dense, ni court ni long, qui est non-nй, immuable, dйpourvu de forme, de qualitй, de caste ou de nom, ­ cela, comprends-le, est Brahman.

61. Ce dont la lumiиre est irradiйe par le soleil, mais qui n'est pas illuminй par ces choses qui sont illuminables, et par la vertu duquel tout cet univers (brille) [Se manifeste, est perçu] ­ cela, comprends-le, est Brahman.

62. Pйnйtrant l'univers entier, intйrieurement et extйrieurement, et l'illuminant, le Brahman brille par lui-mкme; tel une boule de fer incandescente.

63. Le Brahman est distinct de l'univers. Il n'y a rien d'autre que Brahman. Si quelque chose d'autre que Brahman est perзue, elle est aussi irrйelle que le mirage dans le dйsert.

64. Tout ce qui est vu ou entendu, autre que Brahman, ne peut кtre (rйel). Mкme cela est Brahman, l'кtre sans second, la conscience et la fйlicitй, quand la rйalitй est connue.

65. Celui qui a l'oeil de la connaissance voit Brahman qui est l'кtre, la conscience et la fйlicitй, dans toutes choses; mais celui qui n'a pas l'oeil de la connaissance ne peut voir ainsi, de mкme que l'aveugle ne peut voir le soleil brillant.

66. L'вme individuelle, fondue dans le feu de la connaissance allumй par l'instruction, est libйrйe de toute teinte, tel l'or, et brille par elle-mкme.

67. Le soi est le soleil de connaissance qui, s'йlevant au firmament du coeur, dissipe les tйnиbres de l'ignorance et, pйnйtrant tout, soutenant tout, brille et fait tout briller.

68. Celui qui, non-affectй par (les limitations de) la direction, de l'espace, du temps, etc., et parfaitement tranquille, atteint le saint des saints du soi, qui pйnиtre tout, est sans tache, l'йternelle fйlicitй qui dissipe (toutes les qualitйs) telles que la chaleur et le froid ­ il devient tout-connaissant, tout-pйnйtrant et immortel.

Ainsi finit LA CONNAISSANCE DU SOI

SHRI SHANKARACHARYA

fut le plus cйlиbre des commentateurs du Vйdanta. Sa philosophie non-dualiste met l'accent sur l'essentielle identitй entre Brahma (Dieu) et Atma (l'esprit humain). L'oeuvre la plus connue de ce grand philosophe et maоtre spirituel est "Le Suprкme joyau de Sagesse" que tout йtudiant sйrieux devrait prendre comme livre de chevet. Quelques oeuvres moins connues ont йtй traduites en anglais. Parmi celles-ci "Connaissance du Soi" s'adresse à "ceux dont les pйchйs ont йtй abolis par les austйritйs et qui, avec un mental tranquille et libre de tout attachement, aspirent à la libйration".

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